De la vie à la mort/Chapitre VII

De la vie à la mort (tome second)
J. Maisonneuve (p. 241-330).


CHAPITRE VII


Les Malades, les Remèdes, les Avènements, la Mort, les Revenants


1o Les malades


Lorsque l’état d’une personne dangereusement malade reste stationnaire, on invoque saint Guinfort. On fait brûler un cierge en son honneur et, s’il est possible, devant son image, pour qu’il amène un changement, soit en mieux, soit en mal. On dit en allumant le cierge :

Saint Guinfort,
Pour la vie ou la mort.

Lorsqu’un malade est en danger de mort pendant la nuit, comme la visite d’un médecin à pareille heure, coûterait plus cher qu’une visite de jour, on va de préférence chercher le prêtre qui, lui, ne prend rien.

On attend au lendemain matin, si le moribond n’est pas décédé, pour faire venir le médecin qui, souvent arrive lorsqu’il n’y a plus rien à faire, ou même qu’à constater le décès.

On dit dans nos campagnes qu’une personne est au mouroir lorsqu’elle est près de rendre son âme à Dieu et l’on attend, comme nous venons de le voir, qu’elle soit dans cet état pour aller chercher le guérissou.

C’est ce qui eut lieu pour une pauvre vieille femme d’un village de l’arrondissement de Redon. Lorsqu’on appela le médecin, il constata qu’elle était à la dernière extrémité.

— Vous avez attendu trop tard à me faire venir, dit-il au mari, votre femme est bien malade.

— C’est que, voyez-vous, monsieur le guérissou, je n’savions point ; elle ne disait ren et c’est seulement hier à la ressiée qu’elle a cessé de manger sa soupe.

— Je vais vous faire une ordonnance, et vous irez au bourg chercher des remèdes chez le pharmacien.

Le médecin qui n’ordonne pas de prendre des bouteillées est un mauvais guérissou, on ne va pas le chercher deux fois.

Notre paysan effrayé tout de même de l’état de sa bonne femme, qu’il aimait à sa manière, s’empressa d’aller quérir les médicaments, qui, supposait-il, devaient la guérir.

Malheureusement il rencontra dans le bourg des amis auxquels il fit part de ses peines et qui, pour le consoler, l’emmenèrent au cabaret.

Comme le chagrin était réel et que le bonhomme pleurait toutes les larmes de son corps, on le fit boire tant et tant que la journée s’écoula sans qu’il songeât à rentrer chez lui.

Le soir venu, il partit cependant pour son village, et lorsqu’il arriva, on lui apprit que sa femme était morte.

« Quel malheur ! s’écria le vieux ; moi qui lui apportais des remèdes qui m’ont coûté cent sous. Je ne veux point perdre mon argent. Je vas les prendre à sa place. »

Comme tout le monde était en prières près de la défunte, on ne l’en dissuada pas, et il prit les drogues.

Après les libations de la journée, l’absorption de ces médicaments détermina une telle révolution chez le malheureux que l’on crut qu’il avait le choléra. Le pauvre vieux souffrait si cruellement qu’on l’entendait crier de toutes les maisons du village. Il fallut retourner chez le médecin qui, un instant, désespéra de le sauver. Enfin la nature aidant il se rétablit.

Voilà comment on se soigne chez nous.

2o Les remèdes

Angine. — S’entourer le cou, le soir en se couchant, du bas qu’on enlève de dessus sa jambe gauche, et qu’on remplit de cendres chaudes.

Ce remède, croit-on, pourrait être dangereux pour les filles ayant atteint l’âge de la puberté.

Bains de pieds. — On remplace avantageusement la moutarde pour bains de pieds en écrasant ou pilant la plante connue vulgairement sous le nom d’éclaire, et qui est la Chélidoine (Chelidonium majus).

Brûlures. — On applique sur les brûlures légères les pétales de la fleur du lis, conservés dans de l’huile camphrée ; ou bien encore de la râpure de pomme de terre.

D’autres emploient le résidu gras de l’évier des cuisines pour calmer le feu des brûlures, ou plongent la main ou le pied malade dans du lait baratté. Ce lait doit être renouvelé aussitôt qu’il est chaud.

Un guérissou de ma connaissance emploie le remède suivant qui, selon lui, vaut tous les autres :

Il enlève la seconde écorce des jeunes pousses du tilleul, et en met une poignée dans un saladier avec de l’eau. Le tout est fouetté comme des œufs avec une cuillère. Il se produit une écume épaisse, qu’on étend sur les plaies après avoir percé les boursouflures. Le malade éprouve presque instantanément un soulagement véritable.

À Janzé, on reçoit dans un sac, sous la queue même de la vache, sa bouse fraîche qui est appliquée sur la brûlure.

Si c’est une main ou un pied qui a été brûlé, on plonge le membre malade dans le sac.

Chutes. — Pour calmer et guérir les douleurs internes causées par une chute, il faut boire un litre de vin blanc dans lequel on a mis à infuser cinq à six petits rameaux de Myrte.

Cœur. — Dans le canton du Sel, lorsqu’une personne atteinte d’une maladie de cœur a les pieds enflés (œdème), elle prend un coq vivant, le fend par la moitié d’un coup de hache, et s’enveloppe les pieds dans cette chair saignante.

Coliques. — Il y a encore dans les fermes des marmites dont le couvercle est en bois. La vapeur de la soupe, de lard principalement, dépose sur ces couvercles une couche de graisse qui a la propriété de guérir les coliques. On fait chauffer ce couvercle au feu et on l’applique sur le ventre du malade.

La galette d’avoine, chaude, produit aussi un soulagement.

D’autres, pour la colique, avalent des grains de plomb.

Quand la colique est compliquée de diarrhée, on fait bouillir de l’herbe appelée Renouée (Polygonum aviculare), et l’on boit cette tisane après l’avoir sucrée.

Constipation. — Les tisanes de chicorée sauvage et de racines de pivoine purgent, et font beaucoup de bien quand on va difficilement à la selle.

Convulsions. — Quand un enfant a des convulsions on fait un fumeur lui lancer la fumée de sa pipe dans le nez.

Coqueluche. — Pour faire passer la coqueluche, il faut boire, le matin, à jeun, un verre de lait de jument, frais tiré.

Autre remède : Faire bouillir des amandes de noix de choc (grosses noix), ou des amandes de noisettes d’Espagne, dans du lait doux, et boire cette tisane.

Cors aux pieds. — Il y a plusieurs médicaments :

Le vert de porée (poireau), appliqué sur les cors doit les faire disparaître.

L’ail pilé, les feuilles de joubarbe (Sempervivum tectorum), écrasées et mises dans du vinaigre, produisent le même effet.

Tous les soirs, en se couchant, se frotter les cors avec les doigts mouillés de sa salive, et prendre un bain de pieds d’eau salée de temps à autre. Au bout de quelques temps les durillons des cors s’enlèvent sans difficulté.

Coupures. — Mettre sur les coupures du tabac à priser pour arrêter le sang.

On emploie aussi, dans le même but, des toiles d’araignées arrachées sur les meules des moulins.

Quand les coupures sont profondes, on applique dessus les pétales de la fleur du lis conservés dans du cognac.

À Bruz, on met des feuilles de géranium, ou la seconde écorce du genêt, sur les coupures qu’on enveloppe ensuite de toiles d’araignées.

Lorsqu’un charpentier se fait une blessure avec l’un de ses instruments, il pulvérise du tripoli noir ou du schiste de même couleur, dont il se sert pour son métier, et il applique cette poudre sur la plaie.

À Saint-Sulpice-des-Landes, on appelle herbe Saint-Joseph le plantain, connu des botanistes sous le nom de Plantago lanceolata. Voici ce que les habitants de cette commune racontent :

Saint Joseph, le charpentier, s’étant coupé le pied avec sa hache, se servit de cette plante qui, à cette époque, n’existait que dans un champ de la Judée.

Les Juifs, pour l’empêcher de se guérir, résolurent de détruire l’herbe Saint-Joseph. Ils fauchèrent la terre sous la racine croyant ainsi couper celle-ci. Or, comme la racine est plutôt traçante que pivotante, ils ne lui firent aucun mal et furent tout surpris de la voir pousser avec plus de vigueur lorsque la terre fut remuée.

Le Plantago lanceolata est aussi appelé herbe à cinq coutures. Ses feuilles cicatrisent promptement les coupures légères.

Croup. — Entourer le cou de l’enfant d’un cataplasme de fiente d’oie, mélangée d’ache (Apium graveolens), de poivre blanc et de vinaigre de vin blanc.

Dartres. — Piler, avec du gros sel, la plante connue de tout le monde, l’Éclaire, herbe à suc jaune et fétide (Chelidonium majus), et en faire un emplâtre que l’on applique sur la dartre.

D’autres frottent les dartres avec la crasse qui se trouve dans le gros sel, et que l’on appelle de la merde de sel.

Dents. — Pour les maux de dents et les maux de tête, il faut faire bouillir de la graine de foin et se tenir la tête le plus longtemps possible sur la vapeur qui s’en échappe. Ensuite on s’enveloppe la tête pour conserver la chaleur.

On fait également des fumigations avec du lierre.

À Bruz, pour les maux de dents, on fait bouillir des pierres blanches, c’est-à-dire du quartz dans du vinaigre, et le malade ouvre la bouche sur la vapeur de ce singulier remède.

Si l’on veut faire mourir et tomber une dent creuse, on met dedans un grain d’encens. La dent se fend et tombe en morceaux sans occasionner la moindre douleur.

On calme aussi les maux de dents en se frottant le derrière de l’oreille avec la sève de la flanouette (petite euphorbe des jardins), qui produit l’effet d’un vésicatoire.

Enfin, la racine d’asperge, appliquée sur une dent malade, permet de l’arracher sans souffrance.

Douleurs. — Dans le canton sud-ouest de Rennes, les habitants des campagnes, pour guérir les douleurs, se servent d’une plante qu’ils appellent le paissa, parce que son fruit se paisse, autrement dit, se colle aux vêtements. C’est le Lappa major des botanistes.

On fait pâmer (flétrir) les feuilles de cette plante sur la tuile à galette ; ensuite elles sont frottées de saindoux et appliquées, très chaudes, sur les membres malades.

Dysenterie. — Boire de la tisane d’infusion de Renouée (Polygonum aviculare).

Eczéma. — On connaît trois remèdes pour la guérison de cette maladie.

1o Onguent fait avec de la suie, mélangée à de la graisse d’andouille. La suie doit être prise dans une cheminée où l’on ne brûle que du bois.

