Des causes de l’infériorité de l’agriculture française


Imprimerie des Orphelins, Jules Pailhès (p. 3-68).
ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE

DES CAUSES
DE L’INFÉRIORITÉ
DE
L’AGRICULTURE FRANÇAISE


PAR
E. ALLARD

THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
Présentée en 1874.

TOULOUSE
IMPRIMERIE DES ORPHELINS, JULES PAILHÈS
Rempart St-Étienne, 30
1874

ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES


inspecteur général

M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut de France, de
l’Académie de Médecine, etc.
――――
ÉCOLE DE TOULOUSE

directeur

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de
Toulouse, etc.

professeurs :

MM. LAVOCAT ❄, Physiologie et Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale et Maladies parasitaires.
Police sanitaire et Jurisprudence.
Clinique et consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale et obstétrique.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale, et Histologie.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.

chefs de service :
 
MM. MAURI, Clinique et Chirurgie.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie.
N…… Anatomie, Physiologie et Extérieure.
JURY D’EXAMEN
――
MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BIDAUD,


――✾oo✾――


PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
――


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


À MON PÈRE, À MA MÈRE,


Témoignage de Reconnaissance et d’Affection.


―――


À MES PROFESSEURS


―――


À TOUS CEUX


QU’IL M’A ÉTÉ DONNÉ D’AIMER


E. ALLARD


AVANT-PROPOS



Étant des plus sympathique à la grande cause de l’Agriculture, après m’être éclairé sur quelques points principaux de cette vaste science, je me suis appliqué surtout à l’étude des causes du succès ou de l’insuccès des entreprises agricoles.

Aussi j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de traiter comme thèse le sujet suivant : Des causes de l’infériorité de l’Agriculture française.

Dans ce vaste sujet, je n’ai traité que certains points saillants de la question. C’est ainsi que j’ai débuté par un historique de l’État agricole ou histoire de l’Agriculture jusqu’à nos jours.

2o J’ai émis les conditions qui sont nécessaires à la réussite d’une entreprise agricole. Ces conditions sont matérielles et morales. Ces dernières comprennent les qualités que doit posséder le directeur de la ferme.

3o L’assolement triennal, qui est la grande plaie de l’agriculture dans beaucoup de pays et le dernier retranchement de la routine.

4o Morcellement des propriétés.

5o Cultures fourragères et industrielles. Leur influence sur la prospérité d’une ferme.

6o Influence des engrais sur la production.

7o Capitaux. Leur bon emploi.

8o Des Mécomptes en Agriculture. Exposé des principaux de ces mécomptes.

9o Conclusion. Un mot sur autrefois. Utilité d’une agriculture perfectionnée.

Dans l’exposé de ces différents points, je suis entré dans des considérations diverses. Si j’ai parlé parfois d’une façon presqu’absolue, ce n’est point d’après une idée préconçue. De même si j’ai blessé la susceptibilité de quelqu’un, je le regrette vivement, mais avant tout j’ai cherché à signaler le danger, trop heureux je m’estimerai, si j’ai pu ainsi me rendre utile à mes concitoyens, trop payé de mon travail, si j’ai pu ajouter un grain de sable au grand édifice de la science.

E. Allard.

DES CAUSES

DE L’INFÉRIORITÉ DE L’AGRICULTURE FRANÇAISE


HISTORIQUE DE L’ÉTAT AGRICOLE


La terre est un trésor, où peut toujours puiser,
L’agriculteur actif, intelligent et sage,
Sachant la cultiver, sans jamais l’épuiser ;
Qui l’enrichit d’engrais, lui rend un juste hommage,
Par un labeur constant et des soins assidus,
Toujours récompensés, légitimement dus.


L’Agriculture, naquit des besoins toujours croissants que ressentirent les premières populations, qui ont peuplé le globe et cela à mesure que la race humaine s’étendit et que les produits naturels du sol : fruits et racines, devinrent insuffisants.

La nécessité, la crainte de la famine, sources naturelles de tout génie né du besoin, suggérèrent bientôt aux hommes des premiers âges l’idée de la création de ressources artificielles, afin de combler le déficit augmentant chaque jour, vu la production restreinte des aliments qui se présentent spontanément et sans le secours d’aucune culture et l’augmentation progressive des populations.

Les premiers peuples qui possédèrent quelques notions sur l’Agriculture, furent les Ariaques, nombreuses tribus qui peuplèrent d’abord les pays ou plutôt la belle presqu’ile située entre le Tigre et l’Euphrate, deux grosses rivières, formant par leur jonction le Chat-el-Arab actuel. Ce territoire, qui d’après les Écritures était voisin de la tour de Babel, porta différents noms. Ce fut d’abord la Mésopotamie ou pays entre les fleuves, puis la Babylonie, l’Assyrie etc, suivant les fluctuations des peuples conquérants, qui exercèrent tour-à-tour leur suprématie sur ces belles contrées.

Déjà, sous le premier empire Babylonien, sous le règne de Sémiramis-la-Grande, l’agriculture de ces riches contrées avait fait de grands progrès, (le tout relativement, à la date récente de la Création de l’art de l’Agriculture), car les historiens rapportent que le pays était entrecoupé de nombreux canaux qui répandaient partout, (par leurs eaux salutaires), la fertilité, et l’abondance. Le froment y était cultivé et rapportait jusqu’à 300 pour un, de nombreux palmiers y fournissait un vin agréable au goût.

La fertile vallée de l’Égypte ancienne, était coupée par de nombreux canaux d’irrigation, pour la distribution des eaux du Nil et Mœris, l’un de ses rois, en creusant dans les sables de la Lybie le lac qui porte son nom (dans le but de modérer les débordements du fleuve) mérita ainsi le titre de bienfaiteur de l’humanité. Sous le règne d’Amasis, la vallée du Nil, comptait 20000 villes et les campagnes fertiles produisaient outre la quantité de grains nécessaire à l’alimentation d’une si nombreuse population, des oliviers et des palmiers dont on exportait au dehors les produits.

La Grèce, peuplée par des colonies Égyptiennes, emprunta à ce pays, les progrès qu’il avait faits dans diverses sciences et importa le mode cultural de l’Égypte.

Cérès, qui d’après d’autres traditions, apprit aux colonies de l’Attique la culture du blé, fut divinisée. On lui éleva des temples dans diverses villes. On la représenta tenant une faucille d’une main et une gerbe de blé de l’autre.

L’Agriculture avait précédé la fondation de Rome sur cette partie du monde connu ; car les opulentes cités de la Grande-Grèce, les républiques de la Sicile, formaient des populations condensées, ayant besoin pour subsister d’une terre féconde et bien cultivée.

La Sicile surtout, déjà si peuplée était d’après le dire d’un historien, le grenier de l’inculte Italie.

Après cet exposé succinct, de l’enfance de l’Agriculture comme art ; examinons quelle place elle tenait dans les mœurs des anciens peuples.

En Égypte, le peuple formait trois classes savoir : 1o les Prêtres ; 2o les Guerriers. Ces deux classes possédaient tout le sol, mais ne le cultivaient pas. La 3o classe, celle des laboureurs, ne possédait pas de terres, mais elle cultivait, (exclusivement d’aucune autre occupation) les terres des deux autres classes et cela moyennant une redevance.

Primitivement en Grèce, l’Agriculture était l’œuvre de tous les citoyens ; chacun y cultivait sa terre, nul ne pouvait l’aliéner, mais tous les citoyens de ces Républiques devaient le service militaire ; l’Agriculture y était honorée.

De longues guerres épuisèrent bientôt la Grèce. La population s’éclaircit et les terres devinrent la propriété de quelques riches. L’opulence due à des guerres heureuses, étouffa leurs nobles sentiments primitifs, et l’on vit bientôt les vrais Grecs quitter la culture pour le commerce ou exercer des emplois publics. Alors naquit en Grèce l’esclavage, qui déjà se pratiquait en grand chez les peuples énervés de l’Asie. Des esclaves, provenant soit des peuples vaincus ; soit achetés au dehors et connus sous le nom d’Ilotes, cultivèrent les terres des riches dont ils étaient la propriété.

À Rome, lors des jours heureux de la République, l’agriculture était en honneur et l’histoire cite Cincinnatus et Régulus. Le premier était occupé à labourer sur les bords du Tibre, son champ, lorsqu’on vint le chercher pour commander les légions romaines. Aussitôt la guerre finie, il retourna continuer ses labeurs.

Le Sénat Romain, fit cultiver aux frais du trésor, le champ de Régulus, pendant le temps que celui-ci était allé porter la guerre jusqu’en Afrique.

Mais plus tard, les guerres incessantes soutenues contre les peuples voisins, produisirent ce qui avait eu lieu en Grèce. Les citoyens Romains étaient en petit nombre, on implanta des peuples vaincus, des barbares qui cultivèrent les terres et furent considérés comme des colons, cultivant les terres des patriciens et des riches. Cette sorte d’esclavage était beaucoup atténuée par les Édits Romains ; qui pour empêcher la famine, allégeaient beaucoup les charges des colons.

Tel était l’état de l’Agriculture, lorsque disparut l’Empire Romain, sous le flot immense et destructeur de tous les Barbares. Le pillage et la désolation régnèrent bientôt dans tout ce vaste Empire Romain, dont toutes les frontières furent attaquées à la fois. Avec lui périt l’Agriculture.

Après la conquête de la Gaule par les Francs, le régime du colonat, qui appartenait aux vieilles institutions Gallo-Romaines, fut maintenu et des lois spéciales réglèrent l’Agriculture.

Charlemagne, dans ses Capitulaires accorda de grandes franchises à la classe qui travaillait le sol. Le progrès fut bientôt arrêté par la mort de ce grand prince, dont l’œuvre inachevée tomba bientôt comme toutes les belles choses qu’il avait créées. Ses successeurs qui, pour la plupart, étaient des princes faibles, afin de se faire des partisans et de récompenser ceux qui s’étaient dévoués à leur service, leur donnèrent des terres à la condition d’en faire hommage au roi, comme leur suzerain.

Cette façon d’agir amena bientôt la ruine de la dynastie Carlovingienne, et l’un des plus puissants vassaux, Hugues-Capet, s’empara du pouvoir et se fit sacrer roi. Il en résulta que la France, fut partagée en une foule de duchés, comtés, marquisats, etc, dont chaque propriétaire, s’érigeait maître chez lui.

D’un pareil état de choses, naquirent des querelles, des haines héréditaires entre rivaux et une longue suite de guerres, entre seigneurs jaloux et puissants, bataillant chaque jour contre leurs voisins. Alors fut institué le vasselage. C’était le colonat modifié.

Le Seigneur donnait ses terres à cultiver aux serfs de ses domaines et comme redevance prenait le dixième des produits, que le serf devait prélever et conduire chez le Seigneur avant de serrer sa propre récolte.

