Des accidents qui peuvent survenir pendant et après les opérations

ÉCOLE IMPÉRIALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE



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DES ACCIDENTS


QUI PEUVENT SURVENIR


PENDANT ET APRÈS


LES OPÉRATIONS


PAR


Fort PLANTON


né à Luxey (Landes)

Je le pansay, Dieu le guérit
(Ambroise Paré)


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


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TOULOUSE


IMPRIMERIE PH. MONTAUBIN


Petite rue Saint-Rome, 1


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1868


ÉCOLES IMPÉRIALES VÉTÉRINAIRES.
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Inspecteur général,

M. H. BOULEY, O ❄ Membre de l’Institut, de l’Acad. de Médecine, etc.
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ÉCOLE DE TOULOUSE.
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Directeur,

M. LAVOCAT, ❄ Membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.

Professeurs :
MM.
LAVOCAT ❄
Physiologie (embrassant les monstruosités).
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄
Pathologie médicale et maladies parasitaires.
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et consultation.
LARROQUE
Physique.
Chimie.
Pharmacie et matière médicale.
Toxicologie et médecine légale.
GOURDON
Hygiène générale et agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES
Pathologie et Thérapeutique générale.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
M…
Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.

CHEFS DE SERVICE :

MM. Bonnaud. Clinique et Chirurgie.
Mauri. Anatomie, Physiologie et Extérieur.
Bidaud. Physique, Chimie et Pharmacie.
JURY D’EXAMEN
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MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
BONNAUD, Chefs de Service.
MAURI,
BIDAUD,


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PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


À MON EXCELLENT PÈRE, À MA BONNE MÈRE,


Reconnaissance, et Tendresse filiale.


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À MES SŒURS


Gage d’affection.


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À mes Professeurs.


En mémoire de leurs précieuses leçons.


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À MES PARENTS.


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À MES AMIS.


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« Les animaux étant essentiellement des machines productives, l’important chez eux est de conserver l’intégrité des fonctions, l’aptitude aux divers services qu’on attend d’eux ; ce qui fait que la chirurgie vétérinaire doit être, dans la grande majorité des cas, radicalement curative, sinon elle est sans objet.

« Le vétérinaire, avant d’agir, doit donc envisager d’abord la question économique, mettre en ligne de compte les frais de traitement, le temps de privation du travail, s’abstenir des mutilations qui pourraient rendre tout service impossible à l’animal, sacrifier à temps les malades dont la valeur ne compenserait pas les dépenses à faire ; en un mot, soit qu’il pratique soit qu’il ajourne une opération, soit qu’il abandonne tout à fait le malade, le vétérinaire doit avoir presque toujours exclusivement en vue l’intérêt du propriétaire. »

Gourdon.
DES ACCIDENTS


Qui peuvent survenir pendant et

après les opérations.


Je le pansay, Dieu le guérit.
(Ambroise Paré)


De toutes les parties de l’art de guérir, la médecine opératoire est peut-être celle qui, pendant une longue suite de siècles, a mis le plus d’hésitation dans sa marche et de la lenteur dans ses progrès. Privée du flambeau de l’anatomie dont une superstition funeste lui interdisait la conquête, elle marchait à tâtons dans les sentiers inconnus et bordés de précipices. Ce n’est pas que les anciens n’aient essayé parfois des opérations d’une hardiesse remarquable, car les premiers essais de la castration paraissent appartenir à une époque antérieure à celle de Moïse. Du temps de Calumelle on ne pratiquait que deux ou trois opérations, et les accidents redoutables qu’ils voyaient si souvent surgir et qu’ils ne savaient ni prévenir ni combattre, étaient à la fois la cause et l’excuse de cette réserve timide qui presque toujours les condamnaient à l’inaction, en présence des indications les plus urgentes, les plus précises.

Ce n’est que vers la fin du siècle dernier, à l’époque de la fondation des écoles vétérinaires, que Lafosse et Bourgelat ayant fait faire des progrès aux sciences anatomiques et physiologiques, que la chirurgie a pu être assise sur une base solide. Et par les progrès que leur ont fait faire les hommes sérieux qui se sont dévoués aux écoles vétérinaires, que l’art ne recule plus devant les dangers contre lesquels il peut s’armer à l’avance ; et le fer du chirurgien anatomiste pénètre sûrement à travers l’épaisseur des tissus de nos animaux devenus pour ainsi dire transparents jusqu’aux parties les plus profondes.

Cependant il faut se garder de croire que tout soit si bien prévu et calculé dans les opérations, qu’il ne se trouve plus de place pour les événements anormaux qui constituent les accidents. Sans parler des fautes que peut commettre le chirurgien, à combien de circonstances indépendantes de celles-ci, n’est pas subordonné le succès d’une opération ! N’est-il pas forcé d’abandonner une part de son œuvre à des aides dont l’intelligence n’est pas toujours à la hauteur de cet emploi et dont la force ne suffit pas pour maintenir les mouvements désordonnés du malade indocile ? L’observation de ces prescriptions n’est elle pas à la merci des gens qui doivent avoir soin des animaux ? Ne lui est-il pas souvent impossible de satisfaire aux exigences les plus rigoureuses de l’hygiène ? Enfin, les sciences qui ont pour objet les organismes vivants, ont fait sans doute un pas immense dans ces derniers temps, mais elles sont loin encore de ce degré de précision qui caractérise les sciences physiques à notre époque. Ainsi il n’est pas toujours possible de tenir un compte exact des dispositions individuelles, d’apprécier, de soupçonner même ces idiosyncrasies si bizarres, ces degrés si divers de résistance vitale, qui font que telle secousse de l’économie, à peine ressentie par l’un devient mortelle pour l’autre, sans qu’on puisse trouver, dans l’état apparent des organes, rien qui explique une susceptibilité si différente dans les deux cas. Ces influences aussi puissantes qu’insaisissables, qui déjouent parfois tous les calculs de la prudence de l’opérateur, justifient les modestes paroles qui servent d’épigraphe à ma Thèse.

Des faits nombreux prouvent, en effet, qu’une opération, quelque simple qu’elle soit, peut se compliquer d’accidents graves et même devenir mortelle. Ces cas malheureux ont été observés plus souvent de nos jours qu’à aucune autre époque, malgré les progrès récents de la médecine opératoire ; et on le conçoit sans peine quand on considère que le champ de la chirurgie est devenu beaucoup plus vaste qu’il ne l’était, et l’observation des maladies, de tous les phénomènes qui les accompagnent, plus minutieuse et plus exacte. L’histoire de ces accidents est donc un point important des connaissances chirurgicales. Pour apprécier convenablement l’opportunité d’une opération, le chirurgien ne doit jamais oublier d’opposer aux avantages qui peuvent en résulter pour le malade, les accidents dont elle peut devenir la source, car le premier devoir de sa profession est de ne pas nuire. Il doit sans cesse se tenir sur ses gardes, soit pour éloigner autant que possible toutes les circonstances qui peuvent provoquer le développement de ces accidents, soit pour les combattre et en réprimer les funestes effets, lorsqu’il n’a pu les prévenir.

Ce sujet est si vaste que je suis réduit à le traiter d’une manière très-sommaire ; je crains même d’être forcé d’en retrancher certaines parties essentielles, des circonstances particulières m’imposant l’obligation de me renfermer dans des limites assez restreintes.

Sans prétendre définir d’une manière rigoureuse, ce qu’on entend par accidents en médecine opératoire, je désignerai par là toute circonstance qui, survenant en dehors du plan de l’opérateur, peut exercer une influence plus ou moins fâcheuse sur le but et les suites d’une opération.

Les accidents peuvent se montrer dans le cours même de l’opération, ou à la suite de celui-ci. Sous ce rapport, ils ont été divisés en accidents primitifs ou immédiats, et en accidents consécutifs. Il faut convenir qu’il n’existe pas toujours entre ces deux classes une ligne de démarcation bien tranchée ; les accidents de la première entraînent souvent à leur suite ceux de la seconde, qui tiennent alors à un vice, à une imperfection dans le mode opératoire. Ainsi l’ouverture du canal de sténon dans la ponction d’un abcès parotidien, si légère d’abord qu’elle passe inaperçue, donne lieu, plus tard, à une fistule salivaire.

