Depuis l’Exil Tome VI Notes Le déporté Jules Renard




J Hetzel (p. 173-175).

NOTES

DU TOME DEUXIÈME

NOTE I.

LE DÉPORTÉ JULES RENARD.

Aux rédacteurs du Rappel.

Je reçois aujourd’hui, 17 juin 1872, cette lettre du 27 mai.

Jules Renard est cet homme résolu qui a poussé le respect de sa conscience jusqu’à se dénoncer lui-même. Il est en prison parce qu’il l’a voulu.

Je crois la publication de cette lettre nécessaire.

La presse entière s’empressera, je le pense, de la reproduire.

Cette lettre est remarquable à deux points de vue, l’extrême gravité des faits, l’extrême modération de la plainte.

À l’heure qu’il est, certainement, j’en suis convaincu du moins, Jules Renard n’est plus au cachot, mais il y a été, et cela suffit.

Une enquête est nécessaire ; je la réclame comme écrivain, n’ayant pas qualité pour la réclamer comme représentant.

Évidemment la gauche avisera.

Victor Hugo.
Prison de Noailles, cellule de correction, N° 74,
le 27 mai 1872.
À M. Victor Hugo.
De profundis, clamo ad te.

Je suis au cachot depuis huit jours, pour avoir écrit la lettre suivante à M. le général Appert, chef de la justice militaire :

Prison des Chantiers, 20 mai 1872.
« Monsieur le général,

Nous avons l’honneur de vous informer que depuis quelque temps le régime de la prison des Chantiers n’est plus supportable. — Des provocations directes sont adressées chaque jour aux détenus en des termes qui, si ces faits se prolongeaient, donneraient lieu à des appréciations non méritées sur tout ce qui porte l’uniforme de l’armée française. Les sous-officiers employés au service de la prison ne se font aucun scrupule de frapper à coups de bâton sur la tête des prisonniers dont ils ont la garde. Les expressions les plus grossières, les plus humiliantes, les plus blessantes, sont proférées contre nous et deviennent pour nous une continuelle excitation à la révolte.

Aujourd’hui encore, le maréchal des logis D… a frappé avec la plus extrême violence un de nos codétenus, puis s’est promené dans les salles, un revolver dans une main, un gourdin dans l’autre, nous traitant tous de lâches et de canailles. Ce même sous-officier nous soumet depuis quelques jours à la formalité humiliante de la coupe des cheveux et profite de cette occasion pour nous accabler de vexations et d’injures.

Jusqu’ici, faisant effort sur nous-mêmes, nous avons contenu notre indignation, et nous avons répondu à ces faits, que nous ne voulons pas qualifier, par le silence et le dédain. Mais aujourd’hui la mesure est comble, et nous croyons de notre devoir rigoureux, monsieur le général, d’appeler votre haute attention sur ces faits que vous ignorez bien certainement, et de provoquer une enquête.

Il ne s’agit pas, croyez-le bien, monsieur le général, d’opposition denotre part. — Quelque dure que soit la consigne qui nous est imposée, nous sommes tous disposés à la respecter. Ce que nous avons l’honneur de vous soumettre, ce sont les excitations, les provocations, les voies de fait, dont le commandant de la prison donne l’exemple, et qui pourraient occasionner des malheurs. En un mot, il s’agit d’une question d’humanité, de dignité, à laquelle tout homme de cœur et d’honneur ne saurait rester insensible.

« Nous avons l’honneur d’être, monsieur le général, vos respectueux,

« Jules Renard,
et une cinquantaine d’autres signataires. »

C’est pour avoir écrit cette lettre que je suis jusqu’à nouvel ordre dans un cachot infect, avec un forçat qui a les fers aux pieds, et cinq autres malheureux.

« Jules Renard,
ancien secrétaire de Rossel.