Les peines les plus sévères étaient infligées aux contrevenants. Enfin les Seigneurs établirent une foule de lois et coutumes vexatoires, qu’il serait trop long d’énumérer. On était alors au dixième siècle ; siècle d’ignorance et de superstitions grossières, qui fut surnommé le siècle de fer.

On peut juger par là, de l’état de l’Agriculture à cette époque. Presque toutes les terres étaient en friche, et les famines régnaient souvent au milieu des guerres intestines, qui désolaient le beau pays de France.

Sous Louis-le-Gros, avec l’affranchissement des communes, la France commence un peu à respirer, mais toutefois la féodalité est tellement enracinée, que ni les croisades, ni les proscriptions de Richelieu, ne purent l’abattre. Sous Richelieu et Colbert, l’Agriculture se releva un peu ; mais elle ne tarda pas, comme le commerce et l’industrie, à être sacrifiée aux longues guerres de Louis XIV, et au luxe de la cour de ce dernier et de son successeur, Louis XV, qui acheva la ruine du pays.

Alors apparaît la grande Révolution de 1793, qui détruisit les vieilles lois et coutumes, abolit les droits de dîmes et de terrages. Puis succèdent les longues guerres de l’Empire, qui enlevèrent à la culture, tout ce qu’il y avait de travailleurs du sol. Cette période, ne pouvait être guère favorable aux progrès d’un art, qui ne peut vivre de concert avec la guerre.

La Restauration donne quelque repos à la France, qui dut payer alors des milliards aux souverains alliés. Enfin, depuis ce temps, la culture française est sortie sur quelques points, de l’ornière profonde où l’avaient plongée la féodalité et une routine aveugle, fermant obstinément les yeux sur l’avenir.

C’est en marchant sur les traces de l’Angleterre et de l’Allemagne, dont elle a pris, comme à regret, le chemin dans la voie lente du progrès, que la France, doit de présenter une situation agricole, sinon brillante, mais en général presque satisfaisante.

Suivons la route si péniblement tracée par l’Angleterre et l’Allemagne, profitons de leur travail, évitons les erreurs où elles sont tombées et bientôt marchant à grands pas dans cette voie, qui nous sera bientôt familière, nous égalerons les puissances qui nous y précèdent et assurerons le triomphe du génie et de la persévérance, sur la matière inerte, sur le sol, qui souvent ne demande pour fructifier qu’un peu de travail et de patience.




CONDITIONS QUI SONT NÉCESSAIRES À LA
RÉUSSITE D’UNE ENTREPRISE AGRICOLE



Dans la question si complexe de la culture du sol, il est un certain nombre de conditions à remplir, sans l’application desquelles, des erreurs nombreuses, en apparence légères, se glissent partout et viennent détruire les espérances, qu’on avait conçues. L’expérience de chaque jour nous prouve combien une petite négligence atténue parfois beaucoup le résultat.

Pour démontrer l’importance de remplir ces conditions, nécessaires au bon résultat d’une entreprise agricole, examinons un peu ce qui se passe dans l’Industrie, sœur rivale de l’Agriculture. L’Industriel, ne remplira-t-il pas toutes les conditions, qui doivent assurer la réussite, ne cherchera-t-il pas un directeur, un contre-maître de sa fabrique, intelligent, probe, adroit, actif, etc., présentant en un mot des qualités morales, les meilleures possibles, et alors dans la majeure partie des cas, le succès ne sera-t-il pas attaché au bon choix de l’homme, qui doit diriger cette machine complexe.

Mais si le rôle de l’Industrie est grand, combien l’est davantage celui de l’Agriculture ; l’Industrie présente ses avantages, mais ne s’efface-t-elle pas devant celle qui nourrit les populations nombreuses, qui demande pour l’exploiter, tout ce qu’il y a d’intelligence, d’activité, etc., dans un homme afin d’éviter ces mécomptes terribles qui sont le propre de tous ceux qui veulent la travailler, sans en avoir préalablement étudié minutieusement les besoins, les aptitudes, la richesse et la fertilité, sans en avoir pour ainsi dire pénétré la nature mystérieuse, sans être enfin doués, de ce qu’on appelle le génie agricole.

Le rôle de l’Agriculture a bien changé, depuis la condensation des populations, dans les cités manufacturières, et l’abandon des champs par une grande quantité de travailleurs. Des besoins nouveaux se sont bientôt manifestés, ils ont modifié les pratiques agricoles. Le plus important de tous est, sans contredit, l’augmentation progressive et rapide de la consommation de la viande. Nous avons trouvé, en Angleterre, les matériaux propres à combler le déficit sans cesse croissant, qui s’opérait sur les marchés de boucherie et nous avons importé le Durham et les races analogues d’une part, le Coustwolt, le Diskley, etc., parmi les races ovines d’autre part. Nous avons amélioré nos animaux, à ce point de vue, et nos races de boucherie n’ont rien à désirer aux meilleures races anglaises.

Nous avons dit, qu’il fallait observer des conditions, pour constituer une pratique agricole rationnelle ; ces conditions sont de deux ordres : conditions matérielles et conditions morales.





CONDITIONS MATÉRIELLES


Ces conditions comprennent : le choix du domaine et le capital. Ce dernier sera traité plus loin dans un chapitre particulier.

choix du domaine


Le propriétaire qui veut acheter un domaine comme le fermier qui veut en louer, chercheront toujours la terre au plus bas prix possible, tout en tenant compte de la nature du sol sur lequel ils devront opérer, des débouchés, des voies de communication avec les centres populeux, du voisinage des marchés et surtout, ces conditions étant remplies, de la fertilité du sol et de l’état atmosphérique de la contrée ; en un mot, des ressources du pays.

L’un et l’autre, attirés par la valeur vénale modique du sol ou le loyer à bas prix, commettront souvent une grande faute, parce qu’ils n’auront pas assez estimé les conditions mauvaises dans lesquelles ils devront opérer, qui entraveront le résultat et feront manquer le but. Ils mettront en ligne de compte les avantages que peuvent présenter la position, la distribution du domaine, le prix de la main d’œuvre dans le pays, le climat et ce vaste ensemble de causes et conditions, plus ou moins défavorables, tenant à la nature du sol, à son altitude, aux mœurs des populations, aux préjugés funestes, etc. Mais ces conditions matérielles ne sont pas suffisantes, comme on le croit généralement, il faut aussi que le directeur de l’exploitation possède un ensemble de qualités morales.


CONDITIONS MORALES


Elles sont nombreuses et peu de chefs de culture les possèdent toutes, car elles sont le propre de quelques esprits seulement prédestinés, qui possèdent le génie agricole et qu’une pratique judicieuse, une longue suite d’expériences fort bien raisonnées, ont pu conduire vers les limites de la perfection. Mais lorsqu’on ne peut prétendre à la perfection, on doit du moins y tendre, faire quelques efforts dans ce but, bref à rester toujours dans la médiocrité. On échapperait ainsi au mauvais état de choses, qui règne actuellement.

Parmi les conditions que nous devons rechercher, il faut citer : 1o L’instruction, 2o L’esprit d’ordre et la connaissance des hommes, 3o L’esprit des affaires, 4o L’économie, 5o La prudence, 6o L’activité, 7o L’absence de préjugés, 8o L’esprit d’observation ; 9o L’absence de prédilection, 10o L’éducation, 11o L’âge.

instruction


L’agriculteur doit posséder des connaissances variées. En agriculture, cette science si difficile, subordonnée à l’influence de facteurs si divers, il appartient surtout de juger sainement ; il faut donc à l’agronome, au vrai agriculteur, ce degré d’intelligence qui n’est obtenu que par le moyen d’une instruction solide et variée. Pour exceller dans l’art cultural, le patricien doit posséder des notions exactes sur des diverses sciences naturelles : telles que la botanique, la physique, la chimie, la mécanique, la géométrie, ensemble d’études, qui tout en développant ses facultés intellectuelles, lui sont chaque jour utiles dans la pratique. Cet ensemble de connaissances, en donnant au patricien un jugement parfait, facilite les conceptions, réduit les hypothèses trop séduisantes à leur juste valeur, délimite le vrai du faux, apprécie le meilleur procédé et déduit toujours dans les opérations hasardées, le meilleur mode d’opération pour en tirer le plus grand bénéfice possible.

L’instruction entièrement agricole serait insuffisante. Il en serait de même d’une instruction purement théorique, car il faut de plus, avant d’adopter une méthode nouvelle, faire des expériences nombreuses sur différents sols et de cet ensemble d’expériences en déduire le vrai résultat, celui que l’on en peut tirer, en pratiquant en grand la culture nouvelle que l’on veut introduire.

Les écoles d’Agriculture ont le précieux avantage, d’offrir un enseignement théorique reposant sur les bases rationnelles de la pratique. En Allemagne, les jeunes gens, après leur sortie des écoles d’Agriculture vont compléter leurs études, en se plaçant chez des propriétaires ou des fermiers, qui les chargent de la direction des travaux. Cet excellent moyen n’est point dans les habitudes françaises, il serait généralement mal accueilli ; pourtant c’est un tort, car il pourrait beaucoup faire pour l’établissement d’une agriculture perfectionnée.

Une cause marquée et trop regrettable d’infériorité, c’est le mauvais mode d’enseignement pratiqué dans toutes nos écoles rurales, fréquentées par des enfants dont plus des 4/5 sont destinés à la culture du sol. On semble s’évertuer à apprendre aux enfants ce qui leur est le moins utile, on en fait de petits savants, de petits clercs d’étude, méprisant leurs camarades et préférant à la conduite de la charrue une petite place de copiste dans l’étude du notaire ou de l’avoué de la ville prochaine. Il y a 3 ans à peine aucune de ces écoles primaires, ne contenait, un seul livre d’agriculture et l’on vivait comme l’on vit encore de cette quiétude parfaite, qui semble prouver que l’on est arrivé à produire le maximum des produits, que l’on demande chaque année au sol.

N’est-ce pas là une erreur profonde, qu’il faudrait dissiper ? n’est-ce pas une plaie bien saignante que cette routine aveugle, qui ne veut pas démordre de ses anciennes traditions ? Que l’on introduise des livres d’agriculture dans les écoles rurales, que l’on consacre un jardin spécial à chaque école pour les expériences à faire et afin de ne pas perdre un temps précieux, que ces expériences, ces leçons aient lieu pendant les heures de récréation accordées aux élèves et l’on verra déjà s’accomplir un petit résultat, résultat d’autant plus certain qu’on stimulera les élèves qui y montreront du goût et de l’assiduité par de petites récompenses.

L’établissement d’écoles d’Agriculture dans chaque département, une au moins par arrondissement, serait le complément d’une telle mesure. Les places en seraient données au concours, et l’enseignement y serait gratuit.