La division qui nous est fournie par l’énoncé du sujet sera maintenue ; car nous verrons plus tard qu’elle est importante et mérite d’être conservée. Notre travail sera donc divisé en deux parties correspondant aux deux classes d’accidents que nous venons d’admettre.

Nous ferons remarquer que, parmi les accidents, soit immédiats, soit consécutifs, il en est qui sont propres à chaque opération ; on conçoit que ces accidents doivent être nombreux et variés, toute cause d’insuccès, dans une opération, pouvant être considéré comme un accident. Pour les passer en revue il faudrait parcourir toute la série des opérations chirurgicales ; nous ne pouvons donc les envisager que d’une manière générale. Les autres tels que l’hémorrhagie, l’introduction de l’air dans les veines, une inflammation violente, etc., sont communs à la plupart des opérations. Leur étude offrant beaucoup plus d’importance que celle des précédents, nous nous proposons de leur consacrer à chacun un article spécial. L’impossibilité de commander à l’intelligence de ses malades laissent le vétérinaire entièrement exposé aux défenses que les animaux opposent constamment, et l’obligent à recourir à des moyens de contrainte qui quelquefois occasionnent des accidents excessivement graves, et parfois mortels (de la part des opérés) : tels sont les fractures de la colonne vertébrale, des côtes, des os du bassin, des os des membres ; les ruptures des parties molles de l’estomac, du rectum, du diaphragme, des artères, des veines, du cœur ; les distentions et inflammations musculaires, etc. Tous ces faits ont été observés et signalés dans l’excellent ouvrage (Éléments de chirurgie vétérinaire de M. le professeur Gourdon.)


Des accidents qui peuvent survenir pendant et après les opérations.


Nous présenterons d’abord quelques considérations générales sur les causes, les caractères, le degré de gravité et le mode de traitement des accidents immédiats. Nous étudierons ensuite dans deux articles spéciaux, ceux de ces accidents qui sont communs à la plupart des opérations, l’hémorrhagie et l’introduction de l’air dans les veines, enfin nous dirons quelques mots des accidents nerveux.


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.


Les causes qui peuvent faire dévier le mode opératoire de son type normal sont si nombreuses, que lorsqu’on y réfléchit on est moins surpris de la fréquence des accidents qui surviennent pendant l’exécution des opérations, que du grand nombre des cas dans lesquels tout s’accomplit suivant l’ordre normal.

Les causes peuvent dépendre de l’opérateur, de l’opéré, de l’opération elle-même ou des circonstances au milieu desquelles elle est exécutée.

L’ignorance, la distraction, l’imprudence, la maladresse de l’opérateur ou de ses aides et mille circonstances que rien ne peut faire prévoir, sont autant de sources d’accidents qu’on ne saurait méconnaître.

Ainsi une erreur de diagnostic a fait plonger le bistouri dans une tumeur herniée prise pour une collection purulente.

La maladresse, le manque d’habitude du maréchal font maintenir le fer chaud sur le pied pendant trop longtemps et exposent ainsi les animaux à des brûlures au pied qui sont quelquefois très-graves. Une lenteur trop grande a donné lieu quelquefois à de graves hémorrhagies, dans l’ablation des tumeurs érectiles, cancéreuses, etc. Au contraire une précipitation imprudente peut produire dans certains cas des accidents fâcheux, tels que les lésions de l’intestin dans l’opération de la hernie étranglée ou l’ouverture d’une grosse veine et la pénétration de l’air, dans les opérations faites au voisinage de la poitrine.

L’ignorance, l’inattention des aides sont des circonstances également fâcheuses dans la pratique des opérations. Ainsi lorsqu’un animal est couché et fixé pour une opération quelconque, il se peut que l’animal se fracture quelques vertèbres pendant les mouvements extraordinaires auxquels il se livre, si la tête n’est pas tendue parallèlement au dos. Les instruments dont on se sert dans une opération ont aussi quelquefois leur part dans la production des accidents. C’est ainsi, qu’en voulant repousser un corps étranger arrêté dans l’œsophage, la sonde œsophagienne peut se briser dans ce conduit et occasionner des suites funestes. Les instruments dont le tranchant est en mauvais état obligent l’opérateur à employer une force insolite dont il ne peut bien calculer les effets, et peuvent occasionner ainsi la lésion de certains organes qui devraient être respectés. Les accidents qui peuvent être attribués à l’opérateur sont bien peu fréquents, relativement à ceux qui dépendent de circonstances impossibles à prévoir et qui pourraient arriver au chirurgien le plus habile, le plus exercé, quelle que fût l’époque de l’année, l’état de l’atmosphère, le climat du pays.

De la part de l’opéré, les causes d’accidents sont bien plus nombreuses. Sans parler des causes prédisposantes relatives à l’espèce, à l’âge, à la constitution, au tempérament, au degré de force ou de faiblesse de l’animal, il est plusieurs autres circonstances qui agissent d’une manière plus directe dans la production des accidents. Son indocilité, ses mouvements involontaires ont souvent fait dévier l’instrument dans la saignée, et plusieurs fois produit la myosite traumatique à la suite de violents efforts auxquels se livrent les animaux pendant qu’ils sont abattus. La négligence de certaines précautions recommandées par le chirurgien, comme celle de tenir les malades à jeun peut devenir une source d’accidents fâcheux. Il est des sujets qui présentent certaines modifications d’organisation, certaines variétés anatomiques, qu’il est souvent impossible de soupçonner à l’avance, et qui peuvent occasionner la lésion d’organes importants.

Quant aux causes d’accidents inhérents à l’opération, elles sont relatives à sa nature même, à sa nouveauté, aux difficultés de son exécution, à l’espèce de moyen mis en usage, etc. Les opérations pratiquées sur le tronc exposent à des accidents plus graves que celles qu’on pratique sur les membres. Celles qui ont pour siège le cou, la base de la queue pouvant donner lieu à l’introduction de l’air dans les veines. Les parties riches en vaisseaux et en nerfs offrent aussi des conditions défavorables. Une opération longue et douloureuse entraîne un danger sérieux en épuisant en quelque sorte les succès de la sensibilité qui ne peut, au delà de certaines limites, résister à une excitation de cette espèce. Les violences, les efforts que nécessitent certaines opérations agissent encore dans le même sens ; ils exposent en outre à la contusion, à la distension, à la rupture des organes.

Les circonstances au milieu desquelles une opération est pratiquée peuvent avoir aussi une part dans le développement des accidents. En mer le chirurgien est souvent forcé d’opérer malgré le roulis du vaisseau qui s’oppose à la précision de ses mouvements. En général, en médecine vétérinaire, lorsqu’on pratique une opération un peu importante, l’opérateur est entouré par une foule de curieux qui se pressent autour de lui et de ses aides, peuvent gêner les mouvements opératoires, et par suite, des accidents en sont le résultat. Mais si une affluence trop considérable peut donner lieu à quelques accidents, l’isolement absolu pour une opération urgente, est une circonstance bien autrement fâcheuse. Ainsi, le vétérinaire de campagne dépourvu d’aides intelligents est forcé par fois de procéder au débridement d’une hernie étranglée ou à l’ouverture de la trachée dans un cas de suffocation imminente, alors il n’y a pas à attendre des aides ou à choisir un moment plus favorable, il faut opérer de suite. Par conséquent il est facile de concevoir que dans ces circonstances le succès de l’opération peut être plus ou moins gravement compromis.

Considérés en eux-mêmes, les accidents immédiats ne sont pas moins variés, que les causes qui les déterminent. Ils diffèrent entre eux et par leur nature et par l’espèce d’organe qui se trouve lésé. Sous ce dernier point de vue nous ferons remarquer que quelquefois des accidents se produisent sans qu’il existe aucune lésion organique appréciable. Ce sont les accidents nerveux proprement dits, dont je me réserve d’en faire un article spécial plus loin. Les autres, au contraire, sont essentiellement constitués par une lésion organique qu’on peut subdiviser en 3 genres : 1o accidents par solution de continuité ; 2o accidents par obstruction ; 3o accidents par déplacement.