2o Bouillir de la suie avec le lait qui s’échappe de la baratte, lorsqu’on bat le beurre, et faire de cela un cataplasme.

3o Ou bien, enfin, appliquer tout simplement sur la partie malade, du séneçon (Senecio vulgaris).

Engelures. — Pelez des châtaignes, faites-les cuire dans de l’eau, écrasez-les et faites-en un cataplasme chaud que vous appliquerez sur les engelures.

Enrouement. — Pour un enrouement, boire le matin, à jeun, un verre d’eau que l’on vient de tirer du puits.

Épilepsie. — Quand un épileptique a une crise, il faut, pour la faire cesser, lui ouvrir la main gauche et la serrer fortement.

On fait boire aux enfants épileptiques de la tisane de racines de pivoine et de pyrèthre.

Épines dans les doigts. — S’appliquer à l’endroit où est la piqûre, de la gème de cordonnier (lisez de la poix). Dès le lendemain, on trouve l’épine sortie du doigt et collée à la poix.

Érysipèle. — Avec la fleur du suc (sureau : Sambucus nigra) on guérit les érysipèles. Il suffit de se faire à la tête des fumigations, et de s’appliquer sur la partie malade des cataplasmes de la fleur qui a servi aux fumigations.

La lentille d’eau (Lemna minor) est employée de la même façon et produit le même résultat que la fleur du sureau.

Éternuements. — Pour faire cesser les éternuements, il suffit de regarder fixement une lumière pendant quelques secondes.

Évanouissements. — Plonger la main de la personne évanouie dans de l’eau très froide.

Ce moyen est également employé pour les saignements de nez.

Fluxion au visage. — Mettre sur la partie malade une couenne de lard que l’on doit garder jusqu’à ce que l’enflure disparaisse.

Fièvre. — Faire infuser dans du vin blanc, des feuilles de bois à la bête (Troène : Ligustrum vulgare), ou bien encore la seconde pelure de l’écorce du saule.

On met aussi à sécher, après l’avoir bien nettoyée, la peau intérieure du gésier d’un poulet. La pulvériser après avoir enlevé le sable qu’elle renferme généralement, et la mettre dans du vin blanc que l’on boit comme tisane.

Gerçures. — Pour ce qu’on appelle le hâle des lèvres, du nez et des mains, on emploie comme onguent le beurre sortant de la baratte et à peine formé.

Gorge. — On guérit les maux de gorge en buvant du vieux cidre très chaud, dans lequel on a mis du beurre à fondre.

Outre le remède indiqué pour l’angine, il y a encore les suivants pour les diverses inflammations de la gorge :

Faire bouillir quelques feuilles de laurier-palme dans du lait doux sucré, et en boire un verre, chaque soir en se couchant, et cela, jusqu’à complète guérison.

D’autres font cuire des pommes de terre dans les cendres du foyer, les écrasent et en font des cataplasmes qu’elles se mettent sur la gorge.

Hémorragies. — Les feuilles et les tiges pilées de l’ortie sont employées en cataplasmes pour les hémorragies et les plaies de peu d’importance.

Hémorroïdes. — Voici trois remèdes recueillis chez trois reboutous de campagne :

Le père Rigaud, de Sion, qui a une grande réputation comme guérissou, engage les personnes qui ont des hémorroïdes, à mettre dans un petit sachet de toile les racines des tétines de chattes (c’est la renoncule printanière appelée Ficaire (Ficaria ranunculoïdes), et à attacher ce sachet à leur chemise, au bas des reins.

Le nommé Gruel, autre guérissou, de Bruz, indique le remède suivant :

Bien laver, bien nettoyer à l’eau courante les tubercules de la ciguë qu’il appelle l’Ébène ou bien encore Pain frais (c’est l’Œnanthe crocata). Les écraser et les faire bouillir avec du saindoux, à petit feu, sur la braise, dans un pot neuf en grosse terre. La pommade qui en résulte est appliquée sur la partie malade. La guérison est radicale.

La mère Chevalier, de Bain, composait la pommade suivante qui, au dire de tous ceux qui s’en sont servi, est un remède souverain pour les hémorroïdes :

Elle écrasait des feuilles de joubarbe (Sempervivum tectorum), les pressait dans un linge et le suc qui en sortait était mélangé à du saindoux, qu’elle faisait fondre au bain-marie.

Hoquet. — Allonger le bras droit, et regarder fixement le creux de la main à moitié fermée.

Luette. — À Bain, la luette est appelée la Cahuette. Quand cet appendice cesse de fonctionner librement on s’adresse à une bonne femme qui sait relever la cahuette. Elle saisit, avec le pouce et l’index, à un endroit précis de la tête, une gousse de cheveux ; elle tire dessus et la cahuette se trouve relevée.

Membres (dislocation). — Les bains chauds, dans lesquels on fait un lit de feuilles d’osier franc, sont excellents pour la dislocation des membres.

Nez. — Il y a trente-six moyens d’arrêter les saignements de nez. Voici les principaux :

Prendre deux feuilles de grande pervenche (Vinca major), les rouler comme une cigarette, se les mettre dans la bouche, les mâcher et, quand il ne reste plus que les fibres, les cracher.

Le saignement de nez cesse aussitôt (remède du père Rigaud, reboutou à Sion).

Écraser les feuilles tendres du sommet de l’ortie, et, avec les doigts, en former des boulettes qu’on introduit dans les narines du malade.

L’hémorragie cesse aussitôt. Souvent l’odeur seule de la bouillie d’orties suffit pour arrêter le saignement de nez.

(Remède du père Gruel, de Bruz.)

Les bonnes femmes font provision, à l’automne, d’une poussière brunâtre qui se trouve dans le champignon connu vulgairement sous le nom de vesse-de-loup. Quand un enfant a une hémorragie nasale on lui bourre le nez de cette poussière, et l’hémorragie est arrêtée.

Autres remèdes :

Se mettre au palais et sous la langue des petits ronds de papier découpé.

Ou bien serrer le petit doigt de la main gauche avec force.

Enfin, si les deux moyens ci-dessus ne réussissent pas, ficeler tous les doigts en serrant fortement.

Œil. — Lorsqu’on a sur la paupière un petit furoncle appelé Compère-Loriot ou orgelet, il faut s’appliquer, le soir, sur l’œil, une tranche de veau non cuite. On l’y maintient au moyen d’un foulard toute la nuit.

À Bain, on appelle les orgelets des Chiennes. Pour les faire disparaître on se contente de passer dessus une alliance en or.

Pour les ophtalmies, on se baigne les yeux, avec de l’eau chaude dans laquelle on a fait bouillir des feuilles de plantain aux oiseaux (Plantago major).

Quand les petits enfants ont mal aux yeux, les nourrices leur font couler de leur lait dans les yeux.

Voici maintenant les remèdes du père Gruel, de Bruz :

On attache une bouteille à une vigne, lorsque celle-ci est en sève. On coupe un bourgeon au-dessus du goulot, de façon à ce que la sève puisse couler à l’intérieur du flacon. On se lave ensuite les yeux avec ce liquide.

Pour avoir la vue claire, il faut promener sur les paupières un œuf de poule, frais pondu et encore chaud.

Ou bien encore :

Se frotter les yeux, au printemps, avec les pleurs de la vigne.

Faire bouillir du mouron rouge (Anagallis centunculus), dans du lait et se laver les yeux avec cette tisane.

Se frotter les yeux avec des caillebottes, trempant dans du lait doux, pour faire sortir le mauvais sang.

Lorsqu’on a les yeux injectés de sang, pour le faire disparaître il faut aller cueillir l’herbe à Robert (Geranium Robertianum). On pile la tige de cette plante mélangée à du gros sel et on l’applique en cataplasme, pendant la nuit, sur le poignet du bras opposé à l’œil malade. Ce remède doit être fait trois soirs de suite.

Pour enlever un grain de poussière de l’œil, on fait entrer les cils de la paupière inférieure sous la paupière supérieure, et l’on recommence l’opération en sens inverse.

Oreilles. — Pour les maux d’oreilles, on emploie une sorte d’huile renfermée dans une loupe qui croît sur les rameaux de l’ormeau au printemps.

Il suffit, pour se procurer cette huile, de fendre la loupe et de recueillir, dans une cuillère, le liquide qui en découle et qu’on verse dans l’oreille.

On met aussi des ronces et des branches de frêne à brûler, et la sève qui s’échappe, par l’extrémité de ces branches, est recueillie et employée comme il vient d’être dit.

Panaris, — qu’on appelle aussi Tourneurs. — On met le doigt malade dans un œuf frais, et on l’y maintient jusqu’à ce que l’œuf soit cuit au point d’être dur.

D’autres fois, on trempe le doigt dans du bouillon gras très chaud. On le retire promptement pour recommencer un instant après.

Puis on applique, sur le doigt, un onguent froid composé de résine, de savon de Marseille, de crème de lait (une cuillerée à bouche de chaque chose), que l’on a fait bouillir ensemble.

On se sert aussi d’une plante appelée l’hirondelle (Umbilicus pendulinus), que l’on fait bouillir avec de la mie de pain et de la graisse. Ce cataplasme est mis sur le doigt pour le faire pourrir.

Pertes chez les femmes. — Il faut cueillir sur les églantiers des haies les excroissances moussues causées par des piqûres d’insectes, les écraser et en faire des cataplasmes qui sont appliqués sur les reins des malades.

Piqûres d’insectes. — Les bonnes femmes de nos campagnes prétendent que l’on porte sur soi le remède qui doit guérir nos maladies. Aussi lorsqu’elles sont piquées par des moustiques, recouvrent-elles l’endroit piqué avec de la saleté qu’elles prennent dans leurs oreilles.

Piqûres d’épines ou d’épingles. — Les blessures résultant des piqûres d’épines ou d’épingles se guérissent avec un onguent dont voici la recette :

Piler une poignée d’herbe Saint-Jean (lierre terrestre : Glechoma hederacea), et le liquide qui en provient est mélangé avec du saindoux, du beurre et de la résine (gros comme une noisette de chacun de ces ingrédients). Le tout est placé sur un feu doux pour obtenir l’onguent.

Plaies et Blessures. — Pour la guérison des plaies, il faut faire bouillir des feuilles de molène (Verbascum Schraderi) et de mauve (Malva sylvestris) avec une poignée de son.

On lave la plaie avec l’eau obtenue, et on applique ensuite, dessus, un cataplasme de ces herbes.

Il faut renouveler chaque jour ce remède, jusqu’à guérison complète.

