Dernier carnet de route au Soudan français - La fin de la mission Klobb/22

II. La région de Tombouctou.

II

LA RÉGION DE TOMBOUCTOU




Le dernier Rapport du Colonel Klobb



Koulikoro, le 23 mars 1899.
Le Lieutenant-Colonel Klobb à Monsieur le Général lieutenant-gouverneur du Soudan.

Rapport Politique

Mon Général,

J’ai l’honneur de vous adresser le présent rapport sur la situation politique de la région Nord au moment de mon départ de Tombouctou, le 24 février.

Je passerai en revue les nomades, puis les sédentaires, en revenant quelquefois sur certains détails qui n’ont pas trouvé place dans mes rapports précédents. Écrivant en chaland, sans aucun document, je vous prie de bien vouloir excuser le manque de précision de certaines dates.

Ce rapport comprend les paragraphes suivants :

1o Nomades de l’Ouest ;

2o Nomades du Nord ;

3o Nomades voisins de Tombouctou ;

4o Nomades du Sud ;

5o Nomades de l’Est ;

6o Nomades étrangers à la région ;

7o Population sédentaire ;

8o Généralités.


1o Nomades de l’Ouest

Maures Allouchs et Meschdoufs. — Lorsque j’ai quitté, à la fin de 1897, le commandement de la région du Sahel pour me rendre à Tombouctou, Sidi, le chef des Allouchs, paraissait disposé à cesser ses pillages et à exécuter les conditions de paix qui lui avaient été imposées. Il avait fait réparer, comme il le lui avait été demandé, les puits bouchés ou comblés, et il ne lui restait, pour prouver sa sincérité, qu’à venir trouver le commandant de la région soit à Sokolo, soit à Néré, comme je le lui avais proposé.

À cette époque, les Meschdoufs et leur chef Moamdoul Moctar étaient dans d’excellents termes avec nous ; seule, une fraction de cette grande tribu, celle des Ahel-Sidi, ayant tué un caporal de tirailleurs à Raz-el-Mâ, s’était vu interdire le territoire et était remontée vers le Nord.

Depuis cette époque, pour différentes causes, les Allouchs sont devenus plus pillards que jamais, et les Meschdoufs se sont joints à eux.

La région Nord n’ayant pas à intervenir dans la politique à l’égard des Maures, j’ai, d’une façon constante, ordonné au commandant de Raz-el-Mâ de traiter les Allouchs et les Meschdoufs soit en amis, soit en ennemis, suivant les avis que je recevrais du Sahel, surtout de ne jamais écouter de leur part aucune proposition et de les renvoyer au commandant du Sahel.

Mais je n’ai été tenu que très imparfaitement au courant des fluctuations de la politique du Sahel, et, d’autre part, les Maures sont adroits et intrigants. Ils ont cherché souvent à tromper les jeunes officiers qui ont commandé Sumpi, Raz-el-Mâ et Sokolo. À Raz-el-Mâ, ils y ont quelquefois réussi. Ainsi, un commandant de ce poste est entré en pourparlers avec une fraction Allouch et l’a laissée s’approcher du lac Faguibine ; un autre a laissé s’approcher les Ahel-Sidi et a demandé des instructions, tandis qu’il n’avait qu’à se conformer à celles adressées peu avant à son prédécesseur.

Autre part qu’à Raz-el-Mâ, il a pu être commis des erreurs de ce genre.

Cette affaire des Allouchs, qui est une petite affaire, devient interminable. Déjà, en mars 1897, vous vous en étiez préoccupé, mon général, vous m’aviez prescrit de me rencontrer avec le commandant de la région Nord[1], afin de nous entendre et de vous proposer des mesures propres à y mettre fin. Cette entrevue a eu lieu à Néré en juin 1897 ; elle n’a pas été sans résultats, mais elle n’en a pas eu de décisifs, surtout à cause des changements de personnes qui se sont ensuite produits.

Actuellement, les postes de Raz-el-Mâ et Sumpi ont ordre de traiter en ennemis les Allouchs et Meschdoufs. Le commandant de Sumpi doit veiller plus particulièrement à la ligne télégraphique, le commandant de Raz-el-Mâ doit empêcher principalement qu’un parti de Maures ne vienne piller les villages au sud de Faguibine ; il prêtera aussi, s’il y a lieu, son concours aux Kel-Antsars d’Allouda qui se prétendent toujours menacés par les Allouchs. J’ai prescrit aussi aux commandants de Sumpi et de Raz-el-Mâ d’envoyer successivement des reconnaissances au puits de Bougendouch : le lieutenant Cauvin y a été en novembre ; le lieutenant Hardelet en janvier, il y a fait une prise importante de chameaux ; a rapporté les renseignements que j’avais demandés sur la possibilité de construire un poste en bois, paille et épine.

Ce poste de Bougendouch, dont vous aviez prescrit la construction en 1897, n’a pas été fait à cette époque. En 1898, le colonel Audéoud n’a pas jugé son établissement opportun, maintenant que la situation est meilleure, le moment me paraît venu de construire le poste, ce qui peut être fait presque sans dépense. Contre les Allouchs, une action vigoureuse me paraît en ce moment le seul moyen pour mettre fin à leurs brigandages.

Kel-Antsars de l’Ouest et de l’Est. — Allouda, nommé chef des Kel-Antsars de l’Ouest par l’autorité française, avait demandé bien des fois au commandant Goldschœn et à moi-même d’être relevé de ses fonctions. Elles lui imposaient des obligations, notamment de nous prévenir des incursions de N’Gouna, dans l’Ouest, et de lui refuser du grain, obligation qu’il n’avait ni la force ni le courage de remplir, craignant le ressentiment de son frère, qui, pensait-il, finirait par faire sa paix, avec les Français et redeviendrait le maître. Après mes opérations de 1898, dans lesquelles N’Gouna et ses hommes en fuite perdirent beaucoup de biens, Allouda devint un peu plus brave. Je lui promis formellement, si jamais les Français faisaient la paix avec N’Gouna, qu’il ne serait pas autorisé à revenir dans l’Ouest, et que lui, Allouda, resterait le seul chef des Kel-Antsars établis près des lacs. Depuis cette époque, septembre 1898, Allouda est complètement gagné. Il me prévint de l’arrivée de N’Gouna à Emellah en novembre, et son attitude ainsi que la lassitude des partisans de N’Gouna obligèrent ce chef à se remettre aux mains de l’officier que j’avais envoyé à sa poursuite. Allouda n’est pas un brave, mais c’est un homme instruit et considéré comme parfaitement capable de commander à ses gens maintenant que N’Gouna a disparu.

Après la mort de N’Gouna, Allouda vint immédiatement à Tombouctou avec le fils de N’Gouna qui, au nom des Kel-Antsars de l’Est, venait demander la paix sans condition. Je demandai à Mohamed N’Gouna de m’apporter au préalable la moitié des biens de son père, biens dont la liste fut écrite sur ses indications, et il s’engagea à le faire sous peu de jours. Profitant de mon départ dans l’Est, N’Gouna ne donna plus signe de vie à Tombouctou ; il tenta de s’installer chez les Berabichs, puis chez les Hoggars, tandis que les Kel-Antsars, toujours insoumis, séjournaient dans leur puits habituel ou venaient se mêler aux Kel-N’Gounas soumis. Mis au courant de cette situation par le capitaine Robbe, je prescrivis que deux reconnaissances partiraient en même temps, l’une de Tombouctou, l’autre de Bamba, pour aller pourchasser les Kel-Antsars dans leur puits et les forcer à faire une soumission effective. Ces deux reconnaissances eurent un plein succès ; elles parcoururent avec facilité la ligne des puits, pour lesquels il était impossible auparavant de trouver des guides, elles ramenèrent, toutes deux, troupeaux et prisonniers. À mon passage à Bamba, le 12 février, j’y ai trouvé les prisonniers ramenés par le capitaine Guerette, et j’ai promis au fils d’Ibrahim Ag-Allaï d’accorder la paix à sa fraction (100 tentes), et l’autorisation de revenir sur leurs anciens territoires de parcours (rive gauche du fleuve, entre Ouarai et Bamba, et 4 puits), moyennant le paiement de 12 méharis. Il a accepté en me disant que ce que je lui demandais n’était rien en comparaison de l’autorisation que je lui donnais de revenir au fleuve.