Le premier genre offre plusieurs variétés suivant que la solution de continuité qui le caractérise consiste à une ponction, une incision, une déchirure, un arrachement, un étranglement, une cautérisation. Quelle que soit la variété qui se présente, les caractères des accidents diffèrent suivant la nature et l’importance des fonctions de l’organe affecté. Si des parties nerveuses ont été intéressées ce sont des douleurs, des paralysies. La solution de continuité dans les vaisseaux, produit des hémorrhagies. Dans les membranes séreuses splanchniques, articulaires et tendineuses, elle peut entrainer des accidents inflammatoires, dont la gravité est en rapport avec l’étendue et les infractuosités de ces membranes. Une gêne immédiate dans les mouvements, est le résultat des solutions de continuité dans les muscles, et, pour peu que celles-ci soient grandes l’antagonisme musculaire se trouvant détruit, les parties se renversent, dans le sens opposé à celui de la lésion. Celles des os, des cartilages occasionnent des dénudations, des déplacements. Celles des parois des cavités splanchniques les affectent tantôt dans une partie de leur épaisseur seulement, tantôt dans toute leur épaisseur. Dans ce dernier cas, si les viscères pourvus d’une cavité intérieure, participent à la perforation, il survient un accident nouveau subordonné au premier, savoir : l’issue hors de son réservoir, du fluide renfermé dans la cavité ouverte. Tantôt ce fluide se porte au dehors par la plaie des téguments, tantôt il fuse dans les tissus ou dans les interstices des organes, tantôt il s’accumule dans un organe voisin, comme la cavité péritonéale, dans le cas, par exemple, où le bec d’une sonde qui aurait traversé la parois postérieure de la vessie.

Les accidents caractérisés par une obstruction organique diffèrent entre eux suivant la nature des corps qui sont les agents de l’obstruction, et suivant les points de l’organisation qui en sont le siège. Ces corps sont fluides ou solides. Les fluides viennent du dehors, comme les matières des diverses injections, lavements, etc. ou de l’intérieur des organes en sortant de leurs réservoirs ordinaires, tels que de l’air, du sang, de la sérosité, des fluides glandulaires, des matières stercorales, du pus, etc. Les solides sont des morceaux d’instruments forcés ou cassés dans certaines cavités ; dans l’épaisseur des os, une portion de sequestre, etc.

Les points de l’organisme dans lesquels on observe les obstructions, sont les aréoles du tissu cellulaire, les cavités séreuses, celle des voies aériennes, les canaux des vaisseaux et des glandes. Les aréoles du tissu cellulaire peuvent être obstruées par du sang, de l’urine et de l’air sortis de leurs voies. Les cavités séreuses peuvent être obstruées par de l’air dans l’empyème, par exemple, par du sang dans la même opération si l’on avait le malheur de blesser l’artère intercostale, le cœur même comme nous l’avons malheureusement vu ; par du pus dans l’ouverture d’un abcès, si le bistouri traversait de part en part le foyer purulent et allait intéresser les parois d’une de ces cavités, enfin par la bile, des hydatides ; etc. Le même accident peut se produire dans les voies aériennes de plusieurs manières ; le sang peut s’y précipiter dans la trachéotomie ; chez le chien un polype de la gorge peut s’engager au moment où il se détache sous l’étreinte du fil qui serre son pédoncule, et par suite, provoquer de fortes suffocations, et quelquefois l’asphyxie. M. le professeur Lafosse a vu à l’école d’Alfort une dent que l’on venait de sortir de son alvéole, échapper à la pince qui avait servi à exécuter cette opération, tomber dans l’arrière bouche, déglutie par l’animal et être la cause d’accidents mortels. Les réservoirs et les canaux excréteurs peuvent être obstrués par des instruments, qui se brisent dans leurs cavités.

Le troisième genre d’accidents immédiats caractérisé par un déplacement d’organes, est moins nombreux que les deux précédents. Dans l’opération de la cataracte par extraction, l’iris pressé par le cristallin peut faire hernie par la plaie de la cornée. Dans l’abaissement, le cristallin peut se porter dans la chambre antérieure. Chez les carnivores quelquefois à la suite des opérations pratiquées sur l’abdomen, le péritoine ayant été intéressé, des anses intestinales peuvent se porter au-dehors. Enfin, en médecine humaine, dans l’amputation de la mâchoire inférieure on a plusieurs fois observé un remarquable déplacement de la langue, par la section des muscles de cet organe.

La gravité de ces accidents varie à l’infini. Tout ce qu’on peut dire d’une manière générale, c’est qu’elle dépend de leur nature, de l’importance physiologique, de l’organe affecté, de l’âge, du tempérament, de la constitution et quelquefois des espèces. La mort même peut survenir dans certains cas, sinon immédiatement, du moins à titre d’accident consécutif ; car leur gravité ne se révèle souvent que par la suite. Je ferai remarquer qu’un accident qui survient pendant une opération peut devenir une heureuse circonstance de celle-ci. Ainsi un cheval qui était atteint de tétanos a été guéri, parce que à la place de lavements d’eau tiède qu’avait ordonné le vétérinaire, on lui porta de l’eau bouillante[1]. Mais par malheur ces cas sont extrêmement rares. Les moyens à opposer aux accidents immédiats sont presque aussi variés que ces accidents eux-mêmes. Tout ce qui peut atténuer les dangers qui leur sont inhérents ou réparer leurs ravages, constitue leur traitement rationnel. Chacune des classes d’accidents que nous avons admises, présente cependant des indications qu’on peut exposer d’une manière générale. Ainsi dans les accidents par solution de continuité, la réunion est généralement indiquée. La ponction, l’incision, la déchirure, réclament l’application rigoureuse de ce précepte. Mais dans le cas de contusions profondes, d’étranglement, il faut de prime abord chercher à atténuer les effets de la lésion, et, si la solution de continuité survient malgré les moyens employés pour la prévenir, la réunion est encore indiquée aussitôt que les tissus paraissent avoir de la tendance à s’agglutiner. Ce que nous venons de dire, s’applique en général aux organes pleins. Quant aux organes creux, il est souvent nécessaire, pour obtenir la cicatrisation de détourner de la plaie les fibres qui sont renfermées dans la cavité ou qui circulent dans le canal ouvert.

Les accidents par obstruction présentent ordinairement deux indications à remplir. Les cavités qui sont le siège de l’obstruction offrent presque toujours une solution de continuité dont il s’agit de favoriser la réunion. Mais avant tout, la matière de l’obstruction constitue un corps étranger auquel il faut donner issue. Cependant, si elle consiste en fluide de l’économie, tels que du sang, du pus, de la sérosité épanchés en quantités considérables, ils peuvent disparaître par l’absorption qu’il convient alors de favoriser. Dans les déplacements organiques, les moyens à employer sont très simples et consistent à refouler l’organe ou à l’attirer à soi, suivant les cas, en un mot, à le restituer au plus vite dans sa position normale.

Lorsque l’accident est grave, c’est sur le champ et au milieu même de l’opération que ces moyens doivent être mis en usage. Dans le cas contraire, on peut quelquefois poursuivre l’opération en confiant à un aide le soin d’y remédier provisoirement. Il est même quelquefois avantageux de renvoyer l’application du traitement définitif à une époque plus éloignée.


De l’Hémorrhagie.


Toute opération chirurgicale qui nécessite une solution de continuité des tissus, donne lieu, par sa nature même, à un écoulement sanguin ; mais cet écoulement ne prend le nom d’hémorrhagie qu’autant qu’il est assez considérable pour mettre en danger la vie de l’opéré, ou pour porter une atteinte grave à l’économie. Soit qu’on ait mal pris les précautions hémostatiques préalables, soit que l’opération se fasse sur une de ces régions où les moyens préventifs de l’hémorrhagie sont inapplicables, il arrive assez souvent que le sang coule en abondance, et qu’il devient indispensable de s’en rendre maître. Cet accident peut survenir dans tous les temps d’une opération et entraver plus ou moins les manœuvres opératoires. L’hémorrhagie peut se faire par jet en nappe, émaner des artères ou des veines, ou des deux sources à la fois.