Point de côté. — Pour le faire disparaître, il est nécessaire d’appliquer sur le côté malade, une galette d’avoine chaude dans laquelle on a mis un blanc d’œuf.

Reins, Rhumatismes, Douleurs. — Se fustiger les reins avec des orties.

Il existe à Pluvigner, dans le Morbihan, une chapelle appelée Notre-Dame-des-Orties qui est un lieu de pèlerinage pour les gens affectés de rhumatismes et de douleurs. Ils cueillent des poignées d’orties et se fustigent entre eux sur les parties malades, soit au pardon même autour de la chapelle, soit de retour chez eux.

Pour les douleurs serrer (cueillir) des feuilles de bouleaux, les mettre dans un four au moment où l’on vient de retirer le pain. Lorsqu’elles sont très chaudes, s’en couvrir et s’envelopper d’une couverture de façon à beaucoup transpirer.

Pour guérir les rhumatismes, il faut dormir sur un lit de fougères.

Quand quelqu’un est atteint de douleurs aux jointures, il va trouver des personnes dans la campagne qui ont la spécialité de couper les hunes (nom donné à cette maladie), c’est-à-dire de faire des incisions aux articulations, aux genoux, aux coudes, aux doigts.

Cette opération assez douloureuse ne réussit pas toujours, et même estropie quelquefois les malheureux assez naïfs pour la subir.

À la Croix-Madame, dans la commune de Bruz, une femme Patard s’est fait opérer il y a quelques années par une fermière de Baulon.

Les feuilles du plantain des oiseaux (Plantago major) cousues à l’intérieur des gilets de flanelle ou des chemises, à la condition qu’elles soient en contact avec la peau, guérissent aussi les rhumatismes.

Rétention d’urine. — Faire bouillir des pariétaires, boire cette tisane, et mettre la plante bouillie en cataplasmes sur le ventre.

Rhume. — Faire infuser des fleurs de mauves, ou faire bouillir de la racine de chiendent, et boire ces remèdes.

Boire du lait doux dans lequel on a fait bouillir des feuilles de la petite fougère appelée capillaire (Asplenium trichomanes).

Ou bien encore faire la tisane suivante :

Mettre de l’avoine à bouillir, jeter la première eau et mettre en même temps que la seconde eau de l’herbe Saint-Jean (Glechoma hederacea).

Rousseurs. — On fait disparaître les taches de rousseurs de la manière suivante :

On met une galette de blé noir, très chaude, dans une assiette, et l’on se frotte la figure avec les quelques gouttelettes d’eau qu’elle laisse après elle et qu’on appelle la sueur de galette.

Autre remède :

Se frotter la figure avec le jus des feuilles et des fleurs de la primevère appelée coucou écrasées dans un mortier (Primula officinalis).

Sang. — Pour purifier le sang, il faut, au printemps, piler les herbes suivantes : Ray-grass, persil, cerfeuil, cresson, oseille, fumeterre. Passer, à travers un linge, le jus qu’elles produisent, auquel on ajoute un peu d’eau, et en boire un verre, chaque matin à son réveil, et cela pendant neuf jours.

D’autres, pour rafraîchir le sang, emploient un autre remède :

Ils cueillent, toujours au printemps, des racines de parelles (Rumex crispus), de pissenlits, de paissart (Galium). Le tout est mis dans une terrine pouvant contenir deux litres d’eau. On fait bouillir jusqu’à ce qu’il ne reste d’eau que jusqu’à la moitié du vase.

Boire un bol de cette tisane tous les matins à jeun.

On dit qu’en absorbant une chopine de ce liquide on renouvelle une chopine de sang.

On croit aussi par ce moyen éviter les coups de sang.

Lorsque les femmes ont un retard, elles mettent du persil à bouillir pour en faire des cataplasmes qu’elles s’appliquent sur le ventre.

À Janzé, quand une personne croit avoir un coup de sang, elle fait en sorte de se procurer une taupe vivante, elle la saigne et avec le sang qu’elle a soin de recueillir, elle se frotte la partie malade.

Sang meurtri. — Dans le canton de Bain, où le sang meurtri est appelé mu, on a de nombreux remèdes pour guérir ces plaies causées par suite de coups et de chutes. Voici les plus usités :

On pile des verveines sauvages (Verbena officinalis) et du gros sel, pour faire un cataplasme ; ou bien encore on étend sur de la filasse un blanc d’œuf et une sorte de lichen qu’on appelle crapaudine.

Ces divers cataplasmes ont la propriété de faire disparaître promptement le sang extravasé.

Scrophules. — Cataplasmes d’oseille et de plantain.

Sueurs nocturnes. — On fait cesser les sueurs nocturnes en se mettant au cou, le soir en se couchant, un sac renfermant des oignons de colchique. Tête (Maux de). — Voir maux de dents.

Teigne. — Un sorcier de ma connaissance prétend avoir guéri de la teigne des enfants qu’on lui a confiés, et affirme qu’à l’heure actuelle ils ont des chevelures superbes après avoir eu la tête nue comme un genou.

Voici comment il opère :

Il écrase dans du lait caillé de la joubarbe et la seconde écorce de la racine de sureau. Il y ajoute un morceau de tabac en carotte, sans être écrasé (pour trois sous par demi-litre). Le tout doit tremper pendant une nuit.

Ensuite, soir et matin, il lave la tête de l’enfant avec du savon noir, et la recouvre de sa pommade.

Après quelques mois de traitement, la guérison est complète.

Varices et Ulcères. — 30 grammes de cire ; 30 grammes d’huile d’olive ; 15 grammes de résine. Faire bouillir le tout ensemble. Étendre légèrement cette pommade sur une toile, laisser refroidir et appliquer sur le mal. Changer, au début, cet emplâtre deux fois par jour, et après huit jours une fois seulement. Il n’y a pas de meilleur onguent pour les ulcères, existeraient-ils depuis dix ans.

Venin (morsure de reptiles). — Lorsqu’on a été mordu par une vipère, si l’on peut s’emparer de la bête et lui écraser la tête sur la morsure qu’elle a faite, la guérison s’opère aussitôt.

Mordu par un vlin (c’est ainsi qu’on désigne tous les reptiles), l’on a beau être guéri, chaque année, à l’époque de l’accident, on éprouve un malaise et souvent une enflure survient.

Verrues. — Frotter les verrues, le matin à jeun, avec des feuilles de blé noir ou avec le suc de la tige de l’éclaire (Chelidonium majus).

Ou bien encore :

Les mordre le matin à jeun.

Les frotter avec le lait blanc de la figue, ou bien avec des limaçons rouges sans coques ; avec le suc de la tige de l’omblette (petite Euphorbe qui croît au milieu des mauvaises herbes des jardins) ; avec des pommes à cidre coupées par morceaux. Plus ces fruits sont acides, meilleurs ils sont ; avec la guenille qui a nettoyé le four à cuire le pain.

On assure que le dernier remède de la guenille est infaillible.

Vers. — Quand les petits enfants ont des vers, on leur fait boire du lait doux dans lequel on a mis de la suie.

D’autres fois, on les fait coucher sur des balins de fougères mâles (paillasse remplie de feuilles de fougères (Polystichum Filix Mas).

3o Les avènements[1]

Un jour que Marie Niobé, du village du Canée en Paimpont, était allée scier du grain, après avoir laissé mourante, à l’agonie, une de ses amies, — la petite Rose Chouan, — et qu’elle désespérait de la revoir vivante, elle l’aperçut assise sur une pierre au coin du champ où elle était à travailler.

Marie s’écria aussitôt : « Comment ! Rose, toi si malade, tu es venue jusqu’ici, est-ce raisonnable ? Veux-tu bien t’en aller ! »

Au même instant, sa faucille vint à lui échapper des mains. Elle se baissa pour la prendre et lorsqu’elle se releva, il n’y avait plus rien, la vision avait disparu.

Un pressentiment la saisit, elle eut peur et retourna en toute hâte au village où elle apprit que son amie était morte, au moment même où elle l’avait aperçue sur la pierre.

(Conté par Marie Niobé elle-même.)

En 1896, une jeune fille de vingt ans, Marie Quinton, se mourait de la poitrine, à la Croix-Madame, dans la commune de Bruz.

L’une de ses amies, Marie Patard, allait la voir souvent, et un soir qu’elle revenait de lui porter un peu de ragoût, elle aperçut au-dessus d’un vivier, près duquel elle passait, un cierge qui s’allongeait d’une façon démesurée et qui montait vers le ciel.

— Ah ! s’écria Marie Patard, ma pauvre amie va mourir ! Et elle se sauva effrayée.

Ayant raconté sa vision à la mère de la malade, celle-ci fut assez imprudente pour dire à sa fille : « Marie Patard a vu ton avènement. » — Alors, c’est inutile de me soigner, dit la pauvre enfant, car je vais mourir. Et, en effet, quelques jours après, son âme quittait la terre.

(Conté par Marie Patard, de Bruz, âgée de 24 ans.)

Un lundi, de bon matin, une jeune fille de Bruz, nommée Victoire Bazile, qui s’était gagée pour faire la métive du côté de Chavagne, s’en allait à sa journée.

La Vilaine était au cours, et elle se dit : « Si je pouvais traverser la rivière à gué, je serais bien plus vite rendue. » Elle se trouvait à ce moment au bas du bois de Cicé, en face le lieu de Fond, en Chavagne.

Elle entra dans l’eau sans écouter les conseils d’une femme qui passait par là, et qui lui cria : « Ne t’aventure pas dans la rivière, elle est, à cet endroit, pleine de caves que cachent les nénuphars, tu vas te noyer. »

Rien ne put arrêter la jeune imprudente qui s’avança dans les herbes.

La femme, elle, continua son chemin pendant dix minutes environ, lorsque tout à coup elle entendit : « À moi, au secours, je me noie. » Elle revint au galop sur ses pas, mais malgré toute sa diligence elle arriva trop tard : Elle aperçut au milieu des herbes une robe qui, hélas ! ne recouvrait plus qu’un cadavre.

Une amie de la morte, Joséphine Daniel, de Bruz, avait entendu son avènement dans la nuit.

D’abord elle perçut le bruit d’un pot qui tombe par terre. « C’est le chat, » dit-elle.

Un autre bruit plus fort la réveilla un instant après. Cette fois c’était comme un vase qui tombe et qui se casse.

« Il va tout briser, » pensa-t-elle.

Puis enfin elle entendit comme la respiration d’une personne qui étouffe, et elle crut encore que c’était l’animal qui léchait des assiettes.

