Des Crises financières et de l’Organisation du Crédit en France

Des Crises financières et de l’Organisation du Crédit en France
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 686-708).
LES
CRISES FINANCIERES
ET
L'ORGANISATION DU CREDIT EN FRANCE

Compte-rendu des opérations de la Banque de France et de ses succursales, — 1860.

Le retour périodique des crises financières depuis quelques années appelle l’attention sur les causes qui produisent ces grandes perturbations dans l’économie générale des affaires. Les accidens politiques et les appréhensions qu’ils font naître ne paraissent pas suffisans pour expliquer ces troubles profonds, qui apparaissent d’une façon presque normale, ainsi qu’un phénomène naturel.que rien ne saurait conjurer. La politique peut en effet diminuer le travail par les inquiétudes qu’elle occasionne, déprécier les valeurs mobilières, dont les revenus sont atteints par les temps d’arrêt imposés à l’activité publique et par le malaise qui pèse sur tous les esprits ; mais la situation financière de l’état et l’action qu’exerce sur les affaires commerciales et industrielles du pays l’organisation du crédit peuvent déterminer le retour de ces crises redoutables au milieu même du calme le plus complet. De ces deux graves influences, la situation financière de l’état et l’organisation du crédit, c’est la seconde qui réclame surtout notre examen ; la première a été l’objet dans la Revue même d’études trop complètes pour qu’il soit besoin d’y revenir[1]. Il y a au contraire quelque opportunité, en présence du rapport publié par la Banque de France sur ses opérations de 1860 et des difficultés financières toujours renaissantes, à rechercher quels sont les effets généraux produits par la concentration de tous nos moyens de crédit dans une seule institution, devenue en même temps le régulateur et le préservateur des crises. Peut-être ressortira-t-il du contraste d’une concentration si étroitement maintenue et du développement considérable de notre activité industrielle la conclusion que le meilleur moyen d’éviter de nouvelles perturbations financières serait dans une plus large organisation du crédit.


I

La découverte des mines d’or de la Californie et de l’Australie, en jetant dans le monde une quantité formidable de numéraire, a entraîné tous les peuples dans la voie des améliorations matérielles. Cette invasion de l’or avait paru un moment si menaçante que de petits états, comme la Hollande et la Belgique, se hâtèrent de le démonétiser pour éviter une crise dans la valeur des métaux d’échange. Il lui fallait donc offrir un exutoire puissant, si l’on voulait empêcher une révolution très grave dans le prix des choses mobilières et immobilières. C’est ainsi que depuis dix ans on a entrepris et exécuté en France les travaux publics de deux générations ; mais en même temps cette richesse métallique, incessamment accrue, a provoqué la création d’une quantité extraordinaire de valeurs mobilières dont la circulation et le prix étaient maintenus par l’augmentation constante des métaux précieux, auxquels se joignaient les économies qu’avait faites le pays tout entier pendant trente ans de sagesse et de repos. Cependant ces gigantesques entreprises, formées partout à la fois, nous ont peut-être conduits à ce moment critique où il faut se demander si nous n’avons point abusé de nos forces, car il semble qu’il n’y a plus maintenant équilibre entre la somme de nos titres fiduciaires et le capital monnayé resté au service de la circulation, et si l’on n’introduit pas une organisation nouvelle pour régulariser un état de choses nouveau, nous pouvons être condamnés aux inquiétudes financières.

Le succès qu’ont eu les appels faits à l’avidité universelle, sous la forme de ces souscriptions publiques qui procuraient un bénéfice certain à ceux qui y participaient, ont donné l’habitude de penser et de dire que la fortune de la France était inépuisable, et il n’est si grosse aventure que l’on ne soit disposé à lui faire courir sous prétexte de la développer. En y comprenant les emprunts de l’état, des départemens, des communes et des villes, on ne peut cependant estimer à moins d’un milliard par an le chiffre des émissions de titres qui ont eu lieu sur le marché français depuis 1852, tant au compte de la France qu’à celui de l’extérieur. On sait par exemple qu’en 1860, malgré la difficulté des circonstances, il a été émis à la Bourse de Paris 2,178,618 titres, représentant à peu près 800 millions de francs. Or, comme ces émissions donnent en moyenne un emploi de plus d’un milliard par an, et que les économies du pays sont estimées au maximum à 6 ou 700 millions, il en résulte que nous avons été pendant huit ans en déficit de 3 ou 400 millions par an, et que nous avons à solder un arriéré de 2 ou 3 milliards qui ne sont pas encore entièrement payés, et qu’il faut prendre, non plus sur les économies, mais sur le capital du pays. C’est là qu’est la véritable cause de l’encombrement des valeurs fiduciaires qui maintient les crises ; mais outre l’état flottant dans lequel se trouve une partie considérable de la fortune mobilisée du pays, cette situation a encore occasionné dans la vente et l’achat des propriétés immobilières un mouvement inusité qui a augmenté les revenus de l’enregistrement, et cet accroissement extraordinaire dans les recettes du fisc a pu faire croire à une sorte de prospérité, lorsqu’en réalité ce n’était qu’une liquidation que tout le monde était contraint de subir pour satisfaire à des engagemens qui dépassaient les forces de chacun[2].

Les grands travaux publics, les grands établissemens propres à la fabrication des engins pacifiques et belliqueux ont constitué pour la France un impérieux besoin d’associations puissantes qui ont eu pour représentation de leur capital, ces titres mobiliers dont le nombre entrave maintenant la marche des autres élémens du travail. Outre le changement radical que ces associations ont apporté dans l’emploi et la manière d’obtenir des revenus des capitaux, elles ont produit un immense accroissement de la main-d’œuvre. Pour se procurer les ouvriers nécessaires aux grands travaux d’utilité publique, on en a détourné beaucoup de leurs aptitudes naturelles et de la place qu’ils devaient occuper et remplir dans l’équilibre de notre économie générale. Ce déclassement de la main-d’œuvre ne pouvait s’opérer qu’à la condition d’une augmentation de prix. Dès lors les métaux précieux rassemblés par quelques mains pour un but collectif ont dû, en principe, être employés au paiement surélevé de cette main-d’œuvre dont on réclamait de toutes parts le concours. On ne paie les ouvriers qu’avec de l’argent ; il a donc fallu avoir une grande quantité de monnaie métallique affectée au paiement de la main-d’œuvre, et en ne s’inquiétant pas de combler le vide qu’elle laissait dans les fonctions où elle est indispensable, on a détruit au détriment de tous l’harmonie qui doit exister dans la répartition du numéraire.

Il y a quelques années, un honorable président du tribunal de commerce de la Seine disait : « Le capital tend tous les jours à être absorbé par la main-d’œuvre. » Avant que le numéraire dépensé pour satisfaire à l’exécution des grands travaux d’utilité publique reconstitue au moyen de l’épargne un capital de placement, il se passe en effet un temps assez long pendant lequel l’émission et la circulation des valeurs sont privées de ce mode indispensable d’échange. Ce phénomène économique doit encore s’ajouter aux causes qui troublent la situation financière, et il faut d’autant plus y prendre garde que l’opinion publique s’accoutume à voir dans l’activité des travaux publics la source de toutes les prospérités[3].