Les causes qui peuvent donner lieu à l’hémorrhagie sont nombreuses. Elles peuvent survenir par la faute de l’opérateur. S’il était assez téméraire pour porter l’instrument tranchant sur une région dont il ne connaîtrait pas suffisamment la disposition anatomique, il pourrait blesser des vaisseaux importants et occasionner une hémorrhagie grave. Le même accident peut aussi arriver à un opérateur instruit, s’il se présente une de ces variétés d’organisation qui n’ont pas encore été signalées ou s’il s’agit d’un de ces cas, où des branches artérielles bien connues qui n’offrent ordinairement qu’un très-petit calibre ont pris un développement anormal. Une circonstance pathologique peut encore modifier les rapports des parties de manière à mettre en défaut la science du chirurgien. Une erreur de diagnostic a fait prendre une tumeur sanguine non pulsative pour un abcès, une tumeur érectile pour une masse squirrheuse. Ces fautes ont été commises par des praticiens habiles. Enfin, une distraction au moment où l’on exécute la partie la plus délicate d’une opération, une trop grande lenteur, quand des vaisseaux nombreux et volumineux ont été intéressés, trop de précipitation dans les moyens hémostatiques, voilà des fautes qui peuvent donner lieu à l’accident qui nous occupe.

Les aides qui assistent l’opérateur ne sont pas toujours étrangers à la production de l’hémorrhagie. Les instruments dont on se sert peuvent devenir aussi une cause d’hémorrhagie. Un bistouri, une paire de ciseaux dont le tranchant est en mauvais état, ne permettent pas à l’opérateur de calculer exactement la force qu’il convient d’employer. La lésion d’un vaisseau considérable dans l’ablation d’une tumeur, de l’artère testiculaire pendant l’enlèvement des casseaux, etc., peut tenir à cette circonstance.

Des causes nombreuses sont inhérentes au sujet lui-même. Les circonstances relatives à l’espèce, à l’âge, à la constitution, à l’état de santé ou de maladie, jouent ici un rôle important comme causes prédisposantes. Les solipèdes par leur tempérament, sanguin-nerveux, sont les animaux qui sont le plus prédisposés à l’hémorrhagie, puis, en deuxième ligne, viennent les carnivores, etc. Dans le jeune âge et la vieillesse, les animaux domestiques sont sujets à des hémorrhagies capillaires et veineuses, dont il n’est pas toujours facile de se rendre maître. Tous les états morbides qui consistent dans l’appauvrissement du sang et l’atonie des tissus, comme dans l’épuisement produit par des pertes considérables des maladies antérieures constituent des prédispositions puissantes aux accidents hémorrhagiques. Chez certains individus, la disposition hémorrhagique est naturellement portée à un tel degré, que les plus petites plaies peuvent donner naissance à des hémorrhagies capillaires qui sont quelquefois très difficiles à maîtriser. Les déviations de l’organisme que nous signalions tout à l’heure peuvent être encore considérées jusqu’à un certain point comme des causes prédisposantes individuelles.

Au moment même de l’opération, les mouvements du sujet peuvent faire dévier l’instrument et déterminer un accident qu’on eût quelquefois pu prévenir, en exerçant une surveillance plus attentive. Les plaintes, les efforts auxquels ils se livrent souvent, ralentissent les mouvements respiratoires, et produisent la stase du sang veineux qui abonde à la surface de la plaie. La position donnée au malade, une compression accidentelle entre le cœur et le lieu de l’opération peuvent encore favoriser cette hémorrhagie.

La région sur laquelle on pratique une opération peut aussi avoir son influence. Plus elle sera vasculaire, plus on devra se tenir en garde contre l’accident qui nous occupe. D’autres circonstances locales peuvent encore favoriser l’écoulement du sang. Dans les opérations sur les voies aériennes, l’aspiration qui s’exerce sur la surface de la plaie, y attire sans cesse les liquides et s’oppose à l’oblitération des vaisseaux ouverts. La friabilité des tissus, l’ossification des artères peuvent donner lieu à des hémorrhagies extrêmement dangereuses en rendant l’application des moyens hémostatiques très difficiles et quelquefois impossibles. Tantôt les artères se laissent couper entièrement par le fil avec lequel on les serre, tantôt au contraire elles résistent à l’étreinte de ce fil qui ne peut effacer leur calibre.

Les hémorrhagies qui surviennent dans les opérations n’ont pas toutes le même degré de gravité. Il en est qui n’apportent qu’un peu de gêne et que l’emploi de quelques moyens simples suffit pour arrêter. Mais il en est d’autres qui par leur abondance et leur opiniâtreté peuvent en peu d’instants devenir funestes. Une sueur froide se montre sur toute la surface du corps, mais avec une plus grande intensité aux parties sensibles ; les muqueuses pâlissent, se décolorent, il survient des nausées, des vomissements chez les carnivores ; la respiration perd peu à peu de sa régularité ; le pouls devient plus fréquent, petit, irrégulier ; enfin le malade se livre à des accès de vertige, des convulsions, etc., qui peuvent être suivis de la mort.

Pour apprécier le danger d’une hémorrhagie il ne faut pas seulement tenir compte de la quantité de sang perdu, mais encore de la force particulière du sujet, de la longueur de l’opération et de l’épuisement nerveux qu’elle a pu produire. L’hémorrhagie artérielle est en général beaucoup plus grave que celle qui provient des veines, parce que le sang artériel parait être plus essentiel à la vie, et surtout dans le même temps la perte de celui-ci est beaucoup plus grande. Soumis en effet à la double impulsion que lui communiquent les contractions du cœur et la réaction des parois artérielles, il s’échappe, disent les physiologistes, avec une vitesse telle, que dans l’espace de quelques instants presque tout le sang du corps vient se présenter à l’ouverture du vaisseau. Cependant quoique les hémorrhagies veineuses soient moins rapidement débilitantes, elles sont quelquefois plus embarrassantes pour le chirurgien parce qu’il est plus difficile de s’en rendre maître par la ligature ou la compression. D’ailleurs l’ouverture des gros troncs veineux à la racine des membres est plus grave que celle de l’artère correspondante, en ce sens, que la compression ou la ligature nécessaire pour arrêter l’écoulement du sang s’opposant au retour de ce liquide dans le cœur, le membre s’engorge et la gangrène peut s’en emparer.

Le lieu sur lequel se manifeste une hémorrhagie peut donner à celle ci une gravité toute particulière. Dans la trachéotomie par exemple, le sang peut en pénétrant dans les voies aériennes produire une prompte suffocation et par suite l’asphyxie et la mort.

Les funestes résultats de l’hémorrhagie ne se manifestent pas toujours d’une manière immédiate. La débilité extrême qui succède à une perte de sang considérable peut déterminer la mort trois ou quatre jours après l’opération. Cependant il est bon de faire remarquer, que les hémorrhagies consécutives sont d’autant moins graves, qu’elles se produisent à un moment plus rapproché de l’opération. Quand elles apparaissent le même jour ou le lendemain, elles sont encore actives, c’est-à-dire résultent d’une incomplète oblitération des vaisseaux, et dans ce cas, à moins qu’elles ne soient très abondantes, que le sujet ne soit lui-même dans un état de faiblesse extrême, on peut sans inconvénient ne pas s’en occuper beaucoup ; elles sont en général sans danger grâce à l’obstacle qu’apprête l’appareil du pansement ; elles finissent presque toujours par s’arrêter d’elles-mêmes ; il est même de remarque qu’une plaie qui a longtemps saigné guérit plus vite qu’une autre.

Cependant si l’on juge que l’hémorrhagie dépasse la force de l’animal, le chirurgien doit s’attacher à découvrir la cause qui peut y donner lieu. Si l’emploi des moyens hémostatiques provisoires avait été négligé, il faudrait se hâter d’y recourir. La compression peut être mal faite et devenir inefficace ; elle doit alors être réappliquée d’une manière plus régulière. Si l’hémorrhagie dépend de la compression elle-même qui interrompt le cours du sang dans le tronc veineux, on fera en sorte de la restreindre à la plus petite surface possible.

