Des cours d’adultes

Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 70-77).

DES COURS D’ADULTES.


Depuis plusieurs années, les cours d’adultes paraissent être en décadence, ou du moins subir une période de ralentissement, malgré les sacrifices considérables que continuent à s’imposer l’État, les départements et les communes.

Le nombre des cours tend généralement à diminuer ; les auditeurs sont plus rares et moins assidus, et les résultats actuels ne répondent plus aux espérances qu’avait pu faire concevoir la période d’élan de 1864 à 1868. Les besoins sont pourtant encore à peu près les mêmes : le nombre des illettrés est toujours malheureusement très-considérable dans beaucoup de départements ; et la plus grande partie des élèves qui, chaque année, quittent nos écoles ont besoin, sinon d’augmenter, du moins de conserver aussi intactes que possible les connaissances qu’ils ont acquises, et ils ne peuvent y arriver qu’avec l’aide des cours d’adultes. Cette institution, pour laquelle d’ailleurs la sollicitude des pouvoirs publics est toujours la même, n’est donc pas moins utile aujourd’hui qu’elle l’était il y a dix ou douze ans.

Dans ces conditions, à quoi doit-on attribuer la diminution et la désertion des classes du soir ? Cet état de choses tient évidemment à plusieurs causes, dont quelques-unes sont toutes locales. Parmi celles-ci, il faut mettre au premier rang les travaux ordinaires des auditeurs et les distances souvent considérables qu’ils doivent parcourir pour se rendre au cours. Ce sont là des difficultés qu’il n’appartient à personne de faire disparaître, et dont la bonne volonté des élèves peut seule triompher.

Mais, à côté de ces obstacles naturels qui s’opposent à la fréquentation assidue des classes du soir, il y a d’autres causes de désertion sur lesquelles l’attention et le zèle des maîtres doivent être particulièrement attirés. Il s’agit de l’organisation même des cours et de la manière dont l’enseignement y est donné.

Avant tout, il est un point capital que l’instituteur ne doit jamais perdre de vue : c’est que les élèves du soir ne sauraient être assimilés à ceux du jour. Sans doute, le but à atteindre est le même avec les uns comme avec les autres ; mais il y à une grande différence quant aux moyens à employer pour y arriver. Nous croyons que c’est pour ne pas s’être assez pénétrés de ce principe qu’un grand nombre de maîtres n’ont pas obtenu tous les succès auxquels leurs efforts pouvaient leur permettre de prétendre.

J’ai eu souvent, en effet, l’occasion de constater moi-même que les cours du soir n’étaient que l’image trop fidèle et, en quelque sorte, la continuation de la classe du jour, avec les mêmes livres, les mêmes devoirs et les mêmes procédés. J’ai même rencontré quelquefois des groupes d’adultes travaillant sous la direction de moniteurs choisis parmi les plus instruits. Il est certain que dans de telles conditions un cours d’adultes ne peut donner aucun résultat satisfaisant ; car, en peu de temps, les auditeurs les mieux disposés sont complètement découragés.

Les adultes sont des volontaires qu’il faut savoir amener et retenir à l’école par l’attrait de l’enseignement qu’ils y reçoivent. Il faut donc rendre cet enseignement intéressant ! « Il faut aussi, comme le disait M. Maggiolo dans sa conférence à la Sorbonne, en 1867, que cet enseignement soit tellement pratique que l’adulte puisse, en quelque sorte après chaque leçon, en constater le profit et les avantages. »

Pour assurer le succès des cours du soir, et pour que les efforts des maîtres ne soient pas dépensés en pure perte, il faut aussi donner à ces classes une bonne organisation pédagogique, basée sur celle qui est prescrite pour la classe du jour. Trois choses sont donc indispensables : 1° la répartition des élèves en trois divisions, au plus, selon leur force, et autant que possible selon leur âge. (Il serait bien préférable qu’il n’y eût que deux divisions, — et dans les campagnes ce sera presque toujours possible.) 2° Un programme déterminé, quoique très-élastique ; 3° des leçons bien préparées de la part du maître.