En dehors de cette fraction d’Ibrahim Ag-Allaï, il reste environ 100 tentes pour lesquelles les conditions de soumission ne sont pas fixées, ces tentes sont celles qui avaient pour chef N’Gouna. Elles ne veulent pas de son fils pour lui succéder ; dès qu’elles en auront un, elles l’enverront à Tombouctou. Je leur ai fait dire que je n’autorisais aucun Kel-Antsar de l’Est à retourner dans l’Ouest pour s’y installer ; il me paraît mauvais d’introduire bénévolement un instrument de trouble parmi les Touaregs du Faguibine, qui sont presque tous autant cultivateurs que pasteurs et qui ne demandent qu’à vivre tranquillement.

J’ai l’honneur, mon général, de demander votre approbation pour les différentes conditions que j’ai faites aux Kel-Antsars.

Comme tribu de guerre, les Kel-Antsars n’existent plus, et, si quelques-uns d’entre eux ne veulent pas se soumettre, ils seront obligés de remonter jusque chez les Hoggars pour trouver un asile.

Je reviens aux Kel-Antsars de l’Ouest. Un frère de N’Gouna et d’Allouda, nommé Omnellah, habite ordinairement Emellah. Sa conduite à l’égard de l’autorité française laisse à désirer depuis longtemps ; j’ai laissé s’accumuler les griefs contre lui jusqu’à une occasion favorable pour agir. Cette occasion m’a été fournie par une réclamation d’Allouda lui-même contre Omnellah et par la mort de N’Gouna. J’ai envoyé saisir Omnellah. L’officier indigène chargé de l’opération l’a laissé maladroitement échapper ; mais il a pu saisir une partie de ses biens dont un cheval et quatre beaux méharis (novembre).

Omnellah est en fuite, mais il ne peut pas devenir dangereux ; c’est un gros poussah qui se remue difficilement.

Dans le cercle de Sumpi, les Kel-Antsars ont causé du trouble en débordant les limites qui leur sont assignées et en allant pâturer dans le Farimaké. Je les ai fait expulser en infligeant quelques amendes. Dans le même cercle, le commandant me signalait l’été dernier le passage de Touaregs de la rive gauche sur la rive droite. C’étaient des Kel-Tébérints, petite fraction maraboutique réclamée à la fois par Cheboun et Allouda. Je les ai laissés libres d’aller avec l’un ou avec l’autre, et ils se sont partagés.

Les villages de Niodougou et de Tondiaro, dans le même, sont encore en butte aux exactions des Kel-Antsars ; il ne s’y passe cependant plus rien de grave, et bientôt les habitants de ces deux villages sauront, comme leurs voisins, s’opposer eux-mêmes aux violences des nomades.

Allouda n’a pas assez d’autorité pour m’avoir été d’aucun secours dans le règlement de ces affaires ; j’espère que la mort de N’Gouna affirmera son autorité et qu’il pourra remplir convenablement ses fonctions de chef.

Tormos. — Les Tormos payent leur impôt avec Allouda. Ce sont des guerriers armés de fusils et c’est sur eux que compte Allouda pour le défendre contre les Allouchs. Leur chef, Seddik, est venu à Tombouctou, en 1898, pour me réclamer des chameaux qui lui avaient été pris à tort. Je lui ai rendu ses chameaux et n’ai eu, depuis, aucun sujet de plainte contre lui. Il est question, dans certains documents de 1896 et 1897, de Tormos soumis et de Tormos insoumis ; ceux-ci se sont dispersés et n’existent plus comme tribu.

Ousras. — Les Ousras sont de grands éleveurs de chameaux ; ils ne vivent que rarement dans le voisinage de Raz-el-Mâ et se tiennent, le plus souvent, très au Nord. Ils ont payé régulièrement l’impôt, mais souffrent de l’état de guerre qui existe à l’Ouest du Faguibine. J’ai vu leur chef à Tombouctou, en octobre.

Bou-Raddas. — Ils ont aussi, comme les Ousras, de nombreux chameaux, mais ils se tiennent plus près de nous et sont les plus proches voisins du poste de Raz-el-Mâ. Ils sont en très bonnes relations avec les Allouchs, et ces relations ont été cause pour eux de grandes tribulations pendant cette année 1898.

Le commandant de Raz-el-Mâ leur a saisi plusieurs fois soit des moutons, soit des caravanes de sel qu’ils gardaient ou envoyaient pour leurs amis Allouchs.

J’ai fait rendre beaucoup de ces prises en ne gardant que celles qui étaient certainement justifiées. Les Bou-Raddas qui sont convoyeurs de sel de Tasdi ont certainement fait beaucoup de pertes, et il en est résulté chez eux un mécontentement général qui s’est traduit par l’assassinat d’un Maure Deyloubat qui servait de guide au commandant de Raz-el-Mâ. Ce meurtre a été puni, et, depuis le mois d’octobre, les Bou-Raddas n’ont plus fait parler d’eux.

J’ai recommandé, en général, au commandant de Raz-el-Mâ, de traiter avec patience ces Maures, qui sont nos seuls voisins ; j’ai moi-même, pendant mon séjour à Raz-el-Mâ, accueilli favorablement plusieurs demandes qu’ils m’ont faites ; malheureusement, les hostilités avec les Allouchs et les Meschdoufs compliquent beaucoup la politique de Raz-el-Mâ, et le commandement de ce poste est un des plus délicats à exercer.

Haouen-Kadamet. — Je parle à part de ces vassaux de Tengueriguifs parce que, en réalité, le lien qui les rattache à Cheboun est très faible. Ils sont riches et nombreux. J’ai contre leur chef Tombo quelques motifs de défiance. Ses campements s’étendent du Diaouna à Diartou ; il est donc très certainement au courant des pillages faits par les Allouchs et, cependant, jamais il ne signale rien. D’autre part, il achète pour leur compte du grain dans les villages et le leur apporte à Bouguendouch et à Lerneb.

Tombo était en très bonnes relations avec le commandant Goldschœn, et Cheboun en avait pris ombrage.

Je n’ai pas continué ces relations et me suis conformé à l’esprit de la convention signée avec Cheboun en lui laissant toute autorité sur ses vassaux. J’ai ainsi contenté Cheboun, mais j’ai mécontenté Tombo, et il m’en témoigne de la mauvaise humeur.

Actuellement, pour l’empêcher de faire de la contrebande avec les Allouchs, j’ai fait reculer tous ses campements en arrière de la ligne de Raz-el-Mâ-Sumpi.

Deyloubats, Ould-Moumous et Hadji-Hacens. — Les petites tribus établies dans le triangle Sumpi, Raz-el-Mâ, Léré, souffrent beaucoup de l’état de guerre avec les Allouchs. Nous leur faisons payer un impôt, mais il n’en est pas moins vrai que nous n’assurons pas suffisamment leur sécurité et qu’elles sont sans cesse pillées. Aussi, elles se détachent de nous et les Deyloubats ne fournissent plus ni guides ni renseignements. Je recommande aux commandants de Sumpi et de Raz-el-Mâ beaucoup d’indulgence à leur égard.

Autres tribus. — Il est venu au Faguibine, dans le courant de 1898, une petite tribu, les Talib-Mostafs, que j’ai autorisée à y séjourner moyennant le paiement d’un petit impôt.

Il y a beaucoup de tribus maures qui, accidentellement, viennent faire boire leurs chameaux au Faguibine, tous les deux ou trois ans quelquefois seulement. Ces tribus, dont quelques-unes viennent commercer librement dans la région du Sahel, en payant les droits qui leur sont demandés, agissent tout autrement quand elles viennent au Faguibine ; elles ne demandent aucune autorisation à Raz-el-Mâ et ne cherchent qu’à passer inaperçues. Il en résulte des conflits, des prises, du désordre. J’ai prescrit depuis longtemps au commandant de Raz-el-Mâ de faire savoir aux Maures que, sauf ceux qui sont en guerre avec nous, ils pourraient venir librement au Faguibine, à condition de payer le droit de pacage du quarantième. Ces prescriptions n’ont eu guère de résultats, et tout récemment encore, au mois de janvier, des chameaux ont été saisis au nord du Faguibine. Pourquoi les Maures qui viennent très tranquillement dans la région du Sahel n’en font-ils pas autant quand ils viennent à Raz-el-Mâ ? Je ne le sais pas au juste. Il y a sans doute eu des prises injustes, peut-être des menées des Kel-Antsars et aussi des difficultés d’interprétation.


