De la place de l’homme dans la nature/20


III

SUR QUELQUES OSSEMENTS HUMAINS FOSSILES


Je me suis efforcé de démontrer, dans l’essai qui précède, que les Anthropiniens, ou famille humaine, forment un groupe bien défini de primates qui n’a, avec la famille qui la précède immédiatement dans la série des êtres vivants, les Catarhiniens, aucune parenté directe, et qui n’offre aucune forme organique transitoire ; la même remarque peut être faite quant aux relations des Catarhiniens et des Platyrhiniens.

Cependant c’est une doctrine généralement reçue, que la distance qui sépare anatomiquement les êtres vivants peut être diminuée ou même comblée, si l’on tient compte de la longue succession d’animaux et de plantes variés qui ont précédé ceux qui vivent aujourd’hui, et qui ne nous sont connus que par leurs débris fossiles. Jusqu’à quel point cette doctrine est-elle bien établie ? jusqu’à quel point, dans l’état actuel de nos connaissances, peut-on la considérer comme peu en rapport avec les faits positifs ? jusqu’à quel point les conclusions que l’on en a tirées dépassent-elles leur portée légitime ? Ce sont là des points d’une importance considérable, mais sur lesquels je ne veux pas, pour le moment, entrer en discussion. Il suffit qu’une telle théorie des relations entre les espèces éteintes et les vivantes ait été proposée, pour nous conduire à rechercher, non sans anxiété, si les récentes découvertes d’ossements humain à l’état fossile[1] lui viennent en aide ou la combattent, et dans quelle mesure.

Je me limiterai, en discutant cette question, à ces fragments de crânes humains qui proviennent des cavernes d’Engis, dans la vallée de la Meuse en Belgique et de celles de Neanderthal près Düsseldorf, cavernes dont les rapports géologiques ont été étudiés avec tant de soin par sir Charles Lyell[2] ; je m’appuierai sur cette grande autorité pour admettre, comme établi, que le crâne d’Engis appartenait à un contemporain du Mammouth (Elephas primigenius) et du Rhinocéros laineux (Rhinoceros tichorrinus), avec les os desquels il a été découvert, et que le crâne de Neanderthal est d’une date fort reculée quoique incertaine. Quel que soit l’âge géologique de ce dernier, je conçois qu’il est parfaitement sûr (d’après les principes ordinaires des raisonnements paléontologiques) d’admettre que le premier de ces crânes nous fait remonter au moins jusqu’à la limite la plus reculée de cette zone biologique si vague, qui sépare l’époque géologique actuelle de celle qui l’a immédiatement précédée ; il ne peut y avoir aucun doute sur les merveilleux changements qu’a subi la géographie physique de l’Europe, depuis le temps où les ossements des hommes et des Mammouths, des Hyènes et des Rhinocéros furent emportés pêle-mêle dans les cavernes d’Engis.

Le crâne de la caverne d’Engis a été découvert par le professeur Schmerling, qui l’a décrit avec d’autres restes humains, exhumés à la même époque dans son précieux ouvrage[3], d’où nous extrayons le passage suivant (page 59 et seq.).

« J’observe d’abord que ces restes humains qui sont en ma possession sont, comme les milliers d’os que j’ai exhumés depuis peu de temps, caractérisés par le degré de décomposition qui est absolument le même que ceux des espèces éteintes ; tous sont cassés, à quelques exceptions près ; quelques-uns sont arrondis comme cela a souvent lieu dans les ossements fossiles d’autres espèces ; les cassures sont verticales ou obliques ; aucune ne porte des traces d’érosion ; la couleur ne diffère point de celle d’autres ossements fossiles, et varie du blanc jaunâtre au noirâtre. Tous sont plus légers que les os frais, à l’exception de ceux qui sont couverts d’une couche de tuf calcaire, ou bien dont les cavités sont remplies d’une pareille concrétion.

Fig 43. — Crâne de la caverne d’Engis, vu du côté droit. Moitié de la grandeur naturelle. — a., Glabelle. — b, Protubérance occipitale. — De a à b, Ligne glabello-occipitale. — c., Trou auditif.