Il y aurait ainsi dans chaque district un centre intellectuel puissant, dont l’influence heureuse se ferait sentir jusque dans les parties les plus reculées. Les agriculteurs, pour la plupart, ne peuvent faire des essais, car ils n’ont pas pour cela l’instruction nécessaire, ni les fonds pour opérer. Ils profiteraient ainsi des expériences faites dans la ferme modèle et dont ils imiteraient l’exemple. Les profits dépassant l’espérance conçue, l’exemple serait bientôt contagieux et gagnerait jusqu’aux parties les plus reculées du territoire.

esprit d’ordre


Sans l’esprit d’ordre, on ne réussit dans aucune entreprise, mais cela est surtout vrai en Agriculture. Ainsi M. de Gasparin a dit que le plus mauvais système de culture bien administré, valait mieux que le meilleur avec une administration mauvaise. C’est par son moyen que l’on fait une bonne distribution de son temps et de ses capitaux. C’est lui qui constitue, pour ainsi dire, l’œil du maître, qui analyse en un instant les questions les plus insolubles en apparence, classe tout à sa place et lui permet de créer une méthode rationnelle pour la distribution du temps et l’exécution des travaux.

La connaissance parfaite des hommes au physique et au moral, est sous sa dépendance ; comme lui, elle contribue d’une façon vraiment prodigieuse à la bonne administration d’un domaine. Elle désigne au Chef les hommes qu’il doit choisir pour domestiques ou valets de ferme. Elle lui désignera ceux dont il doit faire choix, pour débattre ses intérêts avec les gens du dehors.

l’esprit des affaires


C’est un pur don de la nature, don que l’on peut cependant perfectionner par l’exercice. Il consiste en la connaissance des valeurs commerciales des divers produits, celle des mercuriales et en un tact spécial qui fait qu’on est bien rarement trompé dans les résultats des ventes ou achats que l’on a faits. Car en effet, il ne s’agit pas seulement de produire, il faut encore se défaire avantageusement de l’excédant de la consommation.

l’économie


Elle est indispensable à toute industrie, mais elle est surtout dans une spéculation agricole d’une importance capitale, car là, le résultat final est donné par une foule de petits profits, que la négligence aurait laissé perdre.

La tenue des livres est d’une incontestable utilité. On devra séparer ses dépenses personnelles des frais agricoles généraux. L’économie ne consiste pas dans l’avarice, ce ne serait plus une économie que de reculer devant une dépense nécessaire, sans laquelle le résultat final de l’opération sera inévitablement manqué ; comme aussi elle ne consiste pas dans un raffinement de culture ou dans l’achat d’instruments ou de machines très ingénieuses il est vrai, mais qui vu leur emploi restreint, ne seraient qu’une cause de ruine. On doit consulter les avantages d’une entreprise et accorder aux dépenses utiles les sommes nécessaires. Elle consiste aussi à utiliser tous les produits de la ferme et c’est là que le fameux proverbe : le premier épargné est le premier gagné peut être appliqué. Mais le but proposé serait complètement manqué, si malgré une très belle récolte, les dépenses s’élevaient au-delà de la valeur des produits.

la prudence


La pratique des spéculations agricoles ne convient nullement aux esprits entreprenants et aventureux, car il n’est pas d’industrie où les résultats soient plus longs à obtenir et qui exige plus de retenue ; où la présomption du téméraire est plus cruellement punie. Il est toujours préférable de rester en deçà du but que de le dépasser, un bénéfice manqué peut être retrouvé, tandis que les pertes éprouvées par trop de précipitation, n’ont d’autre résultat souvent que la ruine de leur entrepreneur. La lenteur des essais, l’impatience de réaliser le but découragent les esprits. Ils s’aventurent imprudemment dans des opérations, qui n’ont pas seulement reçu le cachet de l’expérience. Qu’en résulte-t-il ? Ces mécomptes terribles dont nous parlerons plus loin.

l’activité


Sans elle encore le résultat sera presque toujours nul, l’emploi judicieux du temps, saisir le moment opportun pour opérer, ne pas négliger une opération pour en suivre exclusivement une autre et exercer une surveillance assidue sur un ensemble de travaux, qui languissent sans l’œil du maître. Voilà en quoi elle consiste. Les moments sont précieux en Agriculture, quelques heures de retard peuvent occasionner la perte d’une récolte.

l’absence des préjugés


L’esprit d’amélioration a ses préjugés aussi bien que la routine, c’est contre eux que nous nous élevons, parce qu’ils sont les seuls que l’on ait à craindre chez les esprits éclairés.

En effet, s’il est fort dangereux d’appliquer sans méthode, des pratiques fort bonnes en elle-mêmes, il est bien plus utile encore d’éviter des procédés erronés, tels qu’on en voit d’exprimés dans certains écrits agricoles. Il faut se mettre en garde contre les opinions préconçues, contre les préjugés en un mot et n’agir qu’après avoir soumis un projet, une étude, au contrôle sévère d’une série d’expériences.

l’esprit d’observation


Il développe l’expérience, par une disposition spéciale de l’individu, qui le porte à observer les faits, à rechercher et trouver les causes qui ont amené le bon ou le mauvais résultat, par la comparaison que l’on fera avec des faits analogues.

Il est beaucoup d’agriculteurs routiniers, à qui l’expérience n’enseigne rien, parce que l’esprit d’observation leur manque. Il en sera ainsi d’un homme du monde qui se fait agriculteur et cherche dans les livres l’explication de tout, au lieu d’observer les faits.

La théorie, n’est applicable que par le secours de l’expérience, qui elle même ne s’acquiert que par l’esprit d’observation.

l’absence de prédilection


Une prédilection marquée pour telle ou telle branche d’amélioration, est presque toujours funeste à son auteur. À moins qu’elle ne soit contenue dans de justes limites, elle devient presque toujours une cause de plus ou moins grandes pertes.

Il n’y a de rationnel et de parfaitement durable, que des améliorations largement conçues, embrassant toutes les branches de culture et renfermées dans les limites tracées par les convenances spéciales à l’exploitation judicieuse du domaine.

l’éducation


L’éducation, que l’on donne aux enfants, est fort mauvaise en ce qu’elle tend à détruire en eux le goût et l’aptitude qu’ils éprouvent tout naturellement pour les occupations agricoles. Elle est en désaccord complet avec les tendances actuelles vers les intérêts positifs de tout un peuple.

On a la déplorable habitude d’envoyer les enfants à la ville. Ces enfants, on peut le dire sans crainte d’être démenti, sont perdus presque toujours pour l’Agriculture ; le luxe et la mollesse énervent bientôt leur vigueur physique et morale, et s’ils reviennent aux champs, c’est pour regretter la ville, qui leur a donné les plaisirs faux et trompeurs du monde, au lieu du bonheur pur qui s’attache à la pratique de la culture du sol, à la vie champêtre en un mot. Il est juste de remarquer que si l’instruction et l’éducation bien dirigées, sont un levier puissant pour l’agriculture, c’est bien le contraire lorsqu’elles sont mal dirigées. C’est le propre de toutes les bonnes pratiques et choses qui deviennent des fléaux aussitôt qu’elles n’ont plus de frein.

l’âge


L’homme d’un âge avancé réussira toujours mieux qu’un jeune homme dans l’exploitation d’un domaine. Il possèdera à un plus haut degré l’ensemble de ces conditions morales que nous venons d’énumérer et dont nous avons apprécié l’importance. Rarement un homme sera propre à diriger une grande culture avant l’âge de 25 à 30 ans. Avant cet âge, le défaut d’expérience des hommes et des choses, sera toujours un écueil pour les jeunes gens. Il serait à désirer qu’un jeune homme à sa sortie des écoles fût placé sous la direction d’un homme capable et expérimenté. Il compléterait par la pratique, ses connaissances théoriques et deviendrait ainsi un bon agronome.






ASSOLEMENT TRIENNAL




On appelle assolement, la division des terres labourables d’une ferme en autant de soles qu’on veut établir de cultures différentes pendant un certain nombre d’années, temps après lequel on recommence une rotation semblable de cultures, rotation comprenant les mêmes récoltes se suivant dans le même ordre. Les rotations sont de 2, 3, 4, 5 ou un plus grand nombre d’années ou cultures, selon que l’assolement comprend 2, 3 ou 4, etc. soles.

Dans la culture la plus simple, on sème la première année du blé ou du seigle ; la deuxième année, de l’avoine, du maïs ou des fèves. On recommence par le froment ou le seigle. Tel est l’assolement biennal. Cet assolement ne peut être pratiqué que sur des terres fertiles et lorsqu’on possède un nombreux cheptel grassement nourri par de vastes prairies. Cela n’existant pas, il en résulte que les terres fertiles s’épuisent peu à peu et finissent par ne plus produire que des récoltes chétives.

L’assolement biennal fut modifié de façon à faire toujours suivre le froment par le maïs, cette dernière plante possédant de profondes racines et de larges feuilles, puise ainsi une large part de sa nourriture dans l’air et les parties profondes du sol. Demandant des binages et des sarclages fréquents, le maïs a l’avantage tout en reposant la terre lasse de produire du froment, de la nettoyer des mauvaises herbes.

Un pareil état de choses devait finir, par épuiser les terres à un tel point qu’il n’y eût plus de culture possible, de chétives récoltes ne payant pas les légers frais faits pour les produire.

Pour obvier à ce fâcheux état de choses, on imagina la jachère. La terre produisait deux années et se reposait la troisième. Pendant cette troisième année, on ne confiait au sol aucune semence. On laissait la terre en pâturages où s’élevaient de maigres troupeaux de moutons, puis pendant l’été on préparait la terre par un labour, afin de détruire les mauvaises herbes. L’année suivante, on fumait un peu, le plus souvent on semait à blanc, puis on se reposait en attendant l’époque de la moisson. J’ai dit : on ne fumait pas ; c’est parce que le maigre cheptel entretenu, fournissait à peine la quantité, de fumier que l’on employait chaque année pour produire les légumes consommés dans la ferme.

Tel était et tel est encore aujourd’hui l’assolement triennal. Ce système de culture était un pis aller inventé par les Romains, conservé par l’implacable routine qui nie effrontément la possibilité de tout progrès. C’est, ce mode de culture que je veux attaquer, parce qu’il est la cause la plus efficiente de la ruine de notre agriculture. Mais avant de le combattre je vais en exposer les avantages, ce qu’il a fait, ce qu’il ne peut plus faire aujourd’hui.

jachère.


La jachère autrefois n’était pas une mauvaise chose. c’est ce qui la fit appliquer par les Romains. Elle facilite l’hébergement des troupeaux, permet de préparer plus facilement la terre, de détruire les mauvaises herbes. Le sol en jachère est fumé par les excréments des troupeaux qui y paissent. Il est amélioré par les plantes qui s’y décomposent, les cadavres des insectes, qui couvrent le sol à la fin de l’automne ; les agents atmosphériques et météorologiques, par la neige, la pluie qui y pénètre en entrainant avec elle de l’acide carbonique, du gaz ammoniaque et les nitrates formés pendant les orages. Ces minéraux, agissant les uns sur les autres et sur les roches du sol, produisent selon la nature du terrain : de la potasse, des alcalis, de la silice, du phosphore et du soufre etc.

