Derniers vers (Anna de Noailles)/Le sommeil m’envahit


LE SOMMEIL M’ENVAHIT…


Le sommeil m’envahit, je suis lucide encor.
La torpeur, dans ma main, descend comme une rose.
Je palpe, ainsi qu’un roi qui tient un globe d’or,
Le monde inférieur sur qui je me repose.

Mon esprit soulevé dédaigne ce qui fut.
Nul souvenir du jour, plus de mémoire amère ;
Magnanime oiseleur délaissant ses affûts,
Le temps m’accorde un pur mépris de l’éphémère !

Augustes sentiments au rebut : gloire, amour,
Combat de tout instant pour trouver dans les hommes
L’enchantement secret, cet étrange secours
Qui menace, accomplit, détruit ce que nous sommes,


Vous n’êtes plus qu’un fin tourbillon dans mon sang !
L’excès et la langueur guérissent d’être avide.
Le soir qui s’obscurcit n’est soudain qu’un absent.
Et je contemple, avec un œil épris du vide,
Le délicat regard qu’ouvre en la nuit solide
La fêlure aérée et pure du croissant !