De la sagesse/Livre III/Chapitre XXI

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des maux externes considerez en leurs effects et fruicts.

après les causes des maux, venons aux effects et fruicts, où se trouveront aussi des vrays antidotes et remedes. Ces effects sont plusieurs, sont grands, sont generaux et particuliers. Les generaux regardent le bien, maintien et culture de l’univers. Premierement le monde s’estoufferoit, se pourriroit et perdroit, s’il n’estoit changé, remué et renouvellé par ces grands accidens de peste, famine, guerre, mortalité, qui moissonnent, taillent, emondent, affin de sauver le reste, et mettre le total plus au large et à l’aise. Sans iceux l’on ne pourroit icy se remuer ny demeurer. Dadvantage, outre la varieté, vicissitude et changement alternatif qu’ils apportent à la beauté et ornement de cest univers, encore toute partie du monde s’accommode. Les barbares et farouches sont polies et policées, les arts et sciences sont respandues et communiquées à tous. C’est comme en un grand plantier, auquel certains arbres sont transplantez, d’autres entez, autres coupez et arrachez, le tout pour le bien et la beauté du verger. Ces belles et universelles considerations doibvent arrester et accoiser tout esprit raisonnable et honneste, et empescher que l’on ne trouve ces grands et esclatans accidens si estranges et sauvages, puis que ce sont œuvres de Dieu et de nature, et qu’ils font un si notable service au gros et general du monde : car il faut penser que ce qui semble estre perte en un endroict est gain en l’autre. Et, pour mieux dire, rien ne se perd ; mais ainsi le monde change et s’accommode. (…). Les particuliers sont divers selon les divers esprits et estats de ceux qui les reçoivent : car ils exercent les bons, relevent et redressent les tombez et devoyez, punissent les meschans. De chascun un mot, car il en a esté traicté ailleurs. Ces maux externes sont aux bons un très utile exercice et très belle eschole, en laquelle (comme les athletes et escrimeurs, les mariniers en la tempeste, les soldats aux dangers, les philosophes en l’academie, et toutes autres sortes de gens en l’exercice serieux de leur profession) ils sont instruicts, duicts, faicts et formez à la vertu, à la constance et vaillance, à la victoire du monde et de la fortune. Ils apprennent à se cognoistre, ils s’essayent et voyent la mesure de leur valeur, la force et portée de leurs reins, jusques où ils doibvent esperer et promettre d’eux-mesmes ; puis s’encouragent et s’affermissent à mieux, s’accoustument et s’endurcissent à tout, se rendent resolus, determinez et invincibles, ou au contraire le long calme de la prosperité les relasche, ramollit et appoltronit : dont disoit Demetrius qu’il n’y avoit gens plus miserables que ceux qui n’avoient jamais senti de traverse et d’affliction, appellant leur vie la mer morte. Aux fautiers et delinquans, une bride pour les retenir et empescher qu’ils ne bronchent ; ou une reprimande et verge paternelle après leur cheute, pour les y faire penser et souvenir, affin de n’y retourner plus. C’est une saignée et medecine ou preservatifve pour divertir et destourner les fautes qu’elles n’arrivent, ou purgatifve pour les nettoyer et expier. Aux meschans et perdus, punition, une faucille pour les couper et enlever, ou les atterrer, pour traisner encore et languir miserablement. Or voylà de très salutaires et bien necessaires effects, qui meritent bien que non seulement l’on ne les estime plus maux, et que l’on les reçoive doucement en patience et en bonne part, comme exploicts de la justice divine ; mais que l’on les embrasse comme gages et instrumens du soin, de l’amour et providence de Dieu, et que l’on en fasse son profict, suyvant l’intention de celuy qui les envoye et despartit comme il luy plaist.