Si le sang s’échappe des petites artères, on a quelquefois conseillé pour ne pas ralentir la marche de l’opération, de faire appliquer les doigts des aides sur les orifices des vaisseaux qui versent le sang. Ce moyen est gênant pour l’opérateur et présente en outre un inconvénient grave, c’est que les vaisseaux se rétractent sous le doigt qui les comprime, et il est souvent impossible à la fin de l’opération d’en faire la ligature. Plus tard lorsque la circulation se rétablit du côté de la plaie, le sang qui avait cessé de couler reparaît ; circonstance peu importante en elle même dans le cas où l’on ne se propose d’obtenir qu’une réunion secondaire, mais qui fait constamment échouer la réunion immédiate en forçant à lever prématurément l’appareil. Quoi qu’il en soit, on peut y recourir si les artères sont très-petites, car dans ce cas leur rétraction sera permanente, et surtout lorsqu’il est urgent de terminer une opération chez les sujets irritables. Hors ces cas, la cautérisation actuelle ou bien la torsion nous paraitraient préférables pour les petites, car lorsque le calibre de ces vaisseaux est plus gros, nous serons d’avis d’en faire la ligature à mesure qu’elles sont ouvertes par l’instrument. Cette méthode rend sans doute l’opération plus longue et moins brillante ; mais elle présente plus de sureté, et cet avantage l’emporte à nos yeux sur les inconvénients. Elle est d’ailleurs la seule applicable si l’opération est délicate, si les instruments doivent agir profondément ; enfin, si les vaisseaux sont nombreux, la présence de plusieurs doigts dans la plaie rendrait ces opérations inexécutables.

Lorsqu’on agit sur des parties enflammées la torsion ne peut avoir d’efficacité, à cause de la friabilité des vaisseaux. Souvent la ligature médiate ou immédiate ne réussit pas non plus, les tissus cédant également à l’étreinte du fil. On n’a plus alors qu’une ressource, celle de cautériser avec le cautère actuel chauffé au rouge sombre et à réitérer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un écoulement en nappe.

Les hémorrhagies veineuses, quoique peu importantes, peuvent être très incommodes en masquant sans cesse aux yeux de l’opérateur les tissus qu’il doit diviser, que le sang veineux afflue du côté du cœur ou du côté des capillaires, il faut d’abord s’assurer du vaisseau qui le fournit, et faire appliquer le doigt d’un aide sur le trajet de ce vaisseau à une petite distance de la plaie. Ce genre de compression a ici les avantages sur la ligature des veines. On ne doit recourir à ce dernier moyen que dans le cas où le vaisseau ouvert est d’un très gros calibre. Mais le cas le plus embarrassant est celui de l’hémorrhagie qui résulte de la blessure d’un gros tronc veineux, comme la jugulaire, la veine crurale, etc.. Quand la plaie du vaisseau ne consiste qu’en une simple piqûre, la compression suffit ordinairement pour arrêter l’hémorrhagie et obtenir la cicatrisation.

Si la veine a été coupée dans une étendue de 5 ou 6 millimètres, il convient de saisir les bords de la plaie entre les mors d’une pince et de les froncer au moyen d’une ligature. Mais que doit on faire dans le cas où la veine a été intéressée dans la moitié au moins de sa circonférence. Lorsqu’il s’agit d’une veine principale on conseille de lier l’artère en comprimant seulement la veine, ou de lier tout simplement la veine au-dessous de la blessure.

Les hémorrhagies capillaires le plus souvent s’arrêtent seules au contact de l’air, si elles résistent, quelques aspersions d’eau fraîche suffisent ordinairement pour les arrêter. Quand elles sont plus opiniâtres, on a recours à la compression, soit en réunissant exactement les lèvres de la plaie, soit en appliquant à sa surface un léger pansement que l’air maintient à l’aide d’un bandage suffisamment serré.

Mais contre les hémorrhagies capillaires qui succèdent à l’ablation des tumeurs érectiles ou cancéreuses, il faut que, dans ce cas, le cautère actuel constitue une ressource précieuse.


De l’Introduction spontanée de l’air dans les veines.


Cet accident, le plus redoutable peut-être de tous ceux qui peuvent survenir pendant les opérations, n’a pas été signalé par les anciens. S’ils ont observé ses funestes effets, ils n’ont pas su les rapporter à leur véritable cause, ils ont dû les confondre avec ces cas d’apoplexie foudroyante qui enlevaient si souvent les opérés à une époque où les moyens hémostatiques étaient à peu près nuls. Sans m’occuper de l’historique ni des expériences qui ont été faites, à ce que l’air peut s’introduire spontanément dans les veines et de là dans le torrent circulatoire et donner lieu à des accidents graves et à une mort plus ou moins spontanée, quand il est introduit en certaine quantité, je vais passer de suite aux causes qui peuvent déterminer ou favoriser la production de ce phénomène.

La dilatation de la poitrine, au moment de l’inspiration, a pour effet d’attirer dans cette cavité tous les fluides qui communiquent avec elle par des canaux spéciaux. Le sang noir qui se trouve dans ce cas, se précipite donc dans la poitrine pendant l’inspiration comme dans un corps de pompe dont on tire le piston. Au contraire, dans l’expiration, la poitrine se resserrant, la pression de l’air intérieur devient plus grande, comprime les veines, et le sang de ces vaisseaux reflue au dehors. Un des premiers physiologistes qui aient étudié l’influence des mouvements respiratoires sur le cours du sang veineux, Barry, est allé trop loin en affirmant que l’aspiration se fait sentir dans toute l’étendue du système circulatoire à sang noir.

En mettant à découvert, sur un chien, la veine jugulaire dans une certaine étendue, M. Poiseuille a reconnu que dans l’inspiration, le calibre de cette veine s’effaçait à 4 centimètres environ de la poitrine. Les parois maintenues en contact par la pression atmosphérique pendant l’inspiration, empêchent le sang qui est au delà de pénétrer dans cette cavité. « On voit, dit-il, un phénomène de même genre quand une seringue vide étant adaptée à un tuyau à parois mobiles et plein d’eau, on veut remplir la seringue. Si le tuyau n’est pas susceptible de locomotion dans le sens de sa longueur, ce qui a lieu dans les veines au moment où l’on tire le piston, une petite quantité de liquide entre dans la seringue, et bientôt on ne peut plus mouvoir le piston. Si l’on examine le tuyau, on voit les parois appliquées l’une contre l’autre par la pression atmosphérique, de sorte que cette pression, cause première de l’entrée du liquide dans la seringue, se trouve bientôt changée en un obstacle insurmontable à une nouvelle entrée de liquide. »

Poiseuille a conclu de ses expériences que l’aspiration des parois thoraciques sur le fluide contenu dans les veines ne s’étendait pas au delà de quelques centimètres hors de la poitrine. Nous ne sommes pas de cet avis et nous croyons, comme beaucoup de physiologistes l’ont dit, que cette aspiration s’étend à toute cette partie des grosses veines, dans laquelle se fait sentir le flux et le reflux du sang qui constituent le pouls veineux.

Si nous supposons à présent une veine ouverte dans les limites que nous venons d’admettre, il est évident que l’aspiration exercée par la poitrine et aussi par les cavités droites du cœur agira en même temps sur le sang veineux et sur l’air extérieur, qui se précipitera par la plaie de la veine vers le centre de la circulation. Ce fait d’ailleurs a été démontré devant plusieurs membres de l’Académie de médecine de Paris par Amussat.

Il résulte de ce qui précède que les opérations qui se pratiquent au voisinage du cou, du tronc, à la queue peuvent seuls donner lieu à l’introduction de l’air dans les veines. On comprend que cette introduction sera d’autant plus facile que la veine blessée sera volumineuse, à ouverture plus grande et plus voisine de la poitrine. Les tiraillements exercés sur ces vaisseaux, la tension du cou, les mouvements violents auxquels se livrent les animaux pendant qu’on les opère ; les grands efforts d’inspiration favorisent aussi la production du phénomène. Amussat a prétendu que l’affaiblissement qui suit la perte d’une certaine quantité de sang influe sur la promptitude du résultat, mais cette influence a été contestée par M. Gerdy, qui a fait voir que les résultats varient également, que l’animal ait été ou non préalablement affaibli.

La première chose qui frappe au moment où une veine ouverte donne accès à l’air, c’est d’abord un bruit particulier qui d’abord avait été comparé au sifflement que fait entendre l’air lorsqu’il s’introduit dans le récipient de la machine pneumatique, dans lequel on a fait le vide. Mais ce bruit a été mieux étudié dans les expériences que l’on a faites, et l’on a reconnu qu’il ne présente pas toujours les mêmes caractères : Quelquefois il est sourd, à peine perceptible et il rappelle le lappement du chien ; lorsqu’il est plus intense, il simule le glouglou d’une bouteille qui verse à plein goulot le liquide qu’elle contient. Il est isochrome aux mouvements d’inspiration et quelque peu aussi aux mouvements de dilatation de l’oreillette.

