Dernier carnet de route au Soudan français - La fin de la mission Klobb/12

CHAPITRE V




SOMMAIRE
En Colonne vers Bamba. — Description de la route. — Création du Poste de Bamba. — Marche en deux Colonnes sur chaque rive. — Prise de troupeaux sur les Touaregs Kel es Souks. — En face de Gao. — Menaces des Aouellimidens. — Le Cheval d’Abiddin. — Bravoure des Touaregs. — La Mission Voulet n’est plus avec le Lieutenant-Colonel Klobb.



Tiptal, 23 Novembre 1898.

Pour la troisième fois, sur la route de Bamba. Mais, ayant fait cette route chaque fois à une époque autre, je la trouve différente. En Mai, on peut longer le Niger d’assez près. En Septembre, les inondations forcent à rester éloigné de cinq kilomètres, en moyenne, du fleuve, et, en Novembre, j’en suis à dix. On marche de dune en dune, dans un pays assez boisé, où il y a quelques campements, ou plutôt quelques traces de campements de nomades, et beaucoup d’antilopes. Le terrible vent de l’hiver n’est pas encore levé, ce ne sera que pour Décembre et Janvier. La température est excellente. Les menus le sont moins : rien à manger, dans cette brousse, autre que de la viande et du riz. Pas de villages, donc pas de poulets, pas d’œufs, même pas de biscuit, tout ayant été mangé pendant la dernière colonne. Du pain de quatre jours, qui nous est arrivé par pirogue, a été trouvé excellent. Que mes préoccupations sont donc peu intellectuelles !


Samgoï, 2 Décembre 1898.

Mon fameux et tant souhaité poste de Bamba est désormais chose faite. Quatre bâtiments sont achevés, les autres seront finis dans un mois. J’ai passé à Bamba quatre jours bien remplis par l’organisation du poste, par les ordres à donner, par les promenades et par les reconnaissances à effectuer aux environs, toutes faites sur un superbe chameau blanc.

Ma marche dans l’Est continue, et je continue non moins à me préoccuper de trouver de la viande. Ma colonne, augmentée des 400 rationnaires de Voulet, mange ferme. Il me faut 1,000 kilogs par jour. Je me ravitaille en grains par des envois de Tombouctou, en viande, sur le pays, au pis aller par la chasse. On m’a rapporté hier deux biches, deux kobas, un robert, un sanglier. Le robert est une grande biche blanche avec le dos fauve. Les kobas sont gros comme de petits bœufs.

Je marche sur deux colonnes, une sur chaque rive ; les Touaregs sérieux se concentrent sur Gao. M’attendront-ils ou se sauveront-ils ? Je n’en sais rien. Les Aouellimidens entrent en jeu : jusqu’ici, nous n’avions pas eu à faire avec eux. J’ai expulsé du pays des marabouts qui vivaient aux crochets des noirs du fleuve.

L’ouvrage qui est devant moi et qui est considérable me mènera jusqu’en mai 1899.


Près Gao, 13 Décembre 1898.

Après avoir passé le Niger à Tossaye, je me suis établi sur la rive droite du fleuve. Mes après-midi sont courtes, le jour tombe de bonne heure, et, comme il n’y a pas de lune en ce moment, on ne peut marcher la nuit. Je pars tard, j’arrive tard au bivouac, et je ne déjeune qu’à deux heures ; la journée est faite. Je n’ai pas beaucoup à écrire, heureusement ! À quatre cents kilomètres de Tombouctou, on reçoit peu de courriers, par contre, peu de réponses à expédier. J’ai eu la bonne fortune de trouver des guides qui m’ont conduit à des mares, dans l’intérieur. Des Touaregs, qui s’y étaient installés, ont fui à mon approche. Je ne leur ai pris qu’une cinquantaine de captifs, quinze cents moutons et cinquante ânes. C’étaient des Kels es Souks, qui, à leur qualité de Touaregs, joignent celle d’être d’affreux marabouts. À ce titre, ils peuvent compter sur ma bienveillance. De cette affaire-là, ils ont perdu leurs livres, que mes tirailleurs, après les avoir ramassés, et les trouvant trop lourds, ont jetés sur les chemins.