Classification des élèves. — La classification des élèves en cours est aussi nécessaire pour les leçons du soir que pour la classe du jour ; car, autrement, le maître serait exposé à se laisser aller peut-être à l’enseignement individuel, qui doit être sévèrement banni. Cette classification s’opérera naturellement et ne présentera aucun inconvénient dans les villes et les localités importantes où les écoles comptent plusieurs maîtres ; elle aura même l’avantage de permettre à chaque maître de se consacrer constamment et exclusivement à des élèves de force à peu près égale. Mais il n’en est pas de même dans les écoles dirigées par un seul instituteur, — et ce sont malheureusement les plus nombreuses. Dans celles-ci, le maître, après avoir effectué le classement de ses auditeurs, devra assigner à chaque division des heures ou plutôt des jours différents, — pour éviter l’ennui et le désœuvrement.

Les adultes, en effet, ne peuvent être abandonnés longtemps à un travail personnel ; et tout l’enseignement doit toujours leur être donné directement par le maître, sans le concours d’aides ou moniteurs.

Si les élèves ont été répartis en deux divisions seulement, l’instituteur pourra consacrer deux jours par semaine à chacune d’elles, en ayant soin de faire alterner les jours de classe avec les jours de repos. Si, au contraire, il y avait trois divisions, comme il est d’usage à peu près général de faire classe seulement cinq jours par semaine, le maître devrait étudier une petite combinaison qui lui permit de partager son temps entre les différents cours, de manière à donner satisfaction égale à tout le monde.

Programme du cours. — La répartition des élèves en divisions ou cours étant opérée, Il faut déterminer les matières qui seront étudiées dans chaque cours. Pour se guider dans cette partie très-délicate de sa tâche, l’instituteur doit tenir le plus grand compte du milieu dans lequel il vit, des occupations et des besoins de ses élèves. Il arrivera donc très-souvent et nécessairement que les programmes des cours d’adultes varieront d’une commune à l’autre, Partout cependant ils doivent comprendre au moins toutes les matières obligatoires, — avec plus ou moins de détails selon la force des auditeurs et le temps dont on croit pouvoir disposer.

Il sera presque toujours possible, et même nécessaire, d’aborder avec les plus avancés l’étude de quelque matière facultative, au moins dans ses applications les plus immédiates et les plus directes, — comme, par exemple, le dessin, le chant, l’arpentage, les premières notions de physique, etc.

Nous ne pouvons pas entrer ici dans les détails des divers procédés d’enseignement dont le maître peut faire usage ; mais nous ne saurions trop lui recommander de donner à son enseignement un caractère attrayant et tout à fait pratique.

Ainsi, pour l’écriture, qu’il s’abstienne de faire tracer de longues pages à main posée. Il n’a pas à former des professeurs de calligraphie, et toute son ambition doit être d’amener ses élèves à une bonne écriture courante. Il peut obtenir ce résultat en les exerçant à copier très-lisiblement les petits devoirs qu’il leur donne : dictées, lettres, factures, etc.

Pour la lecture, il ne doit pas se borner à donner des conseils ; il doit joindre l’exemple au précepte en commençant par lire lui-même le morceau qu’il a choisi et en le faisant ensuite répéter par les élèves. Il doit avoir soin de poser de fréquentes questions sur la signification des mots et des phrases, et obliger enfin les adultes à faire sommairement et de vive voix le compte rendu de ce qui a été lu. Nous croyons qu’il est superflu de recommander aux instituteurs de ne choisir que des morceaux intéressants, et se prêtant à des explications en rapport avec les connaissances déjà acquises et les besoins des élèves.

La langue française doit être enseignée sans le secours de livres de grammaire : avec les adultes, point de leçons apprises par cœur, l’explication d’une dictée ou d’une phrase écrite au tableau noir, permet au maître de passer en revue ou de rappeler les règles les plus élémentaires et les plus indispensables de la grammaire. Comme exercices de dictées, il faut toujours choisir des sujets utiles ou des récits moraux ou historiques.

