Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXI

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 160-163).

CHAPITRE XXI.

DES ASILES.


Les asiles sont-ils justes ? et l’usage établi entre les nations de se rendre réciproquement les criminels, est-il un usage utile ?

Dans toute l’étendue d’un état politique, il ne doit y avoir aucun lieu qui soit hors de la dépendance des lois. Leur force doit suivre partout le citoyen, comme l’ombre suit le corps.

Il y a peu de différence entre l’impunité et les asiles ; et puisque le meilleur moyen d’arrêter le crime est la perspective d’un châtiment certain et inévitable, les asiles qui présentent un abri contre l’action des lois, invitent plus au crime que les peines n’en éloignent, du moment où l’on a l’espoir de les éviter.

Multiplier les asiles, c’est former autant de petites souverainetés, parce que là où les lois sont sans pouvoir, il se forme de nouvelles puissances ennemies de l’ordre commun, il s’établit un esprit opposé à celui du corps entier de la société.

On voit dans l’histoire de tous les peuples, que les asiles ont été la source de grandes révolutions dans les états et dans les opinions humaines.

Quelques-uns ont prétendu qu’en quelque lieu que fût commis un crime, c’est-à-dire, une action contraire aux lois, elles avaient partout le droit de le punir. La qualité de sujet est-elle donc un caractère indélébile ? Le nom de sujet est-il pire que celui d’esclave ? Et se peut-il qu’un homme habite un pays, et soit soumis aux lois d’un autre pays ? que ses actions soient à la fois subordonnées à deux souverains et à deux législations souvent contradictoires ?

Ainsi, on a osé dire qu’un forfait commis à Constantinople pouvait être puni à Paris, par la raison que celui qui offense une société humaine, mérite d’avoir tous les hommes pour ennemis, et doit être l’objet de l’exécration universelle. Cependant, les juges ne sont pas les vengeurs du genre humain en général ; ils sont les défenseurs des conventions particulières qui lient entre eux un certain nombre d’hommes. Un crime ne doit être puni que dans le pays où il a été commis, parce que c’est là seulement, et non ailleurs, que les hommes sont forcés de réparer, par l’exemple de la peine, les funestes effets que peut produire l’exemple du crime.

Un scélérat, dont les crimes précédens n’ont pu violer les lois d’une société dont il n’était pas membre, peut bien être craint et chassé de cette société ; mais les lois ne peuvent lui infliger d’autre peine, puisqu’elles ne sont faites que pour punir le tort qui leur est fait, et non le crime qui ne les offense point.

Est-il donc utile que les nations se rendent réciproquement les criminels ? Assurément, la persuasion de ne trouver aucun lieu sur la terre où le crime puisse demeurer impuni, serait un moyen bien efficace de le prévenir. Mais je n’oserai décider cette question, jusqu’à ce que les lois, devenues plus conformes aux sentimens naturels de l’homme, les peines rendues plus douces, l’arbitraire des juges et de l’opinion comprimés, rassurent l’innocence, et garantissent la vertu des persécutions de l’envie ; jusqu’à ce que la tyrannie, reléguée dans l’Orient, ait laissé l’Europe sous le doux empire de la raison, de cette raison éternelle, qui unit d’un lien indissoluble les intérêts des souverains aux intérêts des peuples.