2o Nomades du Nord

Les seuls qui soient en relations avec nous sont les Berabichs, je parlerai plus loin de quelques autres nomades du Sud.

Berabichs. — Comme je l’ai écrit dans un rapport spécial sur ce sujet, les relations avec les Berabichs, rompues pendant l’hiver 1897-98, ont été renouées, et l’année 1898 a été bonne pour l’oussourou de Tombouctou.

Cependant, les relations des Berabichs avec nous ne sont pas ce qu’elles devraient être, celles d’une tribu soumise. Ould Méhémet, le chef de la tribu, est un musulman fanatique, il sait que les Français du Sénégal payent tribut aux Maures, et il trouverait bon qu’il en fût fait de même avec lui. Ould Méhémet n’est jamais venu à Tombouctou ; il ne paye aucune redevance, au contraire, il perçoit sur les caravanes qui entrent dans la ville un droit supérieur à celui que nous percevons nous-mêmes.

Après mes opérations de mai et juin contre les Igouadarens, Ould Méhémet m’envoya un messager spécial pour me dire que, maintenant, je n’avais pas de meilleur ami que lui. En septembre, je fis faire par le lieutenant Gressard et les chameaux une tournée dans les puits de Temtoun et Teneg-el-Ai, et, contrairement aux précédentes, Ould Méhémet ne me fit parvenir aucune protestation. Mais tout récemment, pendant mon absence, Ould Méhémet a encore envoyé à la Région une lettre assez impolie à propos de chameaux loués par le capitaine Robbe à des Berabichs.

J’avais l’intention de lui faire des reproches sérieux à propos de cette lettre et de profiter de cet incident pour l’engager à venir à Tombouctou. Cette démarche serait aux yeux de tous un acte de soumission à l’autorité française. Je crois qu’il est facile de l’obtenir ; la majeure partie des Berabichs connaît fort bien tout l’avantage qu’ils ont à retirer de leurs bonnes relations avec les Français.

Si Ould Méhémet, seul, persiste à ne pas vouloir comprendre, il pourra être remplacé dans son commandement par un de ses cousins qui, plus pauvre que lui, jouit cependant d’une grande réputation dans la tribu.

Les Berabichs ont été récemment pillés par les Hoggars, qui leur ont pris un millier de chameaux. Ils ont besoin de nous comme nous avons besoin d’eux pour l’azalai.


3o Nomades voisins de Tombouctou

Genonines. — Les Genonines sont tout à fait inféodés aux Berabichs, et leur chef suit fidèlement la politique d’Ould Méhémet. Ils payent leur impôt, mais, depuis les événements de 1897, ils n’ont rendu aucun service. Au contraire, ce sont eux qui ont averti N’Gouna de mon mouvement lorsque j’ai quitté Tombouctou, en mai. En passant dans leur campement, en novembre, je les ai avertis que nous ne voulions, dans les bons pâturages voisins de Tombouctou, que des nomades amis et qu’ils risquaient d’être invités à remonter vers le Sud, s’ils ne modifiaient pas leur attitude.

Imededrens. — Ceux qui sont campés autour de Tombouctou et qui portent ce nom, très répandu, sont d’anciens vassaux des Tengueriguifs dont l’autorité française a reconnu l’indépendance. Ils ne s’en sont guère montrés reconnaissants, particulièrement au moment des troubles de 1897 où ils ont disparu comme les autres. En juillet 1898, leurs chefs ont refusé de se charger de 5,000 à 6,000 moutons que j’avais, à grand’peine, ramenés de l’Est.

J’ai profité de cette occasion pour prendre une mesure dont, depuis longtemps, j’avais senti la nécessité. J’ai réservé un espace bien déterminé, ayant la forme d’un triangle, dont la base est le fleuve et le sommet Tombouctou, dont l’accès est interdit aux troupeaux des nomades. Auparavant, les nomades, principalement les Imededrens, venaient s’installer jusque sous les murs de Kabara, y manger l’herbe très rare à certaines époques et ne laissaient ainsi rien à tondre au troupeau du poste. Maintenant, notre troupeau, toujours bien nourri, peut soutenir la comparaison avec ceux des nomades, et Mohamed Ag Ahamé[2] est venu m’exprimer tous ses regrets de n’avoir pas accepté la charge des moutons. J’ai prescrit une mesure analogue dans les autres postes. Les troupeaux des villages ne sont pas, bien entendu, compris dans l’interdiction faite aux nomades.

Petites tribus. — Les Ahel Sidi Aalis, les Kel N’Kounders, les Kel Inchérias, les Kel Aouzas, les Chourfigas de Goundam, les Kountas du Sud payent leur impôt sans faire parler d’eux. J’ai demandé à ces tribus des conducteurs pour conduire les bœufs porteurs qui formaient mon convoi dans les dernières opérations ; elles se sont exécutées de suite et m’ont fourni des captifs qui ont très bien marché et fait leur service.

Le chef des Ahel Sidi Aalis est presque toujours avec Ould Méhémet et, en sa qualité de saint marabout, lui donne de mauvais conseils ; le chef des Kel N’Kounders était très écouté par N’Gouna.

Le chef de Kountas, Sidi Alouata, est presque toujours en voyage pour récolter des aumônes ; mais, comme il me l’a dit lui-même, ce commerce ne va plus fort.

Le prestige des Kountas est bien tombé, surtout depuis que les Touaregs ont compris qu’Abiddin les trompait.

En particulier, Sidi Alouata n’a jamais, je pense, bénéficié que du prestige de ses ancêtres ; il est absolument noir, et un noir ne peut pas avoir d’influence sur les Touaregs. Sidi Alouata est un bon marabout, pas du tout fanatique. Je lui ai donné, après les opérations de juin, une tribu de captifs prise à Sakaoui et qui avait autrefois appartenu à la famille de Beckay.


4o Nomades du Sud

Tengueriguifs — Je me suis assez longuement étendu dans mes précédents rapports sur mes excellentes relations avec Cheboun, je n’y reviendrai pas.

À la faveur des événements de 1897, tous les nomades soumis n’avaient pas payé l’impôt et ne l’ont apporté qu’en 1898. Je leur ai à tous réclamé l’impôt de 1898 avant la fin de l’année, à Cheboun comme aux autres, et ils ont payé sans rien dire.

Au moment de mon départ, j’ai appris que Cheboun était allé trouver le commandant de Raz-el-Mâ et avait manifesté des prétentions sur les villages dits « de l’Ataram ». C’est là une tentative comme en font tous nos sujets, noirs ou autres, pour essayer les nouveaux commandants de cercle. Cheboun a accepté définitivement d’être privé de ces villages.

Kel Témoulais. — Ils vivent souvent à côté des Tengueriguifs, et Cheboun affecte de s’occuper de leurs affaires. Je ne suis cependant pas bien sûr que Gfesten, le chef des Kel Témoulais, tienne beaucoup à voir se reformer l’ancienne confédération des Tademakets. Elle peut se reformer, du reste, sans que nous ayons besoin de nous en émouvoir. Les Kel Témoulais et les Tengueriguifs deviendront de moins en moins nomades. Cheboun, pendant cette année 1898, n’a pas transporté ses campements plus loin que deux ou trois marches. Le pays qu’il habite est magnifique, propre à la culture et à l’élevage et très facile à surveiller de Tombouctou.

Les bellats de Temoulai ont à Tombouctou une réputation bien établie de brigands ; les villages commencent cependant à s’enhardir et ont amené un de ceux qui avaient commis le plus de méfaits. Il a été puni ; depuis, il n’y a pas eu de plaintes.