Quelquefois, au moment de la pénétration de l’air, on a vu le malade tomber tout à coup, comme frappé de la foudre, mais il est parfaitement démontré aujourd’hui que les cas de ce genre sont tout-à-fait exceptionnels. Chez les animaux soumis aux expériences, l’introduction d’une assez grande quantité d’air a été nécessaire pour faire naître des symptômes un peu graves et surtout pour produire la mort.

Si l’on applique l’oreille nue ou armée d’un stéthoscope sur la poitrine d’un animal qui a reçu de l’air dans les veines, on entend un bruit de souffle et un gargouillement particulier qui dure tant que le phénomène a lieu et se prolonge encore quelque temps après. Ce bruit résulte sans doute du mélange de l’air avec le sang, ces deux liquides se trouvant battus ensemble dans les cavités du cœur. Dans les premiers moments, la plaie de la veine donne alternativement accès à l’air et sortie à du sang veineux pur, mais lorsque le phénomène dure depuis quelques minutes, on voit s’échapper en bouillant de l’ouverture de la veine un sang écumeux, et qui offre une couleur rouge analogue à celle du sang artériel. C’est encore au mélange de l’air avec le sang et au reflux de ce fluide pendant l’expiration qu’est due la production de cette écume sanguinolente. La formation de cette écume a paru causer une grande amélioration, de sorte que l’occlusion de la veine, loin de produire un effet favorable, est au contraire suivie d’une exacerbation de tous les accidents. La région du cœur donne un son clair à la percussion. On remarque en outre une perturbation extrême dans le rhythme et la fréquence des battements du cœur, les mouvements de cet organe deviennent tumultueux et irréguliers. La respiration est également modifiée ; elle s’accélère considérablement et devient trois ou quatre fois plus fréquente que dans l’état normal. Enfin, lorsque les effets de l’introduction de l’air sont très-prononcés, l’animal paraît en proie à une vive souffrance ; il s’agite, chancelle et tombe ; il y a excrétion involontaire d’urines et de matières fécales, et la mort survient entre quatre ou cinq minutes, et un quart d’heure après avoir été précédé de quelques mouvements convulsifs. Mais pour que ces phénomènes se produisent, il faut que l’ouverture pratiquée à la veine ait d’assez larges dimensions et que ses bords restent écartés. Si quelque mouvement de l’animal ou quelque caillot de sang ont produit l’oblitération, l’entrée de l’air s’arrête et l’animal est peu ou point affecté. Les accidents sont plus prompts et plus violents si l’on tient l’animal dans une position verticale.

Il serait sans doute du plus haut intérêt de connaître le mode d’action de l’air introduit dans les voies circulatoires ; mais on ne possède encore sur ce point que des hypothèses plus ou moins vraisemblables.

Bichat prétendait que l’air mêlé au sang exerçait une influence délétère sur le cerveau dont il enrayait les fonctions ; cette doctrine n’a pas été admise. On ne saurait non plus admettre, avec Nysten, que les cavités droites du cœur soient paralysées par la distension que leur fait subir l’air raréfié qu’elles renferment, car les expériences faites par Barthélemy ont prouvé que le cœur continue à battre jusqu’au dernier moment, et que le sang s’échappe des artères jusqu’à la fin de l’expérience. M. Gerdy soutient que la mort est le résultat de la difficulté qu’éprouve le sang mousseux à traverser les poumons et les autres organes. Cette opinion, bien qu’elle soit encore très-contestable, nous paraît la plus rationnelle. Il résulte, en effet, des expériences de Poiseuille, que quelques bulles de gaz suffisent pour ralentir et même pour suspendre le cours des liquides à travers des tubes d’un très petit diamètre.

Lorsque la mort n’arrive qu’après un certain temps, elle paraît due à la gêne et aux troubles de la circulation. Quelquefois l’animal succombe à une véritable inflammation du poumon, déterminée sans doute par la présence de l’air dans les divisions de l’artère pulmonaire. Nysten a constaté sur des chiens morts dans ces circonstances les lésions de la pneumonie.

À l’autopsie on trouve l’air intimement mêlé au sang dans le système vasculaire à sang noir. Si l’ouverture du cadavre a lieu peu de temps après la mort, l’air et le sang se présentent sous une forme rougeâtre et mousseuse : vingt-quatre heures après, le sang coagulé représente une auréole dans laquelle l’air est infiltré bulle à bulle et d’où il ne peut se dégager que difficilement. On trouve le sang dans cet état, principalement dans la veine ouverte, depuis la blessure jusqu’au cœur, dans les cavités droites de cet organe et dans l’artère pulmonaire. Le cœur volumineux remplit le péricarde et présente une résistance et une sonorité remarquables, dues à la distension des cavités droites par le gaz qu’elles renferment, les cavités gauches étant vides. Quand les animaux ont survécu quelques jours à l’expérience, l’air se trouve en égale quantité dans les artères et dans les veines ; il tend de plus en plus à s’isoler de son mélange avec le sang. On a trouvé aussi dans ce dernier cas, de l’emphysème dans les poumons, le médiastin, à la surface du cerveau et de la moelle épinière, etc.

Pour pouvoir prononcer avec quelque certitude que l’air vient réellement de pénétrer dans une veine ouverte pendant une opération, plusieurs signes doivent se trouver réunis : il faut d’abord que la veine blessée soit assez voisine du cœur et que son calibre soit rendu béant par quelques circonstances spéciales. Il faut ensuite qu’on ait entendu un véritable bruit de lappement ou de glouglou, et que l’auscultation fasse reconnaître dans la poitrine un gargouillement et un bruit de souffle particuliers. Enfin, lorsqu’à ces caractères vient se joindre la sortie du sang écumeux par la plaie de la veine, et à l’autopsie qu’on trouve la présence de la mousse sanguine dans le cœur, on est autorisé à affirmer que la mort a été précédée de l’entrée de l’air dans les veines. Ce dernier caractère s’est en effet présenté d’une manière constante chez les animaux qui ont été sacrifiés. Aussi, sommes-nous portés à regarder comme entachés d’erreur de diagnostic les cas de mort attribués à l’introduction de l’air et dans lesquels l’autopsie n’a pas révélé cette circonstance.

Il faut convenir que le traitement à opposer à cette redoutable complication est bien peu avancé ; les recherches faites à ce sujet n’ont pas toujours conduit à des résultats satisfaisants. Parlons d’abord du traitement prophylactique. Quand on est obligé d’agir sur des régions qui ont le triste privilège d’être le siège du phénomène, il faut se garder autant que possible de donner au malade une position qui favorise l’introduction de l’air dans les veines. On doit donner la plus grande attention au tissu que l’on divise, si l’on prévoit que la section d’une veine est inévitable, on a conseillé d’appliquer une double ligature avant de l’attaquer par l’instrument ; mais ce moyen étant d’une application difficile, quelquefois même impossible, on se contente d’exercer avec les doigts ou à l’aide d’un garrot, si la région le permet, une compression préalable du côté du cœur. Il faut avoir soin de ne pas tirailler la tumeur, afin de ne pas tendre les veines, car cette cause permet aisément la pénétration de l’air. La compression exercée méthodiquement a été conseillée par certains auteurs, tels sont Gerdy, Amussat, Erichson, afin de diminuer l’étendue des inspirations ; mais elle ne saurait avoir une grande efficacité, puisqu’elle n’agit ni sur le diaphragme, ni sur le cœur, dont les mouvements paraissent aussi avoir de l’influence sur la production du phénomène. Dans l’opération du niquetage, M. Lafosse, conseille de toujours appliquer un pansement afin d’éviter l’air de pénétrer dans les veines coccigiennes, qui, vu leur position au milieu des os, ne s’affaissent pas lorsqu’elles sont vides ; par ce moyen cet habile praticien a toujours évité la bronchorrhée asphyxiante, qui est le résultat probable de l’introduction de l’air par les veines coccigiennes.