« Le crâne (pl. I du texte de Schmerling et qui est représenté fig. 26) est d’un individu âgé ; les sutures commencent à s’effacer, tous les os de la face y manquent et il n’y a qu’un fragment de l’os temporal du côté droit qui a été conservé. La face et la base de ce crâne ont été enlevées avant qu’il fût déposé dans cet endroit, puisqu’après avoir exploré régulièrement toute cette caverne, nous n’avons pu trouver ces restes. C’est à un mètre et demi de profondeur que nous rencontrâmes ce crâne caché sous une brèche osseuse composée, du reste, de petits animaux, et contenant une dent de Rhinocéros et quelques-unes de Chevaux et de ruminants. Cette brèche avait un mètre de large, s’élevant à un mètre et demi au-dessus du sol de la caverne. La terre qui contenait ce crâne humain n’indiquait aucun dérangement ; des dents de rhinocéros, de cheval, d’hyène, d’ours, l’entouraient de toutes parts.

« Le célèbre Blumenbach a exposé les différences dans la forme et les dimensions des crânes humains des différentes races. Cet important ouvrage nous aurait été d’un grand secours, si la face, partie essentielle pour déterminer avec plus ou moins de certitude la race, ne manquait pas à notre crâne fossile ; nous sommes convaincu que, d’après un seul échantillon, nous ne pouvons nullement nous prononcer avec certitude, quand même cette tête serait complète, car les nuances individuelles sont si nombreuses dans les crânes d’une même race, que l’on ne peut, sans s’exposer aux plus grandes inconséquences, conclure d’un seul fragment de crâne pour la forme totale de cette tête. Néanmoins, pour ne rien négliger concernant la forme du crâne fossile que nous avons recueilli, nous ferons observer que la forme allongée et étroite du front a d’abord fixé notre attention.

« En effet, le peu d’élévation du frontal, son étroitesse et la forme des orbites le rapprochent plus du crâne de l’Éthiopien que de celui de l’Européen ; la forme allongée et l’état développé de l’occiput sont encore des caractères que nous croyons avoir remarqués dans notre crâne fossile ; mais pour écarter tout doute à cet égard, j’ai fait représenter le contour du crâne d’un Européen et d’un Éthiopien… (ces contours) suffiront pour faire distinguer les différences, et un simple coup d’œil en apprendra plus que de longues et fatigantes descriptions.

« Quel que soit le jugement que l’on porte sur l’origine de l’individu d’où provient ce crâne fossile, on peut, ce nous semble, émettre une opinion, sans s’exposer à une controverse dont l’issue serait sans résultat positif ; chacun, du reste, est libre de choisir l’hypothèse qui lui paraît la plus fondée ; quant à moi, il m’est démontré que ce crâne a appartenu à un individu dont les moyens intellectuels ont été peu développés, et nous en concluons qu’il provient d’un homme dont le degré de civilisation ne devait être que peu avancé, ce dont nous pouvons nous rendre compte en confrontant la capacité du front avec la partie occipitale.

« Un autre crâne, d’un individu jeune, se trouvait sur le fond de cette caverne à côté d’une dent d’Éléphant ; ce crâne était entier jusqu’au moment où je voulus le recueillir, il tomba alors en pièces que je n’ai pu réunir jusqu’à présent ; mais j’ai fait représenter les os de la mâchoire supérieure ; l’état des alvéoles et des dents montre que les molaires n’avaient pas encore percé la gencive. Des molaires de lait détachées, quelques fragments de crâne humain proviennent du même endroit. La figure 3 représente une incisive humaine supérieure dont le volume est réellement remarquable[4]. »

H. Schmerling énumère ensuite les os qu’il possède : un fragment du maxillaire supérieur dont les molaires sont usées jusqu’aux racines, deux vertèbres, une clavicule gauche, qui, bien qu’appartenant à un jeune sujet, montre qu’il défait être d’une haute stature[5] ; un fragment du cubitus et du radius, un métacarpien, trouvé près du crâne, et quelques autres trouvés à différentes distances, une demi-douzaine de métatarsiens, trois phalanges de la main et une du pied.