Irreguenatens. — Assalmy, qui est imposé à 200 moutons, avait profité comme les autres, des événements de 1897 pour ne pas payer son impôt. Je le lui ai réclamé dès les premiers mois de 1898 sans succès.

J’ai alors saisi un troupeau que des Irreguenatens amenaient sur le marché de Tombouctou ; puis, au mois de juillet, en revenant de l’Est, j’ai fait une pointe dans le Sud. Les 200 moutons sont aussitôt arrivés à Tombouctou. Depuis, ayant appris par un Peuhl qu’il y avait chez les Irreguenatens un cheval provenant des spahis et pris, probablement, à l’affaire de Kara, j’ai réclamé le cheval et le cheval a suivi les moutons.

Les Irreguenatens viennent de payer de nouveau l’impôt, celui de 1898.

Pendant les quelques jours que je viens de passer à Tombouctou, j’ai reçu un envoyé des Irreguenatens, venu pour m’annoncer la mort d’Assalmy et l’avènement d’El Beckay son cousin. J’avais chargé l’envoyé de dire à son chef que j’allais à Bandiagara, et que je désirais recevoir la visite d’El Beckay, soit à Bandiagara soit à Hombori, au moment de l’hivernage. Les Irreguenatens sont peu connus à Tombouctou ; ils se tiennent en saison sèche au sud d’El Oualedji, et en hivernage vers Bambara et Hombori. J’ai eu quelques réclamations des villages du fleuve contre deux Touaregs de la tribu, et je n’ai pu obtenir satisfaction, ces individus n’obéissant pas à Assalmy. C’est pourquoi je me proposais de montrer des troupes dans ce pays des Irreguenatens vers le mois de juillet.


5o Nomades de l’Est

Igouadarens. — Sakaoui, après être venu à Tombouctou, s’occupa de réunir les chevaux d’impôt et les expédia en novembre. Ils furent refusés, sauf trois. Aussitôt qu’il sut une colonne en route vers Bamba, il se hâta de remplacer ceux qui avaient été refusés, et ses envoyés vinrent trois fois dans mon camp avant mon arrivée à Bamba. Le dixième et dernier cheval fut reçu à Bamba même. Depuis cette époque, il y a eu plusieurs fois des plaintes faites par les villages contre les Igouadarens, le plus souvent pour fort peu de chose. Sakaoui a toujours donné satisfaction, aussitôt que les plaintes lui ont été transmises par le commandant de Bamba.

Il a compris la faute commise en se joignant au rezzou d’Abiddin en 1897 ; il n’a rien gagné à ce rezzou, quoique ce soient les cavaliers Igouadarens qui aient décidé du succès de l’affaire de Kara ; les armes, la plus grande partie des chevaux et des captifs ont été pris par Abiddin même. Les pertes que les Igouadarens ont faites par suite de leur fuite en 1898, leur ont prouvé qu’ils ne peuvent plus se passer des bords du fleuve. L’échec que leur a fait subir le lieutenant Delestre et l’occupation du fleuve leur auront fait comprendre, définitivement, je l’espère, qu’ils ne pouvaient rien contre les Français et que même un succès comme celui de Kara ne pouvait pas leur donner un résultat sérieux.

Mais Sakaoui, comme tous les chefs Touaregs, n’a sur sa tribu qu’une influence limitée, en particulier, son cousin Sakib s’est toujours plu à lui causer du désagrément. Sakib a donc donné asile à Abdoul Samade, un petit marabout qui, seul, s’est associé à Abiddin en 1898. J’ai fait savoir à Sakaoui qu’il avait à se débarrasser d’Abdoul Samade, et un homme qu’il m’a envoyé à Tombouctou à mon passage m’a répondu qu’Abdoul serait chassé et Sakib avec lui, s’il ne voulait pas obéir à Sakaoui. J’ai donné l’ordre, d’une part, au commandant de Bamba, de s’emparer d’Abdoul Samade, s’il pouvait le faire sans entrer dans le campement Igouadaren.

Les fractions nobles et vassales qui ont été séparées des Igouadarens sont restées totalement séparées depuis, et j’ai maintenu cette séparation malgré les plaintes de Sakaoui. Les Tarbonacens et Kel Hékikans, fractions nobles, sont dans ce cas, pour une partie seulement ; les Kel Houllés et les Imededrens en totalité.

Kel Houllés. — Leur chef, Asoura, vient de mourir, et cet événement accentue encore la séparation avec leurs anciens suzerains, depuis l’hivernage, je leur ai assigné la rive gauche entre Tombouctou et Bero comme terrain de parcours, à l’effet de les soustraire à l’influence des Igouadarens que j’ai obligés à rester sur la rive droite.

Les Kel Houllés ne sont pas riches ; ils n’ont que des moutons, mais ils sont braves. Ils ont fourni tous les guides qui leur ont été demandés soit pour suivre le fleuve, soit pour aller dans les puits. Ils ont fait récemment, après en avoir demandé l’autorisation, une expédition assez fructueuse contre les Kel Antsars d’Ibrahim Ag Allai qui n’avaient pas encore fait leur soumission.

Je leur ai donné, en juin, une tribu de captifs appartenant aux Igouadarens.

Imededrens. — Ces anciens vassaux d’Oulmiden vivaient groupés avec les Igouadarens ; ils sont riches, ont des chevaux et des bœufs ; ils ont payé une forte amende, en juillet, pour avoir la paix, lorsque j’ai été les chercher ; ils sont maintenant séparés des Igouadarens et campés sur les deux rives, à hauteur de Boïa.

Vassaux voisins de Bamba. — Les trois tribus Touaregs qui ont été le plus particulièrement atteintes, le 25 mai et le 5 juin, m’ont à ce moment fait des propositions de paix que j’ai acceptées. Deux groupes se sont formés l’un, composé des Kel Guerisouanes et des Kel Teigiouanes, chef Miarata, s’est mis aussitôt sous la protection du lieutenant Delestre que j’avais laissé à Bamba, l’autre, composé des Imalkalkalens, chef Sido, a été de nouveau entraîné par les tribus insoumises.

Miarata, depuis cette époque, a été un excellent auxiliaire, il a fourni des guides au lieutenant Meynier pour plusieurs reconnaissances exécutées pendant l’hivernage et, récemment, les Guerisouanes ont fait plusieurs petites opérations pour leur propre compte, mais avec autorisation. Ils ont plusieurs fois razzié les Idemous, ont marché avec les Kel Houllés contre les Kel Antsars, enfin, ils m’ont suivi dans les mares de Barhano et de Kadiera, en décembre dernier. Ils s’enrichissent dans ces opérations.

Les Imalkalkalens sont revenus demander la paix, et je les ai autorisés à venir près de Bamba. Mais, tandis que je n’ai rien fait payer aux Guerisouanes, j’ai imposé aux Imalkalkalens une amende assez forte en plus de l’obligation de restituer tout ce qu’ils ont pris depuis le mois de juin.

Igtsillens. — Les Touaregs ainsi appelés sont très nombreux et ont des troupeaux de moutons considérables. Je ne connais pas bien leur situation dans la société Touareg ; ils ont pour toute arme un bâton. J’ai bien accueilli ceux qui sont venus demander notre protection ; j’ai vu, à Bamba, leur chef Hoy, et je l’ai autorisé à rester au bord du fleuve. Ils ont fourni un guide au lieutenant Meynier dans sa dernière opération aux puits de Maroafal.

Kel Tabankorts et Idemans. — Les Kel Tabankorts sont des nobles, les Idemans des vassaux, mais d’origine seulement et, de fait, absolument indépendants comme les Guerisouanes, les Imalkalkalens, les Imededrens et d’autres. Ils habitent soit le bord du fleuve, soit les puits du Nord, entre Eguedesch et Boroum. Ils sont très bien armés et montés en chevaux et chameaux. Ils ont pris part au rezzou de 1897 contre Tombouctou. Des Idemans marchaient souvent avec N’Gouna, notamment en février 1898, lorsqu’il est venu à Araouan et au Faguibine. Ils sont très redoutés des villages.

Les Kel Tabankorts n’ont pas encore été atteints, ils sont restés dans leurs puits de Chinkai et autres, au Nord de Tosaye, au moment de mon passage avec la mission Voulet.