Quand elle se leva le matin il n’y avait ni pots renversés, ni brisés, ni chat dans l’appartement.

Elle apprit presque aussitôt la mort de sa petite amie, et ne douta plus que c’était son avènement qu’elle avait entendu.

(Conté par Fine Daniel, femme Lesnard, du village du Houx, en Bruz.)

M. Hy, percepteur à Maure, reçut un soir, dans cette localité, une lettre lui annonçant que l’un de ses frères, habitant Rennes, était mourant. Cette nouvelle l’impressionna vivement. Il partit aussitôt pour l’aller voir.

En passant au milieu d’une lande, loin de toute habitation, il entendit, mais très distinctement, sonner des glas et le chant des prêtres conduisant un mort au cimetière.

Lorsqu’il arriva à Rennes, un ami qui était allé l’attendre sur la route de Redon, lui apprit que son frère était mort, juste à l’heure où il avait eu l’hallucination qui précède.

La femme Bougeard, du village du Champ-Géon, en Bruz, mourut vers la Toussaint de 1851.

Au moment où elle expirait, son filleul qui demeurait au Calhoët dans la même commune, entendit de son lit un bruit effrayant qui lui fit supposer qu’on venait de briser un chaudron de fonte qui se trouvait sous la table.

« Qu’est-ce qui a cassé le chaudron ? » s’écria-t-il.

Le père du jeune homme se leva et ne trouva rien de brisé.

Le filleul seul avait perçu le bruit. Son père et sa mère qui n’étaient pas parents de la morte n’avaient rien entendu.

Au mois de février 1852, la femme Gruel, de Bruz, était enceinte de son quatrième enfant lorsqu’elle eut une vision étrange :

Une nuit elle se réveilla en sursaut et fut bien étonnée de voir sur sa table une chandelle allumée qui éclairait la pièce comme en plein jour.

Mais son étonnement se changea en frayeur, lorsqu’elle aperçut une jeune femme berçant un nouveau-né dans ses bras, en se promenant autour de cette table.

Elle voulut réveiller son mari couché près d’elle et n’y parvint pas, bien qu’elle le pinçât si fortement que le lendemain il avait des marques sur le bras et au côté.

Son effroi n’eut plus de bornes, lorsqu’elle vit le fantôme, berçant toujours son enfant, s’approcher du lit et s’accouder près de son oreiller. Elle perdit connaissance, et lorsqu’elle revint à elle, la vision avait disparu et la chambre était dans l’obscurité la plus complète.

Le lendemain matin, le mari mis au courant des événements de la nuit, déclara n’avoir rien vu, rien entendu, ni même senti les ongles de sa femme.

Une certaine tristesse, et même comme un pressentiment de malheur s’empara de la pauvre Gruel qui, quelques temps après, en traversant le cimetière de Bruz, afin d’éviter un détour pour aller porter du linge à sa repasseuse, fit une chute grave.

Elle portait un enfant sur le bras, il avait plu, ses sabots étaient usés, elle glissa et tomba lourdement sur le derrière.

Le résultat de cet accident fut qu’elle mit au monde un enfant mort.

La vision qu’elle avait eue devint, à ses yeux, l’avènement de son malheur.

Une dame de Vitré avait sa mère fort âgée qui habitait Paris. Elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis longtemps et ignorait qu’elle fût malade.

Une nuit, vers onze heures, la dame de Vitré fut subitement réveillée par un carillon interminable de sa pendule, qui ne cessa que lorsque le ressort fut complètement détendu, puis la pendule s’arrêta.

Le lendemain matin, elle apprenait, par dépêche, la mort subite de sa mère, et elle sut, par lettre, que celle-ci était décédée, exactement à l’heure à laquelle la pendule s’était mise à sonner.

L’horloger appelé pour remettre la pendule à marcher, déclara qu’elle n’avait absolument besoin que d’être remontée.

Il y avait autrefois au château du Gué, dans la commune de Servon, une dame Courteille qui était fort malade.

Un soir, l’un de ses voisins, le père Rocher, qui habitait le Pignon broutu, entendit chez lui, trois coups frappés sur un coffre, puis il lui sembla que quelqu’un marchait autour de sa table et cependant il ne voyait personne.

Un autre soir qu’il sortait de l’église, il entendit les os de l’ossuaire s’entrechoquer et même sauter dans le cimetière. Le bedeau fut obligé de barricader le charnier et d’attacher la porte avec des cordes.

Madame Courteille avait été emmenée du château du Gué, mais l’on apprit sa mort quelques jours après.

Joseph Lancelot, ouvrier à la mine de Pont-Péan, avait à traverser la forêt de Laillé pour rentrer le soir chez lui, au Pigeon vert, où il habitait avec sa mère malade depuis plus de sept ans.

Trois soirs de suite, il vit dans un creux d’arbre, une vierge qui s’éloignait de lui au fur et à mesure qu’il en approchait, sans pouvoir la rejoindre.

Effrayé, il cessa de traverser la forêt n’hésitant pas à faire un long détour, et à passer par le bourg même de Laillé.

Il raconta à des camarades ce qu’il avait vu et la peur qu’il en avait éprouvée. Ceux-ci se moquèrent de lui et proposèrent de l’accompagner. Il accepta et deux autres ouvriers mineurs et lui, se rendirent le lendemain soir, qui était un dimanche, dans la forêt de Laillé, à l’endroit de l’apparition.

Tous les trois virent la vierge qui s’éloigna d’eux. Cependant Joseph Lancelot parvint à l’approcher et il entendit distinctement ces paroles : « Rentre chez toi au plus vite, si tu veux voir ta mère vivante. »

Le pauvre garçon courut au galop chez lui, où il trouva, en effet, sa mère à l’agonie.

Une fille d’un village de Bruz, qui était allée un soir aux filois à une assez grande distance de chez elle, rentra tard dans la nuit.

En approchant de la demeure de ses parents elle vit un drap de lit sur une haie. « Tiens, dit-elle, sont-ils étonnants de n’avoir pas ramassé ce drap. »

Elle le prit et remarqua qu’il était beaucoup plus fin que les leurs. « C’est tout de même drôle », pensa-t-elle.

Comme tout le monde dormait elle posa le drap de lit sur la table et se coucha.

Toute la nuit elle entendit chuchoter. Bientôt la lune éclaira l’appartement et elle aperçut le drap de lit qu’elle avait plié, étendu comme un suaire.

Elle eut peur, appela son père qui se leva et qui ne trouva rien sur la table.

Le lendemain, une femme mourait dans ce village. C’était le linceul de la morte que la fileuse avait vu.

Un domestique de la ferme de Cicé était extrêmement malade, lorsqu’un soir ses maîtres et les autres serviteurs virent le clergé de Bruz, avec chantres et choristes, précédés de la croix paroissiale, traverser la cour, dans le plus grand silence.

Les paysans se signèrent et sortirent pour suivre cette étrange procession ; mais une fois dehors ils ne virent plus rien.

C’était l’avènement du pauvre gars qui, dans la nuit, rendit son âme à Dieu.

Le surlendemain, la procession véritable, et exactement semblable à celle qui avait été aperçue par les habitants de la ferme de Cicé, vint chercher le corps du défunt.

Un soir, en rentrant chez elle, vers neuf heures, une jeune fille de Bain aperçut une lumière dans la cheminée de la cuisine. Effrayée, elle dit à ses sœurs qui étaient couchées au premier étage : — Pourquoi avez-vous laissé une lumière dans la cuisine ?

— Il n’y en a pas, répondirent-elles.

Et, en effet, elles descendirent de leur chambre et la lumière avait disparu.

Le lendemain soir, une petite cousine qui n’était nullement indisposée la veille, tomba malade et mourut dans la soirée.

La jeune fille, qui avait vu la lumière, fut d’autant plus impressionnée qu’on la pria de tenir la bougie au coin de la cheminée, pendant que les parents prodiguaient des soins à la mourante.

Une femme s’entendit appeler par son prénom, une nuit qu’elle ne dormait pas.

Le lendemain, elle alla voir une parente qui était au lit, malade, et à laquelle elle raconta ce qu’elle avait entendu la nuit précédente.

— C’est mon avènement, lui dit la malade et, en effet, la pauvre femme mourut quelques jours après.

À la mort de la marraine de Julien Gérard, de Bruz, celui-ci fut appelé par trois fois, au moment du décès.

La femme Saillard, fermière au Chêne-Dé, commune de Bruz, s’entendit appeler, elle aussi, au moment de la mort de Jacques Saillard, son frère.

M. Goinard, de Bain, étant à la veillée, à lire au coin de son feu, entendit plusieurs coups frappés violemment dans un coin de l’appartement.

Les jours suivants, une femme de la même maison vint à mourir, et le fossoyeur apporta chez M. Goinard les bois qui devaient servir à porter le cercueil au cimetière. Il les déposa juste à l’endroit où le bruit s’était produit.

M. Fillioux, maire de la petite ville de Bain, avait deux filles, Émilie et Louise, très jolies toutes les deux.

La plus jeune, Louise, fut un été, atteinte de la fièvre typhoïde. Sa mère et sa sœur la soignèrent avec un dévouement sans égal. Elles ne la quittèrent ni jour ni nuit.

Un soir que la fenêtre de la chambre de la malade était ouverte, à cause de l’excessive chaleur, une orfraie que les paysans appellent une Fresas, entra dans la chambre et éblouie par la lumière, alla se cacher dans le chapeau de Mlle Émilie.

Mme Fillioux poussa un cri et s’écria : « Ma fille va mourir, voilà son avènement. »

Non, Louise ne mourut pas, au contraire elle entra en convalescence, mais sa sœur aînée fut atteinte à son tour de la même maladie qui l’emporta dans l’espace de quelques jours.

Plus tard, lorsque Mme Fillioux parlait de sa chère morte, elle ajoutait : « L’une de mes filles devait mourir, l’oiseau de la mort était entré chez nous. »

Quand les corbeaux volent et crient autour d’une maison où il y a un malade, c’est signe de mort.

Que de fois M. Alliou m’a raconté qu’étant jeune, il avait sur l’ongle du petit doigt de la main gauche, une tache noire dans le sens de la longueur.

Une vieille femme lui dit un jour, en lui regardant la main : « Quand cette marque disparaîtra, vous apprendrez la mort de quelqu’un de votre famille. »

Au fur et à mesure que l’ongle poussait, la tache diminuait et, enfin le jour où elle cessa d’être visible, il apprenait la mort de son frère, commandant dans un régiment de ligne, tué à l’assaut de Sébastopol.