« Telle est, dit Schmerling en terminant, l’énumération succincte des restes d’ossements humains recueillis dans la caverne d’Engis, qui nous a conservé les débris de trois individus parmi ceux de l’Éléphant, du Rhinocéros et de carnassiers d’une espèce inconnue à la création actuelle. »

De la caverne d’Engiboul, qui est située en face de celle d’Engis, sur la rive droite de la Meuse, Schmerling a tiré les débris de trois autres squelettes humains, parmi lesquels on ne trouva que deux fragments de pariétaux, mais plusieurs os des extrémités des membres. Dans un cas, le fragment brisé d’un cubitus était soudé à un fragment semblable de cubitus par des stalagmites, condition fréquemment observée en Belgique parmi les ossements de l’ours des cavernes (ursus spæleus).

Ce fut dans la caverne d’Engis, que le professeur Schmerling a trouvé, incrusté dans la stalagmite et associé à une pierre, l’instrument osseux, pointu, qu’il a représenté (planche XXXVI, fig.7) ; des silex taillés ont été découverts dans toutes les cavernes belges qui contenaient en abondance des ossements fossiles.

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a publié une lettre très-courte[6], où il parle d’une visite (et apparemment d’une visite faite en toute hâte) faite à la collection du professeur « Schermidt » (ce qui est probablement une faute d’impression pour Schmerling), à Liége. L’auteur critique brièvement les dessins qui ornent l’ouvrage de Schmerling, et affirme que « le crâne humain est un peu plus long qu’il n’est représenté » dans la planche de Schmerling. La seule autre remarque qui soit digne d’être citée est la suivante : « L’aspect des ossements humains diffère peu de celui des os des cavernes que nous connaissons bien, et dont dans cette même ville se trouve une collection considérable. En ce qui touche leurs formes particulières, comparées à celles des variétés des crânes humains modernes, peu de conclusions positives peuvent être avancées, car il existe des différences beaucoup plus grandes entre les différents spécimens de variétés bien caractérisées, qu’entre le crâne fossile de Liége et celui de l’une de ces variétés, choisie comme terme de comparaison. »

On remarquera que les réflexions de Geoffroy Saint-Hilaire ne sont guère qu’un écho des doutes philosophiques de celui qui a décrit et découvert les débris osseux. Quant à la critique des planches, je trouve que la vue de profil donnée par Schmerling est réellement d’environ les 3/10 d’un pouce plus petit que le modèle, et que la vue de face est diminuée d’à peu près autant. À cette exception près, la reproduction n’est en aucune façon inexacte, mais répond très-bien au plâtre qui est en ma possession.

Un morceau de l’occipital, que Schmerling semble avoir oublié, a, depuis, été posé sur le reste du crâne par un anatomiste accompli, le docteur Spring (de Liége), sous la direction de qui un excellent moule de plâtre a été fait par sir Charles Lyell[7]. C’est d’après un duplicata de ce plâtre, que mes propres observations sont faites ainsi que les figures qui les accompagnent, dont les contours sont copiés de dessins très-exacts, faites à la chambre noire par mon ami M. Busk, et qui ont été réduites à la moitié de leur grandeur naturelle.

Ainsi que le professeur Schmerling le fait observer, la base du crâne est détruite et les os de la face manquent complétement ; mais la voûte du crâne, qui comprend le frontal, le pariétal et la plus grande partie de l’occipital, jusqu’au milieu du trou occipital, est complète ou à peu près ; le temporal gauche manque ; du temporal droit les portions qui sont dans le voisinage immédiat du trou auditif, l’apophyse mastoïde et une portion considérable de l’écaille temporale, sont bien conservées (figure 43).

