Calmann-Lévy, éditeurs (p. 332-335).

30 juin.

Douceur !… Quiétude !… Plaisant repos !…

La vie qui s’exprime en gestes harmonieux et lents sous les vêtements aux nobles plis… Siestes et rêveries prolongées dans l’ombre des salles où tout a été conçu pour la jouissance des yeux. Les rosaces des mosaïques rayonnent le long des parois, d’une infinie variété en leur apparente similitude ; les frises déroulent leurs dentelles de stuc, et, lorsque le regard atteint le plafond, il se perd délicieusement parmi les arabesques et les lignes qui se poursuivent, se rejoignent et s’enlacent avec une surprenante harmonie.

Esclaves ! accourez à l’appel du maître, sur vos pieds nus que ne sauraient meurtrir les tapis, les marbres, ni l’émail des carrelages.

Esclaves ! il y a des mouches importunes, agitez les mouchoirs de soie.

Ouvrez les portes si bien ciselées, qui semblent les gigantesques et précieux battants de tabernacles chrétiens, afin que l’air du soir rafraîchisse la salle et chasse les dernières fumées du santal dont s’embaumèrent les somnolences. Au delà des arcades, apparaît la cour pavée de faïences, que les reflets du ciel moirent d’une luisante eau bleue, et la vasque toute ruisselante où s’abreuvent des tourterelles.

Fraîcheur !… Délices !… Monotone et limpide chanson des jets d’eau !…

Esclaves ! apportez les plateaux d’argent chargés de tasses. Ils brillent entre vos mains noires comme le contraste d’une parure. Avancez en roulant vos hanches ! Que le samovar qui vous courbe fasse valoir vos lourdes splendeurs !

L’existence est chose facile et voluptueuse, ô négresses ! Sur vos destinées furent écrites la servitude et les besognes familières, mais aussi les plaisirs d’amour.

« Lequel des bienfaits de Dieu nierez-vous[1] ? »

Il a donné à ses croyants l’inestimable faveur d’une vie sans fièvres et sans heurts, sans l’agitation qui consume les peuples d’Occident, sans les raisonnements, et les recherches dont il torture leurs cerveaux, sans la tension exaspérée de leurs volontés vers des buts superflus.

Il a donné aux misérables tout l’or des soleils couchants à contempler chaque soir le long des remparts ; les repos à l’abri des treilles ; les récits des conteurs publics ; l’insouciante paresse de lézards. qui vivent d’une mouche entre deux torpeurs.

Il a donné à d’autres de petites échoppes pour somnoler parmi les babouches, les poteries, les écheveaux de soie ; les parties d’échecs au coin d’une place ; les ânillons trottinants que l’on chevauche sur les reins, tout au bout, presque à la naissance de la queue, tandis que les jambes trop longues effleurent la poussière.

Il a donné aux lettrés leurs blanches mousselines et leur air dévot, leur esprit subtil ; le charme des absurdes discussions théologiques ; les livres ornés de miniatures — trésors de poésie, de science et d’ingéniosité — les mosquées aux nattes fines où l’on accomplit soigneusement les rites prescrits pour les cinq prières.

Il a donné aux riches les belles demeures, les sofas, les innombrables coussins, les esclaves et les parfums ; les arsas verdoyantes où les branches fléchissent, accablées sous trop de fruits ; les divertissements de la musique et des festins ; les mules qui s’en vont d’un pas si tranquille, régulier et sûr, avec leurs selles très confortables, vêtues de drap rouge, et leurs larges étriers.

Il a donné aux femmes les terrasses et les voisines, les noces, les parures, les bavardages, les messagères, les revendeuses complaisantes et la distraction nocturne des hammams.

Il a donné aux morts des cimetières sans tristesse, à l’ombre des micocouliers, des cimetières où l’on s’efface très vite, en un même néant sous les fleurs…

« Lequel des bienfaits d’Allah nierez-vous ? »

Il a donné à tous un bien suprême : la paix.

Allures paisibles.

Esprits paisibles.

Bonheurs paisibles.

Cela que nous ignorons.

FIN
  1. Coran.