Les chemins de fer, en provoquant la création de la plus grande somme de valeurs mobilières qui ait jamais existé, ont été la cause première de cette grande faveur dont jouissent les travaux publics et des excès où le pays tout entier s’est laissé entraîner. Partout en effet, où ils ont été entrepris ils ont élevé la valeur des choses, le prix du sol, et, par la concentration sur certains points d’une masse énorme d’ouvriers, le prix des objets de consommation que fournit l’agriculture. On a donc pu croire qu’ils étaient un germe absolu de prospérité, tandis qu’ils ne faisaient en réalité que donner à la richesse du pays une valeur qu’elle n’avait pas et aux élémens de sa production des débouchés qui auraient sans doute concouru au bien-être général, si en même temps la concurrence que se faisaient entre eux les consommateurs agglomérés n’avait détruit le bienfait de la circulation plus facile et plus économique des denrées alimentaires, en établissant l’égalité du prix de ces denrées sur tous les points du territoire. Cependant, comme les voies ferrées donnaient à une grande quantité d’industries une activité inconnue, et qu’elles en faisaient naître de nouvelles, on a pu ne pas s’inquiéter des effets qu’en ressentait l’économie générale du pays. Lorsqu’on a vu la propriété territoriale d’un département qui, par exemple, représentait une valeur de deux milliards s’augmenter tout à coup de 500 millions par la construction d’un chemin de fer, il a été bien permis de dire que cet agent de circulation accroissait la fortune de cette contrée. En réalité, le pays augmentait de valeur sur certains points favorisés par cette amélioration, mais cette plus-value ne donnait à la masse de la nation ni un nouveau moyen pour changer ou améliorer les conditions de son existence matérielle, ni une nouvelle organisation pour utiliser l’universalité de ses forces. C’est l’histoire d’un homme qui achète pour 250,000 francs, dans une circonstance favorable, un immeuble qu’il revend 1,500,000 francs ; cet homme gagne 1,250,000 francs ; mais le public, les locataires sont obligés d’augmenter leurs revenus et leurs moyens de produite pour servir à cet acquéreur d’un immeuble dont la valeur est quintuplée des intérêts proportionnels, l’élévation de ce prix : c’est cette tâche que les chemins de fer n’ont pu accomplir. Ils ont pu donner satisfaction à une grande quantité d’intérêts, ils n’ont pas créé l’abondance, ils n’ont pas accru le bien-être général, car ce bien-être ne se reconnaît que dans de plus grandes facilités données au travail dans toutes les branches et dans une plus grande aisance apportée parmi ceux qui vivent de peu. Au contraire, l’augmentation de valeur que les voies ferrées ont procurée au pays a nécessité de plus grands efforts individuels pour obtenir un revenu qui justifiât cet accroissement de capital. Puis, lorsqu’il a été bien évident pour tout le monde et pour le gouvernement lui-même que les travaux publics, qui ne sont ordinairement que les auxiliaires de la prospérité agricole, commerciale et industrielle, étaient devenus la source de toutes les prospérités, on a vu les départemens, les communes et les villes entrer simultanément et avec furie dans la voie de ces travaux, dits d’utilité générale, et les emprunts départementaux, communaux et urbains faire appel à leur tour aux capitaux et accroître la quantité des valeurs fiduciaires qui absorbaient au fur et à mesure qu’elles se formaient les petites épargnes, employées autrefois à créer ou à développer l’industrie des particuliers.

Dès que l’état s’aperçut du danger qu’on courait à laisser se prolonger un pareil abus des ressources du pays, il se hâta de prendre des mesures restrictives contre la Bourse et le marché libre, agens de l’émission incessante et de la négociation de cette prodigieuse quantité de titres mobiliers éclos au milieu d’une effervescence que rien ne pouvait calmer. Qu’ont produit ces mesures restrictives ? En détruisant le marché libre qui servait aux transactions d’une multitude de valeurs que cette disparition a rendues désormais irréalisables ou a données en proie aux usuriers, en imposant des règlemens à la Bourse, dont les franchises auraient dû être étendues en raison du besoin tous les jours plus impérieux qu’on avait de son intermédiaire, en se servant à cet effet de lois caduques et inapplicables à la situation nouvelle des affaires, on a porté un grand trouble dans les fortunes sans atteindre au but que l’on poursuivait. La loi sur les commandites, qui rend désormais impossible la formation de sociétés sous cette forme, les droits imposés sur les valeurs mobilières témoignent d’une sollicitude de préservation et de précautions tout à fait opposée à l’expansion indéfinie que l’on voulait donner à l’esprit d’association ; mais toutes ces mesures, qui, si elles étaient justifiées, étaient néanmoins tardives, ne pouvaient empêcher les effets de l’exportation de l’argent dans l’Inde et dans la Chine, ne pouvaient pas lui faire repasser la frontière et nous le ramener de la Belgique et de la Hollande, où il avait servi à combler le déficit occasionné par la démonétisation de l’or.

Les mesures restrictives ont donc créé des embarras nouveaux sans obvier à aucun de ceux qu’elles devaient prévenir. Il ne faut pas se dissimuler cependant que le régime économique qui existe en France depuis dix ans a changé complètement les habitudes du pays quant à l’emploi de ses économies. La diffusion de la rente, les spéculations et le placement sur les valeurs mobilières ont donné aux épargnes une direction dont il est d’autant plus difficile de les détourner qu’un tel emploi ne demande aux détenteurs aucun effort ni aucune sollicitude. Les emprunts de l’état, des villes, des départemens, des communes, des grandes sociétés anonymes, donnent des revenus qui offrent des garanties surabondantes. On peut dire sans témérité qu’il n’est plus besoin du travail individuel pour faire prospérer son argent. Les êtres collectifs, état, villes, départemens, sociétés anonymes, absorbent toutes les économies du pays, et quand l’individu a besoin de capitaux sur un marché où des preneurs aussi sérieux, aussi responsables, se font une concurrence acharnée pour les obtenir, l’individu ne peut rien trouver, et les droits privés sont ainsi sacrifiés aux accaparemens collectifs. En d’autres termes, la collectivité absorbe sans cesse ce que l’individu recueille ; d’un tel régime à l’idée socialiste de la possession et de l’administration de toutes choses par l’état, le département et la commune, il n’y a peut-être pas très loin. Cependant la prospérité d’un pays se compose du faisceau formé par toutes les prospérités individuelles, et, si le capital vient à manquer à l’individu, que deviendront les êtres collectifs qui vivent de sa prospérité ?

Il est incontestable que les agens individuels de la prospérité du pays ont besoin d’être alimentés par le développement de tout ce qu’ils peuvent produire : les villes que l’on démolit réclameront un plus grand revenu lorsqu’elles seront reconstruites ; l’état, qui voit tous les jours accroître ses charges et les intérêts de sa dette, aura besoin de trouver dans les efforts du pays tout entier, pris dans la personne de tous les êtres virils et actifs qui le composent, de plus grandes et de plus sûres ressources. Comment ce résultat pourra-t-il être atteint ? Sera-ce, en ce qui concerne l’état, par un remaniement de l’impôt, impôt sur le revenu, impôt progressif, augmentation de droits à percevoir sur les successions ? Ces idées que l’on sème ne seraient-elles point la preuve du besoin extrême que nous avons d’augmenter nos moyens de produire et de tirer parti de toutes nos forces matérielles et intellectuelles ? — Or, si les êtres collectifs et anonymes, si les grosses entreprises, si les emprunts continuent à absorber toutes les épargnes du pays, si les individus restent sans ressources, si tout se concentre sur une seule branche de travail, si le ralentissement des productions individuelles vient à diminuer le revenu des impôts, des octrois, des entreprises de transport qui sont les instrumens de notre activité industrielle, commerciale et agricole, où arrivera-t-on ? On cherche les causes des crises financières et on les met presque toujours au compte de la politique ; ne voit-on pas dans les faits que nous venons d’exposer des causes permanentes de désordre dans le crédit ?