Le tracé des fractures qui subsistent entre les pièces rapprochées du crâne, sont fidèlement dessinées dans la planche de Schmerling, et peuvent être aisément déterminées dans le moule en plâtre ; on y discerne aussi les sutures ; mais la disposition complexe de leurs dentelures que nous montre la planche, n’est point évidente sur le moule. Quoique les saillies osseuses qui donnent insertion aux muscles ne soient pas extrêmement proéminentes, elles sont bien marquées, et ce caractère, joint au développement bien apparent des sinus frontaux et à la condition des sutures, ne laisse dans mon esprit aucun doute que ce crâne ne soit celui d’un adulte, sinon même celui d’un homme de l’âge moyen. L’extrême longueur du crâne est de (7 pouces 7) 194 millimètres ; son extrême largeur, qui répond très-approximativement à l’intervalle entre les protubérances pariétales, n’a pas plus de 136 millimètres (5 pouces 4). Le rapport de la longueur à la largeur est par conséquent très-voisin de 100 à 70. Si l’on trace une ligne du point où l’arcade sourcilière s’incline vers la racine du nez, et qui est appelée la glabelle (a figure 43),

Fig 44. — Crâne d’Engis vu d’en haut.


Fig 44. — Crâne d’Engis vu de face.
à la protubérance occipitale (b), et que la hauteur verticale

du point le plus élevé de la voûte du crâne à cette ligne, sera représentée (4 p. 75) par 120 millimètres. Vu par la face supérieure du crâne, le front présente une courbe également arrondie et qui se continue dans la direction des côtés et de la face postérieure du crâne, lequel offre aussi une courbe elliptique sensiblement régulière.

La vue de face (fig. 45) montre que la charpente du crâne était très-régulière et élégamment voûtée dans la direction transversale, et que le plus grand diamètre est plutôt un peu en dessous qu’au-dessus des bosses pariétales ; on ne peut dire que, par rapport au reste du crâne, le front soit étroit ; on ne peut, davantage, l’appeler fuyant ; tout au contraire, le contour antéro-postérieur du crâne est bien une courbe régulière, dont la longueur, de la dépression nasale (glabelle) à la protubérance occipitale externe est de 337 millimètres (13 pouces 75). L’arc transverse du crâne, mesuré de l’un des trous auditifs à l’autre, en passant par le milieu de la suture sagittale, est d’environ 328 millimètres (13 pouces). La suture sagittale elle-même a 139 millimètres (5 pouces 5) de longueur.

Les arcades : sourcilières (de chaque côté de a, fig. 43) sont bien développées, mais sans excès, et sont séparées par une dépression médiane. Leur principale élévation est dans une direction tellement oblique, que je juge qu’elle est due à de larges tissus frontaux.

Si une ligne, joignant la glabelle à la protubérance occipitale, est supposée horizontale (a b, fig. 43), aucune portion de la région occipitale ne dépassera de plus de 1/10 de ligne en arrière de l’extrémité postérieure de cette ligne, et le bord supérieur du trou auditif (c) est presque en contact avec une ligne tracée, parallèlement à celle-ci, sur la surface extérieure du crâne.

Une ligne transversale tirée de l’un des trous auditifs à l’autre, traverse comme d’ordinaire la partie antérieure du trou occipital. La capacité de l’intérieur de ce crâne fragmenté n’a pas été déterminée.


Citons maintenant littéralement l’histoire des débris humains de la caverne de Neanderthal, d’après celui qui, le premier, les a décrites, le docteur Shaffhausen[8].

« Au commencement de l’année 1857, un squelette humain fut découvert dans une caverne claire de Neanderthal, près de Hochdale, entre Düsseldorf et Elberfeld. Je ne pus d’abord m’en procurer qu’un moule en plâtre, qui fut pris à Elberfeld, et d’après lequel je traçai une description de sa conformation singulière ; cette description fut lue le 4 février 1857 à la réunion de la Société d’histoire naturelle et médicale du Bas-Rhin, qui fut tenue à Bonn. Plus tard, le docteur Fuhlrott, à qui la science est redevable de la conservation de ces ossements, qui tout d’abord ne furent pas considérés comme humains, apporta le crâne d’Elberfeld à Bonn et me le confia pour en faire un examen anatomique approfondi. À la réunion générale de la Société d’histoire naturelle de la Prusse rhénane et de la Westphalie, tenue à Bonn, le 2 juin 1857, le docteur Fulhrott lui-même donna une description complète de la localité et des circonstances au milieu desquelles la découverte fut faite. Son opinion était que les ossements pouvaient être regardés comme fossiles, et en arrivant à cette conclusion, il appelait spécialement l’attention sur l’existence de dépôts dendritiques[9] dont leur surface était couverte, et qui avaient d’abord été signalés par le professeur H. van Mayer. J’ajoutai à cette communication une courte note sur le résultat de mon examen anatomique, et les conclusions auxquelles j’arrivai furent : 1o que la forme extraordinaire de ce crâne était due à une conformation naturelle inconnue jusqu’à ce jour, même chez les races les plus sauvages ; 2o que ces remarquables ossements humains appartenaient à une période antérieure aux Celtes et aux Germains, et, très-probablement, dérivaient de l’une de ces races sauvages du nord-ouest de l’Europe, dont parlent les auteurs latins et que les immigrants germaniques ont rencontrées comme autochtones ; 3o qu’il était hors de doute que ces débris humains devaient remonter à une période à laquelle existaient encore les derniers animaux contemporains du diluvium[10] mais qu’aucune preuve de cette assurance, ni par conséquent de leur état fossile, n’était fournie par les circonstances au milieu desquelles ces ossements avaient été trouvées.


