Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Relation/16

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 75-79).


CHAPITRE XVI.


Comment les Portugais relevèrent Brikiokia et construisirent des retranchements dans l’île de San-Maro.


Les chefs des Portugais décidèrent cependant qu’on ne devait pas abandonner ce poste, mais, au contraire, le reconstruire le mieux possible, puisqu’il servait à la défense du reste du pays, ce qui était vrai.

Plus tard les ennemis, voyant que Brikioka était trop fort pour eux, venaient dans la nuit avec leurs canots devant cet endroit, et s’emparaient de tout ce qui leur tombait sous la main autour de Saint-Vincent, car les habitants de l’intérieur étaient sans défiance, et se croyaient suffisamment protégés par cette nouvelle forteresse.

Les Portugais s’en étant aperçus, résolurent de construire aussi un fort au bord de l’eau, sur l’île de San-Maro, précisément en face de Brikioka, et d’y placer de l’artillerie avec une garnison, afin de barrer entièrement le passage aux Indiens. Ils avaient donc commencé des fortifications sans les terminer, parce que, disaient-ils, aucun soldat arquebusier portugais ne voulait s’y risquer.

J’allai visiter cet endroit : les habitants, apprenant que j’étais Allemand et que je m’entendais un peu à l’artillerie, me promirent que, si je voulais m’établir dans la forteresse de l’île, ils me donneraient des compagnons et une bonne paye, ajoutant que le roi m’en récompenserait, car il a l’habitude d’agir en gracieux seigneur envers ceux qui ont rendu des services dans les nouveaux pays.

Je convins d’y rester quatre mois, à condition qu’un officier du roi viendrait avec le monde nécessaire pour y construire un édifice en pierres, ce qui fut exécuté. La plupart du temps nous n’étions que trois dans cette maison, avec quelques arquebuses, et nous courions de grands dangers de la part des sauvages ; la maison n’étant pas très-forte. Nous étions aussi obligés de faire bonne garde pendant la nuit pour n’être pas surpris par les sauvages, ce qu’ils essayèrent quelquefois ; mais, Dieu soit loué, ils nous trouvèrent toujours sur nos gardes.

Au bout de quelques mois, un commandant arriva de la part du roi ; car les habitants s’étaient plaints à sa majesté des attaques fréquentes des sauvages, lui représentant la beauté du pays, et combien on aurait tort de l’abandonner. C’est pourquoi cet officier, nommé Tome de Susse (Souza)[1], vint pour examiner l’endroit où les habitants désiraient qu’on élevât des fortifications. Ceux-ci lui représentèrent combien je leur avais été utile en venant m’établir dans cette maison, ce qu’aucun Portugais n’avait osé faire. Il se montra très-satisfait, et promit de faire valoir mes services auprès du roi et de m’en faire récompenser, si Dieu permettait qu’il revînt en Portugal. Comme le temps que j’avais promis de rester, c’est-à-dire quatre mois, était écoulé, je demandai mon congé ; mais le gouverneur et les habitants me sollicitèrent de demeurer quelque temps de plus. Je finis par leur promettre de servir encore deux ans, à condition qu’à cette époque on me permettrait de m’embarquer sur le premier vaisseau qui partirait pour le Portugal, et qu’à mon arrivée l’on me récompenserait.

Le commandant me délivra mon brevet comme c’est l’usage d’en remettre un à ceux des arquebusiers du roi qui le demandent. On reconstruisit les remparts en pierres, on y plaça quelques pièces de canon, et l’on m’ordonna de bien garder la place et l’artillerie.

  1. Tome de Souza, gentilhomme portugais, qui s’était déjà distingué en Afrique et dans l’Inde, fut le premier gouverneur général du Brésil, où il arriva en 1549.