C’est surtout en calcul et en arithmétique que l’enseignement peut offrir des applications immédiates, et en quelque sorte au Jour le jour. Aussitôt que les premières notions de calcul sont acquises, le maître doit proposer à ses élèves de petits problèmes empruntés aux circonstances de la vie ordinaire, ou relatifs aux industries locales. Même avec les plus avancés, il ne devra jamais s’écarter des questions usuelles.

Le peu de temps dont il dispose généralement ne lui permet pas de faire un cours complet d’histoire et de géographie.

Il doit donc se borner à donner à ses élèves les quelques notions que tout Français doit posséder s’il veut aimer son pays et connaître le rôle que la France joue en face des autres nations. Que le maître se contente donc des principaux faits de notre histoire, et de quelques détails sur les grands noms qui, à eux seuls, caractérisent parfois une époque. Mais, quelque restreint que doive être cet enseignement, l’instituteur ne négligera rien pour développer dans le cœur de ses élèves l’amour de la patrie, en leur parlant de tout ce qui peut rendre la France aimable pour eux et respectée par l’étranger.

La géographie est intimement liée à l’histoire, et ces deux enseignements ne pourraient être que difficilement séparés. Dans le cours d’adultes l’étude de la géographie devra principalement porter sur la France, sur ses provinces, ses départements, ses richesses de toutes sortes et ses relations commerciales avec les nations étrangères.

Enfin, il est un autre enseignement auquel tous les autres doivent concourir et que l’instituteur ne peut point négliger : c’est celui de la morale. En même temps que le maître travaille à développer l’intelligence de ses élèves, il doit s’appliquer à former leur cœur et à élever leur âme. Certes, nous ne lui conseillons pas de faire un cours spécial de morale ; ce serait une hardiesse qui offrirait beaucoup de difficultés, et souvent beaucoup de dangers ; mais il peut profiter de toutes les occasions qui se présentent, — et il dépend de lui de les faire naître, — pour apprendre à ses auditeurs ce que l’homme doit à Dieu, ce qu’il se doit à lui-même et ce qu’il doit à ses semblables ; pour lui inspirer l’amour des vertus publiques et privées, et le respect des lois divines et humaines.

La bibliothèque scolaire pourra rendre de grands services au maître. Nous lui conseillons, en effet, de terminer chaque séance par une lecture choisie à l’avance et qu’il commentera devant ses élèves, afin de mieux les intéresser. C’est peut-être de cette lecture que dépendra tout le succès du cours d’adultes.

Préparation des leçons. — L’instituteur a besoin de préparer ses leçons du soir aussi bien que celles du jour, et il ne saurait apporter trop de temps et trop de soin dans cette préparation. La première condition de succès d’un cours d’adultes est que l’enseignement soit intéressant, et il ne peut réellement l’être que grâce à une préparation sérieuse de la part du maître. C’est là pour lui un travail absolument indispensable, et cependant nous n’hésitons pas à reconnaître qu’il lui est impossible d’y consacrer tout le temps qui serait rigoureusement nécessaire. Quel que soit, en effet, le dévouement de l’instituteur, il y a des limites que les forces humaines ne peuvent pas dépasser sans péril. Or, la tâche de nos maîtres est déjà bien pénible, et bien souvent des fonctions accessoires viennent leur apporter un surcroît de travail dont parfois ils ne peuvent s’acquitter qu’en compromettant gravement leur propre santé. Dans de telles conditions, ils sont incapables d’apporter dans le cours d’adultes toute l’énergie qui serait nécessaire, puisque déjà ils sont épuisés par les fatigues du jour. Cependant il importe qu’ils ne se reposent pas ; il faut qu’ils redoublent d’ardeur dans l’accomplissement de leur difficile mission : la France leur tiendra compte de leur zèle et de leur patriotisme.

A. Richard,
Inspecteur de l’instruction primaire
à Fontainebleau.