Nous voyons par là que la jachère peut être conservée, quand le cultivateur manque de capitaux pour payer les ouvriers et faire l’achat des engrais, quand les fourrages sont rares et surtout quand les débouchés manquent aux céréales. Elle peut être utile, lorsqu’une terre est infestée de chiendents, aussi un agriculteur éclairé la pratiquera-t-il dans le but de détruire les mauvaises plantes qui auraient, influé d’une façon si malheureuse sur les récoltes suivantes.

avantages


Avant 93, malgré l’état infertile où était le sol, l’assolement triennal avait quelque raison d’être. La population était restreinte, et malgré que les trois-quarts des terres fussent en friche ou en forêts, à part quelques famines, la France fournissait presque à sa subsistance. L’usage de la viande était inconnu dans les campagnes, on tuait seulement quelques bœufs dans les plus grandes villes. De plus, on avait la ressource du défrichement, la friche étant une jachère naturelle, permettant à la terre de reprendre un peu de ses qualités productives. Comme il n’y avait pas de centres de consommation et qu’il n’existait que de fort mauvaises voies de communication, la grande production eût été un leurre ; elle eût tourné contre les producteurs eux-mêmes, en avilissant outre mesure les prix déjà fort modiques des produits.

avantages que présente un assolement complexe


Pour cela, examinons ce qu’est aujourd’hui la France. Depuis 93, le nombre de ses habitants a doublé, les populations se sont condensées dans les cités industrielles, la consommation de la viande a pris des proportions énormes : de larges et bonnes routes ont été construites, des voies ferrées sillonnent de toutes parts le pays, et les produits agricoles sont vendus à un prix très élevé. Aussi le prix des terres a-t-il augmenté et celui des fermages a haussé graduellement.

Je demanderai au partisan de la routine si l’état actuel est semblable à celui qui précéda la Révolution, si encore on osera soutenir une thèse en faveur de l’assolement triennal. Non, évidemment non, et bien fou serait celui qui poserait en principe une pareille doctrine, une pareille ineptie, comme la seule règle rationnelle à suivre. Ses défenseurs l’ont prôné comme grand producteur de céréales. Nous allons réduire cette théorie séduisante à sa juste valeur par un état comparatif de deux fermes d’égale étendue, l’une cultivée par l’assolement triennal, l’autre par l’assolement de Grignon. La récolte pour chaque année sera.

ferme de 40 hectares cultivée par l’assolement
triennal.
désignation
des cultures.
fumure
par hectare.
 fourrages  grains
10 hectares froment 12,000 k. » 150 hectolit.
10 hectares avoine » » 250 hect.
10 hectares jachère » » »
10 hectares prairies » 70,000 k. »
ferme de 40 hectares cultivée par l’assolement
alterne de Grignon
désignation
des cultures.
fumure
par hectare.
fourrages grains
5 hect. racines fum. 40,000 k. 65,000 k. »
5 hect. avoine » » 225 hect.
5 hect. trèfle » 25,000 k. »
5 hect. froment » » 200 hect.
5 hect. fourrag. ann. » 40,000 k. »
5 hect. colza 20,000 k. » 180 hect.
5 hect. froment » » 200 hect.
5 hect. prairie » 50,000 k. »


Dans cet état comparatif nous avons fait figurer les cultures diverses et l’étendue qu’elles présentent dans chaque ferme ; 2o la fumure par hectare ; 3o la quantité des fourrages produits ou plutôt leur équivalant en foin sec et de bonne qualité ; 4o le produit en grains que fournit chaque culture,

Dans le 1er tableau, nous voyons la moitié des terres emblayées en grains, le quart en jachère et l’autre quart comprend les prairies permanentes.

Les 10 hect. de froment fumés à raison de 12000 kilog. par hect. donnent 150 hectolitres. Les 10 hect. en avoine donnent 250 hectolit. La jachère est de production à peu près nulle et les 10 hect. de prairies produisent 70000 kilog. de foin de bonne qualité. C’est cet assolement qu’on a intitulé le grand producteur de grains. Voyons maintenant ce que produit l’assolement alterne de Grignon.

Une culture soignée, avec l’assolement de Grignon produit des résultats vraiment prodigieux. Ce secret provient de plusieurs causes dont la principale consiste dans la diversité des cultures. Les autres sont : la disparition de la jachère, la grande production des fourrages et par là les fumures abondantes, triples au moins de celles que peut faire la culture du 1er tableau.

Dans l’assolement de Grignon, l’alternance est bien entendue, une seule plante, le froment, y revient deux fois dans l’espace de 7 années, encore est-elle séparée par 2 récoltes : la 1re de fourrages annuels, la 2e de colza fumé. Nous y voyons chaque récolte de grains suivie par une récolte de fourrages.

1o La tête de l’assolement est occupé par les racines fumées à raison de 40000 kilog. par hect. Elles préparent le sol, détruisent les mauvaises herbes.

2o 5 hect. en avoine qui produisent 225 hectolitres.

3o 5 hect. en trèfle dans la suite est bonne pour le froment.

4o 5 hect. en froment qui produisent 200 hectolitres.

5o 5 hect. en fourrages annuels donnant 40000 kilog. de foin.

6o 5 hect. colza fumé par 20000 kilog. fumier par hect. C’est là une culture industrielle, une source de numéraire qui entre dans la ferme, aux dépens il est vrai de la fertilité du sol. Aussi cette culture est-elle bornée et ne revient que tous les 7 ans.

7o 5 hect. froment qui produisent 200 hectolitres.

8o 5 hect. en prairies permanentes donnant 50000 kilog de foin.

Comme nous le voyons : c’est par l’alternance des plantes et les fortes fumures que nous obtenons ces résultats. En effet 180000 kilog. de foin permettent de nourrir beaucoup plus d’animaux que 70000 kilog. et par conséquent d’augmenter d’autant la masse des engrais. On ne récolte que 225 hect. d’avoine, 25 de moins que dans l’assolement triennal, mais par contre on obtient 400 hectol. de froment, tandis que l’assolement triennal n’en obtient que 450.

Il faut joindre à ce dernier résultat, si significatif une bonne récolte de colza produite par les 5 hect. consacrés à la culture de cette plante industrielle. Les partisans de l’assolement triennal, ont dit encore qu’il permet d’utiliser les attelages en tout temps. Cela est vrai dans une certaine limite. Mais un assolement alterne judicieux, quel qu’il soit, permettra toujours une plus grande régularité des travaux, il demandera plus de bras, il est vrai, pendant les saisons nécessiteuses, mais en employant le personnel agricole pendant toute l’année, il permettra de mieux rétribuer les ouvriers durant la saison rigoureuse. Lui seul peut niveler les prix si différents, qui existent entre le travail des villes et celui des champs et modifier cette émigration, qui grandit chaque jour et menace de dépeupler les champs au profit des cités industrielles. Le manouvrier n’aura plus de raison pour quitter le clocher de son village, les villes ne lui offrant plus l’appât d’un gain beaucoup plus élevé. Par ce seul fait, il constituerait un bienfait marqué pour nos classes rurales.

De plus, l’assolement triennal expose constamment les populations aux horreurs de la famine, car malheureusement une grêle enlève en un moment, tous ou presque tous les moyens d’existence, et que même vu par son point de vue le plus favorable il ne produit pas le résultat qu’on en attend (c’est-à-dire une plus grande production de farineux.)

Un système de culture, qui expose ainsi dans le cas d’avaries à une famine générale est un fléau, une combinaison économique monstrueuse, du reste il est proscrit par la raison et l’humanité.

Un assolement judicieux, outre qu’il enrichit l’agriculteur, réalise seul le grand problème de la vie à bon marché. Dans le cas de grêle, de verse des céréales, d’inondation, malgré un ou plusieurs de ces fléaux, ou trouve encore de grandes ressources pour l’alimentation. Les fourrages récoltés assurent la production du lait. Le bétail nombreux que l’on peut ainsi nourrir donne à l’abattoir une partie du déficit, le reste est fourni par le grain qu’on aurait fait consommer à ces animaux. Le cheptel est diminué, mais l’année suivante on fait plus d’élèves et tout rentre dans l’ordre normal. On a seulement subi une gêne, au lieu d’une famine qui eût détruit les populations.

Il est donc bien prouvé que l’assolement triennal ne saurait désormais exister, parce qu’il est contraire aux intérêts des particuliers et qu’il peut causer la perte d’un grand peuple, en le faisant succomber aux horreurs de la famine.


MORCELLEMENT DE LA PROPRIÉTÉ



La sollicitude de tous les vrais amis de l’Agriculture a été vivement touchée de l’étendue d’un mal, qui ne cesse pas que d’avoir les plus funestes conséquences.

Ce mal, consiste dans l’extrême division des propriétés, dans le morcellement du sol.

Constatée en Allemagne, depuis 1842, la division des héritages a été portée à un tel point, qu’elle a attiré l’attention, la sollicitude du gouvernement. On a créer une législation spéciale, dans le but de restreindre cette progression effrayante de la division et les grandes pertes dont elle est la cause pour une nation.

Cet état de choses avait lieu d’étonner les Anglais, dont l’île ne renferme pas plus de 600 familles nobles, possédant tout le sol du Royaume-Uni.

Mais en France, nous glissons sur la même pente que l’Allemagne et ces dernières années encore le nombre des parcelles s’est considérablement accru. Le remède radical à opposer à un état aussi fâcheux, serait de régler la succession des héritages. Il faudrait que les propriétés deviennent infracturables et passent ainsi entières, intactes et sans dettes, du père au fils.

Que l’on se hâte d’arrêter ce débordement et plusieurs millions de plus chaque année, seront le prix de ce grand travail dont le salut des populations agricoles dépend.

Tant qu’on différera l’application du remède, on verra les populations rurales marcher vers leur désorganisation. Elles seront bientôt paralysées dans toutes leurs opérations, les progrès deviendront impossibles pour toute la petite culture, parce que le morcellement ne permettra plus l’adoption des cultures fourragères et la nourriture du bétail à l’étable, qui est la base d’une agriculture prospère. Sous le régime actuel, alors que le morcellement prend des proportions fabuleuses, les propriétés se réduiront en poussière, la plupart d’entr’elles, ne pourront plus permettre l’emploi d’animaux, pour leur culture. On verra alors la culture à la bêche, aujourd’hui si coûteuse, prédominer ; il n’y aura plus d’élevage, ni d’engraissement d’animaux de boucherie ; on ne produira que peu de fumier. Il faudra renoncer entièrement à la culture, à la production des matières employées par le commerce et l’industrie, qui bientôt après, à leur tour, périront comme l’Agriculture.