Lorsque les précautions que nous venons d’indiquer ont été impuissantes pour prévenir l’accident, le moyen qui saute d’abord aux yeux, c’est l’occlusion de la plaie veineuse. Mais ce moyen, mis en usage un grand nombre de fois offre peut-être autant de dangers d’un côté que d’avantages de l’autre ; s’il met un terme à l’introduction de l’air dans le vaisseau blessé, il a l’inconvénient d’empêcher la sortie de celui que les contractions du cœur tendent à repousser au dehors ; en sorte qu’il ne peut réussir, que si au moment de son application, le gaz introduit n’est pas en quantité suffisante pour donner la mort. Nysten et plus tard Amussat, ont préconisé la compression du thorax comme moyen propre à favoriser l’expulsion de l’air. On a espéré parvenir, par ce procédé, à imiter le reflux du sang veineux : mais il ne faut pas croire qu’on puisse réussir à l’aide de cette compression après l’expulsion complète de l’air parvenu dans le cœur droit, attendu que le resserrement de la poitrine dans l’expiration n’exerce qu’une influence très-secondaire sur ce reflux dont le véritable agent est la systole auriculaire. Ce moyen mérite donc peu de confiance. Mais Magendie est allé plus loin ; il a proposé d’introduire par la plaie de la veine, et de pousser jusqu’au cœur, un tuyau élastique armé d’une seringue qui s’y adapte parfaitement et à pomper à l’aide de cet appareil, la masse sanguine qui remplit les cavités droites du cœur. Ce moyen qui parait avoir réussi plusieurs fois dans les expériences qu’on a faites ; mais quoi qu’il en soit, l’emploi de ce moyen ne peut être regardé que comme dangereux.

Il faudrait, en effet, prendre des précautions minutieuses, et que ne comporte pas la rapidité avec laquelle on doit agir, pour que cette opération ne rendit pas l’accès de l’air plus facile. C’est comme on l’a dit une nouvelle porte ouverte à l’ennemi. Ainsi, bien qu’en apparence l’indication de retirer l’air mêlé au sang soit très bien fondée, elle est par le fait même impossible à remplir.

La saignée a fourni d’heureux résultats, elle a mis fin aux désordres qui semblaient tenir à un état de gêne dans la circulation. Si l’on considère en effet, que la cause principale de la mort est l’arrêt de la circulation, par la suspension des fonctions du poumon et du cœur. Elle s’est montrée en effet d’une efficacité réelle dans une multitude de cas et notamment dans les observations de M. Bouley jeune, Lesaint, Riss, Chambert, Reboul, Carrière etc., « Si, au moment où l’animal ne donne plus aucun signe de vie, dit M. H. Bouley rapportant des expériences faites sur des chiens, on fait une ouverture à la veine du côté de ses racines, le sang qui s’en échappe est écumeux et s’écoule de la veine en bruissant ; puis, au bout d’une ou deux minutes, on voit, d’abord à des distances d’abord très éloignées, l’animal, effectuer des inspirations grandes, forcées et comme convulsives ; la gueule s’ouvre largement ; les côtés se soulèvent par un mouvement manqué de torsion, sur elles-mêmes ; puis, peu à peu, et toujours à mesure que le sang s’écoule du vaisseau béant, les mouvements d’inspiration se rapprochent ; puis, enfin, la respiration se précipite dans son rythme normal ; et au bout d’un quart d’heure, si on a eu soin lorsque l’harmonie de la respiration est établie, de fermer le vaisseau pour mettre un obstacle à l’écoulement du sang, l’animal peut se redresser sur ses jambes[2].

Nous avons vu nous-même dans une expérience qui consistait à injecter du jetage provenant d’un animal morveux, dans la jugulaire d’un autre cheval, l’appareil à injection n’étant pas bien appliqué à l’ouverture de la jugulaire, le bruit particulier de gouglou qui caractérise l’introduction de l’air dans les vaisseaux s’est fait entendre, et l’animal a présenté aussitôt les symptômes de ce grave accident : il est tombé et ne donnait plus de signes de vie ; mais ayant réouvert largement la saignée, les phénomènes annoncés par notre honorable inspecteur, M. H. Bouley, se sont produits, l’animal s’est complètement rétabli, et a vécu tout le temps qu’a nécessité l’expérience à laquelle il était destiné.

La saignée est donc le principal et l’unique moyen que l’on a à sa disposition pour le terrible accident dont nous venons de parler.


Des accidents nerveux.


Sous ce titre, on peut comprendre tous les accidents qui ne sont caractérisés par aucune lésion spéciale des tissus. Tels sont les douleurs très aiguës, les convulsions, le froid des extrémités, le vomissement chez les carnivores, et les indigestions, alors qu’on a oublié de tenir les animaux à la diète.

Ce genre d’accidents qui joue un si grand rôle dans l’exercice de la chirurgie humaine, n’a qu’une faible importance en chirurgie vétérinaire, cependant on a vu des animaux mourir de douleur entre les mains du chirurgien lorsque les opérations portent sur des parties sensibles ayant de nombreuses divisions nerveuses, et que ces opérations sont d’une longue durée. C’est ainsi que la douleur a fait périr des animaux que l’on castrait par la chaîne de Chassaignac, et dans les opérations de la hernie étranglée.

La syncope se remarque fréquemment chez les bœufs que l’on abat pour leur pratiquer une opération, et ils périraient infailliblement si on ne les rendait pas à la liberté ; on remarque également très-souvent cet accident sur de jeunes chiens auxquels on pratique l’amputation des oreilles. Chez le bœuf, ces accidents se manifestent quelquefois avant le début de l’opération ; pour peu qu’il montre de la tendance à persister, il est prudent, si l’opération n’est urgente, d’en remettre l’exécution à un moment plus favorable. Si l’opération est commencée, la conduite à tenir dépend de la gravité des accidents. Lorsqu’elle est très avancée il faut se hâter d’en accomplir les dernières parties.


Des accidents qui peuvent survenir après les opérations.


Si par le fait d’accidents imprévus survenant dans le cours des opérations, celles-ci peuvent offrir parfois quelque chose de saisissant et de dramatique qui met l’opérateur et les assistants dans un état d’émotion et d’inquiétude considérable, il est pourtant vrai que, dans l’immense majorité des cas, tout s’accomplit d’une manière satisfaisante et sans qu’aucun des accidents que nous venons d’étudier viennent compliquer l’œuvre du chirurgien. Ces accidents si communs chez les anciens sont donc devenus de nos jours des faits rares, exceptionnels. Une hygiène plus avancée, une thérapeutique mieux étendue ont bien aussi diminué le nombre des accidents consécutifs ; mais ils sont néanmoins beaucoup plus fréquents que les accidents immédiats ; ils sont même la principale et pour ainsi dire l’unique cause d’insuccès dans les opérations. C’est, presque toujours, une inflammation vive et phlegmoneuse, une résorption purulente, des accidents nerveux consécutifs, etc., qui entravent les efforts de la nature, arrêtent le travail de cicatrisation et mettent en danger les jours du malade.

Nous avons dit en commençant qu’il n’est pas toujours facile d’établir des limites précises entre les accidents immédiats et les accidents consécutifs, et nous en avons donné la raison. Remarquons ici que tous les phénomènes qui, à la suite d’une opération, sortent de l’ordre physiologique, ne peuvent, par cela seul, être considérés comme des accidents. Il en est quelques uns qui sont une suite nécessaire de certaines opérations et auxquels on doit toujours s’attendre en pareille circonstance ; tels sont un écoulement d’urine par la plaie quelque temps après l’opération de l’uréthrotomie, le froid, l’engourdissement d’un membre après la ligature de l’artère principale, etc. Il est encore d’autres phénomènes anormaux qui peuvent survenir après les opérations, sans qu’on puisse les regarder comme de véritables accidents consécutifs. Ainsi on opère une hernie inguinale étranglée, l’anse intestinale rentre dans l’abdomen ; mais les symptômes graves qui préexistaient continuent et même le malade peut succomber. On ne pourra pas dire que ces symptômes soient des accidents survenus après l’opération ; tout ce qu’on pourra dire, c’est que l’opération a pû hâter la terminaison fatale.