Ce n’est pas tout. L’abus qu’on a fait de la création ininterrompue des valeurs mobilières a eu encore d’autres conséquences. Les grands travaux publics, en concentrant, dans les villes les plus importantes une foule d’ouvriers, en réclamant par conséquent une quantité plus considérable de denrées de consommation, ont augmenté le prix de ces denrées, qui se sont raréfiées aux lieux mêmes de leur production, ce qui a établi, ainsi que nous l’avons dit plus haut, par toute la France, l’égalité dans l’élévation de la valeur de tout ce qui sert à la nourriture des hommes ; mais on n’a pas en même temps créé de nouveaux moyens de produire, et il n’y a que les salaires, lesquels sont le résultat des travaux exceptionnels que l’on a entrepris, qui se soient accrus en proportion du prix de tous les objets de consommation. Cependant l’on en est arrivé à conclure de cette augmentation du prix des salaires et du renchérissement de toutes choses que le numéraire avait diminué de valeur. En même temps, par une contradiction étrange, le besoin incessant qu’on a de ce numéraire a fait élever le loyer de l’argent à un taux qu’il n’avait jamais atteint.

La capitalisation des revenus mobiliers tend à s’accroître tous les jours. Déjà le revenu des actions de chemins de fer est capitalisé entre 7 et 71/2 pour 100, les obligations des compagnies à 6 pour 100, la rente de l’état aux environs de 5 pour 100. Le capital industriel suit la même progression, et les chances aléatoires des entreprises commerciales et industrielles doivent s’accroître en proportion de l’élévation des revenus fixes, pendant que la concurrence et le besoin universel de travail diminuent les chances de succès. Le capital, réclamé de toutes parts, ne se donne pourtant qu’au plus offrant et dernier enchérisseur, et les valeurs qui le représentent, ne pouvant librement circuler par suite des restrictions apportées aux transactions et à une bonne répartition du numéraire, dépérissent ou s’immobilisent entre les mains du détenteur.

On a vu plus haut que la France avait été entraînée dans des engagemens qui n’étaient pas en rapport avec ses forces, et que les émissions de valeurs fiduciaires de toute nature ont dépassé de 3 ou 400 millions par an le chiffre de ses économies. Le pays a donc à liquider cette situation avant de rentrer dans une position normale ; mais, au lieu de lui laisser le temps de mettre ordre à ses affaires, les compagnies de chemins de fer vont lui réclamer encore 250 ou 300 millions par an, sans compter les appels qui lui seront faits par toutes les administrations municipales de la France, et les sommes que le public français doit fournir dans les entreprises étrangères en cours d’exécution, chemins russes, espagnols, portugais, italiens, etc. Il nous paraît évident que tant que l’on restera dans cette situation, il y aura un trouble permanent dans notre économie financière. Néanmoins il faut marcher. Les grands travaux d’utilité publique ne peuvent pas s’arrêter, les entreprises urbaines surtout doivent suivre leur cours, car si elles venaient à chômer, que ferait-on de cette main-d’œuvre déclassée, déshabituée des champs et des petites villes, accoutumée à une rémunération qui s’accroît sans cesse et a fait naître une multitude de besoins, de dépenses auxquelles on serait obligé de pourvoir ? Quelles sont les industries, les exploitations privées qui pourraient remplacer le luxe de travail des villes et la nature de ce travail[4] ?

Où donc est le remède à cette situation ? Quand un homme aux prises avec les difficultés des affaires s’aperçoit qu’il a été plus loin que la prudence ne le comportait, il s’ingénie à trouver dans le capital représenté par son intelligence et la bonne gestion de son industrie des ressources pour ainsi dire transitoires, qui l’aident à surmonter les obstacles. Ces ressources, il les rencontre dans la confiance qu’il inspire, dans le crédit qu’on lui accorde, c’est-à-dire dans le temps qu’il obtient pour atermoyer ses engagemens. Le pays doit agir de même ; mais à la différence des efforts privés qui ne peuvent être que des expédiens transitoires, il peut et doit saisir l’occasion qui lui est offerte de mettre ses institutions en harmonie avec les besoins permanens qui sont devenus l’essence même de son bien-être. Or, puisque les troubles apportés dans la répartition de notre richesse monétaire et la concurrence que se font entre eux les êtres collectifs pour l’accaparer au détriment des individus doivent être comptés parmi les grands maux de cette situation, puisque les engagemens pris par le public sont supérieurs aux ressources dont il dispose, il semble démontré que la conséquence à tirer de tous ces faits, c’est qu’il faut augmenter les signes de la circulation monétaire et fournir aux individus de nouvelles ressources pour produire. Sans doute ceux qui prétendent que la fortune de la France est inépuisable répondront à ceci que toute modification à ce qui existe est inutile, et que la circulation du signe monétaire, qui varie entre 700 et 800 millions, suffit parfaitement aux besoins de notre commerce et de notre industrie, aux transactions d’un capital de plus de 20 milliards de valeurs mobilières. Pourquoi alors ces brusques variations dans le taux de l’escompte de la Banque de France ? Ne sont-elles pas provoquées par l’inégale répartition des capitaux monnayés, nous répétons le mot, et par les restrictions apportées dans l’émission du signe monétaire appelé à les remplacer ? Et si on n’avait pas d’autant plus besoin de la monnaie et du billet de banque que la somme qu’ils représentent n’est pas en proportion des services qu’ils sont destinés à rendre, pourquoi une diminution d’une centaine de millions dans cette circulation paralyserait-elle toutes les affaires ? N’est-ce pas parce qu’elle est insuffisante ?

La centralisation dans une seule caisse des dépôts en numéraire empêche l’élévation du chiffre de ces dépôts, car il n’est pas permis de croire qu’il n’existe pas en France une quantité d’or ou d’argent supérieure à celle que possède habituellement la Banque. Personne ne contestera que notre pays possède toujours en numéraire une somme supérieure aux 4 ou 500 millions qui composent ordinairement l’encaisse de la Banque de France. Cependant cet encaisse de 4 ou 500 millions est le thermomètre du loyer de l’argent, et suivant qu’il augmente ou diminue, la marche régulière des affaires est troublée. Est-ce là une situation qui doive se perpétuer et devenir normale ? Une organisation de crédit qui a de pareils résultats est-elle parfaite ? Ces 4 ou 500 millions de numéraire représentés par 7 ou 800 millions de billets n’ont-ils pas une mission impossible à remplir, puisque seuls ils sont obligés de suffire à toute la circulation des valeurs commerciales, industrielles et, financières de la France ?

Tout a été changé depuis dix ans dans la constitution et les élémens de la fortune publique, et les agens de cette fortune non-seulement ne sont pas devenus plus nombreux, non-seulement n’ont pas été organisés pour cette situation nouvelle, mais ils ont disséminé leur action et leurs forces dans tous les sens, en vue d’obtenir des résultats et de donner des satisfactions pour lesquelles ils n’avaient pas été créés. Je veux dire entre autres choses que la circulation de 7 ou 800 millions de signes monétaires dont nous jouissons a été employée, pour la plus grande partie à venir, en aide à l’état, aux détenteurs de rentes et de valeurs financières, et qu’il n’est resté à la disposition du commerce et de l’industrie, c’est-à-dire des travailleurs, qu’on nous permette le mot, que 3 ou 400 millions, somme tout à fait inférieure à leurs besoins, et qui va le devenir bien davantage par suite de la situation de lutte où les place la réforme douanière vis-à-vis de rivaux dès longtemps en possession du nerf de la guerre. Les établissemens formés pour combler cette lacune, n’étant pas des instrumens de crédit, ne pouvant pas augmenter le capital flottant du pays, sont incapables de remédier à cet état de choses et de combler le déficit produit par toutes les causes que nous avons énoncées.