Les Idemans, au contraire, ont déjà été atteints plusieurs fois. D’abord, le 5 juin, ils ont subi des pertes en hommes et en animaux. Au mois de janvier dernier, le lieutenant Meynier a fait contre eux une opération qui lui a fait le plus grand honneur[3]. Il les a rencontrés plusieurs fois dans les puits au Nord de Bamba, leur a tué des hommes, leur a pris un chef, réputé par ses pillages, et des troupeaux. Les Idemans ont été aussi pillés par les Guerisouanes.

Les Idemans et les Kel Tabankorts n’ont pas encore prouvé qu’ils désiraient la paix, cependant, au moment de mon passage à Bamba, une petite fraction Ideman qui a l’habitude de venir camper en face du village de Tenera paraissait disposée à entrer en relations.

Marabouts voisins de Bamba. — Sur la rive droite du Niger, entre les Igouadarens à l’Ouest, et les Tademakets à l’Est, le pays est parcouru par des nomades de tribus maraboutiques, Chiouks ou Chiokanes et Chérifs. Ces nomades sont riches en troupeaux, ils sont armés et prennent part avec les autres Touaregs à leurs guerres et pillages. Plus que les autres, ils exploitent les villages et, plus aussi que tous les autres, ils nous sont hostiles. Les villages d’Agata, d’Izamen, Garbané, Tinafoso, Hamgoundi et tout le groupe Songoi, appartiennent à des marabouts dont les principaux sont Handa, Saleck, Sidi Ya et Abdoul Samade. Quoique ces villages soient entre nos mains depuis le mois de mai, et que, depuis cette époque, il y ait toujours eu à Bamba un camp et un poste, les marabouts n’ont parlé de faire leur soumission que récemment ; l’un d’eux, Moussir, mort depuis, m’a même écrit une lettre insolente, et un autre, Abdoul Samade, n’a fait aucune proposition. Les villages, maintenant, ne dépendent plus que de l’autorité Française, et ils s’en sont montrés très heureux ; je les ai prévenus qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter du retour de leurs marabouts, même soumis, et que ceux-ci ne seraient pas autorisés à revenir près de leurs anciens villages. J’ai accepté à cette condition la soumission de Handa et de Saleck ; Sidi Ya m’a fait faire des propositions pendant que j’étais à Bamba, et il viendra prochainement se soumettre, il reste Abdoul Samade, dont j’ai parlé à propos des Igouadarens, et dont le mieux serait de se débarrasser, si l’occasion s’en présente. Plusieurs autres petits marabouts vivent, moitié nomades, moitié dans les villages, je les ai laissés en place en leur faisant payer plus ou moins, suivant chaque cas particulier. Tous ces marabouts sont la plaie du pays, et, comme partout, ils s’engraissent aux dépens des autres ; ils nous sont très hostiles. S’il était possible de s’en débarrasser, il nous serait facile de faire des Touaregs, qui sont des gens simples et pas fanatiques, de fidèles sujets. Je ne perds pas de vue, cependant, dans mes relations avec eux, qu’il ne faut pas lutter en face par la force contre l’influence musulmane, et, si je fais aux marabouts des conditions plus dures qu’aux autres, je ne leur en laisse pas voir le motif réel.

Tademakets ou Kel Boroms. — Cette tribu, qui est peu nombreuse, car elle ne compte que 40 nobles, est très guerrière. Elle habite toute l’année à hauteur des villages du groupe Borom, soit au bord du fleuve, soit dans les mares du Sud. Comme les Igouadarens et les Tengueriguifs, dont les Kel Boroms sont parents et alliés, ils ne possèdent pas de puits dans le Nord : ils sont absolument à notre merci du moment que nous occupons le fleuve.

Ils étaient réunis, au mois de décembre, aux Kel es Souks, dans les mares de Karhous, Kadiera et Tibourari, mais ne m’y ont pas attendu. Un de leurs chefs a été tué dans le combat du 24 juin contre le lieutenant Delestre ; ils désireraient faire la paix depuis la prise de possession de Gao.

J’avais l’intention de leur faire des conditions assez dures, analogues à celles faites aux Igouadarens. Ils pourront revenir sur leur territoire de parcours, à condition de ne plus rien demander aux villages et de payer six chevaux. J’ai l’honneur, mon général, de vous prier, le cas échéant, d’approuver les instructions en ce sens que j’ai laissées au commandant de Bamba.

Tenguereguedeschs. — Cette tribu comprend environ 120 nobles, montés sur de très bons chevaux. Elle habite ordinairement à hauteur des villages de Hâ, dont deux lui appartiennent, Ouani et Dangha. Les Tenguereguedeschs n’ont ni vassaux ni captifs ou, en un mot, peu. Ils sont très redoutés comme les Idemans, étant très pillards. Ils ont pris part au rezzou de 1897 contre Tombouctou et se sont, avec les Igouadarens et les Kel Boroms, enfuis devant ma colonne en mai. Depuis, ils n’ont cessé de faire de petites expéditions pour piller ; ils sont venus près de Bamba voler un troupeau à un marabout qui avait déclaré au commandant du poste ne rien posséder ; ils sont venus rôder autour de Gao au moment où je m’y suis installé et y ont volé des hommes. Ils sont depuis ce moment sur la rive gauche, et j’ai dirigé contre eux les deux reconnaissances du capitaine Cristofari et du lieutenant Hutin. La première les a atteints sérieusement au puits d’Argabech, le bruit a couru ensuite qu’ils avaient quitté le pays pour remonter dans l’Adrar, cela n’a rien d’impossible, car ils ne sont pas assez riches pour avoir besoin du fleuve et ont assez de chameaux pour aller au désert.

Oulimidens. — J’écris ce nom comme il est prononcé à Gao et par les autres Touaregs.

C’est le nom d’une des quatre grandes familles entre lesquelles Duveyrier partage les Touaregs, mais beaucoup de Touaregs de cette souche portent d’autres noms, tels les Igouadarens, les Dimicks, les Megalazens.

Les Oulimidens actuels ont trois chefs : Madidou, Eliacen, Rhiben ; ces trois chefs commandent à 1,200 nobles, à des vassaux, à des captifs, et possèdent sur le fleuve quelques villages entre Hâ et Ansongo. Ils sont beaucoup plus nomades que les Touaregs auxquels nous avons eu affaire jusqu’ici. En effet, Irreguenatens, Tengueriguifs, Igouadarens, Kel Boroms ne quittent pas le fleuve ou les mares du Sud ; ils ont des chevaux et peu de chameaux. Les Kel Antsars, plus nomades, possèdent des puits au Nord et des chameaux ; mais, tout en venant au bord du fleuve, ils y viennent isolément pour percevoir l’impôt ou en bandes pour quelque coup à faire ; ils séjournent habituellement dans des puits très éloignés du fleuve : 120 kilomètres. Ils ont de nombreux troupeaux de chameaux ; des 1,200 nobles Oulimidens, 1,000 sont montés à chameau, 200 à cheval.

Je ne veux pas, dans ce rapport, revenir sur ce que j’ai écrit dans mon compte rendu d’opérations au sujet des relations entre Oulimidens et Français. Madidou, dans sa naïveté de nomade, faisait profession d’être l’ami du commandant de Tombouctou et l’ennemi du commandant de Dori. Maintenant que les Oulimidens savent que ces deux commandants ainsi que tous les Français du Soudan obéissent à un même chef et que ce chef a donné l’ordre d’occuper le fleuve qu’ils considèrent comme leur propriété, ils ne peuvent être que nos amis. Mais, comme je l’ai dit dans mon compte rendu, Madidou sait qu’il ne peut pas lutter avec les Français ; il est obligé, pour l’honneur et les traditions de sa race, de se défendre contre l’envahisseur. S’il trouve une occasion favorable, il cherchera sans doute à livrer un combat après lequel l’honneur sera sauf et il pourra faire sa paix avec nous. J’ajoute qu’il est à souhaiter qu’il en soit ainsi. Les Oulimidens, comme les autres Touaregs nobles, deviendront des sujets d’autant plus sûrs et plus fidèles qu’ils auront mieux éprouvé notre force.