M. et Mme X…, en résidence au Grand-Fougeray, couchaient dans la même chambre que leur petite fille, lorsqu’une nuit la mère se réveilla et vit la servante assise près du berceau de l’enfant, tenant une chandelle allumée, absolument comme si elle portait un cierge.

— Que faites-vous là, malheureuse ? Vous allez mettre le feu ou réveiller ma fille, voulez-vous bien vous en aller.

La servante resta impassible.

Mme X…, effrayée, réveilla son mari, qui assista au même spectacle et ordonna, lui aussi, à la bonne de s’en aller.

Rien n’y fit.

Il se leva pour mettre fin à cette comédie et se trouva, tout à coup, dans l’obscurité la plus complète. Il alluma une bougie et ne vit plus rien. L’enfant dormait d’un profond sommeil et la chambre était fermée au verrou.

Le lendemain matin, la servante affirma qu’elle n’avait pas bougé de son lit.

Presque immédiatement la petite fille tomba malade, et ce ne fut que par des soins incessants qu’on réussit à la sauver.

J’ai connu M. D…, maître d’hôtel à Bain, qui était d’un sans gêne incroyable.

Tous les matins, avant d’achever sa toilette, il allait en caleçon et en bonnet de coton, sur la place devant sa porte, regarder une pie servant de girouette sur le haut d’un toit.

Cet homme faisait aussi le commerce des bois et s’absentait souvent.

Un soir qu’il était à Nantes, l’une de ses filles sort à la porte et appelle tout le monde en disant : « Regardez donc, près du puits, papa en caleçon et en bonnet de coton. »

On se précipite pour voir, mais l’apparition avait disparu.

Le lendemain la famille recevait une lettre de Nantes l’informant que M. D… était au plus mal.

Qui n’a entendu la frezas (l’orfraie) chanter sur la cheminée de la maison d’un agonisant ?

Qui n’a vu la nuit un flambeau allumé au pied de son lit, ou un cierge tomber du ciel, la lumière en bas, en pleine campagne, la veille de la mort d’un parent ou d’un ami ?

Il y a encore la charrette ou la brouette de la mort, que l’on appelle dans l’arrondissement de Redon : « Le Chariot David. »

C’est un véhicule quelconque qui passe, la nuit, dans les rues du village et fait trembler et se blottir sous la couverture de leur lit ceux qui l’entendent. L’essieu frottant contre les roues non graissées produit un bruit qui annonce la mort d’un chrétien. Signons-nous !

4o La mort

À Rennes, à la fin du siècle dernier les guetteurs de nuit parcouraient les rues de la ville, au milieu des ténèbres, en annonçant les heures.

Lorsqu’il y avait un mort dans une maison ils s’arrêtaient à la porte et criaient :

« Réveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés. »

Et ils nommaient le défunt.

À Vitré, lorsqu’une personne entre en agonie, si la famille est dans l’intention de lui faire faire un enterrement de première classe, ou bien encore si elle appartient à la confrérie de la Bonne-Mort, les parents et amis se rendent à l’église pour prévenir le clergé de la fin prochaine du moribond.

Immédiatement, neuf coups pour les garçons et onze pour les filles sont tintés à la cloche de l’église. Puis un prêtre monte en chaire et récite les prières des agonisants.

La veille d’un enterrement de première ou troisième classe seulement, le crieur de la ville moyennant la somme de 17 sous, s’en va, le soir, entre 7 et 8 heures, à tous les carrefours et sur toutes les places, tinter neuf coups de cloche pour les hommes et onze coups pour les femmes. Puis il dit :

« Nous recommandons à vos charitables prières le repos éternel de l’âme de M…, décédé en sa demeure le…, à telle heure, et dont l’inhumation aura lieu demain à… heures, en l’église paroissiale de…

« Et vous, âmes charitables, vous prierez pour le repos éternel de son âme. »

J’ai cherché à savoir pourquoi cette publication n’était faite que pour les enterrements de 1re et de 3e classe et les renseignements suivants que j’ai recueillis ne me satisfont qu’imparfaitement :

Pour les enterrements de 1re classe, c’est dans la crainte que des personnes aient été oubliées dans les invitations faites par la famille ; pour ceux de 3e classe, c’est parce qu’il n’y a pas d’autres invitations que celle du crieur public. Et quant aux enterrements de 2e classe, ils ont la ressource des lettres de faire part et des avis dans les journaux.

À la mort de quelqu’un, l’on arrête toutes les pendules qu’on ne remet à marcher que quand le corps est sorti de la maison.

On vide l’eau des vases, dans la crainte que l’âme n’aille s’y noyer.

Il n’y a pas très longtemps, quand un fermier ou sa femme venait à mourir, on recouvrait d’un crêpe les ruches d’abeilles dans le courtil.

Ces laborieuses bestioles, qu’on appelle des Avettes, étaient considérées comme faisant partie de la famille.

Le Placebo

À Bain, la veille d’un enterrement, il y a, le soir vers cinq heures, à l’église, ce qu’on appelle le Placebo.

Placebo est le premier mot de l’antienne des vêpres des morts.

L’église toute préparée pour les obsèques du lendemain est tendue de deuil, la fausse châsse est placée entourée de têtes de mort et de cierges non allumés.

On chante les vêpres des morts presque dans l’obscurité.

La famille et les amis du défunt assistent à cette cérémonie. S’il y a beaucoup de monde, cela fait présager qu’il y aura foule à l’enterrement.

Dans les campagnes de l’arrondissement de Redon, quand une personne vient à mourir, depuis son décès jusqu’à l’enterrement, le mort est visité par les parents, les amis, les voisins, les habitants du hameau et des villages environnants, qui, se remplacent de façon à ce qu’il y ait, jour et nuit, du monde en prières dans la maison mortuaire.

Ces braves gens viennent des points les plus éloignés, et quand un groupe d’habitants d’un village arrive, ceux de ce même village, qui sont en prières depuis plusieurs heures, cèdent la place aux nouveaux venus. C’est ce qu’on appelle la veillée des morts.

Dans quelques communes, la personne qui récité le chapelet à haute voix dit, entre chaque dizaine, au lieu de la prière habituelle :

— Corps mort, que cherchez-vous ?

— Corps mort, que demandez-vous ?

Les assistants répondent :

— Le Paradis, mon bon Jésus.

Si c’est un chapelet pour les âmes du Purgatoire, la personne qui le récite ne manque pas d’ajouter :

« Accordez, Jésus, la jouissance de votre gloire
Aux âmes qui souffrent dans le Purgatoire. »

Dans le canton d’Argentré, pour faire respecter la maison d’un mort, on met, à l’extérieur, une grande croix de bois recouverte de torches de paille.

Dans l’arrondissement de Vitré, quand des gens riches apprennent la mort d’un parent ou d’un ami intime qui habitait loin d’eux, et qui est même inconnu dans leur commune, ils font sonner ce qu’on appelle des glas d’honneur, l’un en apprenant le décès, l’autre au moment de l’enterrement.

Les vieux usages d’autrefois sont encore scrupuleusement observés à Vitré.

À l’enterrement d’un homme ayant de la fortune, immédiatement après le cercueil suit un orphelin de 14 à 15 ans de l’hôpital Saint-Nicolas, qui a été désigné par les religieuses.

La famille le revêt d’une pièce de flanelle blanche, qu’il porte autour du corps, en bandoulière. Il tient à la main une double croix de Jérusalem, en cire.

Après la cérémonie, ces objets lui appartiennent.

Dans les communes rurales, l’orphelin est remplacé par le domestique de confiance du défunt, et la croix par un gros cierge allumé.

Les autres domestiques suivent avec les membres de la famille qui se mettent en rang deux par deux.

Le parent le plus proche conduit le deuil avec un ami, non parent du défunt, auquel on veut faire le plus d’honneur.

Chaque parent vient ensuite, — en raison de son degré de parenté, — et toujours accompagné d’un étranger.

Les femmes succèdent aux hommes et chacune d’elles a près d’elle une amie ou une personne notable.

Au retour du cimetière, on ne laisse pas les étrangers aller manger à l’hôtel. Il y a un repas à la maison mortuaire et qui est présidé par les plus proches parents. On n’y boit que de l’abondance. Il n’y a sur la table ni vin ni cidre. Le dessert se compose de beurre et de fromage. On ne sert ni café ni liqueurs.

On se met à table quand on arrive, sans attendre personne, sans place désignée.

Les volets de la salle à manger ne sont qu’entrebâillés, et bien qu’on soit souvent très nombreux, on ne parle qu’avec ses voisins de table et à voix basse.

Sitôt qu’on a fini de manger, on se lève de table et on se retire.

Depuis quelques années seulement, la veuve du mort n’assiste plus au repas d’enterrement.

Un autre repas est offert huit jours plus tard aux personnes qui assistent à la cérémonie appelée : service de huitaine.

Le jour des obsèques, on fait distribuer aux pauvres par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul 300 kilogrammes de pain et 150 kilogrammes de viande.

On donne des cierges au clergé, aux religieuses des communautés, aux fermiers et aux pauvres.

Leur grosseur varie en raison de l’importance des personnes auxquelles on les remet.

Aux curés et aux chanoines, ce sont des cierges de 5 fr.

Aux prêtres et aux religieuses, des cierges de 3 fr.

Aux autres personnes, des cierges de 2 fr.

Les cultivateurs riches font, eux aussi, sonner des glas d’honneur.

Les membres de la famille assistent aux enterrements, tiennent un cierge et se placent à la queue du cortège.

Ils font célébrer un service et portent le deuil pendant un an. Les femmes ont un long voile de crêpe sur leur bonnet plat.

Je me souviens que, dans mon enfance, les femmes de la campagne portaient le deuil de leurs parents beaucoup plus sévèrement que de nos jours. Elles avaient à recouvrir leur coiffe, une cape noire, qu’elles appelaient capot, qui était munie d’une sorte de pèlerine leur cachant le corps jusqu’à la taille.

Lorsque les habitants des villages de Mont-Rouaud et du Val-aux-Bretons, dans la commune de Pleine-Fougères, conduisent un mort à l’église, ils s’arrêtent un instant au milieu de leur parcours, tournant le cercueil de façon que la figure du mort soit dirigée vers le Mont-Saint-Michel, et récitent une prière.

À Pléchâtel, quand un célibataire meurt après avoir pris part au tirage au sort, ce sont ordinairement quatre jeunes gens de sa classe qui portent le cercueil le jour de l’enterrement. C’est ce qui a eu lieu dernièrement pour un jeune séminariste du nom de Ballard.