Ces établissemens de crédit, les modifications et les extensions qui leur ont été accordées ont donné satisfaction à des idées qui en provoquaient depuis longtemps l’avènement, mais la base sur laquelle repose tout cet édifice assez hétérogène ne s’est pas élargie proportionnellement à ce qu’elle est obligée de supporter. L’augmentation du capital de la Banque de France, autour de laquelle pivotent toutes ces institutions, n’a pas pourvu à l’organisation véritable du crédit, car la Banque supporte tout le poids des innovations qui ont été faites, et elle ne peut étendre sa circulation de billets au-delà d’une certaine limite. En créant le crédit mobilier, le crédit foncier et ses embranchemens, la société commerciale et industrielle, en étendant les attributions du comptoir d’escompte de Paris, on a fait naître simplement de nouveaux élémens de clientèle et de nouveaux cliens à la Banque de France au détriment des anciens[5]. Cette surabondance de clientèle est un des grands embarras de la Banque, et elle doit passer son temps non pas, comme c’est l’ordinaire, à rechercher les occasions de faire des affaires pour donner de beaux dividendes, mais à se défendre contre les sollicitations qui lui viennent de toutes parts. Aussi la voyons-nous, à la première émotion qui se manifeste dans le monde commercial, à la moindre atteinte portée à sa réserve métallique, restreindre toutes ses opérations.

Cette réserve métallique est devenue le point de mire de tous ceux qui s’occupent du commerce des métaux d’échange tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; elle est le côté sans cesse vulnérable de notre prospérité financière, car il est permis de dire sans exagération qu’exposée sans cesse aux coups, elle est constamment à la merci de quatre ou cinq mains puissantes et des spéculateurs d’argent[6]. Cette réserve métallique, qui est l’origine de toutes nos alarmes, joue dans notre économie générale un rôle d’autant plus redoutable que rien ne peut la défendre contre les atteintes qui lui sont portées. Et cependant son influence n’est pas légitime, le rôle même qu’elle remplit est faux. Si le gouvernement constituait demain une réserve de grains qui devint, par ses variations, le régulateur du prix du blé, comme la réserve métallique de la Banque est le régulateur du prix du numéraire, croit-on que la spéculation ne pourrait pas à chaque instant faire artificiellement varier la taxe du pain ? Et si l’on accorde que ce privilège d’un magasinage qui ne représenterait en réalité qu’une minime partie des céréales contenues dans les greniers particuliers serait un véritable danger public, pourquoi ne remarque-t-on pas qu’au point de vue du numéraire ce danger est permanent avec la constitution de la Banque de France[7] ? N’a-t-on pas vu en effet, il y a trois ans, par suite de la diminution de cette réserve fatidique, l’escompte de la Banque s’élever au taux inconnu de 10 pour 100 et retomber trois mois après à 3 pour 100 ? Il n’y avait donc pas de vérité dans la panique qui avait provoqué une si extraordinaire manifestation de crainte, mais elle a révélé les dangers que présente la centralisation du crédit. C’était sous l’émotion d’une crise parisienne et de la Bourse de Paris que ces brusques mesures de préservation avaient été prises ; le reste de la France, qui en ressentait le funeste contre-coup, ne les avait en rien provoquées, car aucun sinistre commercial ou industriel ne vint heureusement les justifier. Que conclure de cette histoire d’hier ? C’est que le privilège exclusif de la Banque de France n’est plus en rapport ni avec la situation, ni avec les besoins du pays.

S’il fallait de cette vérité une preuve plus récente, les dernières déterminations prises par cette institution pour amortir le contrecoup de la crise anglaise et américaine ne démontrent-elles pas qu’elle est dans une situation fausse, et qu’il faut, dans son propre intérêt, qu’elle soit désormais préservée autrement que par les restrictions qu’elle apporte à son œuvre ? Les circonstances ont changé sa mission ; on a créé entre la France et les autres pays, par cette concentration de nos ressources en une seule main, une solidarité qui réjouit certains économistes, mais qui en réalité n’a pas sa raison d’être. Nous tendons à devenir, mais nous ne sommes pas encore un pays de grand commerce. La meilleure preuve que nous puissions en donner, c’est que nous exportons peu de numéraire. Notre fortune monétaire s’est accrue de près d’un milliard huit cent millions d’or depuis dix ans ; mais cette exubérance de richesse en métaux précieux a été et est journellement absorbée, ainsi que nous l’avons déjà dit, par les immenses travaux que nous avons entrepris. Si nous souffrons des crises monétaires, c’est que le métal monnayé n’a pas de concurrens dans les emplois nombreux où il nous est nécessaire ; son importance lui vient de l’effervescence de nos transformations matérielles à l’intérieur et pas du tout des besoins de notre commerce, qui, par suite de la constitution et du fonctionnement même de la Banque, est obligé de s’accoutumer tous les jours de plus en plus à ne pas compter sur son aide. Cependant notre organisation de crédit nous expose sans raison, sans profit et sans but, à partager les désastres des contrées essentiellement commerçantes. Ainsi je crois pouvoir dire par exemple que la question du coton, née des dissensions intestines des États-Unis, n’est pas une question de premier ordre pour la France comme elle l’est pour l’Angleterre[8]. Il n’en est pas moins vrai que la force des choses nous fait vivement souffrir des embarras industriels et commerciaux de cette grande usine, de cette grande maison de commerce qu’on appelle l’Angleterre. Est-ce là un progrès ? Ne serait-ce pas plutôt un mauvais système ? Dans la crise présente, l’Angleterre achetant par an de 2,500,000 à 2,600,000 balles de coton aux États-Unis et étant presque constamment leur débitrice, il est arrivé que, le crédit s’ébranlant dans le Nouveau-Monde, les banques de l’Union se sont hâtées de pourvoir à l’approvisionnement de leur réserve métallique, et ont fait, par tous les moyens en leur pouvoir, puiser dans les caisses de la Banque d’Angleterre, qui représentent presque tout le numéraire existant dans un pays où les habitudes et la pratique des affaires ont si bien appris depuis longtemps à n’en presque pas faire usage. Mais, comme la Banque d’Angleterre a d’autant plus besoin de l’or déposé dans ses caves qu’il n’en existe pour ainsi dire pas ailleurs dans les trois royaumes, aussitôt que les banques américaines ont menacé de lui enlever ses précieux trésors, elle s’est mise en état de défense pour en empêcher l’exportation et a élevé le taux de son escompte. Alors les intermédiaires, les banquiers, au moyen de combinaisons dont ils ont l’habitude entre eux, sont parvenus jusqu’à la Banque de France et lui ont enlevé à leur tour, pour le revendre à haut prix aux Anglais et aux Américains, le métal monnayé nécessaire au commerce et à l’industrie française, qui ne savent ou ne peuvent pas le remplacer par les pratiques habituelles aux contrées essentiellement commerçantes. C’est là l’explication du trouble qui règne en ce moment même dans nos affaires, c’est ainsi que nous sommes atteints par des événemens extérieurs et que la prospérité de la France est liée par la centralisation de ses moyens de crédit à la fortune de contrées qui ont des élémens de production et de travail absolument différens de ceux qu’elle possède.