Il n’y a cependant rien d’impossible, soit à ce que les Oulimidens se soumettent sans combat, soit à ce qu’ils quittent le pays au moins momentanément. Pendant tout le temps que j’ai passé sur leur territoire, ils se sont toujours soigneusement tenus à distance et ils n’ont pu se réunir. Est-ce par défaut d’entente ou par impossibilité matérielle de réunir quelques milliers d’hommes loin du fleuve ?

La première hypothèse est la plus probable, et, dans ce cas, il est très possible que Madidou, au moins, cherche à entrer en arrangement sans avoir combattu. Eliacen et Rhiben, dans ce cas, suivront sans doute son exemple.

L’autre hypothèse est moins probable, mais est également possible. Pendant les mois de mars, avril, mai, il y a sans doute peu d’eau et de pâturages dans les puits ; même, cette année, il n’y a pas d’eau à Samit, qui est ordinairement une grande mare, point habituel de rassemblement.

Le voisinage du fleuve est fatal aux chameaux pendant toute cette saison qui est la période des mouches et de la décrue des eaux. Les Oulimidens, s’ils veulent combattre, ont donc intérêt à attendre le mois de juin, époque où leurs chameaux peuvent venir au bord du fleuve, où les villages sont facilement accessibles et où nos bateaux ont de la peine à circuler. Il est facile de parer à cette éventualité très redoutée des noirs des villages, et je leur ai donné à cet égard des assurances rassurantes.

Les Oulimidens peuvent aussi partir dans le désert ; leurs territoires de parcours sont immenses. Au Nord, ils sont limités par celui des Hoggars, avec lesquels ils sont en bonnes relations. Il n’en est pas de même entre les Oulimidens et leurs voisins de l’Est, les Dimicks et les Airs. Les Dimicks sont de souches Oulimidens, devenus aussi puissants que la tribu mère et toujours en guerre avec elle. Les Airs aussi sont constamment en guerre avec les Oulimidens, et ils ont l’avantage très probablement, car, en 1897, ils sont venus à la poursuite de leurs ennemis jusqu’à Gao et ont campé sur l’emplacement où s’élève le poste. D’après les renseignements actuels, les Oulimidens, s’ils quittaient le pays, iraient donc vers le Nord. Quelle que soit la direction de leur exode, elle ne serait pas plus désavantageuse pour nous que leur soumission. Ils iront grossir d’un millier d’hommes les maîtres du Sahara, mais resteront impuissants contre nos postes du fleuve.

Vassaux Oulimidens. — Les vassaux nous resteront certainement ; il faudrait une bien grande maladresse pour les laisser partir avec leur maîtres. La richesse de ces vassaux consiste surtout en moutons, et pour faire vivre de grands troupeaux de moutons, il faut les amener au fleuve au moins pendant trois mois de l’année.

D’autre part, les vassaux Oulimidens savent que ceux qui nous servent, au lieu de nous combattre, s’enrichissent, tels les Guérisouanes.

Un petit chef des Imetchds, nommé Borécheriche, qui était en relations avec Mariata, chef des Guérisouanes, le comprit le premier et vint se présenter à moi près de Hâ. Je ne lui imposai aucune autre condition que celle de me fournir des guides pour aller chercher les Tademakets et Kel es Souks dans les mares ; il s’exécuta de bonne grâce et fut largement payé sur le butin. Depuis ce moment, il attire à lui tous les Imetchds, et tous seraient déjà avec lui, s’ils n’étaient retenus par les nobles.

Les Imededrens[4], Kel Rezafs, Ibourdanens, tribus vassales, les Ibourlitens, tribu captive, ont également fait leur soumission. Tous les autres, dont actuellement nous ne connaissons même pas les noms, viendront faire leur soumission avant le mois de mai, et, à cette époque, les Oulimidens seront seuls.

Kel es Souks. — Les Kel es Souks ne sont pas, comme les Oulimidens, de grands nomades : ils sont, par leurs biens, beaucoup plus attachés au fleuve. Leur chef général, El Mekki, chef en même temps de la fraction la plus riche, celle des Kel Agadeschs, habite ordinairement l’île d’Ansongo ou les puits situés un peu au Nord.

La tribu des Kel es Souks est analogue à celle des Kel Antsars ; elle est à la fois guerrière et religieuse, et est très dispersée. Comme elle, elle nous suscitera, sans doute, longtemps de l’embarras.

Les Kel es Souks ont une grande influence sur les Touaregs et sur les noirs.

Aux Touaregs, qui sont tous illettrés, ils fournissent des écrivains et des marabouts pour faire le salam. Ces plumitifs se plaisent surtout à tout brouiller et à être grossiers lorsqu’ils écrivent à des infidèles. Ils ont marché avec tous les rezzous contre les Français ou leurs sujets, et après Abiddin, ils ont été la cause déterminante de la grande réunion des Touaregs en 1897.

Sur les noirs du fleuve, les Kel es Souks exercent une influence énorme. Beaucoup de villages leur appartiennent, et ce sont les plus riches, dans beaucoup d’autres, ils ont des élèves, des captifs ; à tous (entre Aï et Ansongo), ils fournissent les marabouts.

À l’égard des Kel es Souks, j’ai suivi la même politique qu’à l’égard des marabouts voisins de Bamba.

Un groupe de Kel es Souks habite les mares de la rive droite ; c’est ce groupe campé avec les Tademakets que j’ai razzié du 8 au 12 décembre ; aucun noble n’a perdu la vie dans cette affaire, mais ils ont perdu beaucoup de biens et tous leurs livres. Un autre groupe, avec El Mekki, était campé, en mars, dans des puits, à hauteur d’Ansongo, et je comptais les y rencontrer vers le 8 ou le 9 mars.

Une tribu vassale des Kel es Souks, les Deguicelens, m’a fait sa soumission à Gao, et je l’ai fait passer sur la rive droite pour bien l’enlever à ses maîtres.

D’après le commandant Crave, des Kel es Souks se livreraient au commerce. Je n’en ai pas eu la preuve ; mais, si cela, est, ce sont des vassaux ou, plus probablement, des captifs, et leur soumission ne les empêchera pas d’aller à Dori.

Touaregs du Sud. — Les Touaregs, qui étaient rassemblés à la mare d’Arsema le 21 décembre, et qui se sont enfuis sans combattre, étaient des Oudalens, des Ouaraouaras, des Kelkeris, des Kel es Souks, etc.

Les Oudalens et les Ouaraouaras sont sans doute retournés vers Dori et Aribenda, et je n’en ai plus entendu parler. Les Kelkeris sont allés dans les mares de Merei et de Gossi. En apprenant que je cherchais des guides pour aller à ces mares, ils m’ont fait faire des offres de soumission, les Kel Gossis, campés à la mare du même nom, en ont fait autant.

Tous ces Touaregs, qu’ils soient d’origine noble ou vassale, sont indépendants.

Les Logomatens étaient en majeure partie sur la rive gauche, avec leur chef Bokar Ouanzeidou. Au moment où je me mettais en marche de Gao sur Dounzou, Bokar, craignant sans doute de voir arriver la colonne, envoya à Dounzou faire des offres de soumission. Ce n’est pas la première fois qu’il fait de ces propositions. Mais j’estime que les Logomatens, qui sont devenus très acharnés après les Français, qu’ils ont cru faibles, ne les voyant pas beaucoup sortir de leur poste de Dori, doivent maintenant payer leur acharnement et leur erreur. Je n’ai fait donner aucune réponse à Bokar, j’ai seulement écrit au commandant de Dounzou d’avertir les villages que Bokar ne reviendrait plus jamais sur la rive droite. En partant, j’ai donné l’ordre au capitaine Cristofari de marcher sur Bokar Ouanzeidou, après avoir défait les Kel es Souks.


6° Nomades étrangers à la Région

Tous les nomades qui ont besoin du fleuve, soit qu’ils habitent ses bords, soit qu’ils n’y viennent qu’une partie de l’année, doivent être nos tributaires. La solidité de notre occupation est à ce prix.