Ce sont les fermiers qui, presque toujours, portent le corps de leur propriétaire.

À Châtillon-en-Vendelais et dans les communes voisines, les parents d’un mort, à son enterrement, suivent le cortège à une grande distance. Ils n’entrent pas dans l’église pendant la cérémonie, et restent à genoux sous le porche.

Aussitôt la messe terminée, ils rentrent chez eux, sans assister à l’inhumation ni sans aller au cimetière.

Il existait autrefois dans tous les carrefours et sur le bord des routes, de grandes croix de bois dans lesquelles un trou avait été creusé pour y abriter une Vierge en faïence, qui était protégée par un petit grillage en fer.

Le nombre de ces croix a bien diminué depuis vingt ans. Elles sont aujourd’hui vermoulues, beaucoup n’ont plus de bras, et celles qui sont tombées de vétusté, ou qui ont été abattues par les orages, n’ont pas été remplacées.

Néanmoins, lorsqu’un enterrement allant au bourg, passe devant ces pieux débris, les personnes qui suivent le corps déposent dans le grillage, à côté de la vierge, ou dans les fissures du bois faites par le temps, une petite croix de bois, longue comme la main, et préparée à l’avance. Ces croix indiquent le nombre de cercueils qui sont passés en ces lieux depuis le premier janvier, car on a soin de les enlever tous les ans.

Dans certaine carrefours où les croix ont disparu, on place les petites croix dans le creux d’un vieux chêne, ou on les enfonce sur le haut d’un talus le plus rapproché de l’endroit où était le calvaire.

Une croyance très répandue dans les campagnes, est que tout ce qui a appartenu à un mort doit disparaître après lui à bref délai.

Ses vêtements, quoi qu’on fasse pour les conserver, seront promptement mangés par les mites. Ses bestiaux mourront d’accidents ou de maladies s’ils ne sont vendus aux bouchers par les héritiers du défunt.

Quand un enfant meurt avant d’avoir reçu le baptême, il est conduit directement au cimetière sans qu’on prenne la peine d’en informer les amis et connaissances. La plupart du temps le père seul l’accompagne.

Le petit cadavre, enfermé dans une légère boîte en bois, est remis au fossoyeur qui l’enterre dans un coin non bénit du cimetière.

Cette cérémonie a lieu souvent le soir. On semble honteux d’avoir un pareil malheur à déplorer dans la famille.

En 1896, une femme de la commune de Saint-Gonlay, dans l’arrondissement de Montfort, mit au monde un enfant mort qui fut enveloppé dans un torchon, et déposé sur l’unique table de la maison, en attendant qu’une boîte de bois blanc fût confectionnée pour recevoir le cadavre.

Un voisin qui avait été prié de faire cet humble cercueil, l’apporta dans la maison de l’accouchée et là, crut prendre le corps de l’enfant sur la table, et s’empara de la touaille contenant une douzaine de saucisses. On appelle touaille, une sorte de nappe en grosse toile, qui met à l’abri des mouches, le pain et la viande froide qui sont toujours à la disposition des ouvriers des champs, qui n’ont pas d’heures fixes pour les repas.

On porta donc le cercueil au cimetière et l’on revint ensuite se mettre à table comme c’est l’usage dans le pays.

Qu’on juge de la surprise des bonnes gens qui, en déroulant le torchon, trouvèrent le cadavre de l’enfant au lieu des saucisses qu’ils comptaient manger.

Ils retournèrent immédiatement au cimetière, déterrèrent le cercueil, mirent l’enfant à la place des saucisses qu’ils rapportèrent à la maison, et qui servirent au repas des invités.

Un soir d’automne, en revenant de la chasse, je traversais le petit bourg de Noë-Blanche, lorsque je vis un petit paysan de neuf à dix ans, le bras en écharpe, qui pleurait en marchant.

Je lui demandai ce qu’il avait.

Il me répondit, entre deux sanglots, et en me montrant un doigt d’enfant qu’il avait dans une main : « Je me suis abattu le doigt avec une faucille et je vas l’enterrer dans le cimetière. »

Je n’oublierai jamais ce spectacle du pauvre petit paysan allant enterrer son doigt.

5o Les revenants

Un brave homme du bourg de Saint-just, en traversant un soir la grande lande de Bocadève, eut une vision très étrange ; mais laissons-le lui-même la raconter :

« J’aperçus tout près de moi un prêtre recouvert de l’aube, de l’étole, de la chasuble, tout prêt à dire la messe, avec des cierges à ses côtés. Je ne suis cependant pas peuvrou, je vous assure, mais la sueur me coulait sur la figure, comme si je venais de battre une airée de blé noir.

» Oui, j’étais sain d’esprit et de corps, et je l’ai vu comme je vous vois.

» Je marchais à en perdre haleine, et il était toujours à la même distance de moi.

» Je ne dormis point de la nuit, et le lendemain j’allai trouver le curé pour lui faire part de ma rencontre. »

— Père Mathurin, me dit-il, rassurez-vous, j’espère que vous ne reverrez plus ce revenant. Moi aussi je l’ai rencontré au même endroit, et bien que mon cheval effrayé eût pris le galop, je l’apercevais toujours auprès de moi.

» Quand vous y penserez, père Mathurin, dites une prière à son intention ; mais vous ne le reverrez plus, je vous le certifie, car j’ai dit des messes pour le repos de son âme.

» En effet, j’ai passé sur la lande bien des fois depuis, à la même heure, et je ne l’ai plus revu. »

Dans le pays de Pipriac, où il existe de grands domaines, on voit souvent plusieurs personnes posséder un certain nombre de sillons dans le même champ. De simples bornes en pierre indiquent la part de chacun. Malheur à ceux qui seraient tentés de les arracher ou de les reculer par convoitise du bien d’autrui, car après leur mort, ils seront condamnés à revenir les mettre en place.

Hélas ! ils ne se rappellent pas toujours l’endroit précis, et on les entend, dans les nuits d’hiver, qui s’écrient avec douleur : « Où les mettre ? Où les mettre ? »

Il faut, pour délivrer ces pauvres âmes, que le voisin qui a été lésé, vienne lui-même indiquer le lieu où il veut que les bornes soient placées.

Lorsqu’on aperçoit une étoile filante, c’est une âme qui vient d’être délivrée du purgatoire et qui sollicite une action de grâces.

Une jeune fille appartenant à une famille aisée de la commune de Derval, était morte depuis plusieurs mois, lorsqu’elle apparut à sa bonne qui, un soir, filait sa quenouille, seule, au coin du foyer de la cuisine.

La servante était depuis longtemps dans la maison, et avait pour ainsi dire élevé l’enfant décédée, qu’elle affectionnait sincèrement et dont la mort lui avait causé un grand chagrin.

Lorsqu’elle la vit paraître à ses côtés, elle n’en fut nullement effrayée.

La jeune fille lui dit : « Préviens mes parents que je suis dans le purgatoire, et que je n’en sortirai pour aller au ciel, que lorsqu’on aura fait pour moi le pèlerinage que j’avais promis à Sainte-Anne-d’Auray. »

— Je le ferai certainement, mon enfant ; mais voudront-ils me croire ? Ils diront que je suis folle et que j’ai rêvé.

— « Alors, dit la jeune fille, tu leur montreras ta coiffe. » Et sur cette coiffe elle posa la main.

Les cinq doigts de la morte y furent marqués, et leur empreinte avait roussi le linge comme avec un fer trop chaud.

Le pèlerinage fut fait, et la morte ne reparut plus.

Plusieurs vieilles femmes de Derval, se souviennent avoir vu cette coiffe, qui fut longtemps un objet de curiosité dans le pays.

Un vicaire de la commune de Poligné fut appelé un soir près d’un mourant avec lequel il avait été intimement lié. Lorsqu’il le quitta, le moribond lui dit : « Si les esprits peuvent revenir sur la terre je vous en avertirai. »

Le prêtre rentra chez lui désespérant de voir son ami revenir à la vie.

Le curé était très vieux, et une sonnette avait été installée de la chambre de ce dernier dans celle du vicaire, pour le cas où le vieillard se serait trouvé indisposé.

Vers trois heures du matin, le vicaire fut réveillé par la sonnette qui fit un carillon infernal. L’abbé s’habilla à la hâte et courut chez son curé qui se réveilla en entendant ouvrir sa porte.

— Vous êtes souffrant ? lui dit le vicaire.

— Pas du tout ; je suis même très bien.

— Mais vous m’avez sonné.

— Je vous asure que non.

Le lendemain matin, le jeune prêtre apprit que son ami était mort à deux heures dans la nuit.

Il y a environ vingt ans, nous dit la mère Delamarre, de Bruz, le fils Hervé, qui avait poussé pour être prêtre, mourut jeune de la maladie de poitrine, à la ferme des Loges, dans notre commune.

Après sa mort, lorsque la servante, une nommée Baccand, alla, comme elle le faisait chaque jour, vers onze heures du matin, dans le fournil passer son blé noir pour faire la galette du déjeuner, elle entendit derrière elle soulever la clenche de la porte. Elle se détourna surprise et vit son défunt maître appuyé contre une échelle. Il était vêtu d’une chemise de toile fine et coiffé d’un bonnet de coton blanc.

Elle allait crier et appeler lorsque le fantôme disparut.

La pauvre fille était un brin innocente, aussi lorsqu’elle raconta cela aux autres domestiques de la ferme, tous se moquèrent d’elle et lui dirent qu’elle avait rêvé.

Mais comme à chaque fois qu’elle allait dans le fournil la vision reparaissait, et qu’elle en avait une peur horrible, elle alla dire à sa maîtresse ce qu’elle voyait chaque jour. Celle-ci également la crut folle et lui ordonna de faire sa besogne. « Demande à ton revenant ce qu’il veut, » dit-elle en plaisantant.

La fille, en pleurant, retourna dans le fournil où le mort revint encore. Cette fois elle s’arma de courage et dit : « Si vous venez de la part du diable, retirez-vous ; si vous venez de la part de Dieu, parlez. »

— Ma bonne fille, dit le fantôme, allez trouver ma mère, et rappelez-lui qu’elle avait promis pour moi un pèlerinage à Sainte-Anne-d’Auray, et qu’il faut qu’elle le fasse au plus vite.

La servante alla répéter ces paroles à sa maîtresse, qui se rendit immédiatement à Sainte-Anne.

À partir de ce moment, le fantôme ne reparut plus à la ferme des Loges.

La bonne femme Chesnot, du village de Haume, dans la commune de Laillé, mourut en laissant une fille unique appelée Louison.

