Derrière les vieux murs en ruines/07
Mouley Hassan nous a trouvé une demeure voisine de la sienne. Le vizir qui l’édifia mourut il y a quelques années, et les exactions du moqaddem[1] des notaires, et du cadi, ont abouti au morcellement de ses biens.
Parce qu’un tuteur fut déshonnête, nous vivrons au milieu des splendeurs que le vizir Hafidh conçut pour la joie de ses yeux, et celle de ses descendants… Étendus sur des sofas, nous déchiffrerons les inscriptions désabusées qui se déroulent parmi les dentelles en stuc.
Dieu seul est grand !
Lui seul persiste !
La seule paix durable.
C’est à Lui que nous retournerons.
Les plafonds de cèdre, ciselés, peints et dorés, les lourdes portes, les mosaïques aux miroitantes étoiles, les vitraux enchâssés en des alvéoles de stuc, dispensant un jour plus mystérieux, les salles immenses et les boudoirs de sultanes, précieux, étincelants et secrets, rivalisent de somptuosité avec le palais voisin. Et l’on dit que le menzeh, d’où l’on embrasse un si prestigieux panorama depuis les chaînes du Zerhoun jusqu’aux cimes lointaines de l’Atlas, ne fut élevé, par le vizir, que pour masquer la vue à la maison du Chérif, qu’il jalousait.
Une lutte sournoise divisa ces deux hommes, d’orgueil égal, qui n’osèrent s’attaquer de face ; chacun prétendant surpasser l’autre en magnificence.
Outre l’intérêt qu’il nous porte, Mouley Hassan, dont les démarches parvinrent à nous obtenir cette demeure, n’est pas sans jouir de la pensée que toutes ces merveilles auront été réalisées par son rival pour la joie de Nazaréens… Et, sans doute, est-ce à ce mobile inavoué que nous devrons de vivre en un tel cadre de beauté.
Tandis que le vizir Hafidh se réjouissait avec ses hôtes, dans les salles supérieures, ouvertes par cinq arcades devant « le monde entier » — le vallon, les collines, les montagnes bleues, du matin, et roses, du crépuscule, — les femmes végétaient en ces longues pièces luxueuses et sombres qui donnent sur le riadh.
Mélancolie charmante du jardin revenu à l’état sauvage !
Allées de mosaïque jonchées de feuilles mortes ; vasque de marbre, verdâtre et branlante, dont l’eau ruisselle avec un bruit de sanglot ; tonnelle de passiflores, jamais émondée, que soutiennent des bois tournés et vermoulus ; enchevêtrement des rosiers, des lianes et des bananiers aux larges palmes ; oranges mûrissantes, dans le vert cru des feuillages ; petits pavillons précieusement peints, lavés par toutes les pluies ; et les fleurs des églantiers, pâles, décolorées, d’être nées à l’ombre de murailles vétustes et trop hautes…
En ces mois d’automne, le soleil ne dore plus que le faîte des arbres et le jardin frissonne, humide et morose dans la lumière glauque de ses bosquets.
Quelques lézards sinuent, rapides, à la poursuite d’un insecte ; des merles sautillent à travers les branches d’un vieux poirier ; les guêpes tournoient en bourdonnant, qui ont fait leur ruche entre les stalactites dorées des arcades. Il semble que l’on réveille une demeure enchantée, où les araignées tissaient paisiblement leurs toiles sur les ciselures merveilleuses, depuis que la mort emporta le « Maître des choses » en la Clémence d’Allah.
- ↑ Tuteur-gardien.