Obligée de suffire aux besoins généraux de toute la France, au mouvement de ses importations et de ses exportations, à toutes les éventualités de nos relations internationales, à toutes les fluctuations du commerce des métaux monnayés, étant par la force des choses une institution qui nulle part n’a d’égalé dans les fonctions qu’elle remplit, la Banque de France ne rencontre et ne peut rencontrer autour d’elle aucune aide dans les temps difficiles, et ne peut pas en donner aux autres. Devenue le générateur du mouvement financier de toute la France, il faut qu’elle songe avant tout à sa sécurité et à sa conservation propre : la prudence la plus scrupuleuse lui est commandée au nom de l’universalité des intérêts, et on ne peut que louer cet établissement de la façon modérée avec laquelle il préserve sa lourde responsabilité ; mais, si on ne doit pas blâmer les actes qui lui sont inspirés par sa position, il faut bien dire que les services que rend la Banque ne sont plus en rapport avec le privilège qu’elle possède et la mission qui lui est dévolue. Cette mission redoutable, cette mission politique que remplit la Banque de France est aux affaires nationales ce que sont la conduite et l’action du gouvernement lui-même ; mais, si la conduite et l’action du gouvernement à l’extérieur inquiètent ou rassurent le pays, du moins son administration intérieure, son administration départementale et communale, qui lui donne la sécurité de l’ordre et l’application des lois, n’est jamais troublée. Serait-il téméraire de conclure du spectacle offert par le fonctionnement régulier de notre administration intérieure que, si on procédait par des moyens semblables dans l’ordre économique, on aurait réalisé un très grand et très heureux progrès ? Et si on m’accorde que la concentration en un seul établissement de tous nos moyens de crédit est préjudiciable au bien général et doit être regardée comme une des principales causes des perturbations financières, ne pourrais-je pas ajouter que le pays trouverait dans une organisation de crédit intérieure, si je peux m’exprimer ainsi, la certitude que le paisible et régulier mouvement de sa fortune et de son activité ne subira pas constamment les secousses auxquelles l’exposent les destinées internationales d’une institution unique forcée de distribuer ses ressources à une infinité de besoins publics ?

Le seul avantage que l’on fasse valoir en faveur de la Banque de France, avantage que nous achetons vraiment trop cher, c’est l’unité, l’uniformité du signe monétaire. Ce bienfait serait-il détruit si on organisait d’autres banques ? A-t-on déjà oublié qu’il y avait avant 1848 neuf banques indépendantes qui émettaient des billets et jouissaient d’un immense crédit[9] ? L’initiative d’une pareille réforme ne semble pas malheureusement pouvoir partir de ceux mêmes qui seraient en position de la provoquer, et quant au public, son influence né se fait pas assez sentir jusqu’à présent dans la question. Nous avons en France la plus grande répugnance à toucher à ce qui existe, et nous préférons peut-être une facile inertie à la lutte, lors même qu’en la provoquant elle éviterait des dangers. La voix et les vœux du pays n’aiment pas à se faire entendre dans ces matières d’où la passion est absente, et la coutume que nous avions autrefois d’introduire cet élément de la passion en toutes choses nous a fait enlever, comme à des enfans qui auraient abusé de leur émancipation, le droit d’intervenir, au moyen de notre représentation nationale, dans l’étude et la discussion de tous les progrès qu’il s’agit encore d’accomplir. Le gouvernement prend donc seul le soin, au milieu de notre apathie, d’apporter proprio motu des changemens dans l’état des choses. Aussi a-t-on vu les mesures les plus graves en matière de finances et les expédiens les plus imprévus se produire sans que personne s’en fût occupé en dehors de l’administration gouvernementale qui les avait élaborés[10]. Ne pourrait-on pas trouver dans cette façon d’agir le germe d’une certaine inquiétude pour les opinions qui aiment la tranquillité et le statu quo, et ce germe ne se joindrait-il pas aux autres causes qui nourrissent d’une façon latente, pour ainsi parler, les élémens des crises financières ?

Les décrets du 24 novembre amèneront-ils une plus grande participation des représentans du pays dans les questions de finances ? On est en droit de l’espérer. La discussion du budget, les projets de loi pour la concession de nouvelles lignes de chemins de fer fourniront une occasion naturelle de traiter tous les problèmes qui sont posés, d’un côté par les besoins impérieux de travail et d’améliorations qu’a le pays, d’un autre côté par les embarras qu’entraîne la pénurie de nos ressources et de nos moyens d’agir. Quelle serait donc la base de la réforme qu’on pourrait accomplir ? quelles en seraient les conséquences ?


II

En nous ramenant à la situation qui a précédé la révolution de février, c’est-à-dire en reconstituant les banques départementales que le gouvernement de cette époque avait annexées à la Banque de France pour établir le cours forcé de ses billets[11], on n’aurait pas à notre avis réalisé un progrès suffisant. Ces banques, qui avaient un capital très faible, puisqu’il ne s’élevait en totalité qu’à 23,350,000fr., devraient maintenant fonctionner avec un capital beaucoup plus élevé, par suite de la quantité considérable de valeurs qui ont été créées depuis qu’elles n’existent plus et des nécessités de travail qui se sont révélées dans toutes les parties de la France. Elles auraient aussi à pourvoir à des besoins nouveaux et à intervenir, comme à l’origine de leur établissement, dans la création d’associations particulières aux départemens où elles agiraient. Dans leur courte carrière, les banques provinciales d’avant 1848 avaient aidé, par leur coopération et par les groupes qu’elles avaient formés autour d’elles, presque toutes les grandes entreprises locales, en favorisant la mobilisation de leurs titres et faisant sur ces valeurs des avances comme la Banque de France en fait actuellement sur la rente et sur les actions et obligations des chemins de fer et du crédit foncier. De ce chef seul, leur réorganisation mettrait immédiatement à la disposition du commerce et de l’industrie une somme d’au moins 5 ou 600 millions, représentés par plus d’un milliard de titres d’emprunts départementaux, communaux, municipaux, d’actions de mines, ponts, gaz, etc., qui existent en province et dont il est actuellement impossible de tirer aucune ressource. Cet avantage n’est pas à dédaigner[12], puisque nous avons démontré que le capital flottant du pays n’est pas suffisant ; mais les nouvelles banques auraient encore d’autres effets. On doit se rappeler qu’avant 1848 ces banques fixaient leur escompte suivant la situation financière des villes où elles fonctionnaient, et que par exemple celles de Lyon et de Marseille, en le maintenant pendant une période de dix ans à une moyenne de 2 1/2 à 3 pour 100, avaient néanmoins vu leurs actions tripler de valeur. Elles se trouvaient vis-à-vis de la Banque de France dans la position où se trouve maintenant la Banque de Belgique vis-à-vis des places de Londres et de Paris. La Banque de Belgique offre en ce moment un singulier spectacle : elle abaisse à 4 pour 100, pour les valeurs acceptées, et à 4 1/2 pour 100, pour les valeurs non acceptées, le taux de l’escompte, pendant qu’il est en France et en Angleterre de 7 et 8 pour 100. Ce fait n’est-il pas instructif, et les banques départementales ne pourraient-elles pas avoir un rôle analogue à celui que joue la Banque de Belgique entre ses deux puissantes voisines ? Il est certain que l’uniformité dans le taux de l’intérêt que le privilège exclusif de la Banque de France entraîne après lui est un des plus puissans obstacles à la libre répartition du capital ; mais si l’on reconstituait des banques départementales, elles auraient des encaisses métalliques indépendans qui ne laisseraient plus la France livrée aux oscillations de la seule réserve officielle de numéraire qu’elle possède. L’émission d’une plus grande quantité de billets de banque rendrait disponible une partie du numéraire qui sert maintenant presque exclusivement aux échanges. Ces dépôts d’or ou d’argent ne pourraient pas être atteints par la solidarité qui existe entre les grands établissemens qui siègent dans les capitales, car les besoins auxquels les banques départementales auraient à pourvoir seraient limités et concentrés dans la région même où elles seraient établies. Bien loin de nuire à la Banque centrale, elles pourraient au contraire remplir auprès d’elle un office analogue à celui que les receveurs-généraux remplissent auprès du trésor. Dans cet ordre d’idées, elles devraient être indépendantes les unes des autres, mais toutes concourir, dans les momens de crise, au maintien de l’équilibre dans le loyer des capitaux et la circulation des valeurs fiduciaires, dont il est indispensable dans ces occurrences de faire des ressources sans en avilir le prix par des ventes forcées.