Ce n’est pas là une simple prévision pour l’avenir, le mal existe déjà sur presque tous les points de la France ou tend à s’y établir de plus en plus. Il n’y a pas de raison pour que cela s’arrête, car au contraire la proportion augmente chaque jour. Je crois ne rien exagérer, en attribuant un peu à la grande division du sol, l’état d’infériorité, dans lequel est placée la France, dans l’art d’élever et d’engraisser les animaux, dans la production de la laine et la culture des plantes industrielles, toutes choses pour lesquelles nous réclamons le secours de l’étranger.

La culture à la bêche, serait cependant utile dans le voisinage des centres manufacturiers, elle fournirait à l’ouvrier des fabriques une occupation accessoire, tout en lui procurant des légumes, des pommes de terre, cette ressource si précieuse en temps de disette, Elle préviendrait, lors des crises industrielles, qui laissent l’ouvrier sans travail et sans pain, l’affreuse misère qui suit toujours ces grandes calamités.

Il serait à désirer que les industries fussent établies en rase campagne. Les vivres y sont à meilleur marché et de plus l’agriculteur trouverait dans les moments nécessiteux, les bras qui lui manquent.

Il n’y a point de mal à ce que la terre soit possédée par un grand nombre de propriétaires ; mais ce nombre doit être limité, sans cela il produirait cet état de division extrême au-delà duquel la terre perd sa valeur et tombe pour ainsi dire en poussière. Le mal principal, consiste surtout dans la manière bizarre dont cette division est faite, car les parcelles diverses, appartenant à un même propriétaire sont dispersées, divisées en plusieurs parties par de larges fossés et de fortes haies vives, qui en dévorent plusieurs sillons.

Il en résulte que presque la moitié du sol est perdu pour la culture.

On remarque que c’est dans les points où le fractionnement a été porté trop loin, que l’agriculture est le plus misérable. On y récolte à peine les grains nécessaires à la consommation du pays, on n’y élève point de bétail, l’engraissement y est inconnu.

Pour obvier à une pareille calamité, il faudrait réunir les parcelles de terres en propriétés bien arrondies, assez grandes au moins pour nourrir une famille, et tout en ne pouvant dépasser un maximum fixe, et veiller au maintien de cette nouvelle division. Mais cette division soulèverait un immense murmure de réprobation et les classes rurales s’y opposeraient sans aucun doute, chacun alléguant que la division a été faite avec partialité, que leurs voisins ont été mieux partagés qu’eux. Il faut donc se résoudre à subir cet état fâcheux, bien qu’il crée à l’agriculture de sérieux embarras. Il borne l’essor vers les idées nouvelles, et prépare pour l’avenir les plus funestes conséquences.

Mais si le morcellement extrême constitue un fort mauvais système ; la division en fermes d’une très grande étendue constituerait un système bien plus défectueux.

En effet tous les fermiers n’ont pas les ressources nécessaires pour acheter l’ameublement, le cheptel nombreux que demande une ferme d’une grande étendue. De plus si le Directeur d’un grand établissement agricole ne possède pas ce que j’ai appelé le génie agricole, il se ruinera infailliblement, tout tombera en souffrance, les travaux seront mal exécutés, la surveillance sera presque nulle ; tout dépérira, faute de l’œil du maître qui doit analyser les opérations de chaque jour.

La culture se soldera par des déficits et elle ne fournira qu’un léger excédant de récoltes pour la vente sur les marchés.

Dans la moyenne culture bien arrondie, il faut moins de capacités pour réussir, les travaux sont faits à temps et bien exécutés, l’œil du maître est partout, l’exploitation est bien réglée, le cheptel est relativement plus nombreux que dans la grande culture ; on emploie plus de bras pour cultiver et des profits honnêtes sont assurés.

Nous éloigner de cette façon d’agir, tomber dans les extrêmes, c’est faire fausse route et s’exposer à une perte certaine.

Nous voyons donc clairement que le succès est attaché à la culture moyenne bien arrondie et bien appropriée.


――――


CULTURES FOURRAGÈRES ET
INDUSTRIELLES.


Nous avons vu dans l’assolement triennal le rôle important que joue dans la culture des céréales, un nombreux cheptel fortement nourri par de vastes prairies.

Nous allons examiner maintenant le rôle, que les cultures fourragères sont appelées à jouer dans une agriculture bien raisonnée et pour y arriver d’une façon méthodique, nous observerons tout d’abord les phénomènes intimes que présente la plante pendant sa croissance, et l’alternance variée que doivent subir les cultures qui se succèdent sur un sol donné. Nous considèrerons ensuite leur utilité principale, celle de créer des engrais ou principes fertilisants qu’elles puisent dans l’air ambiant au moyen de leur système foliacé.


accroissement de la plante. Alternance.


La plante, une fois créée, vit tout d’abord presqu’entièrement aux dépends du sol, son système foliacé étant rudimentaire. Elle absorbe par ses racines les principes solubles contenus dans le sol, eau et sels divers, puis comme elle a une composition spéciale, qu’elle est formée par des éléments et corps spéciaux, ne pouvant être remplacés par d’autres, il en résulte qu’elle s’assimile les éléments qui entrent dans la composition de ses tissus et exhale les autres dans l’atmosphère ou dans le sol. On donne le nom d’excréments aux parties solides, liquides et gazeuses que les plantes rejettent ainsi, par ce qu’elles sont impropres à former les tissus de la plante que l’on examine.

D’après une théorie ancienne, les plantes, comme les autres êtres, ont horreur de leurs propres excréments et ne peuvent conserver longtemps leur vigueur si elles restent enfermées au milieu d’eux.

Aujourd’hui, on est revenu à des notions plus saines et les progrès accomplis par analyse chimique ont prouvé que telle plante s’assimilait telle substance propre à la nourrir, tandis que telle autre plante, composée d’éléments différents de composition, demandait au sol ces éléments et rejetait tous les autres. La théorie qui disait qu’une plante ne pouvait vivre au milieu de ses excréments était donc juste en apparence, mais fausse en ce qu’elle n’indiquait pas que l’aspect chétif de la plante était dû au manque dans le sol des principes propres à sa nutrition, le sol en ayant été dépouillé par les récoltes précédentes. Dans ce cas, le sol peut être très riche, mais c’est en principes assimilables d’un autre ordre que ceux pouvant constituer la plante en question.

Cette vérité éclaire d’une vive lueur le vice que présente l’assolement triennal, faisant toujours revenir sur le même terrain une même plante ou une autre plante de la même famille. Aussi en est-il résulté que le froment que l’on y cultive toujours ne trouve plus dans le sol la quantité d’éléments nécessaire à la végétation du blé qui alors ne donne que de maigres produits en grains ; le peu de fumier qu’on y met et les sels apportés par les pluies étant insuffisants pour permettre une végétation vigoureuse de la plante.

Ceci explique le triomphe général, les avantages immenses que présentent les cultures alternes, la succession régulière de plantes d’une composition fort différente, dont les excrétions des unes servent à la nutrition des autres. Nous en avons un exemple frappant dans la vigueur des premières luzernes et sainfoins établis souvent sur un sol qui ne rapportait jadis que peu de blé et paraissait dans un état d’épuisement presque complet. On sait également que le laboureur compte toujours sur une bonne récolte lorsqu’il lève un vieux pré.


rôle fertilisateur


Les plantes fourragères sont de plus la mine à engrais de la ferme. Ce sont surtout les plantes légumineuses, la luzerne, le sainfoin, etc, les plantes dites sarclées : betteraves, pommes de terre. Des expériences ont démontré que ces plantes puisent dans l’atmosphère, par leur feuillage touffu, la plus grande partie des éléments de leur constitution. Elles fournissent ainsi un appoint considérable de substances minérales. C’est ainsi qu’un hectare en luzerne absorbe et condense dans les tissus des plantes qu’il a produit jusqu’à 150 kilog. d’azote puisé dans l’atmosphère. C’est cette acquisition d’engrais qui permet avec fruit la culture des plantes épuisantes : céréales, colza, tabac, etc, dont les produits sont vendus sur les marchés d’approvisionnement. Ces produits constituent une perte considérable des engrais que ces récoltes ont consommés pour arriver à leur parfaite maturité.

Nous voyons donc que les plantes fourragères sont améliorantes, qu’elles créent des fumiers, qui plus tard seront réalisés en argent par les récoltes de céréales ou de plantes industrielles.

Lorsqu’on possède des terres éloignées de la ferme et dont les routes sont mauvaises, les cultures fourragères sont d’un grand secours pour fumer ces terrains sous forme d’engrais végétaux. Pour obtenir ce résultat, on sème sur ce terrain des plantes vigoureuses, d’une croissance rapide, qui ont de larges feuilles et puisent dans l’air la plus grande partie de leur nourriture.

Le trèfle, la vesce, la gesse, le lupin, le blé noir, le colza, la navette, et le seigle sont employés pour cet usage.

Les prairies naturelles, sont dans l’opinion du public le meilleur remède qu’on puisse opposer à l’assolement triennal. On croit généralement qu’elles seules peuvent constituer la base d’une agriculture vigoureuse.

Cette idée est erronée. Il est vrai que les prairies naturelles fournissent chaque année une certaine masse d’engrais, mais une partie de cette masse devant être consacrée à l’entretien de la fertilité primitive de la prairie, il en résulte que l’on n’a pas autant d’engrais à sa disposition, qu’on l’avait cru d’abord et qu’un tel moyen en économie rurale est peu rationnel.

En effet si l’on en excepte quelques prairies, arrosées avec des eaux riches en principes fertilisants ou contenant des sels de chaux, de potasse et de soude, les prés naturels donnent rarement un produit, en fourrages, aussi considérable que celui qu’on retire des champs soumis à une culture intensive, à un assolement judicieux.

C’est ainsi qu’on retire des terres en culture, indépendamment des céréales et autres produits de commerce, des récoltes en fourrages divers au moins aussi considérables que celles fournies par les prairies permanentes.

C’est ainsi, qu’il faut une étendue assez considérable de prairies naturelles pour produire les 20 à 22 kilog. de foin, qui réduits en fumier doivent fournir la quantité d’engrais indispensable pour fumer complètement un hectare de terrain, tandis qu’un hectare en trèfle, 65 ares en luzerne, autant en pommes de terre et 40 ares en betteraves ou en choux y suffisent, s’ils ont été convenablement ensemencés et soignés. Mais si la luzerne, le trèfle, l’esparcette sont appelés à jouer un grand rôle dans un assolement judicieux, le rôle que devront jouer les plantes sarclées aura une importance plus grande encore. Il sera, pourrai-je dire, le complément de l’adoption des cultures fourragères.