Fig. 46. — Coupe de la caverne de Neanderthal, près de Düsseldorf. — a. Caverne à 18 mètres au-dessus de la Düssel et de 30 mètres au-dessous de la surface de la région c, d. — b, Limon couvrant le sol de la caverne. Le squelette fut trouvé presque à sa partie inférieure. — b, c. Fente mettant la caverne en communication avec la surface de la région supérieure. — d. Limon sableux superficiel. — e. Calcaire dévonien. — f. Terrasse ou saillie du rocher.


« Comme le docteur Fuhlrott n’a pas encore publié la relation de ces circonstances, j’emprunte à l’une de ses lettres la description suivante : « Une petite caverne ou grotte assez grande pour admettre un homme, et située à environ 15 pieds de profondeur de son entrée qui a de 2 à 2m,50 de largeur, existe au sud de la vallée de Neanderthal à environ 30 mètres de la rivière Düssel et à 30 mètres au-dessus du sommet de la vallée. Dans sa condition première, cette caverne s’ouvrait sur un plateau à partir duquel la paroi rocheuse descendait presque perpendiculairement dans la rivière. On pouvait y arriver d’en haut, quoique difficilement. Le sol inégal était couvert de limon sur une épaisseur de 4 ou 5 pieds ; ce limon était entremêlé d’une petite quantité de cailloux arrondis. En enlevant ce dépôt, les ossements furent découverts, on vit d’abord le crâne placé près de l’entrée de la caverne, et, plus loin, les autres os placés sur le même plan horizontal ; j’en recueillis au moins l’assurance, dans les termes les plus formels, de deux paysans que l’on a employés pour déblayer la grotte, et que je questionnai sur les lieux mêmes. Tout d’abord, personne ne pensa que ces ossements étaient humains, et ce ne fut que plusieurs semaines après leur découverte que je les reconnus comme tels et que je les plaçai en lieu sûr. Mais comme l’importance de cette découverte ne fut pas alors appréciée, les paysans mirent peu de soins dans leur fouille et ne mettaient de côté que les grands os. C’est à cette circonstance que l’on peut attribuer que des fragments de ce qui était sans doute un squelette complet vinrent seuls en ma possession.

« L’examen anatomique de ces fragments m’a donné les résultats suivants :