Que l’on veuille bien réfléchir à ce que serait notre situation financière, si les banques départementales existaient encore, avaient augmenté leur capital dans la proportion du double ou du triple, et si l’on avait donné à toutes les villes qui l’ont réclamé inutilement le privilège d’en établir, de telle façon qu’il y eût maintenant en France trente ou quarante banques ! — Nous aurions une réserve métallique du double, et presque toutes les grandes villes auraient vu éclore dans leur sein des sociétés qui auraient augmenté la production du pays, et qui n’ont pu se former parce que la centralisation du crédit a en même temps réuni toutes les affaires dans les mains des financiers et de la Bourse de Paris. En proposant de rétablir et d’étendre les banques départementales, nous voulons donc surtout pousser à réclamer, pour sortir du régime périlleux où nous sommes, une décentralisation du crédit, parce que nous sommes profondément convaincu que cette décentralisation est le seul moyen efficace à employer pour rétablir l’ordre et la régularité dans nos affaires financières.

En matière économique comme dans l’ordre physique, ce n’est qu’avec plusieurs points d’appui qu’on obtient un équilibre de quelque durée. La Banque de France est aujourd’hui dans une telle situation que son isolement, au lieu de la consolider, l’ébranlé, et qu’étant sans cesse préoccupée de veiller au bien-être de son existence, les précautions qu’elle est constamment sur le point de prendre pour se protéger elle-même sont devenues des causes permanentes d’appréhensions. C’est dans la multiplicité, nous ne disons pas la liberté des banques, que se trouvent-les élémens d’une sérieuse réforme financière. « Tout se fait et doit se faire par une sorte de transaction dans les nouveautés politiques, » a dit Joubert. Des banques départementales, par leurs émissions, non-seulement combleraient les vides laissés par l’abstention des détenteurs de capitaux, mais elles aideraient encore à remplir les lourds engagemens que nous avons contractés, et prémuniraient le pays contre cet engorgement périodique des valeurs mobilières, qui est, nous l’avons dit, la source principale de nos embarras. Cependant cet encombrement des valeurs publiques ne peut que s’accroître, car nous sommes contraints d’en créer tous les jours de nouvelles. Leur libre et facile circulation va devenir, nous croyons l’avoir fait comprendre, une des plus grosses questions de notre économie intérieure. Déjà nous avons vu la Banque de France, en venant plusieurs fois au secours des compagnies de chemins de fer pour le placement de leurs obligations, être entraînée à prêter son patronage et son concours à la diffusion de cette sorte de titres mobiliers, et dénaturer ainsi complètement sa mission de banque industrielle et commerciale. Il n’est pas douteux que toutes les forces de cette institution auront désormais une destination autre que celle que l’opinion générale leur donne ; mais la place qu’occupait la Banque de France comme banque d’escompte au service presque exclusif du commerce et de l’industrie, cette place ne peut pas rester plus longtemps vide sans qu’il en résulte un dépérissement dans l’exploitation ou l’accroissement de notre richesse et dans le chiffre des bénéfices annuels qui augmentent notre fortune. Or on a vu que ces bénéfices n’avaient pas suffi à tous les engagemens pris depuis dix ans, et la diminution de ces revenus serait une véritable calamité.

Il n’est donc pas seulement urgent que la France ne voie pas décroître sa prospérité, il est utile qu’on lui donne les moyens de mettre en œuvre tous les germes de fécondité qu’elle renferme. C’est en multipliant les instrumens de crédit qu’on obtiendra ces résultats. Lorsque l’on discutait au conseil d’état l’organisation de la Banque de France, l’empereur Napoléon disait : « Il n’y a pas en ce moment de banque en France, il n’y en aura pas de quelques années, parce que la France manque d’hommes qui sachent ce que c’est qu’une banque. C’est une race d’hommes à créer[13]. » Cette race d’hommes est créée, et tout le monde sait maintenant en France ce que c’est qu’une banque. C’est une éducation faite, et dont on doit chercher à recueillir les fruits. La multiplicité des banques amènerait l’émancipation de l’individu, maintenant entravé dans sa marche par la pénurie des ressources mises à sa disposition, ou effacé par les êtres collectifs ; elle donnerait en outre naissance, dans les chefs-lieux de département, d’arrondissement et même de canton, à une infinité de sociétés particulières d’escompte qui, en répandant les facilités et les bienfaits du crédit, maintiendraient, là même où elles trouveraient désormais la satisfaction de leurs besoins et de leurs ambitions, une masse considérable d’existences qui encombrent actuellement les grandes villes au détriment des autres parties du pays, où l’application de leur intelligence et de leur travail serait nécessaire.

L’exemple tant décrié des États-Unis d’Amérique et des colonies anglaises, où l’on a tout fait pour mettre à la disposition des individus et non des êtres collectifs les élémens nécessaires au développement de leurs facultés, n’est peut-être pas inutile à rappeler. On ne voit dans l’organisation financière des États-Unis que les désordres qu’elle a souvent produits, et lorsqu’on apprend que, sur les quinze cent trente[14] banques qui fonctionnent dans l’Union, il y en a une vingtaine qui suspendent leurs paiemens, on condamne de nouveau tout l’ensemble de ces institutions financières de l’Amérique, qui ont servi à former, dans l’espace de quatre-vingts ans, une des nations les plus nombreuses et les plus prospères du monde. On ne tient nul compte en effet, dans les jugemens sans appel que l’on porte, ni de la dissemblance des mœurs et des élémens divers qui composent ce peuple, ni de. la différence essentielle et fondamentale qui existe entre la liberté des banques aux États-Unis et la manière dont pourrait et devrait s’opérer en France une organisation équivalente. En France, pays homogène, fortement administré, l’autonomie des provinces qui ont formé la nation a complètement disparu ; aucune des témérités, aucune des excentricités qu’on remarque dans un pays où l’administration particulière de chaque état est souveraine ne serait possible parmi nous. Ainsi ce que nous condamnerions comme un crime de lèse-nation, comme une trahison, la séparation possible du nord et du midi par exemple, peut se produire aux États-Unis, parce que chaque état a conservé le droit de défendre ses intérêts contre ses voisins et de s’administrer selon ces intérêts. Par suite donc des droits dont ils sont disposés à faire un si déplorable abus, les états de l’Union américaine ont pu diversement organiser leurs systèmes de banques, et c’est dans cette licence même que réside le danger. L’état social de la France au contraire, s’il permet et s’il réclame actuellement la multiplicité des banques, entraînerait l’homogénéité et l’uniformité de la constitution de ces établissemens sous la forme d’une loi générale de l’état. L’exemple de l’Amérique en cette question ne peut donc pas remplir ce rôle d’épouvantail auquel il sert constamment.

Pourquoi les adversaires de la multiplicité des banques, au lieu de chercher toujours leurs exemples aux États-Unis, ne se tournent-ils pas vers l’Angleterre ? Bien qu’il ne soit pas en harmonie avec l’ensemble de toutes les libertés dont jouit le peuple anglais, le régime appliqué aux banques n’en mérite pas moins une sérieuse étude. Le monopole de la Banque d’Angleterre est après tout limité à 65 milles dans le rayon de Londres, et en 1854 il existait, en Angleterre et dans le pays de Galles, 165 banques particulières et 65 banques par actions qui émettaient des billets. En 1855, on comptait en Irlande sept banques outre la Banque d’Irlande[15]. — On voit combien nous sommes loin de cette organisation, que beaucoup d’économistes anglais trouvent insuffisante. — En Écosse, les bases du crédit sont bien plus larges. Il est bon de rappeler que dans ce pays la pratique des banques a commencé en 1659 par le monopole, mais que vingt ans après son avènement le monopole a été détruit. Depuis lors, la constitution économique de l’Écosse s’est développée dans la voie de la multiplicité des banques. Personne n’ignore cependant qu’outre les opérations courantes, ces institutions font des crédits à découvert sous caution solvable, des prêts hypothécaires, et qu’elles bonifient un intérêt sur les dépôts qui leur sont confiés. Et pourtant, malgré leurs fonctions multiples et leurs charges, les banques d’Écosse passent à juste titre pour être les plus parfaites, et, ayant été les plus éprouvées, pour les plus solides qui existent[16]. C’est grâce à ces instrumens de crédit que le sol ingrat de l’Écosse a été fécondé sur tous les points. C’est à l’aide de 18 banques de circulation, ayant 382 comptoirs ou succursales, que s’est développée la prospérité industrielle et agricole d’un pays que la nature semblait avoir condamné à vivre dans la pauvreté[17]. Ne profiterons-nous pas enfin de cette leçon sans cesse remise sous nos yeux ? On nous trouverait sans nul doute hardi de proposer l’adoption de ce système, quoique tout le monde puisse en constater les bienfaisans effets. Nos vœux sont plus modestes. Nous ne demandons que le rétablissement et la multiplicité des banques départementales pour satisfaire à toutes les exigences et parer à tous les dangers dont nous sommes entourés.