Maintenant je vais dire un mot sur les plantes sarclées. Je ne parlerai point de la pomme de terre, cette précieuse solanée, car nous sommes privés de ses bienfaits par la maladie terrible dont elle est atteinte depuis plusieurs années. J’entrerai dans quelques considérations sur la betterave.

La betterave est la plante sarclée qui est appelée à jouer le rôle principal dans une culture améliorante, aussi doit-elle entrer pour une large part dans l’assolement. C’est la plante améliorante qui jouisse au plus haut point de cette faculté, mais elle demande pour résoudre ce fameux problème, une terre profonde et fortement fumée, ameublie par des cultures multipliées, qui en divisant la couche superficielle du sol, donnent un libre accès à l’air et permettent le développement régulier des racines.

Cette plante par ses larges feuilles puise dans l’atmosphère la plus grande palle de sa nourriture. Les cultures soignées dont elle doit être l’objet, détruisent les mauvaises herbes, incorporent le fumier à la terre, qui devient après cette culture, propre à produire sans fumure nouvelle, une récolte maximum en grains de 35 à 40 hectolitres et plus par hectare, si le sol est fertile.

Un hectare en betteraves bien fumées à raison de 10000 kilog. par hectare et bien cultivées, donnera année moyenne 50000 kilog. de racines, équivalent en principes nutritifs 20000 kilog. de foin d’excellente qualité, qui donneront 40000 kilog. d’excellent fumier. Comme il a falu 15000 kilog. de fumier pour produire cette récolte, il en résulte que outre les bénéfices qu’auront donné les animaux nourris avec sa pulpe, on aura réalisé un total de 25000 kilog. d’un excellent fumier pouvant être consacré à l’amélioration du sol ou à la production des céréales. Comme plante améliorante la betterave est d’une utilité incontestable, comme plante industrielle elle est améliorante au même degré et devient alors une source de richesses pour le pays qui la cultive en grand.

Une industrie nouvelle, sous la haute direction de M. Cail est appelée à une grande destinée dans le département des Deux-Sèvres. Elle consiste à retirer le sucre de la betterave. Cette industrie permettra aux agriculteurs de réaliser grands bénéfices. Ils utiliseront la pulpe pour engraisser des milliers de bœufs.

Le Poitou n’aura donc désormais plus rien à envier aux pays les plus riches de France, le Moletais, la Normandie et le Charolais qui jusqu’à présent ont eu le monopole de l’engraissement.

La magnifique fabrique de sucre établie à Melle, au milieu de terres fertiles est une merveille. Elle se recommande par ses vastes bâtiments et les systèmes perfectionnés qui y sont établis. Nous pouvons dire, de l’avis de plusieurs esprits éclairés, qu’elle est un chef-d’œuvre moderne, la perfection portée à son plus haut point.

Rien n’y a été épargné, mais tout a été sagement calculé, ce qui rehausse davantage encore le mérite de M. Cail, son auteur.

Elle a pour l’alimenter deux succursales : Celles et Tillou dans lesquelles on n’opère que l’extraction du jus.

Les betteraves, après avoir été soumises aux râpes sont réduites en pulpe. La pulpe est aspirée par le tuyau d’une pompe qui la déverse dans des presses en caoutchouc d’où elle sort complètement privée de son jus. Elle est ainsi, presqu’aussi nourrissante que la masse entière des betteraves qui l’a fournie. Elle est vendue aux propriétaires, qui après sa fermentation, la font consommer aux animaux. Cette pulpe sert à l’engraissement des bœufs ou bien on en nourrit des vaches laitières, cela suivant les convenances. La betterave, au point de vue industriel, constitue un double produit : 1o Un produit industriel de vente directe à la fabrique de sucre, 2o un produit fourrage qui coûte peu et propre à poursuivre l’engraissement à bon marché.

Faisons tous nos efforts pour contribuer à l’édification de cette grande œuvre industrielle, qui parait devoir nous être d’autant plus favorable que dans les départements du Nord, qui nous ont précédés dans cette voie, l’industrie sucrière est soumise à une crise fâcheuse pour le pays, la maladie y fait des ravages depuis plusieurs années. Les colonies sont épuisées à force de produire la canne à sucre, le Nord a trop largement usé de cette production : une large voie nous est donc ouverte, nous devons y marcher à grand pas.


――――


INFLUENCE DES ENGRAIS SUR LA
PRODUCTION.


On comprend sous la dénomination d’engrais les produits végétaux, ou animaux qui mis dans le sol, deviennent solubles et sont absorbés par les racines des plantes dont ils forment bientôt les tissus.

Les engrais sont d’une composition fort variée, leur valeur est soumise aux règles de cette composition dont l’analyse ne rend pas toujours un compte bien exact. Aussi je n’entreprendrai point l’étude des engrais, je me bornerai au seul point de vue sous lequel je puisse les envisager, c’est-à-dire leur influence sur la prospérité de l’agriculture. Mais, quand on parle d’une substance dont les qualités sont variables, il est bon de prendre un point de comparaison fixe qui serve de type.

Parmi ces engrais je prendrai donc pour type, le moins variable de tous, le fumier de ferme bien préparé, celui qui a été pourri pendant trois mois dans de bonnes conditions d’humidité et d’égale pression.

Je vais démontrer l’importance du fumier et le rôle qu’il joue dans la bonne exploitation d’un domaine.

Tous les corps organisés firent de l’air une partie des éléments qui composent leurs tissus, mais c’est surtout le cas des végétaux. Ces derniers jusqu’au moment où ils forment la graine, qui doit perpétuer leur espèce, paraissent se nourrir essentiellement des sucs contenus dans l’air ambiant. Si on les sépare du sol avant qu’ils forment la semence, ils ne lui enlèvent pas une partie bien sensible des engrais qu’il renferme, l’air ayant presqu’entièrement fourni à leur nutrition.

Mais les terrains fertiles et féconds, c’est-à-dire présentant une composition physique des éléments bien établie, suivant les influences climatériques diverses, y joignent de plus ce qu’on appelle la richesse du sol, c’est-à-dire une grande quantité de sucs alimentaires en réserve ; donnent une vigueur extraordinaire aux plantes qu’ils produisent. Ces plantes, prennent un développement d’autant plus considérable que le sol est plus fécond, et leurs larges feuilles puisent largement dans l’air, dont elles s’assimilent une quantité de principes nutritifs en rapport avec le développement de leur système foliacé. Cette quantité peut varier de 1 à 4 suivant que l’on considère un sol pauvre ou bien un sol riche. Il en résulte donc que pour produire un même poids de végétaux, le sol riche aura fourni moins de sucs alimentaires qu’un sol pauvre. C’est un phénomène dont l’explication est restée longtemps inconnue, que sur un sol fécond, c’est-à-dire à la fois fertile et riche, une quantité quelconque de produits, un hectolitre de blé par exemple, absorbe pour sa production, une moins grande quantité de sucs nutritifs, ou si l’on préfère, un moins grand degré de fertilité, que sur un sol naturellement peu fertile Il est juste aussi de considérer que pour rapporter une quantité bien supérieure de produits, un hectare d’une terre fortement fumée ne dépensera pas en frais de culture une somme beaucoup plus considérable.

C’est là un important secret et c’est ce qui donne aux terrains réputés meilleurs, c’est-à-dire plus fertiles, une valeur proportionnelle si supérieure à celle des autres terrains. Mais comme dans mes calculs je dois parler de terres d’une fertilité moyenne, je me dispenserai de tenir compte de cette différence, en laissant à chacun le soin de chercher les circonstances particulières qui ont pu produire le déficit d’une récolte, qui en apparence devait être fort bonne.

C’est un fait excessivement rare que celui de voir des cultivateurs calculer quelle est la quantité d’engrais qu’absorbent annuellement leurs récoltes ; (cela d’une manière approximative bien entendu), et par là quelle doit être la proportion entre l’étendue de leurs terres emblavées, les fourrages, le bétail et les engrais de leur exploitation. Il est évident que ces trois facteurs, solidaires les uns des autres doivent être relatifs suivant que les fourrages seront consommés par des bêtes à l’engrais, des élèves, des animaux de travail ou des vaches laitières. Dans le cas d’animaux à l’engrais et de vaches laitières, la quantité de fumier fourni par un même poids de fourrages, sera moindre dans le second cas que dans le premier. Elle sera encore moindre dans le cas où ce même poids de fourrages nourrira des élèves ou des animaux de travail dont la croissance et les pertes de fumier dans les pâturages ou sur les voies de transport, seront assez considérables. En général cette quantité d’engrais sera d’autant plus forte, que les fourrages seront consommés par un moins grand nombre d’animaux, tout en tenant compte des conditions ci-dessus énumérées.

Presque tous les cultivateurs, et cela est un tort, cultivent en céréales une étendue trop grande pour qu’ils puissent l’amender d’une manière suffisante, il en résulte que leur explication est souvent fort loin de leur donner tous les bénéfices dont elle serait susceptible. Beaucoup, se basant sur ce qu’il faut beaucoup de bétail pour produire beaucoup de fumier, entretiennent beaucoup plus d’animaux qu’ils ne peuvent en nourrir convenablement et il n’est pas rare qu’ils soient réduits ou à vendre leurs bêtes à un prix inférieur à ce qu’elles valent, ou à les nourrir avec une parcimonie excessive, ces bêtes dépérissent sans donner de rente, il faut se procurer au dehors un supplément de fourrages et cela souvent à un prix ruineux. Un agriculteur consommé sait toujours combiner son économie, de façon à lui conserver les proportions les plus profitables.

On ne saurait trop le répéter aux agriculteurs, une culture qui rapporte 10 à 15 % ne sera pas sensiblement plus coûteuse qu’une autre culture négligée dont le produit sera 4 ou 5 au plus. Il suffit ordinairement pour atteindre au premier résultat de posséder un peu d’expérience et de bonne volonté. Cependant la culture qui rapporte 15 constitue de grands profits, tandis que celle qui ne produit que 5 produira presque toujours la ruine de l’agriculteur.

Il ne faut, le plus souvent, pour produire ces profondes différences qu’un certain degré de richesse du sol, variant du plus au moins, c’est-à-dire qu’il faut pour produire la récolte maximum une concentration de sucs nutritifs, suffisante pour donner à la plante tout le développement dont elle est susceptible.

Les sucs alimentaires qui composent la richesse du sol et que nous comprenons sous la dénomination générique d’humus sont eux-mêmes un composé d’un grand nombre de substances primitives dont les proportions varient à l’infini et dont nous ne pouvons guère apprécier la valeur, si ce n’est par l’effet que leurs analogues ont produit sur la végétation. Nous avons dit quel était l’engrais que nous prenions pour type.

