Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Relation/10

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 53-55).


CHAPITRE X.


Comment je fus envoyé au vaisseau avec un canot rempli de sauvages.


Notre capitaine pria alors l’homme que nous venions de rencontrer d’envoyer un canot de sauvages au vaisseau, pour lui ordonner de venir le joindre. Il me fit partir avec eux ; car il y avait déjà trois jours que nous étions absents, et l’équipage ne savait pas ce que nous étions devenus.

Quand je fus arrivé à une portée de mousquet du vaisseau, ceux qui s’y trouvaient jetèrent de grands cris et se mirent en défense sans vouloir me permettre d’approcher plus près, me demandant comment il se faisait que je vinsse ainsi seul dans un canot de sauvages, et où étaient les autres. Je restai immobile sans rien répondre, car le capitaine m’avait ordonné de feindre la tristesse, pour voir comment ceux du vaisseau se comporteraient.

Voyant que je ne répondais pas, ils se mirent à dire : Il y a quelque chose là-dessous ; il faut que les autres soient morts ; ces sauvages en amènent un avec eux pour nous tendre quelque piège et s’emparer du vaisseau. Ils se préparaient donc à tirer sur nous, quand je me mis à rire et à leur crier ; Bonne nouvelle, soyez tranquilles, laissez-moi approcher et je vous raconterai tout. Ils furent en effet fort joyeux quand je leur eu rendu compte de ce qui nous était arrivé, et les sauvages s’en retournèrent dans leur canot. Nous remontâmes avec le bâtiment jusqu’à leur village, et nous y jetâmes l’ancre pour attendre l’arrivée des vaisseaux dont l’orage nous avait séparés.

Le village de ces Indiens se nomme Acutta ; et le chrétien que nous y avions trouvé s’appelait Juan Ferdinando ; il était Biscaïen, et natif de Bilbao. Ces Indiens se nomment Carios[1]. Ils nous apportèrent beaucoup de gibier et de poisson, et nous leur donnâmes des hameçons en échange.

  1. On trouve de nombreux renseignements sur les Carios dans la relation d’Ulrich Schmiedel qui fait partie de cette première série des voyages, relations et mémoires originaux pour servir à l’histoire de l’Amérique, c’est pourquoi je n’en parlerai pas ici.