Nous sommes arrivés en effet à une situation critique qui nous commande de prendre sans retard des mesures de prévoyance. Les clameurs de l’opinion publique contre certains procédés employés pour inaugurer l’ère de l’association des capitaux, les excès et les désastres qui en ont été la conséquence, en provoquant les crises qui détruisent les fortunes privées, menacent de compromettre tous les progrès dans lesquels nous sommes engagés. Il serait imprudent d’attendre que l’heure des liquidations ait sonné pour combattre les défaillances de la confiance générale et songer à faire entrer les affaires dans une nouvelle voie lorsque tous les chemins auront été obstrués par des débris. Il faut se mettre résolument et immédiatement à la tâche. Ce que nous avons dit, ce que nous avons proposé dans cette étude, à savoir la décentralisation du crédit, la création de centres divers pour servir, sur tous les points du pays, à l’expansion du travail, n’a pas seulement pour but de prévenir les crises financières, mais de préparer et d’assurer le nouvel avenir des affaires. Les moyens dont on a usé et abusé depuis dix ans ont fait leur temps ; il faut en créer d’autres. Si on voulait une preuve de cette nécessité, nous la trouverions dans les embarras que cause au gouvernement l’établissement du troisième réseau des chemins de fer ; On peut dire qu’il ne sait comment l’entreprendre. Il a une tendance à le constituer dans les conditions de la loi de 1842 ; mais dans ce cas il a besoin d’un emprunt, et il ne peut pas le faire dans les circonstances où nous sommes. Les lois qui ont été décrétées pour ce troisième réseau sont insuffisantes, parce qu’elles reposent sur des procédés qui ne peuvent plus réussir vis-à-vis du public ; il est donc indispensable d’organiser quelque chose de nouveau[18]

Nous avons entrepris des œuvres de Romains sans les dépouilles des conquêtes, sans les bras gratuits, des vaincus et des esclaves. Les efforts constans que nous sommes condamnés à faire amènent, de temps en temps l’épuisement de nos forces. Nous devrions donc rencontrer partout, parce que c’est partout que nous déployons ces forces, les moyens nécessaires pour les rétablir ou les accroître. Dans les choses indépendantes de l’action individuelle, les faits politiques par exemple, on trouve bien des sujets d’inquiétude qui peuvent imposer des tempéramens nuisibles à notre activité ; mais rien ne doit contrarier l’expansion du travail, car les exigences de la vie matérielle deviennent tous les jours plus grandes, et il faut absolument produire en raison de ce que l’on consomme. Les crises financières sont pour la prospérité publique des calamités qui ne doivent pas lui être inhérentes, et qu’il est possible d’atténuer et même de prévenir en provoquant une répartition plus générale et mieux ordonnée des capitaux.

Nous le savons, une tentative en dehors du système des privilèges centralisés rencontrera en face d’elle bien des préjugés. On a détruit les maîtrises, les corporations et les jurandes au nom de la dignité des droits du citoyen ; mais nous sommes encore régis, dans les affaires commerciales, industrielles et financières, par une infinité d’entraves dont les inconvéniens apparaissent chaque jour. Le retour vers les règlemens surannés de la Bourse est un signe de l’époque et des principes qui la gouvernent. Nous avons démontré les dangers du privilège exclusif et centralisateur en ce qui concerne la Banque de France, et nous n’en parlerons pas à l’occasion d’autres établissemens dont l’action, s’ils pouvaient l’étendre, serait bornée par ce système lui-même ; mais nous croyons qu’il est urgent de changer ces habitudes de tutelle qui tiennent nos finances, notre commerce et notre industrie sous une dépendance qui leur est contraire. Des associations colossales se sont emparées de toutes les ressources du pays, et les épreuves qu’elles subissent frappent indistinctement toutes les fortunes. Ce principe de l’association, en attirant tout à lui, en s’appliquant à tout, en envahissant le domaine où la personnalité seule peut agir, en lui dérobant sa place au soleil, a compromis son existence même, car il ne peut vivre et prospérer qu’à la condition d’être alimenté par les efforts individuels dont il doit être le serviteur et non le maître. Le jour est venu où il faut faire leur part à ces deux forces de l’économie sociale, l’être collectif et l’individu. Les inquiétudes permanentes attachées aux œuvres désormais très laborieuses confiées aux grandes sociétés font naître ces crises monétaires, qui paraissent factices quand on les étudie, mais qui se reproduiront inévitablement tant que nos moyens de crédit ne seront pas proportionnés à nos besoins.

Un mot encore sur cette question monétaire. Le métal étant devenu indispensable dans un état de choses où la dispensation du crédit est bornée et centralisée, le commerce et l’industrie ont dû prendre l’habitude d’avoir presque constamment recours à l’argent et à l’or pour leurs transactions. Cependant les billets de banque, en se multipliant, procureraient une économie notable dans l’emploi du numéraire et abaisseraient le taux normal de son loyer, outre la facilité admirable qu’ils donneraient pour le maniement des fonds et les transports. Les perplexités continuelles auxquelles nous sommes livrés par l’autocratie du capital monnayé commandent donc qu’on établisse à côté de lui une puissance qui lui fasse contre-poids.

En résumé, pour prévenir et combattre les crises financières, pour éviter les dangers du présent et assurer le travail de l’avenir, il faut une organisation de crédit puissante, répandue sur toute la surface de la France, et qui soit en même temps l’organisation de ses diverses forces. Il faut que l’individu puisse développer toutes les facultés qu’il possède pour créer et accroître la richesse nationale. C’est dans cette émancipation virile de l’individu que nous rencontrerons de nouveaux élémens de fécondité. On dit que la supériorité de l’armée française sur toutes les autres armées réside dans la confiance que chaque soldat possède en lui-même, dans l’initiative que cette confiance lui inspire, dans la certitude qu’il a de la supériorité de ses armes et de son éducation militaire, dans la sécurité où il est que lui et tous ses camarades sont abondamment pourvus de ressources de toute nature et remplis de la même confiance. Ainsi, sûr de lui-même et des autres, sachant que tout est organisé pour venir en aide à son courage, le soldat ne comprend pas la défaite et ne croit qu’à la victoire. Eh bien ! dans la mêlée de la vie active, dans les affaires, dans les luttes tant intérieures qu’extérieures, il est utile que le soldat du commerce et de l’industrie, que le serviteur des œuvres nouvelles soit animé du même esprit, qu’il soit pourvu d’armes à sa taille et à sa main, qui lui donnent la foi dans sa force en même temps que la sécurité dans l’exercice de ses facultés. C’est en s’appliquant à réaliser ce progrès qu’on pourra établir dans notre régime financier et industriel un ordre désormais absolument indispensable au développement de toutes les ressources qui doivent maintenir et accroître la fortune de la France.


