Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Conclusion

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 323-328).


CONCLUSION.


Hans Staden souhaite au lecteur la paix et la grâce de Dieu.


Lecteur bénévole,

J’ai raconté brièvement l’histoire de ma navigation : car je voulais seulement te faire savoir comment il m’est arrivé de tomber au pouvoir des sauvages ; pour te montrer par quel moyen Dieu, Notre Seigneur, m’a tiré de ce grand danger contre toute espérance ; afin que tout le monde puisse voir qu’il protège encore les chrétiens au milieu des barbares et des païens, comme il l’a fait dans tous les temps, et pour que chacun lui en soit reconnaissant, et espère en lui au moment du péril ; car lui-même a dit : « Appelle-moi à l’heure du danger, je viendrai à ton secours, et tu chanteras mes louanges. »

On me dira peut-être que je devrais faire imprimer tout ce que j’ai vu et éprouvé dans ma vie. Cela ferait un trop gros livre ; mais j’ai exprimé dans plusieurs endroits ce qui m’a déterminé à écrire ce petit volume ; car c’est le devoir de tous de louer et de remercier le Seigneur, qui nous a préservés depuis l’instant de notre naissance jusqu’à présent.

Je sens bien que le contenu de ce livre paraîtra étrange à plusieurs ; cependant qu’y faire ? Je ne suis pas le premier, et je ne serai pas le dernier qui ait connaissance de cette navigation, de ces peuples et de ces pays. C’est ce que doivent voir, et ce que verront ceux qui sont disposés à se moquer de moi.

Il est bien naturel que ceux qui ont passé de la mort à la vie n’éprouvent pas les mêmes sentiments que ceux qui ne sont que spectateurs, des dangers ou qui seulement en entendent parler. D’ailleurs, si tous ceux qui vont en Amérique, tombaient comme moi dans les mains des Indiens, personne ne voudrait y aller.

Mais on trouvera plus d’un homme d’honneur en Castille, en Portugal, en France et même à Anvers en Brabant, qui ont été en Amérique, et me rendront témoignage de la vérité de tout ce que j’ai avancé. Quant à ceux qui ne connaissent pas le pays, j’en appelle à ces témoins, et avant tout, à Dieu.

Je fis mon premier voyage en Amérique, à bord d’un vaisseau portugais, dont le capitaine se nommait Pintiado. Il y avait trois Allemands à bord, Henri Brant de Brème, Hans de Bruchhausen et moi.

A mon second voyage, je partis de Séville pour me rendre à Rio de la Plata : c’est une province de l’Amérique que l’on nomme ainsi. Le capitaine se nommait Diego de Sanabrie. Mais, après avoir éprouvé toute espèce de souffrances et de dangers, pendant deux ans que dura notre voyage, nous fîmes naufrage dans une île nommée Saint-Vincent, très-proche du continent du Brésil, et qui est habitée par des Portugais. J’y trouvai un compatriote, fils de feu Loban Hess, qui me reçut très-bien : des marchands d’Anvers, nommés Schetz, y avaient un facteur, qui s’appelait Pierre Rosel. Ces deux personnes pourront témoigner comment je suis arrivé dans ce pays, et comment je suis tombé dans les mains des sauvages.

Les marins qui me rachetèrent étaient de Normandie, en France ; le capitaine du vaisseau était de Vatteville, il s’appelait Guillaume de Moner ; le pilote, d’Harfleur, se nommait François de Schantz ; l’interprête était du même endroit, il avait nom Pérot. Ce sont ces braves gens, (que le Seigneur les en récompense dans l’éternité), qui, après Dieu, m’ont ramené en France. Ils m’ont donné un passe-port, des vêtements, de l’argent pour faire mon voyage, et ils rendront témoignage de l’endroit où ils m’ont trouvé.

Je m’embarquai à Dieppe, en France, pour me rendre à Londres, en Angleterre. Les marchands de la bourse hollandaise, ayant appris du capitaine qui m’avait amené tous les malheurs qui m’étaient arrivés, m’invitèrent à dîner, et me donnèrent de quoi continuer ma route. Delà je partis pour l’Allemagne.

A Anvers, j’allai chez un marchand, nommé Gaspard Schetz, le même qui avait pour facteur Pierre Rosel, que j’avais connu à Saint-Vincent ; je lui racontai comment les Français avaient attaqué le vaisseau de son facteur à Rio de Janeiro, et avaient été repoussés avec perte. Ce marchand me donna deux ducats : que Dieu les lui rende.

Enfin, si quelque jeune étourdi ne veut croire ni ma parole ni celle de mes témoins, qu’il s’embarque pour ce pays, après avoir invoqué l’aide de Dieu, et qu’il y aille. Je lui ai indiqué le chemin, il n’a qu’à suivre mes traces ; car le monde est ouvert à celui que Dieu veut aider.


Louanges à Dieu dans l’éternité.


Amen.