Les accidents consécutifs menacent l’opéré pendant un temps fort long et qu’il est impossible de déterminer d’une manière générale

Nous allons passer en revue d’une manière générale les principales circonstances qui favorisent le développement des accidents consécutifs. Il existe des nuances infinies dans les opérations comparées entr’elles depuis les plus simples jusqu’aux plus graves, qu’il est impossible de déterminer le degré de gravité réelle de chacune d’elles, puis qu’il peut varier suivant une foule de circonstances. Cependant on peut dire d’une manière générale qu’une opération qui doit durer longtemps, et s’exercer sur les organes doués d’une grande vitalité, et jouant un rôle important dans l’économie est toujours une opération grave. On peut en dire autant de toutes celles qui doivent laisser à leur suite une vaste solution. Avant tout une opération doit être rationnelle ; mais l’expérience a démontré qu’il est bien difficile de fixer les limites du possible en médecine opératoire et de déterminer le point précis où la hardiesse devient de la témérité. On a vu des opérations, qui au premier abord semblaient d’une gravité inouïe avoir un complet succès ; tandis que d’autres qui semblaient peu graves en apparence emportaient les malades dans peu de temps. Souvent les accidents consécutifs ont leur source dans l’oubli de quelques précautions de la part du chirurgien, dans une faute commise en exécutant l’opération ; tel est par exemple le cas de l’ouverture de l’artère suscapulaire dans la ponction d’une tumeur sanguine existant à l’épaule gauche, près de l’articulation scapulo-humérale, à la suite de cette lésion, le sang s’est épanché dans le tissu cellulaire de l’épaule en grande quantité et de là une gangrène consécutive qui a été suivie de la résorption purulente et de la mort. Chez les carnivores une saillie osseuse trop considérable dans les amputations ne permettra pas à la plaie de se cicatriser complètement et d’une manière durable.

On pourrait parcourir ainsi toutes les opérations chirurgicales, on n’en trouverait pas une seule qui ne pût offrir des exemples de ces accidents consécutifs qui reconnaissent pour cause un accident survenu ou une faute commise pendant l’opération.

Les dispositions individuelles des opérés. Quoiqu’il soit impossible d’apprécier au juste l’influence des dispositions et la production d’accidents consécutifs et qu’on ne l’admette ordinairement que par exclusion, il n’en est pas moins incontestable, de deux opérations exécutées de la même manière sur deux individus qu’on aura entourés des mêmes soins et placés autant que possible dans les mêmes conditions, l’une échouera et l’autre réussira parfaitement. Il n’est pas un seul acte chirurgical, quelle que soit sa simplicité, qui obtienne un succès constant ; toujours les revers sont à côté du succès ; ce qu’il y a de remarquable, c’est que pour certaines opérations, ils se présentent sur une vaste échelle bien entendu, dans des rapports qui varient fort peu : ainsi, dans l’opération du javart cartilagineux par extraction on compte sept et demi à huit succès sur dix opérations.

Les grands établissements offrent en général des conditions moins favorables pour les opérés, que les écuries particulières. Quel que soit le zèle du praticien et des personnes chargées du pansage, presque toujours les pansements y sont négligés, la surveillance moins exacte, les règles de la propreté moins rigoureusement observées ; enfin l’air y est moins pur. Ces circonstances peuvent expliquer la prédominance des accidents consécutifs et surtout des complications gangréneuses dans les hôpitaux et ambulances. Renault a constaté 32 cas de gangrène traumatique, suites de saignées et de setons, alors que les hôpitaux de l’école d’Alfort présentaient des conditions hygiéniques défavorables.

On a fait la même remarque en médecine humaine il est surtout deux affections qui sont particulières aux opérés : tels sont l’érysipèle et la pourriture d’hôpital. L’érysipèle à certaines époques vient compliquer toutes les plaies de quelque nature qu’elles soient, ordinairement cette sorte d’accident consécutif n’est pas général ; souvent même il se borne à une salle d’hôpital, comme on a pu l’observer pendant longtemps à l’Hôtel-Dieu de Paris. On a remarqué la même particularité pour la pourriture et la gangrène dans certaines salles de l’hôpital de la Grave, à Toulouse.

L’air atmosphérique peut influer d’une manière fâcheuse sur les suites des opérations, soit par sa composition, soit par sa température, soit par son contact avec les solutions de continuité des tissus. Nul ne doute qu’un air vicié et altéré dans sa composition n’exerce une action funeste sur les constitutions débilitées par la douleur, par des pertes de sang ou une suppuration abondante. L’altération de l’air qui résulte de l’encombrement est regardée comme la principale cause de la diathèse purulente. Certaines directions des vents sont regardées à Toulouse comme causes funestes à toutes les opérations quelque simples qu’elles soient : tels sont les vents du Sud Est, du Sud Ouest. Pendant que règnent ces vents, il se produit des engorgements qui ont une marche très rapide, et une tendance à se terminer par la gangrène. Les suppurations se tarissent, la nature du pus change, de louable qu’il était, il devient séreux, parfois sanieux ; les formes se dépriment et la prostration s’empare vite des malades. Si tout à coup le vent vient à cesser ou à changer de direction les plaies reprennent un bon aspect et marchent d’une manière régulière vers la cicatrisation. Une température trop basse ralentit la marche de la cicatrisation ; trop élevée, elle expose aux accidents nerveux, au tétanos ; ce dernier surtout succède souvent à un abaissement de température, à l’exposition, à un courant d’air. Les cas de tétanos s’observent très souvent après la castration alors que les plaies commencent à se cicatriser et que les animaux sont mis à un courant d’air.

Quant aux effets de l’air sur les plaies, il faut convenir qu’on en a exagéré les inconvénients. Cependant il est certain qu’ils exercent une action irritante, et qu’ils peuvent faire échouer certaines opérations, celles par exemple que l’on pratique par la méthode sous-cutanée. On lui a encore fait jouer un rôle dans l’altération du pus, dans le développement de la fièvre hectique, après l’ouverture des grandes collections purulentes.

Enfin, une dernière circonstance, dont l’influence est plus marquée sur le résultat des opérations, c’est la manière dont sont faits les pansements. Les vices des pansements peuvent faire échouer la plupart des opérations sanglantes ; ainsi par exemples toutes les opérations qui nécessitent l’arrachement de la parois du sabot du cheval ; un pansement trop serré peut occasionner des mortifications des parties sous jacentes et entraîner de graves accidents. Nous pourrions démontrer par une foule d’exemples l’importance extrême d’un pansement bien fait. Nous dirons d’une manière générale, que toutes les parties d’une plaie sont solidaires et doivent marcher ensemble vers le même but ; si tous les points ne se trouvent pas dans les mêmes conditions, la cicatrisation ne peut s’effectuer.

Pour rester fidèle au plan que nous avons adopté dans la première partie de notre travail, nous devrions exposer les caractères généraux des accidents consécutifs et indiquer, d’une manière générale, les moyens curatifs qui leur sont applicables, mais il nous faudrait pour cela établir une classification méthodique de ces accidents, analogue à celle que nous avons donnée à propos des accidents primitifs. Un pareil travail est trop au-dessus de nos forces pour que nous osions l’entreprendre ; et d’ailleurs nous doutons que les accidents consécutifs, plus nombreux et plus variés soient de nature à se prêter à une pareille classification. Ils n’offrent pas, en effet, ces caractères en quelque sorte anatomiques qui ont servi à grouper méthodiquement les premiers. Ici c’est la chute du sabot après l’opération de la névrotomie ; là se sont des abcès qui se forment, ailleurs se sont des hernies, etc. Nous n’essayerons donc pas de comprendre dans des considérations générales, ce qui est relatif à leurs caractères et à leur mode de traitement.

Je me bornerai seulement à signaler que les hernies inguinales, suites de la castration, sont des accidents qui sont presque toujours mortels ; et ont toujours le fâcheux résultat de nuire quelquefois à la réputation du chirurgien, lors même qu’il apporte tous les soins convenables et qu’il procède à l’opération avec toute la dextérité possible. Ces sortes d’accidents une fois produits font des progrès rapides et conduisent promptement à la mort, à moins que l’on ne se hâte de les réduire et d’en prévenir le retour.

Pour confirmer cette remarque il me suffirait d’en appeler à tous les vétérinaires qui, dans leur pratique, ont eu de fréquentes occasions d’exécuter la castration.

Planton.
Toulouse, le 30 juillet, 1865.

  1. Cours de M. Lafosse.
  2. Recueil de Médecine Vétérinaire 1839 t. XVI, P. 540.