G. POUJARD’HIEU.

  1. Voyez les travaux de M. Bonnet et de M. Casimir Perier dans la Revue du 1er janvier et du 1er février 1861.
  2. « Les droits d’enregistrement, de greffe et d’hypothèque procurent au trésor des recouvremens qui varient selon le mouvement des affaires, le nombre et l’importance des transactions. Les résultats comparatifs de ces recouvremens permettent d’apprécier chaque année le développement de la prospérité générale du pays. En 1859, l’ensemble des droits d’enregistrement avait produit une somme de 271 millions de francs. En 1860, ces droits ont produit 301 millions de francs. L’augmentation d’une année sur l’autre a dépassé 20 millions de francs, qui s’appliquent pour 7,500,000 francs à la ville de Paris et pour 22 millions de francs au reste de la France. » (Exposé de la situation de l’empire présenté au sénat et au corps législatif. )
  3. Cette opinion parait si bien établie que l’un des fonctionnaires les plus importans du nouveau gouvernement de l’Algérie a pu dire que « pour lui la colonisation était surtout une question de travaux publics. »
  4. Oserons-nous dire que le temps paraît être venu d’apporter un tempérament à l’effervescence des dépenses municipales ? Lorsque nous avons tant et de si grands progrès agricoles et industriels à accomplir, il ne parait pas indispensable que ces travaux extraordinaires soient continués au prix de la perturbation qu’ils concourent à produire dans notre situation financière, car ils ne peuvent se justifier que par une exubérance de richesse, et n’apportent ni dans l’alimentation, ni dans les besoins généraux du plus grand nombre aucune économie, aucun élément de bien-être matériel, puisque au contraire ils rendent les conditions de la vie plus onéreuses. Outre le trouble qu’ils causent, ils détruisent l’équilibre dans la répartition et les conditions du travail, en sorte qu’en concentrant les capitaux et les bras sur certains points, ils y concentrent aussi les intelligences et les ambitions. Il n’échappera au jugement de personne que cette concentration appauvrit une partie du pays, forme des obstacles à la libre expansion de toutes les facultés qu’il renferme, détruit l’ordre naturel des vocations et des destinées, en sorte que l’harmonie générale de la société et la distribution utile de toutes ses forces partout où elles ont à s’employer ne peuvent plus exister.
  5. Et d’ailleurs, si ces établissemens de crédit sont vraiment utiles, pourquoi la France est-elle privée des bienfaits qu’ils ne peuvent répandre que sur la ville de Paris ?
  6. ) « Je ne conçois clairement dans les opérations de la Banque que l’escompte, et j’attribue la dernière crise de cet établissement, la plus forte qu’on ait éprouvée depuis Law, à ce que l’escompte a été mal fait. Un même banquier a eu la faculté de se faire escompter jusqu’à 7 ou 8 millions, tandis qu’aucune maison ne devrait avoir un crédit plus fort que 900,000 francs ou 1 million. On devrait surtout s’interdire l’escompte des billets de circulation… » (L’empereur Napoléon Ier au conseil d’état, séance du 27 mars 1806, discussion du projet de loi sur la Banque de France).
  7. D’après les statistiques officielles, le mouvement des exportations et des importations d’or depuis dix ans se solde en faveur de la France par un accroissement final de un milliard sept cent quarante et un millions en or. Les perturbations causées par la diminution apparente de nos métaux d’échange ne sont donc pas justifiées ; mais comme la puissance du numéraire n’a pas de contre-poids dans une organisation de crédit assez large pour lutter avec lui, il fait la loi au travail et met tout sous sa dépendance.
  8. La France est au troisième rang dans la consommation du coton, ainsi que le prouve le tableau suivant de la distribution de la récolte de 1860 :
    balles
    Grande-Bretagne 2,669,432
    États-Unis 978,048
    France 589,587
    Nord de l’Europe 295,072
    Autres ports de l’Europe 220,082
    4,752,221 balles.
  9. Voici quelles étaient ces banques : nous indiquons aussi le chiffre de leur capital et celui de la valeur de leurs actions en 1846 :
    Noms des banques Capital Dividende et réserve de l’année Intérêts sur le capital primitif Cours des actions
    Bordeaux 3,150,000 fr. 132 fr. 13 fr 20 c. pour 100 2,360
    Rouen 3,000,000 120 fr. 33 12 fr. 03 2,585
    Nantes 3,000,000, 82 fr.86 8 fr. 28 1,730
    Lyon 2,000,000 244 fr. 24 fr. 40 3,690
    Marseille 4,000,000 120 fr. 12 fr. 1,925
    Le Havre 4,000,000 63 fr.56 6 fr.35 1,310
    Lille 2,000,000 87 fr. 8 fr. 70 1,800
    Toulouse 1,200,000 59 fr. 10 fr. «
    Orléans 1,000,000 100 fr. 01 10 fr. 1,810
  10. ) Les mesures contre la Bourse, les modifications apportées à la constitution du crédit foncier et du comptoir d’escompte, la création de la caisse des travaux publics et de la boulangerie, les lois sur les chemins de fer, etc.
  11. Le cours forcé a existé pendant deux années. On a appris qu’il subsistait encore le jour où, pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, M. Fould l’a aboli.
  12. La difficulté de mobiliser les titres des emprunts départementaux et municipaux en élève le prix, on le conçoit. N’est-ce pas un des meilleurs élémens du crédit de la ville de Paris que la faculté qu’a, par exception, la Banque de France de prêter sur ses obligations municipales ?
  13. Séance du 2 avril 1806.
  14. Au 1er janvier 1859, il existait dans les États-Unis d’Amérique 1,530 banques émettant du papier de circulation. La seule ville de New-York en possède ’54, dont le capital s’élève à 338,670,000 francs. À la Nouvelle-Orléans, pour une population de 150,000 âmes et un état qui ne compte pas plus de 1 million d’habitans, il existe 11 banques ayant des chartes octroyées par l’état, et 10 banques librement organisées. Entre cette exagération qui conduit à des catastrophes, — car, à l’encontre des banques du continent, qui restreignent leurs crédits dans les momens de crise, les banques américaines les étendent au-delà de toute proportion dans ces circonstances, — entre cette exagération, disons-nous, et une manière d’être qui n’offre à un pays comme la France, dont la population est supérieure à celle des États-Unis, d’autres ressources que l’encaisse et la circulation dont dispose une banque unique, n’y a-t-il donc aucun moyen terme à trouver ? M. Gautier, sous-gouverneur de la Banque de France, disait en 1837 que « les États-Unis en étaient à l’abus du crédit, et que la France n’en était pas encore à l’usage. »
  15. La Banque d’Irlande a 23 succursales. La circulation moyenne des banques d’Irlande, pour une population de 6,561,970 habitans, est de 5,594,562 livres sterling, soit 139,814,050 francs.
  16. Ces banques ont subi les grandes crises de 1793 et 1797, celles de 1810, 1818, 1825,1839, 1847, et dans l’espace de plus d’un siècle elles n’ont fait perdre au public que 36,000 livres.
  17. La circulation moyenne des banques d’Ecosse, dont la moitié à peu près est composée de billets de 1 livre sterling, est approximativement de 4 millions de livres sterling, soit 100 millions de francs pour une population de 2,890,000 habitans.
  18. L’emprunt de 104 millions en bons trentenaires soumis au corps législatif n’a rien à faire, on le sait, avec la construction du troisième réseau des chemins de fer ; il est réclamé pour permettre au gouvernement de tenir les engagement qu’il a pris en 1859 pour l’achèvement du second réseau, lesquels engagemens sont évalués à plus de 200 millions.