Calmann-Lévy, éditeurs (p. 71-72).

18 janvier.

Les hurlements et la fureur mystique hantent les jours et les nuits. Nous vivons dans un cauchemar où s’agitent des êtres éperdus…

L’excitation a grandi toute la semaine à travers les maisons et les rues. Elle atteint son paroxysme aujourd’hui, fête du Mouloud, sur le passage de l’interminable et fanatique procession, qui se déroule, jusqu’au crépuscule, entre le marabout de Sidi Ben Aïssa et celui de Sidi Saïd.

Les groupes succèdent aux groupes, animés d’une même démence, clamant inlassablement le nom d’Allah. Des femmes berbères secouent, d’un mouvement spasmodique, leurs chevelures sauvages, véritables crinières de lionnes en fureur.

Des hommes au torse nu, au visage bestial, s’avancent, les bras enlacés, se prêtant un mutuel appui, comme s’ils étaient ivres. Quelques-uns agitent leurs draperies sanglantes, d’autres se brûlent avec des torches, se défoncent la tête à coups de hache, s’enfoncent dans la chair de longues épines, sans interrompre le rythme implacable qui les possède.

Le soleil tape sur les crânes en ébullition, arrache des scintillements aux bijoux, aux poignards et aux harnachements, flamboie sur les étendards éclatants, embrase tout un peuple d’énergumènes.

Les hurlements se mêlent aux sons exaspérés des flûtes et des tambours, aux hennissements des chevaux montés par les chefs, aux clameurs de la foule, aux cris aigus des Marocaines…

Cette contagieuse folie gagne les spectateurs, qui s’écrasent sur tous les remparts et toutes les terrasses ; des femmes, prises de mouvements convulsifs, tentent d’échapper aux compagnes qui les retiennent, pour se jeter du haut des murs…

Une angoisse m’étreint au milieu de cette immense hallucination. Il semble qu’un délire secoue la ville tout entière d’une fantastique et furieuse frénésie…