De la sagesse/Livre III/Chapitre VIII

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LIVRE 3 CHAPITRE 8


de la foy, fidelité, perfidie, secret.

tous, voire les perfides, sçavent et confessent que la foy est le lien de la societé humaine, fondement de toute justice, et que sur-tout elle doibt estre religieusement observée. (…). Toutesfois le monde est plein de perfides : peu y en a qui bien et entierement gardent leur foy : ils la rompent en diverses façons, et ne le sentent pas. Moyennant qu’ils trouvent quelque pretexte et couleur, ils pensent estre sauvez. Les autres estudient et cherchent des cachettes, fuytes, subtilitez : (…). Or, pour vuider toutes les difficultez qui sont en ceste matiere, et sçavoir au vray comment il s’y faut porter, il y a quatre considerations, ausquelles tout se peust rapporter ; les personnes, tant celuy qui donne la foy que celuy qui la reçoit ; la chose subjecte, dont est question ; et la maniere que la foy a esté donnée. Quant à celuy qui donne la foy, faut qu’il aye puissance de ce faire : s’il est subject d’autruy, il ne la peust donner ; et, l’ayant donnée sans congé ou approbation de son maistre, est de nul effect, comme il fust bien monstré au tribun Saturnin et ses complices, qui, sortis du Capitole (qu’ils avoient prins par rebellion) sur la foy des consuls, subjects et officiers de la republique, furent justement tuez. Mais tout homme libre et à soy doibt tenir sa foy, tant grand soit-il et souverain : voire plus est grand, plus y est-il obligé, car plus estoit-il libre à la donner. Et est bien dict qu’autant doibt valoir la simple parole du prince que le serment d’un privé. Quant à celuy à qui est donnée la foy, qui qu’il soit, il la luy faut garder ; et n’y a que deux exceptions qui sont claires : l’une, s’il ne l’avoit pas receuë et ne s’en estoit contenté, c’est-à-dire qu’il auroit demandé autre caution et asseurance. Car la foy, comme chose sacrée, doibt estre receuë tout simplement, autrement ce n’est plus foy, ni fiance ; demander ostages, donner gardes, prendre caution ou gages avec la foy, c’est chose ridicule. Celuy qui est tenu soubs garde d’homme, de muraille ou de ceps, s’il eschappe et se sauve, n’est poinct en faute. La raison du romain est bonne : (…). L’autre, si, l’ayant acceptée, il la rompoit le premier : (…). Le perfide ne merite que la foy luy soit gardée par droict de nature, sauf que depuis il y aye eu accord, qui couvrist la perfidie, dont ne seroit plus loysible la venger : hors de ces deux cas, il la faut garder à quiconque soit. à son subject, comme sera dict. 2 à l’ennemy ; tesmoin le beau faict d’Attilius Regulus, la proclamation du senat romain contre tous ceux qui avoient esté congediez par Pyrrhus sur leur foy, et Camillus qui ne vouloit pas seulement avoir part ny se servir de la perfidie d’autruy, renvoyant les enfans des falisques avec leur maistre. 3 au voleur et criminel public ; tesmoin le faict de Pompée aux pirates et brigands, et d’Auguste à Crocotas. 4 aux ennemis de la religion, à l’exemple de Josué contre les gabaonites. Mais il ne la faut bailler à ces deux derniers, voleurs et heretiques, ou apostats, ny la recepvoir d’eux ; car il ne faut capituler ny traicter sciemment paix et alliance avec telles gens, si ce n’est en extreme necessité, ou pour leur reduction, ou pour un très grand bien public : mais, leur estant donnée, la faut garder. Quant à la chose subjecte, si elle est injuste ou impossible, l’on en est quitte ; et estant injuste c’est bien faict de s’en despartir, double faute de la garder. Toute autre excuse, hors ces deux, n’est poinct de mise, comme perte, dommage, desplaisir, incommodité, difficulté, comme ont practiqué souvent les romains, qui ont rejetté plusieurs advantages grands pour ne rompre leur foy, (…). Quant à la maniere que la foy a esté donnée, c’est où y a plus à doubter ; car plusieurs pensent que, si elle a esté extorquée ou par force et craincte, ou par fraude et surprise, l’on n’y est poinct subject, pource qu’en tous les deux cas le promettant n’a poinct eu de volonté, par laquelle il faut juger toutes choses. Les autres au contraire : et de faict Josué garda la foy aux gabaonites, bien qu’extorquée par grande surprise et fauls donné à entendre ; et fust declaré depuis qu’il debvoit ainsi faire. Parquoy il semble que l’on peust dire qu’où il y a simple parole et promesse, l’on n’y est poinct tenu ; mais si la foy donnée a esté revestue et authorisée par serment, comme au faict de Josué, l’on y est tenu pour le respect du nom de Dieu, mais qu’il est loysible après en jugement poursuyvre reparation de la tromperie ou violence. La foy donnée avec serment et intervention du nom de Dieu oblige plus que la simple promesse ; et l’enfraindre, qui includ parjure avec la perfidie, est beaucoup pire. Mais penser asseurer la foy par sermens nouveaux et estranges, comme plusieurs font, est superflu entre gens de bien, et inutile si l’on veust estre desloyal. Le meilleur est de jurer par le Dieu éternel, vengeur des mocqueurs de son nom, et infracteurs de la foy. La perfidie et le parjure est plus execrable que l’atheisme. L’atheiste qui ne croit poinct de Dieu ne luy faict pas tant d’injures, ne pensant poinct qu’il y en aye, que celuy qui le sçait, le croit, et le parjure par mocquerie. Celuy qui jure pour tromper se mocque evidemment de Dieu, et ne crainct que l’homme. C’est moindre mal de mescroire Dieu que s’en mocquer. L’horreur et le desreiglement de la perfidie et du parjure ne sçauroit estre plus richement despeinct qu’il a esté par un ancien, disant que c’est donner tesmoignage de mespriser Dieu et craindre les hommes. Qu’y a-il plus monstrueux que d’estre couard à l’endroict des hommes, et brave à l’endroict de Dieu ? Le perfide est après traistre et ennemy capital de la societé humaine : car il rompt et destruict la liaison d’icelle, et tout commerce, qui est la parole, laquelle si elle faut, nous ne nous tenons plus. à l’observation de la foy appartient la garde fidele du secret d’autruy : or c’est une importune garde, mesmement des grands ; qui s’en peust passer faict sagement, mais encore faut-il fuyr à le sçavoir, comme fit ce poëte à Lysmachus. Qui prend en garde le secret d’autruy se met plus en peine qu’il ne pense : car, outre le soin qu’il prend sur soy de le bien garder, il s’oblige à se feindre et desadvouer sa pensée, chose qui fasche fort à un coeur noble et genereux. Toutesfois qui le prend en garde le doibt tenir religieusement, et, pour ce faire et estre bon secretaire, il le doibt estre par nature, et non par art, ny par obligation.