Mais ceci établi, il n’est point facile d’évaluer la quantité de sucs contenue dans un sol quelconque et nous n’avons encore aucun autre moyen assuré d’y parvenir, que les seules inductions qu’on peut tirer de la quantité de produits que ce terrain a donnée pendant une série d’années, comparée à celle d’autres terrains dont la richesse nous est parfaitement connue. Mais encore ce moyen est-il imparfait, puisqu’il nous donne plutôt la mesure de la fécondité, c’est-à-dire la combinaison de la richesse et de la fertilité du sol, que la richesse proprement dite.

Pour donner des signes évidents de leur présence, les engrais doivent être bien incorporés au sol et ce dernier doit en posséder la quantité suffisante non-seulement pour le saturer convenablement, mais encore un supplément qui puisse être cédé immédiatement aux plantes.

Pour expérimenter ces faits, composons un sol de toutes pièces, par un mélange de terres élémentaires, d’alumine, de chaux, de silice et de magnésie. Ce sol dont la composition nous est parfaitement connue, fumé avec la quantité d’engrais qui suffit ordinairement pour nourrir des récoltes abondantes, ne donnera rependant pas la quantité de produits que nous obtenons habituellement sur des terres qui ont reçu une pareille fumure, il se pourrait même que la récolte fût chétive, ce qui serait le cas surtout si l’alumine ou l’argile dominaient fortement dans ce sol.

Le secret d’un pareil mécompte, c’est qu’un sol, ne se dessaisit des engrais pour les abandonner aux suçoirs des plantes, que lorsqu’il en est saturé et qu’un large supplément peut être fourni aux plantes, qui atteignent alors un développement excessif.

La quantité nécessaire d’engrais, pour saturer un sol est ce que nous pouvons appeler la richesse essentielle, car tout appoint nouveau d’engrais sera distribué aux plantes. Cette richesse n’est pas la même partout, elle varie suivant les sols, leur composition. C’est ainsi que les terres meubles, siliceuses ou calcaires ont beaucoup plus que d’autres la faculté de céder les éléments fertilisants qu’elles renferment. Souvent elles ne demandent pour richesse essentielle, c’est-à-dire cette somme d’engrais dont on ne peut disposer, que le quart de ce qu’exigent certains sols où l’argile est le principe dominant. Ce fait est prouvé par les effets merveilleux que produit la chaux sur les sols argileux. Elle active la décomposition des engrais et paraît fertiliser le sol. Cela n’est pas tout à fait vrai ou plutôt la chaux si elle nourrit les plantes n’est pas seule capable de leur fournir cette végétation luxuriante. Elle agit surtout en permettant une assimilation plus prompte des engrais. Aussi, elle ne dispense pas de fumer. Sans fumier, la chaux enrichit le père et ruine les enfants.

Le baron Crud a mis jusqu’à 50000 kilog. de fumier par hectare sur un sol argileux, sans que les récoltes en donnent un signe bien évident, et ce ne fut qu’en ajoutant d’autres engrais que les produits augmentèrent d’une manière frappante. Dans un ensemble de propriétés, situées en Romagne, il a trouvé qu’il fallait considérer comme richesse essentielle du sol une moyenne de 40000 kilog. de bon fumier de ferme par hectare de terre soumis à une culture intensive active. Chaque fois, qu’on a laissé tomber la richesse du sol au-dessous de cette quantité, on a commis une faute et perdu sur la culture. Tout terrain qui, année moyenne, ne donne pas plus de 8 hectolitres de froment par hectare, en sus de la semence, doit être considéré comme très-pauvre et laissé en friche, vu que la culture s’y constitue en perte.

Quant à la quantité d’engrais, que l’on ajoute à la richesse essentielle afin de produire les récoltes d’une rotation, la plante sarclée qui reçoit la fumure paraît en absorber environ 1/3 le reste est distribué au profit des deux céréales qui suivent, séparées par un beau trèfle.

La production des grains est celle qui nous permet la plus facile et la plus prompte conversion en argent.

Elle est de plus d’une nécessité publique pour nourrir les populations nombreuses qui couvrent notre sol.

Vu cette importance, examinons maintenant quelle influence exerce sur cette production, les engrais que l’on confie au sol.

D’après les expériences faites sur différents terrains, on a reconnu qu’il fallait consacrer pour la production d’un hectolitre de froment de 620 à 650 kilog. d’un excellent fumier de ferme. Une récolte maximum de froment de 40 hectolitres par hectare, demandera donc 24000 kilog. de fumier pour sa production. Ce terrain est supposé dans un bon état de culture et possédant la richesse essentielle nécessaire.

Supposons une récolte de froment produite avec 10000 kilog. de fumier par hectare, cette récolte sera de 15 hectolitres environ. Avec 24000 kilog. elle serait de 40 hectolitres soit 25 hectolitres en plus.

Examinons maintenant les résultats économiques de ces deux cultures. Les 14000 kilog. qui ont produit les 25 hectolitres estimés à 40 fr. les 1000 kilog. charroi compris, valent 140 fr. Les 25 hectolitres estimés au prix de 20 fr. l’un, valent 500 fr. Si nous retranchons de cette dernière somme, le prix du fumier qui l’a produite, c’est-à-dire 140 fr. il nous reste 360 fr. par hectare de bénéfice net en plus et cela en faveur du champ fortement fumé. Dans le 1er cas la culture eût à peine permis au laboureur de manger du pain, au lieu que par de fortes fumures l’Agriculture devient une industrie très lucrative.

Sans aucun doute les frais de culture sont à peu près les mêmes, l’avantage reste donc aux fortes fumures.

D’ailleurs l’exemple de tous les temps, nous a toujours permis de constater que tous les agriculteurs qui achetaient bien cher des engrais pour fertiliser leurs champs, y ont toujours trouvé un grand avantage et se sont enrichis au mépris des préjugés qui ont malheureusement régné trop longtemps sur ce point capital de la culture. Aujourd’hui il est un fait avéré de tous que la prospérité d’une ferme possède dans les engrais un de ses facteurs les plus importants.

Je dirai donc comme tous les agronomes, comme Jacques Bujeault, (ce grand homme dont le monde agricole ne saurait trop vénérer la mémoire) : fumez toujours, fumez beaucoup, faites des prairies, des betteraves, ayez un nombreux cheptel, fortement nourri et vous verrez le succès couronner une entreprise agricole sagement dirigée.

Je ne vous dirai pas, achetez du guano, du phosphoguano, du noir d’os etc, ces engrais ont, il est vrai une valeur fertilisante très-énergique, mais il faut avoir soin de les faire analyser, car sans cela on ne pourra en connaître la valeur. Comme ils peuvent être sophistiqués par des commerçants peu consciencieux, il en résulte que parfois l’on éprouve par leur emploi des déceptions funestes au plus haut point à la fortune publique et à celle des particuliers.


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CAPITAUX


La valeur foncière d’un domaine est complètement étrangère à l’Agriculture, car on peut être propriétaire d’une ferme sans être agriculteur et réciproquement.

Il n’en est pas ainsi du fonds roulant employé à l’exploitation d’un domaine, car il suffit d’affermer un fonds ou de le prendre à culture sous des conditions quelconques.

Ce fonds roulant comprend le prix du cheptel, des instruments aratoires, la semence, une avance d’engrais et les frais divers dépensés par les récoltes en terre ou dont il faut attendre la vente etc. Dans une exploitation rurale active, le cheptel suivant l’étendue des terres à cultiver doit être d’une tête de gros bétail par hectare cultivé ou du moins approchant de ce chiffre, nécessaire pour fournir aux terres la somme d’engrais qui est utile à l’entretien de leur fertilité.

Il faudra donc par hectare, en bonne culture :

Pour prix d’une tête de gros bétail 400 fr.
Instruments aratoires et outils divers 60 fr.
Fumiers ou engrais divers 120 fr.
Semence et travail 220 fr.
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Total 800 fr.

C’est donc un fonds de 800 fr. au mois que le fermier avance. Il ne pourra diminuer ce chiffre sans éprouver une diminution progressive du rendement, diminution qui portée un peu loin constituera une agriculture fort mauvaise en ce qu’elle ne donnera plus aucun bénéfice, vu que les chétives récoltes que l’on produirait, compenseraient à peine le travail et les frais forcés que l’on est toujours obligé de faire.

En augmentant ce fonds roulant on pourra faire de grandes améliorations dans le cheptel. Si on le fixe à 1000 fr. à 1200 fr. on pourra se donner le luxe d’animaux de choix, des types de race, faire exécuter des travaux d’amélioration ou pratiquer de fortes fumures. La terre, qui n’est jamais ingrate à l’égard de ses fils laborieux, rendra bientôt au triple les frais ainsi faits.

On a dit que l’argent était le nerf de la guerre, la même application peut être faite pour l’agriculture. C’est ainsi que sans un capital considérable et approchant de la moitié au moins de la valeur foncière du fonds à cultiver est nécessaire et indispensable lorsqu’on veut faire de l’agriculture une industrie lucrative. Il est évident qu’une terre bien fumée, rapportera définitivement beaucoup plus que la même terre qui aurait été mal cultivée et emblavée sans fumure. De même un cultivateur ne peut vendre ses récoltes en terre et doit souvent attendre que la mercuriale des produits les lui paie à un taux rémunérateur.

C’est là surtout le secret de la réussite de l’agriculture anglaise, de ces riches fermiers, qui ayant en main des sommes considérables, les ont employés en achats d’animaux de choix, d’engrais commerciaux, d’instruments perfectionnés, travaux de drainage, etc. C’est ainsi que sans protection, soumise à de lourds impôts dont quelques-uns des plus vexatoires, l’Agriculture anglaise n’a cessé de progresser malgré les crises fâcheuses, qu’elle a dû subir. Elle a toujours survécu et est sortie victorieuse des luttes terribles que lui ont livré la routine et les préjugés. En effet les Anglais ont épuisé le guano, puis les os de tous les pays connus. Aujourd’hui, ils consomment les deux tiers du noir d’os que fournit Nantes, et ces travailleurs infatigables sont venus actuellement dans le Lot et se sont emparés de la plus belle partie des gisements de phosphate de chaux, que l’on vient de découvrir tout récemment.


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DES MÉCOMPTES EN AGRICULTURE


Il n’est pas d’industrie où les mécomptes soient plus nombreux qu’en Agriculture. En effet, malgré les conditions en apparence les meilleures, malgré les soins assidus de tous les instants, abstraction faite des fléaux qu’on ne peut conjurer, tels que la grêle, les inondations, etc, il arrive souvent que les meilleures mesures sont déjouées et ne produisent pas le résultat espéré.

Cela tient aux phénomènes météorologiques, le plus souvent à un ensemble de causes dont on ne connaît pas parfaitement la nature, mais qui ont cependant produit une perturbation fort grave, soit dans le prix de revient, soit dans le rendement, parfois dans l’un et l’autre. À la fois.