Mais il est d’autres tribus qui, sans souvent habiter très loin du fleuve, n’en ont pas besoin et ne viennent jamais camper sur ses bords ; celles-ci doivent rester en dehors de notre action si nous ne voulons pas être entraînés à la conquête du pays du sable et de la soif. À l’Ouest et au Nord du lac Faguibine, entre Oualata et Araouan, le pays est peu ou pas habité ; les nomades le traversent, mais sans y séjourner.

Entre le méridien de Gouandam et celui de Tosaye, au contraire, il y a de très nombreux puits habités par les Berabichs, les Kountas, les Kel Antsars.

Plus à l’Est s’étend l’Adrar, pays de collines et de vallées dans le fond desquelles l’eau se trouve à une assez faible profondeur. Ce pays est habité par des Maures, surtout des Kountas. Plus à l’Est, dans le parallèle de Gao comme centre, sont les puits des Oulimidens.

Au Nord de toute cette région, depuis Tombouctou jusqu’à Gao, habitent les Hoggars ; plus à l’Est, les tribus issues des Oulimidens et les Airs ou Kel Ouis.

Berabichs. — Le chef des Berabichs s’intitule sur ses lettres : « Roi de l’Azaoua ». Ni lui ni ses hommes ne viennent jamais au fleuve. Les Gouanines, qui habitent à côté même de Tombouctou, sont agglomérés seulement avec les Berabichs sans leur être parents, et depuis peu d’années. Les Gouanines sont des Maures de l’Ouest, les Berabichs, des Glémans, Arabes de la Tripolitaine.

J’ai parlé longuement déjà des Berabichs, et, si j’y reviens, c’est à cause du double caractère que présente cette tribu et de l’importance des relations avec elle. Les Berabichs n’ont pas besoin, en effet, du fleuve, et leurs troupeaux se composent presque exclusivement de chameaux ; mais, d’autre part, ils n’en sont pas moins dépendants, dans une certaine mesure, des maîtres de ce fleuve.

Ce n’est que chez eux qu’ils peuvent écouler le sel de Taodeni dont ils sont les propriétaires et les principaux convoyeurs.

Nos relations avec les Berabichs doivent nécessairement tenir compte du double caractère de la tribu ; s’ils ne sont pas soumis à l’impôt, ils ne doivent pas, cependant, être indépendants. C’est pour cela que je voulais faire venir Ould Méhémet à Tombouctou.

Kountas. — Les Kountas, depuis qu’ils n’ont plus la suprématie religieuse, sont très dispersés.

Il en existe un groupe qui vit dans le Hogh, avec l’autorisation des Meschdoufs et qui s’est agité, en 1897, après l’affaire de Kara et la réception d’un messager d’Abiddin.

Le groupe Kountas soumis habite au Sud du fleuve, à côté des Touaregs ; j’en ai parlé.

Les Kountas Regagdas habitent des puits, depuis Araouan jusqu’à Tosaye. Ils n’ont pris part à aucun acte de pillage, et leur conduite a toujours été correcte et très réservée. Ils sont à la fois pasteurs et commerçants. Ils apportent du sel de Taodeni à Tombouctou, à Bamba, à Eguedesch, et vont jusqu’à Dori en passant par Gao. Les dernières reconnaissances faites dans les puits, l’occupation de Bamba nous ont amenés à rencontrer les Kountas Regaddas, et à entrer en relations avec eux autrement qu’à l’Oussourou de Tombouctou. J’ai reçu, en novembre, à Bamba, la visite d’envoyés auxquels j’ai fait bon accueil.

À mon dernier passage à ce poste, les mêmes sont venus me demander du secours contre Abiddin qui était, d’après eux, dans un puits au nord de Marzafal avec une colonne. J’ai refusé, sous prétexte que les Kountas marchaient avec les Idemans et que, ceux-ci n’étant pas soumis, je ne voulais pas leur porter secours.

En réalité, j’ai donné l’ordre au commandant de Bamba de ne pas s’engager aussi loin, d’attendre qu’Abiddin se rapproche du fleuve, et de l’empêcher avant tout de piller les villages.

D’autres Kountas que les Regaddas ont les puits entre Bamba et l’Adrar. Abiddin, dans les moments où il n’est pas sur les routes en train de faire ou d’essayer quelque mauvais coup, habite l’Adrar même, à 200 kilomètres au Nord de Tosaye.

Tous ces Kountas n’ont pas de relations avec nous, mais leur proximité va forcément créer ces relations à bref délai.

Abiddin le Kounti. — Ce serait une histoire curieuse à connaître que celle de ce chef de bandes ; elle s’est passée à semer la discorde partout où il est allé, du Touât au Macina.

Comment les Touaregs ont-ils consenti à marcher sous la bannière de cet étranger, et cela pour des expéditions dont le but final a toujours été la destruction de villages dont ils tirent leur subsistance ? Le prestige religieux des Kountas, les jongleries d’Abiddin et surtout la naïveté des Touaregs en sont les causes. Ce n’est pas le seul exemple qu’il y ait de l’exploitation par des Arabes de la simplicité des Touaregs, mais c’est un des plus caractéristiques.

L’expédition de 1897 a rapporté à Abiddin un gros butin en armes, chevaux et captifs. Tous ces captifs qu’il a eus pour sa part ont disparu, soit qu’il les ait conservés dans l’Adrar, soit qu’il les ait vendus dans le désert ; tous ceux, au contraire, qui ont été aux mains des Igouadarens ou autres Touaregs sont actuellement revenus dans leurs villages et beaucoup l’étaient avant même que ces Touaregs aient fait leur soumission.

Les Touaregs ne sont pas âpres au gain comme les Maures ; ils ont volontiers revendu aux noirs du fleuve les gens qu’ils avaient pris, et beaucoup aussi se sont évadés sans grandes difficultés.

Abiddin est revenu à Bamba en décembre 1897-janvier 1898 avec une troupe de trois à quatre cents hommes ; il s’avança jusqu’à Rero, mais sans pouvoir entamer les villages protégés par les hautes eaux.

Les canons-revolvers du Mage et du Niger et les 100 tirailleurs qui les montaient empêchèrent la jonction des Igouadarens campés sur la rive droite avec Abiddin campé sur la rive gauche et le mirent en fuite.

Cette saison des hautes eaux ne lui étant pas favorable, Abiddin projeta de refaire, en 1898, son expédition de 1897, et il revint en mai au bord du fleuve. Ce fut la raison déterminative des opérations que j’entrepris à cette époque. Les Touaregs, préoccupés de sauver leurs femmes et leurs troupeaux, ne purent pas réunir un rezzou ; mais Abiddin les détermina à le faire après mon retour à Tombouctou ; ils attaquèrent, le 24 juin, le lieutenant Delestre, qui leur infligea un échec sérieux.

Alors les Touaregs se séparèrent d’Abiddin ; Il reste seul avec deux ou trois cents hommes, mais il ne quitte pas pour cela la partie. Il revient sur le camp du lieutenant Delestre le 14 juillet, mais ses hommes s’enfuient au premier coup de canon.

Passant alors dans l’intérieur des terres, vers le Sud, il vient jusqu’à Rero ; les habitants de ce village, prévenus à temps, se sauvent dans la brousse. Les opérations, à cette époque où il commence à pleuvoir, ne sont pas faciles pour les gens d’Abiddin, principalement montés à chameau. Il revient vers l’Est sans avoir rien pu prendre et surprend le village d’Inzamen, dont il emmène toute la population, corde au cou. Comment ce saint homme qui ne fait la guerre qu’aux infidèles explique-t-il son droit d’emmener en captivité tous ces bons musulmans d’Inzamen ? Heureusement, le lieutenant Delestre, toujours à Sungoï, put surprendre Abiddin au moment où il voulait passer sur la rive gauche avec son butin, il le lui reprit et mit sa troupe en fuite. Abiddin se conduisit très courageusement dans cette affaire et chercha jusqu’au dernier moment à rallier sa troupe et à l’obliger à faire face aux tirailleurs.