Celle-ci, quelque temps après le décès de sa mère, vit près de son lit, trois nuits de suite, à l’heure de minuit, une femme vêtue de blanc, portant à la main un cierge allumé.

La pauvre fille eut tellement peur qu’elle en perdit le boire et le manger.

Le lendemain de la dernière apparition, Marie Leveil, couturière à la journée, vint travailler chez l’orpheline qui lui raconta ce qu’elle avait vu, et la supplia en grâce de rester à coucher avec elle. « J’aurai peut-être, lui dit-elle, quand je te sentirai près de moi, le courage de demander à cette personne ce qu’elle me veut. »

L’ouvrière y consentit, et la nuit suivante le fantôme apparut, son cierge à la main.

— Qui êtes-vous ? dit en tremblant la pauvre fille.

— Je suis ta mère.

— Qu’exigez-vous de moi ?

— Que tu viennes, seule, prier sur ma tombe, à l’heure de minuit, pendant neuf nuits de suite.

— J’irai, ma mère.

Le village de Haume est à plus de deux lieues du cimetière, et il faut traverser la forêt de Laillé pour s’y rendre.

Louison Chesnot alla demander au curé de sa paroisse de prier Dieu de lui permettre d’accomplir sa promesse.

— Je t’accompagnerai, mon enfant, lui répondit le prêtre, et je resterai dans un champ, voisin du cimetière, pour te porter secours s’il en est besoin.

Le soir même, la fille suivie du curé de Laillé, se rendit au cimetière ; mais là, elle entendit une voix, sortant de la tombe, qui lui dit : « Ton voyage est nul, car tu n’es pas seule. Il faudra recommencer ta neuvaine la nuit prochaine. »

Le lendemain, et pendant neuf nuits, la pauvre enfant prit son cœur à deux mains, comme on dit chez nous, et alla prier sur la tombe de la défunte.

La neuvaine terminée, elle vit une colombe s’envoler des herbes, et elle entendit la voix de sa mère qui la remerciait : « Tu m’as sauvée des flammes éternelles, mon enfant, et tu n’as plus qu’à faire dire dix messes pour me permettre d’entrer au ciel. »

(Conté par Angèle Julien, de Laillé, âgée de 18 ans.)

Bien des fois au crépuscule, lorsque les couturières et les ouvriers regagnent leur logis, ils entendent des cris étranges dominant les bruits du soir, et, si c’est en été, faisant taire les grenouilles et les grillons. On dirait des cris d’animaux furieux, des miaulements de chats et des aboiements de chiens enragés. Souvent les passants ont vu dans des champs de genêts, ou au beau milieu d’une clairière ou d’une petite pièce de terre en pâture, de petits êtres semblables à des chats, gambadant, se déchirant entre eux et hurlant comme des possédés.

Parfois ces petits monstres grimpent sur les pommiers, tout en se poursuivant et en continuant leur infernal tapage.

D’autres fois, ce sont des bandes de chiens, de toutes sortes et de toutes tailles, dont le nombre augmente sans cesse. Au milieu d’eux est un cavalier farouche, le fouet à la main, qui semble les mener à la chasse.

Cette meute passe comme le vent. On dirait qu’elle vient de votre côté et, au moment où vous croyez qu’elle est sur vous, vous l’apercevez à l’horizon continuant sa course fantastique.

C’est la chasse du roi Artus !

Les anciens racontent que ce personnage assistait un dimanche à la messe paroissiale, lorsqu’il entendit des chiens aboyer dans la plaine voisine. C’était tout le tintamarre d’une chasse au courant. Sans attendre la fin de l’office divin, n’écoutant que sa passion, Artus sortit de l’église pour prendre part à la chasse. Dieu, pour le punir, l’a condamné à chasser jusqu’à la fin des siècles.

La Chasse à l’Humaine

Tous les habitants des forêts de Tanouarn et de Bourgouet, en Dingé, ainsi que ceux des communes de Feins de Bazouges-sous-Hédé, de Québriac et même de Tinténiac, ont entendu la nuit, dans l’air, au-dessus de leurs têtes, comme une meute de chiens poursuivant une proie. C’est, disent-ils, la Chasse à l’humaine. Voici son histoire : Un méchant gentilhomme habitait au temps jadis un manoir aujourd’hui disparu et qui était situé sur le haut du coteau de Pierre-Taillée, au centre de ses propriétés comprenant la forêt de Tanouarn et toutes les terres environnantes.

La chasse n’était plus pour lui un amusement, mais bien une passion dont rien ne pouvait le distraire. Un jour qu’il chassait en forêt, il vint à traverser la grande ligne juste au moment où le recteur de Dingé portait le saint Viatique à un mourant. Il ne s’arrêta point, le malheureux, et ne se découvrit même pas, trop excité qu’il était à entraîner ses chiens. Il passa comme la foudre, mais où alla-t-il ? Personne ne le revit jamais, ni dans la forêt, ni chez lui ni ailleurs. Il fut assurément puni de son impiété, et c’est lui qu’on entend depuis des siècles traversant les airs poursuivi par ses chiens.

Une jeune femme de la commune de Bruz vint à mourir.

Quelques jours après sa mort, un nommé Porcher et sa sœur la virent assise sur l’échalier des Biques, dans la commune de Chartres.

Tous deux eurent la même vision, et c’est à moi-même qu’ils l’ont racontée.

À l’époque de la Révolution, un prêtre non assermenté vint habiter la chambre d’une maison de paysan située au village de Pierrefitte, dans la paroisse de Bruz.

Il rayonnait dans tous les environs, pour porter les secours de la religion aux malades qui réclamaient ses prières à leur dernière heure.

Lorsqu’il se voyait espionné ou suivi, un charretier lui passait bien vite son fouet et sa blouse et, à partir de ce moment, c’était le prêtre qui conduisait l’attelage. D’autres fois, il entrait précipitamment dans un champ, se salissait les mains avec de la terre et se mettait lui-même à conduire la charrue, pendant que le laboureur aiguillonnait les bœufs, à la place d’un enfant qui allait se reposer dans un fossé.

Que de fois il évita ainsi d’être arrêté par les soldats du général Hoche qui sillonnaient le pays !

Ses vêtements sacerdotaux étaient cachés dans un cellier, sous une cuve tournée en adent, c’est-à-dire sens dessus dessous, à la ferme de la Barre. Des fagots, de la paille, des instruments aratoires ne permettaient pas d’approcher facilement de cette cuve.

Ce fut là, dans ce cellier, pendant une grande partie de la Révolution, que l’abbé dit la messe, maria la jeunesse et baptisa les enfants.

Hélas ! malgré sa prévoyance et ses ruses, il fut dénoncé et le dimanche de la Pentecôte, pendant qu’il disait la sainte messe, dans le bois de Chancor, il reçut une balle en pleine poitrine au moment de l’élévation.

La maison de Pierrefitte, aujourd’hui abattue et où se trouvait l’humble chambre du défunt prêtre, était habitée au commencement du siècle, par un sieur Porcher.

Le fils de ce dernier, qui m’a raconté ce qui précède, a ajouté que pendant bien longtemps son père ne put pénétrer le soir, après le coucher du soleil, dans la chambre du mort. Arrivé à un détour de l’escalier, sa chandelle s’éteignait et si, néanmoins, il voulait avancer, il se sentait repoussé par une force invisible.

Porcher fit achever la messe commencée dans le bois de Chancor, et, à partir de ce jour, il n’éprouva plus aucune difficulté pour pénétrer nuitamment dans la chambre du prêtre fusillé[2].

On rencontre dans le bois du Parc, situé entre les communes des Iffs et de la Baussaine, la fontaine de la Biche, qui a donné naissance à un doué appelé le doué à Guépin.

Une jeune fille fut, dit-on, tuée à cet endroit pendant la Révolution et elle revient tous les ans dans la nuit de la mi-août, chanter l’Ave Maris Stella au bord de la fontaine.

Elle a été entendue par beaucoup de gens, et notamment par les enfants Galliot, dont les parents habitaient la ferme de la forêt.

Dans le lit du Couesnon, entre Tremblay et Bâzouges-la-Pérouse, se trouve une grande cave, dite cave tournante, et appelée Quiberon.

Si vous passez là, le soir de la mi-août, vous entendrez distinctement le tic-tac d’un moulin, les cris d’un enfant que l’on berce et le chant du coq répété par trois fois.

Les bonnes femmes du pays racontent qu’autrefois, le propriétaire d’un moulin qui existait à cet endroit, aurait donné l’ordre de faire marcher le moulin le dimanche toute la journée, et défendu à ses serviteurs d’aller à la messe.

En punition de son impiété, le meunier et les siens furent engloutis au fond de cette cave.

Une femme du nom de Bedel, demeurant à Rennes, rue Saint-Louis, avait, en 1895, sa fille mourante.

La pauvre malade vomissait tout ce qu’elle prenait, et pour ce motif ne pouvait communier, ce qui faisait la désolation de sa mère.

Celle-ci promit une messe à Notre-Dame-des-Miracles-et-Vertus, dans l’église de Saint-Sauveur de Rennes, pour demander à Dieu de faire cesser les vomissements. Les vœux de la femme Bedel furent exaucés, et la moribonde put recevoir le saint viatique.

Elle mourut presque aussitôt après avoir communié, et sa mère négligea de faire dire la messe promise.

Cette dernière fut tout récemment réveillée par de grands coups frappés à l’endroit où se trouve son armoire.

Elle n’y fit pas grande attention et se rendormit.

Les deux nuits suivantes ce bruit se renouvela avec plus de violence encore, et cette fois à la tête du lit de la bonne femme. Effrayée de ce tapage, et se rappelant la messe promise, elle la fit dire immédiatement.

Elle n’a plus rien entendu depuis.

Si l’on rêve à un mort, c’est une messe qu’il demande pour le repos de son âme, et l’on doit s’empresser de la faire dire.

Il y a vingt ans de cela, le père Hervé, du village de la Bizais, dans la commune de Bruz, en venant de Guichen à Cicé, chez son gendre, tomba dans la Seiche et se noya.

Après sa mort, sa fille, la femme Fontaine, de la haie de Cicé, entendait en plein jour secouer le crouille[3] de sa porte comme si quelqu’un voulait entrer. Elle allait voir et ne trouvait personne.

Marie Appel, la domestique a été témoin du fait.

Des tailleuses en journée, qui entendirent, elles aussi, ce bruit, eurent une peur effroyable et le soir, après leur journée, il fallut les reconduire chez elles.