Ces mécomptes sont de divers ordres : 1o ils dépendent de l’inexpérience du chef de l’exploitation, 2o Du trop grand personnel des ouvriers, 3o Du mauvais emploi des attelages. Voilà les principaux.


inexpérience du chef d’exploitation


On voit chaque jour des gens du monde, fatigués des bruits de la ville, ou bien cherchant à augmenter, par un moyen honorable, leur revenu, s’occuper d’opérations agricoles. Ils ont lu avec emphase et légèreté des ouvrages d’agriculture. Ils y ont trouvé le compte rendu, relatif à certaines cultures, opérées après une mûre réflexion et une série d’expériences. L’exposé des magnifiques résultats que l’on était en droit d’espérer de ces opérations, n’y était pas non plus négligé. Ces personnes n’ont pas hésité à croire qu’elles obtiendraient tout d’abord le même succès, malgré leur inexpérience des choses de l’agriculture. Elles ont entrepris l’exploitation d’une grande ferme, mais bientôt sont survenues des difficultés nombreuses, et de divers ordres. Voulant hâter le moment de jouir de leurs conceptions, elles n’ont pas mis dans leur façon de procéder cette mûre réflexion qui accélère la réussite. De cette précipitation sont nés des mécomptes et de ceux-ci est né le dégoût.

Ces commerçants, attribuant à la nature ce qui n’était que l’effet de leur inexpérience, ont pris ainsi de l’aversion pour une profession si honorable, si difficile dans son application et dont ils n’ont pu connaître les avantages. Une perte en a entraîné une autre : en renonçant à leur entreprise, ces personnes ont dû faire le sacrifice de toutes leurs avances et souvent leurs successeurs leur ont fait payer jusqu’à la destruction des travaux qu’ils avaient le mieux combinés.

Ainsi, elles ont vu diminuer leurs ressources, au lieu de les voir augmenter, comme c’eût été le cas si l’expérience et la persévérance eussent présidé à leur entreprise.

On devra donc toujours bien mûrir son projet et ne pas commencer à la légère une entreprise agricole de quelque importance. Il faut tenir compte de toutes les circonstances heureuses ou fâcheuses que l’on doit rencontrer. On consultera les goûts que l’on a, la position où l’on est : l’état politique et moral du pays où l’on doit opérer, les productions que l’on peut tirer du sol, d’après sa nature, la proximité des débouchés, l’état des voies de communications, etc. Enfin par-dessus tout encore on consultera les ressources pécuniaires que l’on possède.

C’est ainsi qu’avec une expérience consommée des hommes et des choses et en suivant les règles d’une prudence bien conçue, on verra bientôt le succès couronner une entreprise ainsi commencée. Les produits augmenteront bien vite en quantité et en qualité, et une honnête fortune sera le prix du travailleur infatigable et du génie consommé.


du trop grand personnel des ouvriers


Il existe une véritable difficulté dans la combinaison qui consiste à trouver le nombre d’ouvriers nécessaires à la bonne exploitation d’un domaine. Mais il arrive souvent encore que des chefs de culture entretiennent un trop grand personnel de travailleurs. Pour régler ce nombre d’une façon satisfaisante, il faudrait être sûr de pouvoir pendant l’été se procurer le nombre de journaliers suffisant pour exécuter, (tout en utilisant ses domestiques) tous les travaux en temps utile.

Il faut en effet nourrir, loger, payer un personnel considérable et les revenus de la propriété ne suffisent pas pour liquider toutes les dépenses. Au lieu d’un profit on se trouve en perte. Ainsi par exemple un agriculteur cultivant un domaine de 50 hectares, qui tiendrait toute l’année, seize à vingt domestiques, tant hommes que femmes et coûtant chacun de 5 à 600 fr. par an, ne pourrait jamais suffire à une pareille dépense. Il sera même étonnant qu’il ne se trouve pas en déficit, vu que l’économie ne doit pas mieux être entendue ailleurs.

Une exploitation agricole n’est autre chose qu’une fabrique de denrées. Il ne s’agit pas seulement de produire beaucoup, il faut surtout produire à bon marché ; l’économie doit être partout bien entendue sans cependant devenir de la parcimonie. On doit chercher les moyens les meilleurs, permettant d’exécuter les travaux au plus bas prix possible, mais toutefois ne rien négliger de ce qui pourrait compromettre le succès des récoltes, leur qualité et leur quantité.

C’est pour avoir négligé ce bût ou ne l’avoir pas su atteindre que tant de cultivateurs ont consommé leur ruine.


du mauvais emploi des attelages


Ce que nous avons dit pour le personnel des travailleurs s’applique également aux attelages.

Les attelages coûtent cher à entretenir, ils s’usent vite et il faut alors les remplacer, ce qui devient fort dispendieux. On doit donc les borner au strict nécessaire, afin de n’avoir pas à nourrir pendant les 3/4 de l’année des animaux qui coûtent beaucoup et font peu de travail.

Il est un mode mis en usage dans le Lot-et-Garonne et qui consiste à avoir des attelages de vaches laitières. Elles exécutent pendant l’été tous les travaux supplémentaires des cultures, ainsi que les labeurs d’octobre. Pendant le reste de l’année alors qu’elles restent inactives, elles donnent du lait, en petite quantité il est vrai, mais qui devient ainsi un produit supplémentaire, de produit principal et unique qu’il est habituellement.

On pourrait ainsi économiser beaucoup sur les attelages. On aurait des bœufs pour exécuter les travaux les plus pénibles.

On devra toujours proportionner les attelages aux travaux à exécuter. La force de l’attelage sera toujours en rapport avec la résistance à vaincre. Il serait irrationnel de mettre un attelage de 6 bêtes, lorsque 4 peuvent aisément faire le travail et il serait plus irrationnel encore pour cette même dépense de forces de n’en employer que 2. Dans le premier cas, on perdrait du temps sans économiser les forces, dans le second on ruinerait la santé des animaux, on perdrait du temps et le travail serait mauvais.

Il ne faut donc jamais tomber dans les extrêmes des choses, l’un et l’autre étant également préjudiciables. Je bornerai là l’énumération des mécomptes qui surviennent en Agriculture et de leurs causes, il serait oiseux d’entrer dans de plus longs détails.


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CONCLUSION


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Avant 1793, l’Agriculture de la France, soumise à la dîme, à l’assolement triennal, était dans un état des plus précaires. La terre, lasse de toujours produire du blé, ne recevant pas d’engrais pour compenser les pertes que chaque récolte lui faisait subir, ne se couvrait plus de riches moissons. C’est à peine si dans les champs de blé qui existaient alors, on obtenait une récolte moyenne. En maint endroit au contraire, on ne voyait s’offrir à la faux du moissonneur que quelques épis rares et grêles donnant 2 ou 3 fois au plus la semence. L’agriculteur était un être misérable, un patient voué à toutes les horreurs de la misère, couvert de haillons, et mangeant du pain noir. Les centres populeux d’alors étaient en petit nombre. La Beauce et la Normandie s’étaient emparées du monopole de l’alimentation de Paris et de quelques autres villes. Le département du Nord, plus heureux que les autres pays avait une industrie commençante. Son sol fut chargé de pourvoir aux produits demandés par ses fabriques et à l’alimentation de leurs nombreux ouvriers. L’essor était donné, il y fit son chemin et constitua bientôt à son profit ce monopole de l’industrie, à l’égard de la France, comme l’Angleterre l’avait fait aux dépens du monde entier.

Après 93, des idées plus libérales, ayant remplacé la servitude qui précéda la grande révolution, l’industrie française prit son essor, Des cités manufacturières furent créées et les populations s’agglomérèrent dans les grands centres.

De là naquirent des besoins nouveaux, l’Agriculture dut pourvoir à l’alimentation de ces populations, et la consommation augmentant sensiblement tout d’abord le prix des produits, devenus ainsi plus rares,

Le producteur, ainsi encouragé, produisit davantage. Il perfectionna ses cultures, fuma plus abondamment ses terres, afin de récolter davantage, sûr qu’il était maintenant de vendre avantageusement son blé et ses animaux de boucherie.

C’est depuis quelques années surtout, que la consommation augmentant d’une manière sensible, a porté le prix des produits à un taux élevé.

Pour fournir aux demandes nombreuses, les producteurs ont dû chercher à tirer du sol tout ce qu’il devait produire, mais malgré le haut prix payé par la consommation nous n’avons pas cependant pu fournir aux exigences. Nous sommes tributaires de l’Étranger, de l’Allemagne surtout, qui nous fournit le surplus qui nous manque en animaux de boucherie.

Mais si nous interrogeons les agriculteurs dans leur pratique et que nous leur demandions s’ils ont fait tout ce qu’humainement il était possible de faire, ils nous répondront qu’ils cultivent le sol comme faisaient leurs aïeux, que leurs pères ont bien vécu ainsi, qu’ils vivront aussi bien qu’eux.

Il y a eu cependant un progrès : c’est la création des cultures fourragères et la pratique du chaulage, qui n’est cependant pas partout bien entendue, mais dont on a tiré, malgré tout, de grands avantages. En un mot, il y a en général peu de progrès. Il faut en excepter quelques fermes modèles, jetées comme des oasis dans un désert. Ces fermes font l’admiration de tous les amis de l’Agriculture, elles honorent à un haut degré leur chef, qui en les créant a mérité les sympathies et la reconnaissance de tous. Les procédés de culture nouveaux ne s’étendent, autour de ces belles fermes, que dans un court rayon, et plus loin recommence l’immensité des terres qui ne rapportent presque rien ou tout au plus des demi-récoltes.

Nous avions dit plus haut que nous étions tributaires de l’Étranger et que sur nos marchés les produits agricoles de nos voisins nous faisaient une ample concurrence. Pourquoi alors ne jetterions-nous pas le gant à la routine, cette perfide qui nous trompe et enlève le pain à nos enfants, pourquoi n’adopterions-nous pas des assolements judicieux et dissipant les erreurs du passé n’entrerions-nous pas dans une voie nouvelle ? Pourquoi ces craintes, ces incertitudes, ces retours vers un passé qui n’a plus sa raison d’être.

Entrons dans cette voie nouvelle tracée par les Anglais et dont nous voyons en France, dans la plaine, les jalons tout placés.

Prenons peu à peu cette voie difficile du progrès, dont nous connaîtrons bientôt tous les détours. Avançons-nous avec prudence, mais avec courage, les difficultés disparaîtront, les obstacles s’aplaniront comme par enchantement et par ces conquêtes toutes pacifiques, bientôt la France se couvrira de lauriers. Une ère nouvelle, ère heureuse et de lumière, viendra briller sur notre malheureux pays et répandant sur tous l’abondance et le bien-être, nous fera jouir des douceurs d’un nouvel âge d’or.


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Toulouse, Imp. des Orphelins, jules PAILHÈS, Rempart St-Étienne, 30