Derniers essais de littérature et d’esthétique/Un Écossais à propos de la poésie Écossaise

Un Écossais, à propos de la poésie écossaise[1].

Un éminent critique, qui vit encore et qui est né au sud de la Tweed, confia un jour, tout bas, à un ami que les Écossais, à son avis, connaissaient réellement fort mal leur littérature nationale.

Il admettait parfaitement qu’ils aimassent leur « Robbie Burns » et leur « Sir Walter » avec un enthousiasme patriotique, qui les rend extrêmement sévères envers le malheureux homme du sud qui se hasarde à louer l’un ou l’autre en leur présence. Mais il soutenait que les œuvres des grands poètes nationaux, tels que Dunbar, Henryson, et Sir David Lyndsay sont des livres scellés pour la majorité des lecteurs à Edimbourg, à Aberdeen et à Glasgow et que fort peu d’Écossais se doutent de l’admirable explosion de poésie qui eut lieu dans leur pays pendant les quinzième et seizième siècles, alors qu’il n’existait, dans l’Angleterre de cette époque, qu’un faible développement intellectuel.

Cette terrible accusation est-elle fondée ou non, c’est ce qu’il est inutile de discuter présentement.

Il est probable que l’archaïsme de la langue suffira toujours pour empêcher un poète comme Dunbar de devenir populaire, dans le sens ordinaire du mot.

Toutefois le livre du Professeur Veitch[2] prouve qu’en tout cas, il y a « dans le pays des galettes » des gens capables d’admirer et d’apprécier ses merveilleux chanteurs d’autrefois, des gens que leur admiration pour le Lord des Îles, et pour l’Ode à une pâquerette de la montagne ne rend point aveugles aux beautés exquises du Testament de Cresseida, du Chardon et de la Rose, du Dialogue entre Expérience et un Courtisan.

Le Professeur Veitch, prenant pour sujet de ses deux intéressants volumes le sentiment de la Nature dans la poésie écossaise, commence par une dissertation historique sur le développement du sentiment dans l’espèce humaine.

L’état primitif lui apparaît comme se réduisant à une simple « sensation de plein air ».

Les principales sources de plaisir sont la chaleur que donne le grand soleil, la fraîcheur de la brise, l’air général de fraîcheur de la terre et du ciel, sensation à laquelle s’associe la conscience de la vie et du plaisir sensitif, tandis que l’obscurité, l’orage et le froid sont regardés comme désagréables.

A cette époque succède l’époque pastorale, où nous trouvons l’amour des vertes prairies, de l’ombre donnée par les arbres, de tout ce qui rend la vie agréable et confortable.

Vient à son tour l’époque de l’agriculture, ère de la guerre avec la terre, où les hommes prennent du plaisir dans le champ de blé et le jardin, mais voient d’un mauvais œil tout obstacle à la culture, comme la forêt, la roche, tout ce qui ne peut pas être réduit à l’utilité par la soumission, tels la montagne et la mer.

Nous arrivons enfin au pur sentiment de la nature, au pur plaisir que donnent la seule contemplation du monde extérieur, la joie qu’on trouve dans les impressions sensibles, en dehors de tout ce qui a rapport à l’utilité ou à la bienfaisance de la Nature.

Mais là ne s’arrête pas le développement.

Le Grec, dans son désir d’identifier la Nature et l’Humanité, peuplait le bosquet et les flancs des montagnes de belles formes fantaisistes, voyait le dieu tapi dans la futaie, la naïade suivant le fil de l’eau.

Le moderne disciple de Wordsworth, visant à identifier l’homme avec la Nature, trouve dans les choses extérieures « les symboles de notre vie intérieure, les influences d’un esprit apparenté au nôtre ».

Il y a bien des idées suggestives dans ces premiers chapitres du livre du Professeur Veitch, mais nous ne saurions être de son avis sur l’attitude du primitif en face de la Nature.

La sensation de plein-air, dont il parle, nous paraît comparativement moderne.