Sauf dans l’affaire du 24 juin, où tous les Touaregs donnaient, la troupe d’Abiddin se composait de Maures, Kountas pour la plupart, et de Hoggars armés de fusils, tous étrangers au pays. Les seuls nomades du pays marchant avec lui ont été Abdoul Samade et ses Chiokaus, en janvier, et les Idemans, armés de lances et à pied pour la plupart. La promenade d’Abiddin dans l’intérieur, loin de l’eau, pour éviter la colonne Delestre, et le combat engagé en dernier lieu pour accéder au fleuve coûtèrent à Abiddin beaucoup de chameaux et de chevaux. Un très beau cheval, à lui appartenant et pris par le lieutenant Delestre, me sert de monture depuis.

Pendant cet hiver, Abiddin, dont le prestige sur les Touaregs a beaucoup baissé, n’a pas paru au fleuve, et il s’est contenté d’opérations plus modestes. Au mois de janvier, le lieutenant Meynier a été suivi pendant deux jours dans les puits du Nord-Est de Bamba par une troupe de chameliers d’Abiddin, ils l’ont entouré sans jamais oser l’attaquer. Au mois de février, Abiddin préparait un coup contre les Regagdas, du moins, c’est ce que ceux-ci m’ont dit.

La mort seule nous délivrera d’Abiddin.

Hoggars. — Les Hoggars ont pris la fâcheuse habitude de venir jusqu’au Niger pour piller ; je crois que ce n’est que depuis peu, et sous l’influence d’Abiddin.

Il y avait des Hoggars, comme je viens de le dire, dans toutes les bandes d’Abiddin ; enfin, il y en avait encore dans une petite troupe qui est venue piller le village de Bossi en juin 1898.

Pour le moment, il me paraît que cette apparition des Hoggars, si loin de leur pays, n’a rien d’inquiétant. Ce ne sont sans doute que des isolés qui marchent avec Abiddin. Abiddin connaît tout le désert, et il y trouvera toujours des brigands désireux de faire un peu de butin. Maintenant que le fleuve est occupé, il faut espérer cependant que les Hoggars perdront l’habitude d’y venir et resteront chez eux.

Ils sont tous armés de fusils ; s’il devient nécessaire de s’inquiéter d’eux nous pouvons les attendre en leur opposant les Berabichs.


7° Population sédentaire

Je me suis appliqué à toujours bien traiter les populations sédentaires ; j’ai pris possession du fleuve jusqu’à Ansongo sans déplacement de population, sans amende sérieuse et sans tirer contre elle un seul coup de fusil.

Cependant, aucun village ne m’a volontairement prêté le moindre secours contre les Touaregs : trois hommes seulement entre Tombouctou et Sinder se sont mis de notre côté, Ousman de Sungoï, Idrin de Lotokaro et Idrin de Boura. Tous les autres chefs de villages se sont, au contraire, montrés plutôt hostiles. J’ai usé avec eux de patience ; la terreur que leur inspirent les Touaregs est si profonde qu’elle les excuse dans une certaine mesure ; les bruits répandus par les Kel es Souks sur le compte des chrétiens ont contribué aussi à rendre leur attitude plus hostile. Cette hostilité a toujours été bénigne, et elle a toujours été facile à réduire sans employer les grands moyens.

Lorsque j’ai quitté Gao, ma patience avait déjà porté ses fruits, et les chefs de villages venaient déjà apporter des renseignements, faire connaître les biens à eux confiés par les Touaregs ; ils servaient aussi d’intermédiaires aux Touaregs pour leurs soumissions, et ce rôle, nouveau pour eux de protecteur des Touaregs, ne peut que contribuer à leur relèvement moral.

Les sédentaires de la région Nord sont des Arnas, des Sonrhais, des Gabibis ; on peut dire que tous, avant notre arrivée, n’étaient que des serfs, et l’empreinte de cette servitude est la marque de leur caractère. Les Gabibis, mélange de Sonrhais, sont plus asservis encore que les Sonrhais ; il faudra des années pour que cette race Sonrhai, égale et plutôt supérieure en intelligence à la race Bambara, reprenne de l’assurance et un sentiment plus digne de sa force et de sa dignité.

La population du cercle de Tombouctou, qui, sauf dans l’année 1897, a joui depuis notre arrivée d’une certaine tranquillité, est déjà en progrès. Celle du fleuve, entre Tombouctou et Borom, est bien pauvre, le pays est, de tous, le moins favorisé par la nature, et il a été beaucoup pillé. À partir de Borom, la population est moins clairsemée et plus aisée ; les villages Oulimidens et Kel es Souks appartenaient à des maîtres assez forts pour les protéger contre les pillards comme Abiddin, ces villages, surtout les Kel es Souks, sont assez riches et ne se plaignent pas des Touaregs.

Les Peuhls des cercles de Goundam et de Sumpi, les Chourfigs et autres sédentaires issus du croisement de Touaregs avec des noirs ou des Peuhls sont dans une condition très supérieure à celle des noirs du fleuve. Les Peuhls du cercle de Goundam sont cependant dans une situation inférieure à celle des Peuhls du Macina, les Touaregs les ont vaincus et leur ont fait perdre beaucoup de biens ; mais il ne les ont jamais asservis.


8° Généralités

Nous sommes maintenant très en contact avec tous les Touaregs qui ont accès au Niger, tous sont soumis ou près de l’être.

Il semble qu’on ait exagéré leur nombre et leur force.

Chaque tribu noble marchant sous un seul chef compte plus de 400 hommes.

Un chef de tribu, comme me l’a dit en propres termes Cheboun, n’a que l’exécution des décisions prises par l’assemblée des hommes de la tribu. La nécessité de tenir ces conciliabules avant toute opération, la dispersion des tribus rendent leur entente difficile pour une guerre générale.

Les vassaux sont beaucoup plus nombreux que les Touaregs nobles ; leur condition ne correspond pas toujours à ce nom de vassaux que nous leur donnons. Il y en a qui payent un pot de beurre comme tribut à leurs suzerains ; il y en a qui n’ont pas de suzerain. En général, tous les vassaux ne demandent qu’à être émancipés, et ils ne perdront pas grand’chose au nouvel état de choses.

Les Touaregs ont relativement peu de captifs, et la condition de ces captifs est bien supérieure à celle de cette même classe dans la société noire. Les captifs Touaregs vivent en tribus, et ces tribus deviennent peu à peu affranchies et indépendantes. Sans doute un Touareg qui a envie d’acheter un cheval n’hésitera pas à échanger quelques captifs ; cependant, et surtout dans certaines tribus, les captifs sont relativement heureux et toujours beaucoup plus que ceux des Maures. Les plus infortunés de tous sont ceux des noirs. Il en est une preuve bien caractéristique. Les captifs qui ont été enlevés aux chefs noirs auxquels nous avons fait la guerre au Soudan ont généralement été enchantés de leur nouveau sort, ceux que nous prenons aux Touaregs, sauf de très rares exceptions, se sauvent et vont rejoindre leurs maîtres.

Il ne faut pas espérer que les Touaregs apprécieront immédiatement les bienfaits de la conquête Française, ce serait trop demander à des gens que nous dépouillons. Cependant, nous avons le droit d’espérer qu’ils peuvent être nos amis dans l’avenir.

Ils sont incontestablement nobles et braves ; ils sont de mœurs simples, je dirais presque vertueuses ; ils ne savent ni lire ni écrire cette langue arabe qui est le lien qui réunit tous nos ennemis ; ils ne sont pas fanatiques musulmans. Toutes ces qualités, jointes à leur proche parenté avec nous, leur donnent, je crois, le droit d’être traités autrement que des noirs.

Rien ne s’oppose à ce que les Touaregs et les Français aient entre eux les relations les meilleures ; sinon le fait de la conquête. Nos procédés pourront la faire oublier et alors de tous les peuples conquis en Afrique, noirs ou arabes, les Touaregs seront les plus faciles à assimiler.


Lieutenant-Colonel Klobb,
de l’artillerie de marine,
Commandant supérieur des régions Nord et Nord-Est.


  1. Le Colonel Klobb commandait alors la région du Sahel.
  2. Celui des chefs Imededrens qui vient le plus souvent à Tombouctou.
  3. Rapport laissé à Tombouctou.
  4. Troisième tribu de nom, différente des deux dont il a été parlé.