De la tolérance
Cantorbery : Chez Thomas Litwel (1p. 134-141).

Je ne nie pas que les voies de contrainte, outre les mouvemens extérieurs du corps qui ſont les ſignes ordinaires de la Réligion intérieure, ne produiſent auſſi dans l’ame des jugemens & des mouvemens de volonté, mais ce n’eſt pas par raport à Dieu, ce n’eſt que par raport aux Auteurs de la contrainte. On juge d’eux qu’ils ſont à craindre, & on les craint en éfét ; mais ceux qui auparavant n’avoient pas de la divinité les idées convenables, ou qui ne ſentoient pas pour elle le reſpect, l’amour & la crainte qui lui ſont déuës, n’aquierent ni ces idées, ni ces ſentimens, lors que la contrainte leur extorque les lignes externes de la Réligion. Ceux qui avoient auparavant pour Dieu certains jugemens, & qui croioient qu’il ne faloit l’honorer que dune certaine manière opoſée à celle en faveur de que ſe font les violences, ne changent point non plus d’état intérieur a l’égard de Dieu ; Leurs nouvelles penſées ſe terminent toutes à craindre les perſecuteurs, & à vouloir conſervrer les biens temporels qu’ils menacent d’oter. Ainſi ces contraintes ne font rien pour Dieu, car les actes intérieurs, qu’elles produiſent, ne ſe raportent point à lui, & pour ce qui eſt des extérieurs, il eſt notoire qu’ils ne peuvent être pour Dieu qu’entant qu’ils ſont acompagnez de ces diſpofitions intérieures de l’ame, qui ſont l’eſſence de la Religion, ce qui donne lieu de recueillir ainſi toute cette preuve.

La nature de la Réligion eſt d’être une certaine perſuaſion de l’ame par raport à Dieu, laquelle produiſe dans la volonté l’amour, le reſpect & la crainte que mérite cet être ſuprême, & dans les membres du corps les ſignes convenables à cette perſuaſion & à cette diſpoſition de la volonté, de ſorte que ſi les ſignes externes ſont ſans un état intérieur de l’ame qui y réponde, ou avec un état intérieur de l’ame qui leur ſoit contraire, ils ſont des actes d’hipocriſie, & de mauvaiſe-foi, où d’infidélité, & de révolte contre la concience.

Donc ſi l’on veut agir ſelon la nature des choſes, & ſelon cet ordre que la droite raiſon, & la ſouveraine Raiſon de Dieu-même doit conſulter, on ne doit jamais ſe ſervir pour l’établiſſement de la Réligion, de ce qui n’étant pas capable d’un côté de perſuader l’eſprit & d’imprimer dans le cœur l’amour & la crainte de Dieu, eſt tres capable de l’autre de produire dans les membres du corps des avtes externes qui ne ſoient point le ſigne d’une diſpoſition réligieuſe d’ame, ou qui ſoient le ſigne opoſé à la diſpoſition intérieure d’une ame.

Or eſt-il que la violence eſt incapable d’un coté de perſuader l’eſprit, & d’imprimer dans le cœur l’amour & la crainte de Dieu, & eſt : très-capable de l’autre de produire dans nos corps des actes externes qui ne ſoient acompagnez d’aucune réalité intérieure, ou qui ſoient des ſigues d’une diſpoſition intérieure tres-diferente de celle qu’on a véritablement, c’eſt-à-dire, que ces actes externes ſont ou hipocrifie & mauvaiſe foi, ou révolte contre là concience.

C’eſt donc une choſe manifeſtement opoſéc au bon ſens, à la lumière naturelle, aux principes généraux de la raiſon, en un mot à la régle primitive & originale du diſcernement du vrai & du faux, du bon & du mauvais, que d’emploier la violence à inſpirer une Réligion à ceux, qui ne la profeſſent pas.

Comme donc les idées claires & diſtinctes que nous avons de l’eſſence de certaines choſes nous perſuadent invinciblement que Dieu ne peut pas nous révéler ce qui ſeroit contraire à ces choſes (par exemple nous ſommes tres-aſſurez que Dieu ne peut pas nous révéler que le tout eſt plus-petit que ſa partie, qu’il eſt honnête de préférer le vice à la vertu, qu’il faut préférer ſon chien à tous ſes pareils, à tous ſees amis & à ſa patrie, que pour aller par mer d’un lieu à un autre il faut galoper à toute bride ſur un cheval, que pour bien préparer une terre à produire une abondante récolte, il ne faut pas y toucher) il eſt évident que Dieu ne nous a pas commandé dans ſa parole de forcer les gens à coups de bâton, ou par autres telles violences à embraſſer l’Evangile, & ainſi ſi nous trouvons dans l’Evangile un paſſage qui nous ordonne la contrainte, il faut tenir pour tout aſſuré que c’eſt en un ſens métaphorique & non literal, à peu pres comme ſi nous trouvions dans l’Ecriture un paſſage qui nous ordonnât de dévenir fort-ſavans dans les langues, & dans toutes ſortes de Facultez ſans étudier, nous croirions que cela ſe devroit entendre par figure ; nous croirions plutôt, ou que le paſſage eſt falſifié, ou que nous n’entendons pas toutes les ſignifications des termes de l’original, ou que c’eſt un miſtere qui ne nous regarde pas, mais d’autres gens qui viendront aprés nous, & qui ne nous reſſembleront point, ou enfin que c’eſt un précepte donné à la manière des Nations Orientales, c’eſt-à-dire par Emblèmes, & par des images Simboliques dc cnigmatiques, nous croirions, dis je, cela plutôt que de nous perfuader que Dieu ſage, comme il eſt, ordonnât à des Créatures, telles que l’homme, literalement & proprement d’avoir une ſience profonde ſans étudier.

La ſeule choſe qu’on peut m’o poſer eſt, qu’on ne prétend pas ſe ſervir des violences, comme d’une manière directe & immédiate d’établir la Réligion, mais comme d’une manière indirecte & médiate. C’eſt-à-dire qu’on démeure d’acord avec moi que la voie naturelle, & légitime d’inſpirer la Réligion eſt d’éclairer l’eſprit par les bons endoctrinemens, & de purifier la volonté par l’amour qu’on lui inſpire pour Dieu, mais que pour mettre en œuvre cette voie, il e|t quelquefois néceſſaire de violenter les gens, parce que ſans ces violences ils ne s’apliqueroient pas à ſe faire inſtruire, & à ſe dégager de leurs préjugez ; qu’ainſi la violence ne ſert qu’à lever les obſtacles de l’inſtruction, après quoi on ſe ſert de la voie légitime, on rentre dans l’ordre, on inſruit les gens, on agit ſelon les lumières primitives que je prone tant comme le Tribunal ſouverain, ou comme le Commiſſaire qui doit paſſer en revue les révélations, pour rejetter celles qui n’auront pas ſon caractère.

Je me reſerve à réfuter en un autre lieu cette exception qui eſt une chicane fort ſpécieuſement tournée & une illuſion ingenieuſe, & j’eſpere de la réfuter ſi pleinement, qu’elle ne pourra ſerir qu’à ces Ecrivains du bas Empire, à ces Miſſionnaires de vilage, qui n’ont jamais honte de produire les mêmes objections, ſans ſe propoſer les réponſes qui les ont ruinées de fonds en comble.


Chapitre, III.

Sicon^e Réfutation du même fins liUraU jiar la rai fon quil e(i contraire d ^ej^rit 4e f Evangile,

AVant que de propofer ma, 2r. preuve je prie mon Leftcur <ic fe fouvcnir de ce que j’ai dit dans le Chapitre i. ^* « » € lot fffjiHve une