Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Supplément au chapitre XII

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 82-86).

SUPPLÉMENT AU CHAPITRE XII.

DU SECRET, etc.


« Ce titre nous reporte à un autre siècle, et c’est au dix-neuvième que je l’écris.

» La jurisprudence criminelle distinguait jadis deux sortes de questions. L’une appelée préparatoire, lorsqu’il n’existait pas de preuves suffisantes contre un accusé prévenu d’un crime digne de mort. Cette espèce de question fut abolie par la déclaration du 24 août 1780.

» La seconde, appelée préalable, s’appliquait après le jugement de mort, et avant l’exécution, afin d’obtenir la révélation des complices. Celle-ci fut conservée, et n’a été abolie que par la loi du 9 octobre 1789. Une nation qui refaisait ses institutions, ne pouvait en laisser subsister une aussi barbare.

» Je pourrais expliquer les tourmens qu’on faisait subir… Mais, avec Montesquieu, « j’entends la voix de la nature qui crie contre moi. »

» Ne parlons donc pas de ce qui n’est plus ; c’est assez d’avoir à nous occuper de ce qui est. — La question est abolie : voilà ce que proclame notre législation. — Cependant, le besoin d’obtenir des aveux dans certaines causes, a fait imaginer un nouveau genre de tortures, auquel le plus ferme courage ne peut résister long-temps.

» Je veux parler du secret, et je ne crains pas de prendre sur moi toute la responsabilité des faits que je vais rapporter. Je mie borne à consigner ici les actes qui ont acquis le plus de publicité. Voici les moyens qui, à certaines époques, ont été employés dans quelques maisons de justice ou d’arrêt, pour forcer les détenus à faire des révélations.

» L’homme soumis à ce genre de torture, est ordinairement jeté dans un cachot étroit, qui le plus souvent est humide, pavé en pierres, et dont l’air ne se renouvelle qu’avec une extrême difficulté. Ce cachot ne reçoit un faible rayon de lumière, qu’au moyen d’un soufflet de bois adapté à une fenêtre grillée.

» On y place pour tout meuble un méchant garde-paille ; on n’y trouve nulle table, nulle chaise, en sorte que le prisonnier est obligé d’être constamment ou couché, ou debout.

» On ne lui permet la lecture d’aucun livre. La faible consolation d’écrire ses pensées lui est même refusée. Seul avec ses sombres réflexions, et le plus souvent au milieu d’une obscurité profonde, il ne trouve rien qui puisse le distraire de ses anxiétés.

» Un baquet placé auprès de lui, sert au soulagement des besoins de la nature, et contribue, par l’odeur infecte qu’il exhale, à rendre ce séjour insupportable.

» À toutes les heures du jour et de la nuit, on est réveillé par la bruyante vigilance d’un guichetier, qui, privé de toute sensibilité, ne respecte ni repos, ni douleur, agite avec fracas ses clés et ses verrous, et semble prendre plaisir à venir contempler vos souffrances.

» Du pain, souvent en petite quantité, est toute la nourriture de ce malheureux ; et il n’est pas rare que, dans certaines occasions, on oublie à dessein de la lui donner, afin de diminuer ses forces. On ne lui laisse ni couteau, ni instrument quelconque ; et c’est le guichetier qui prend le soin de diviser ses alimens.

» De temps en temps on le sort de cet horrible lieu, pour le conduire devant un juge interrogateur ; mais ses souvenirs sont confus, il se soutient à peine ; et après plusieurs interrogatoires, c’est un miracle si l’incohérence de ses réponses ne forme pas des contradictions, dont on fait ensuite contre lui autant de nouveaux chefs d’accusation.

» Rentré dans la prison, et s’il n’a pas rempli l’attente du juge, le concierge a ordre de redoubler de rigueurs. Ainsi, quelquefois, lorsque l’horreur de la solitude n’a rien pu sur une âme fortement trempée, on substitue à ce traitement un autre genre de supplice, La lumière éblouissante d’un réverbère remplace l’obscurité ; la lueur est tournée sur le grabat du prisonnier, lequel, pour éviter son éclat incommode, est obligé de tenir ses yeux affaiblis constamment fermés.

» Pendant ce temps, un agent de police, placé à l’autre extrémité du cachot et assis devant une table, l’observe en silence ; il épie ses mouvemens ; il ne laisse échapper aucun de ses soupirs sans en prendre note ; il recueille les paroles et les plaintes que la douleur lui arrache ; il lui ôte la dernière consolation, qu’on ne peut refuser à un infortuné, celle de gémir seul.

» Heureux le prisonnier, si ces agens mercenaires, qui se succèdent pour le surveiller, ne mentent jamais à leur conscience et à la vérité !

» Le temps pendant lequel on est soumis à ce régime, n’a point de mesure ; il est à l’arbitraire du magistrat. Tel y a été laissé cinq cent cinquante-deux jours, tel autre trois cent soixante-douze, tel autre cent un. Après ce traitement, ce n’est plus un homme qu’on rend à la lumière, c’est un spectre, c’est un cadavre, qui a souvent perdu jusqu’à la sensation de la douleur.

» Voilà par quelles tortures nous avons remplacé la question préparatoire d’autrefois.

» Enfin, lorsqu’un accusé est condamné à la peine capitale, si on espère en obtenir quelque révélation, on le soumet à de nouveaux tourmens, qui doivent toujours produire leur effet, puisqu’ils sont exercés sur un corps qui n’a presque plus de vie ; et c’est encore ainsi que nous avons remplacé l’ancienne question préalable. » (Bérenger, De la justice criminelle en France, etc., titre II, chap. 1er , § 9.)