Les mythes naturalistes les plus antiques nous parlent non point du « plaisir sensuel » que la Nature donnerait à l’homme, mais de la terreur que la Nature inspire.

Et de plus, les ténèbres et l’orage ne sont point regardés par l’homme primitif comme des choses « simplement répulsives ». Ce sont, pour lui, des êtres divins et surnaturels, pleins de merveille, dégageant une terreur mystérieuse.

Il aurait fallu aussi dire quelques mots au sujet de l’influence des villes sur le développement du sentiment de la nature, car si paradoxale que la chose puisse paraître, il n’en est pas moins vrai que c’est en grande partie à la création des cités que nous devons le sentiment de la Nature.

Le Professeur Veitch est sur un terrain plus ferme quand il en vient à traiter du développement et des manifestations de ce sentiment, tel qu’il apparaît dans la poésie écossaise.

Les anciens poètes, ainsi qu’il le fait remarquer, avaient tout l’amour du moyen-âge pour les jardins, connaissaient tout le plaisir artistique que donnent les couleurs vives des fleurs, l’agréable chant des oiseaux, mais ils n’éprouvaient aucun attrait pour la lande sauvage et solitaire, sa bruyère pourprée, ses rochers gris, ses broussailles qui ondulent.

Montgomerie fut le premier à errer sur les rives, parmi les roseaux, à écouter le chant des ruisselets, et il était réservé à Drummond de Hawthornden de chanter les flots et la forêt, de remarquer la beauté des brouillards sur la pente des collines et de la neige sur les cimes des montagnes.

Puis vint Allan Ramsay avec ses honnêtes pastorales pleines de bonhomie, Thomson, qui parle de la Nature dans le langage d’un commissaire-priseu éloquent, ret qui fut cependant un observateur pénétrant, avec de la fraîcheur dans la perception et un cœur sincère, Beattie qui aborda les problèmes résolus plus tard par Wordsworth, la grande épopée celtique d’Ossian, qui fut un facteur si important dans le mouvement romantique en Allemagne et en France, Ferguson, à qui Burns doit tant, Burns lui-même, Leyden, Sir Walter Scott, James Hogg, et (longo intervallo) Christophe North, et feu le Professeur Shairp.

Le Professeur Veitch écrit sur presque tous ces poètes des pages d’un jugement fin, d’un sentiment délicat, et même son admiration pour Burns n’a rien d’agressif.

Il laisse voir cependant un certain défaut de véritable sens de la proportion littéraire dans l’espace qu’il accorde aux deux derniers écrivains de notre liste.

Christophe North fut, sans contredit, une personnalité intéressante pour l’Edimbourg de son temps, mais il n’a laissé après lui rien qui ait une valeur durable.

Sa critique était trop tapageuse, et sa poésie trop dépourvue de mélodie.

Quant au Professeur Shairp, considéré comme critique, il fut un tragique exemple de l’influence désastreuse de Wordsworth, car il ne cessait de confondre les questions éthiques et les questions esthétiques, et jamais il n’eut la moindre idée de la manière dont il fallait aborder des poètes comme Shelley et Rossetti qu’il eut pour mission d’interpréter à la jeunesse d’Oxford, en ses dernières années.

D’autre part, en tant que poète, il mérite tout au plus d’être nommé en passant.

Le Professeur Veitch nous apprend gravement qu’une des descriptions, dans Kilmatroe « n’a pas d’égale dans la langue pour la réalité de peinture, l’heureux choix des épithètes, la pureté de la reproduction ».

Des assertions de ce genre servent à nous rappeler ce fait qu’une critique fondée sur le patriotisme local aboutit toujours à un résultat provincial. Mais il n’est que juste d’ajouter que le Professeur Veitch ne pousse que très rarement l’extravagance et le grotesque jusqu’à ce point.

En général, son jugement et son goût sont excellents, et dans son ensemble, son livre est une contribution des plus attrayantes, des plus agréables, à l’histoire de la littérature.


  1. Pall Mall Gazette, 24 octobre 1887.
  2. Le sentiment de la nature dans la poésie écossaise.