Je suis presque en face de Gao. Tout le pays s’attend à me voir repasser le fleuve pour en prendre possession. Gao est l’antique capitale de l’ancien royaume Sonrhaï. Hourst écrit dans son ouvrage qu’il est le deuxième Européen à en avoir vu les palmiers et la mosquée, je suis donc le troisième à jouir du même tableau ; mais je suis le premier qui puisse le contempler à loisir, et rien ne m’empêcherait d’aller camper dedans si le cœur m’en disait. Je n’irai pas pour le moment. Je dois continuer ma route pour faire filer la mission Voulet. C’est en revenant que je m’y établirai. Les Ilmedens ou Aouellimidens, que Hourst estime à 20,000 guerriers, dont un tiers cavaliers, sont les maîtres de Gao et du pays. Ils me font dire que, si je me borne à rester sur la rive droite, ils ne diront rien ; mais que, si je veux m’emparer de Gao et du pays, ils me feront la guerre et m’extermineront ; au demeurant, ils ajoutent que, s’ils ne réussissent pas, je serai le maître. C’est cette dernière hypothèse qui se vérifiera. Je ne me doute pas du temps pendant lequel j’accompagnerai encore la mission Voulet. Nous arriverons dans quatre ou cinq jours à Ansongo, où commencent les rapides, et je me demande si mes bateaux les passeront, ou non. Mes deux grands bateaux sont percés comme des écumoires, et ont leurs trous bouchés avec des chiffons quelconques ; à la première roche, je risque de les défoncer et de voir mes vivres aller par le fond. Voulet, lui, a des chalands en fer, plus solides, mais plus lourds. Je marche depuis plusieurs jours dans de grandes dunes de sable, que les rochers vont remplacer à partir de demain. Je suis monté sur un grand cheval noir que les gens du pays connaissent bien, comme ayant été le propre cheval d’Abiddin. Ils l’avaient vu, au mois de Juillet, marcher dans l’autre sens. Ce cheval, tel un cheval d’empereur romain, était nourri avec du lait et de la paille.

Ici, le pays ne produit point de mil, rien que du riz, excellent d’ailleurs.


Sur le Niger, 29 Décembre 1898.

Sur le fleuve, entre Gao et Ansongo. Donné pendant huit jours, dans des mares au sud du Niger, la chasse à des Touaregs. Ceux-ci ont fui, ne me laissant que du butin, troupeaux et captifs. L’un de nos commandants de cercle avait été dans les mêmes parages quelque temps avant moi, sans que je le sache, d’ailleurs. Attaqué pendant qu’il était en marche, il avait eu quelque peine à se dégager. Ces Touaregs sont d’une bravoure à toute épreuve. Ce jour-là, ils ont chargé en furieux, tous les chefs devant, comme à l’ordinaire. Le chef de la bande Diongui, a eu ses deux fils, ses deux gendres et son frère tués.

Je n’ai pas encore trouvé de résistance. Ces hommes, qui n’ont que leurs lances, tandis que nous avons fusils et canons, seraient des fous s’ils venaient m’offrir le combat lorsque je suis sur mes gardes. Ils fuient, tout en surveillant mes mouvements, et en attendant une occasion favorable pour m’attaquer et pour me surprendre.

Je n’ai plus avec moi la mission Voulet. Ses bateaux ont pu passer les premiers rapides réputés infranchissables, je ne serais pas étonné qu’elle passât les derniers.

Je vais occuper Gao. Je m’attaque là aux Aouellimidens. Je ne prévois pas ce qu’ils feront, mais je souhaite qu’ils résistent, car il faut en finir.