La nuit, dans le grenier, on entendait comme le bruit d’une brouette qu’on aurait traînée sur le plancher.

Les époux Fontaine firent dire une messe et les bruits cessèrent.

Un paysan d’un village de la commune de Pléchâtel, dans l’arrondissement de Redon, vint à décéder, et quelque temps après sa mort, on entendit toutes les nuits, dans sa maison, des bruits de chaînes, des gémissements, des plaintes, etc.

Les parents du défunt firent dire une messe d’arrêt, — c’est ainsi qu’on l’appelle, — pour faire cesser ces bruits, qui bientôt, en effet, s’éteignirent.

Une femme de Bruz, Marie Chesnel, étant allée prier le soir assez tard à l’église, s’endormit et n’entendit pas le bedeau fermer les portes.

Lorsqu’elle se réveilla, il était minuit. Elle vit un prêtre s’avancer vers le maître autel et allumer les cierges. Il était revêtu des habits sacerdotaux, comme pour dire la messe, et avait la figure couverte d’un voile.

Il regarda dans l’église et dit : « N’y a-t-il pas quelqu’un ici pour répondre ma messe ? »

La femme épeurée s’était cachée dans un confessionnal.

Le prêtre, n’entendant aucune réponse, poussa un long gémissement, éteignit les cierges et disparut.

Le lendemain matin, Marie Chesnel alla raconter au curé ce qu’elle avait vu.

Le curé lui répondit : « Merci, ma fille, j’enverrai la nuit prochaine le choriste dans l’église. »

L’enfant y alla et répondit la messe du mort. Ce dernier lui dit : — Tu m’as délivré du Purgatoire. Voilà vingt ans que je viens ici toutes les nuits pour achever une messe interrompue de mon vivant, sans trouver personne pour la répondre. Je veillerai sur toi, mon fils.

Il y a toujours eu des maisons hantées dans notre pays.

À Rennes, pendant plus d’un demi-siècle, personne n’a consenti à habiter le château de Maurepas, situé faubourg de Fougères, à cause des bruits infernaux qu’on y entendait la nuit.

À Vitré, dans la propriété de la Barattière, appartenant à M. Le Gonidec de Traissan, se trouve une maison, ayant un rez-de-chaussée et un étage qui, depuis un temps immémorial, n’est plus habitée.

Il existe dans l’une des pièces de cette demeure un puits d’où, chaque nuit, dit-on, sort un démon qui a fait donner à l’habitation le nom de Maison du diable.

Celui-ci veut être seul chez lui, et ne permet à personne de s’y installer. Si, par malheur, quelqu’un veut y passer la nuit, il est tellement effrayé par les bruits qu’il entend : bruits de chaînes traînées, personnes qui montent et descendent les escaliers avec des sabots et qu’on ne voit pas, qu’il s’empresse de déguerpir dès le lendemain matin.

La légende de la maison du diable, à Vitré, est tellement connue qu’on en a fait un objet d’effroi pour les enfants : « Si vous n’êtes pas sages, disent les mères à leur progéniture, on vous enfermera dans la maison du diable. »

La fermière de la Barre de Cicé, dans la commune de Bruz, mourut en couches il y a une vingtaine d’années.

Lorsqu’elle fut enterrée, sa fille raconta que la nuit, on apercevait par instant dans le foyer, des couées de feu, c’est-à-dire des embrasements ou des flambées qui, tout à coup, éclairaient l’appartement d’un vif éclat et s’éteignaient aussitôt. Cependant il n’y avait dans l’âtre que des cendres éteintes.

Cette famille quitta la ferme où elle fut remplacée par un jeune ménage, les époux Gérard, qui s’étaient mariés à l’automne, le 13 octobre.

À partir de leur entrée dans la ferme, ceux-ci entendirent toutes les nuits, du soir au matin, des bruits étranges.

Tantôt, c’était comme de la terre tombant des arbres sur le toit de la maison.

D’autres fois, c’était la barrière du jardin qui s’ouvrait en faisant grincer ses gonds rouillés.

Si l’on voulait se rendre compte de ces bruits, on trouvait la barrière fermée et tout en parfait état.

On crut cependant voir, à différentes reprises, assise au pied d’une haie, au fond de la cour, une femme ressemblant à la fermière défunte, mais lorsqu’on approchait d’elle, la vision s’évanouissait.

Certaines nuits, les bruits partaient du grenier. On croyait entendre comme une meule roulée sur le plancher, puis ensuite quelqu’un égrenant des pois ronds qui dégringolaient de tous côtés.

Gérard monta plusieurs fois dans le grenier, avec un cierge bénit à la main, et ne découvrit rien. Il n’y avait ni fruits, ni légumes, dans ce grenier vide depuis longtemps.

Un tapage effrayant réveilla une nuit les jeunes mariés, qui crurent avoir entendu une bûche énorme tomber dans le foyer par la cheminée.

L’homme alla voir, il n’y avait absolument rien.

Dans le cellier, contigu à la maison, se trouvait l’échelle conduisant au grenier dont il a été question tout à l’heure. Souvent on entendait monter et descendre cette échelle.

La porte du cellier était cependant barricadée de façon à ne permettre à personne d’y entrer du dehors. Un énorme madrier pénétrant par chaque bout dans les parois du mur la tenait mieux fermée que n’aurait pu le faire la meilleure serrure,

Et cependant un soir que les époux Gérard se chauffaient devant leur foyer, ils entendirent cette porte s’ouvrir.

Le mari alla aussitôt dans le cellier et vit la porte grande ouverte et la barre de bois par terre. Cela n’avait pu être fait qu’à l’intérieur, et l’on ne voyait dans cette pièce que des futailles pleines ou vides.

Le fermier referma la porte avec le plus grand soin, et malgré cela, cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’elle se rouvrait avec fracas. Enfin, fermée une seconde fois, le calme se rétablit.

La femme Gérard de plus en plus effrayée, fit dire une messe pour le repos de l’âme de la défunte fermière et le curé de Bruz, passant quelques jours après devant la ferme y entra. Il dit avec une expression qui lui était familière.

Os là ! qu’est-ce qu’on entend donc ici ?

On lui raconta ce qui précède.

Il alla dans le cellier, monta par l’échelle dans le grenier où il resta quelque temps en prières.

Depuis la visite du pasteur à la ferme de la Barre de Cicé, tous les bruits sinistres n’ont plus été entendus.

(Conté par le fermier Gérard, lui-même, trésorier de la paroisse de Bruz, âgé de 49 ans.)
La Messe des Morts

C’était par une nuit de Noël, froide et glaciale, le vieux curé de la paroisse de Saint-Méen lisait tranquillement son bréviaire au coin du feu, en attendant l’heure à laquelle il devait aller célébrer trois messes, ainsi que le permet l’Église le jour de la naissance du Christ.

Soudain un coup sec frappé à la porte, le fit tressaillir.

Qui donc peut venir ainsi à pareille heure ? se dit-il en lui-même en allant ouvrir.

Le spectacle qui s’offrit à sa vue, lui causa un véritable effroi.

Éclairés par une lune blafarde, des milliers de fantômes blancs entouraient le presbytère. Il y en avait dans la cour, dans les jardins, dans les chemins environnants. Tous étaient recouverts, de la tête au pied, d’un grand drap blanc semblable à un suaire. Le visage et les mains étaient complètement cachés.

Le prêtre, à peine remis de son émotion, fit le signe de croix. Tous l’imitèrent.

S’adressant ensuite au fantôme le plus près de la porte il lui dit :

— Mon frère, que désirez-vous ?

La foule s’inclina respectueusement à la voix du vénérable curé, et tous les bras cachés sous les suaires, désignèrent un point dans la campagne.

Subissant une sorte de fascination, le prêtre s’en alla, tête nue, au milieu de cette étrange procession et se dirigea vers le lieu indiqué.

En tête s’avançaient de tout petits enfants au milieu desquels un acolyte, plus grand que les autres, portait une croix.

Ces enfants étaient suivis d’une double file de fantômes tenant des cierges de cire blanche allumés, tandis que derrière eux, marchaient, sur un triple rang, d’autres personnages avec des torches jaunes dont la lueur rougeâtre donnait aux arbres et aux buissons un aspect sinistre.

Le prêtre entendait un bruit singulier : on eût dit des os s’entre-choquant.

Ce bruit cessa tout à coup. La procession s’était arrêtée au milieu des ruines d’une vieille chapelle située au fond d’un bois.

Là, régnait un lugubre silence. La foule s’agenouilla dans les ronces, et deux fantômes quittèrent leur rang. L’un d’eux alla se placer près des marches du chœur de l’antique chapelle, tandis que l’autre présentait au prêtre des vêtements sacerdotaux.

Celui-ci passa l’étole à son cou, revêtit la chasuble et monta courageusement à l’autel. Il y trouva un vieux missel en parchemin, une patène et un calice de plomb, tels qu’on en dépose dans les tombes des prêtres trépassés.

Lorsque l’officiant commença le premier verset de la messe, il entendit, au moment où la foule se levait et faisait le signe de croix, un bruit d’os se heurtant les uns contre les autres.

L’un des deux êtres mystérieux placés près de l’autel, prononça les répons d’une voix qui ne ressemblait en rien à une voix humaine.

Le prêtre, tout entier au divin mystère qu’il célébrait, oublia pour un instant son entourage fantastique, mais lorsqu’il se tourna vers les assistants en disant : Orate fratres, son épouvante fut extrême. Il n’aperçut que des squelettes. Tous les fantômes avaient rejeté leurs linceuls derrière eux et montraient leurs os décharnés.

Le curé, surmontant sa frayeur, continua l’office commencé.

Lorsqu’il eut prononcé les paroles de la consécration, un chœur de voix célestes se fit entendre dans la chapelle, et les têtes de mort devinrent des figures resplendissantes d’allégresse.

Enfin lorsque le prêtre dit : Ite Missa est, la chapelle était déserte. Il ne vit plus que les traces lumineuses des âmes qui s’élevaient vers le ciel.

(Conté par Ronsin, aubergiste à Saint-Méen.)



  1. On appelle avènements les pronostics de la mort.
  2. Les légendes des prêtres errants réclamant des acolytes pour achever leur dernière messe sont extrêmement nombreuses. Cela tient sans doute à ce qu’un prêtre qui, pour un motif quelconque, est obligé d’interrompre sa messe après la consécration, est obligé de la faire achever par un autre ecclésiastique, lequel doit la prendre exactement à l’endroit où elle a été interrompue.
  3. La clenche.