« Le crâne est d’un volume inaccoutumé et de la forme d’une ellipse allongée. Une particularité des plus remarquables frappe tout d’abord, c’est le développement extraordinaire des sinus frontaux, dont la conséquence est que les arcades sourcilières qui se confondent entièrement au milieu, sont si proéminentes, que l’os frontal offre un creux ou une dépression considérable au-dessous, ou plutôt en arrière de ces sinus, tandis qu’une dépression profonde s’est formée au-dessus de la racine du nez. Le front est bas et étroit, quoique le milieu et la partie postérieure de la voûte crânienne soient bien développés. Malheureusement le fragment du crâne qui a été préservé ne comprend que la partie située au-dessus du plancher de l’orbite, et les lignes courbes occipitales supérieures sont presque réunies au point de former une saillie horizontale ; ce crâne comprend donc la presque totalité du frontal, les deux pariétaux, une petite portion de l’écaille et le tiers supérieur de l’occipital. La surface des cassures est récente et prouve que le crâne a été brisé lors de son exhumation. Sa cavité contient 16,876 grains d’eau, d’où son volume peut être évalué en eau à 57,64 pouces cubes ou 1033,24 centimètres cubes. En faisant cette estimation, on suppose que l’eau est au niveau de la lame orbitaire du frontal et de l’entaille la plus profonde dans la suture écailleuse du pariétal et de la ligne demi-circulaire supérieure de l’occipital… La ligne demi-circulaire, indiquant les insertions supérieures du temporal, quoiqu’elle ne soit pas très-fortement marquée, s’élève néanmoins à plus de la moitié de la hauteur du pariétal. Sur l’arc sourcilier droit, on remarque une dépression[11] ou sillon oblique, qui est la trace d’une blessure reçue pendant la vie. Les sutures coronales et sagittales sont à l’extérieur presque fermées, et à la face interne si complétement ossifiées, qu’elles n’ont laissé aucune trace, tandis que la suture lambdoïde reste ouverte. Les dépressions produites par les glandes de Paccioni sont profondes et nombreuses, et il y a un sillon vasculaire profond, anormal immédiatement après la suture coronale ; ce sillon, aboutissant à ce trou, contenait, sans nul doute, une veine émissaire. Le trajet de la suture frontale est indiqué extérieurement, par une légère saillie et au lieu où elle se réunit à la suture coronale, cette saillie forme une petite protubérance. Le trajet de la suture sagittale est creusé, et au-dessus de l’angle de l’occipital les pariétaux sont déprimés.


mensuration du crâne de néanderthal
Arc longitudinal de l’épine nasale à la ligne demi-circulaire supérieure de l’occipital en passant sur le vertex 
303
Circonférence en passant sur les arcades sourcilières et la ligne supérieure demi-circulaire de l’occipital 
590
Largeur du frontal du milieu de la ligne temporale d’un côté au même point du côté opposé 
104
Longueur de l’épine nasale à la suture coronale 
133
Largeur extrême des sinus frontaux 
25
Hauteur verticale prise sur une ligne tirée des bords écailleux des pariétaux 
70
Largeur de la partie postérieure du crâne d’une protubérance pariétale à l’autre 
138
Distance de l’angle supérieur de l’occipital à la ligne demi-circulaire supérieure 
51
Épaisseur de l’os aux bosses pariétales 
8
Épaisseur à l’angle de l’occipital 
9
Épaisseur à la ligne demi-circulaire supérieure[12] 
10


Outre le crâne, on a préservé les os suivants :

1o Les deux fémurs intacts. De même que le crâne et tous les autres os, les fémurs sont caractérisés par une épaisseur exceptionnelle, et par le grand développement de toutes les saillies et dépressions pour l’insertion des muscles. Au musée anatomique de Bonn, sous la désignation d’os de géants, il y a quelques fémurs dont l’épaisseur est à peu près la même, mais ils sont beaucoup plus courts.


os de géant os néander.
Longueur 
542 438
Diamètre de la tête du fémur 
54 53
Diaetrede l’extrémité inférieure du fémur d’un condyle à l’autre 
89 87
Diaetredu fémur au milieu de sa longueur 
33 30


2o Un humérus droit intact, dont le volume montre qu’il est en rapport avec le fémur.


Longueur 
312
Épaisseur au milieu 
26
Diamètre de la tête 
49


En outre, un radius droit de dimension analogue et le tiers supérieur d’un cubitus droit répondent à l’humérus et au radius.

3o Un humérus gauche, auquel manque le tiers supérieur et qui est si grêle qu’il ne paraît pas appartenir au même individu que le droit ; un cubitus gauche qui, bien que complet, est déformé par une affection au point que l’apophyse coronoïde étant très-épaissie par des dépôts ossiformes, la flexion du coude au delà de l’angle droit doit avoir été impossible ; la fosse antérieure de l’humerus qui reçoit l’apophyse coronoïde est également remplie d’un dépôt semblable ; l’olécrane est fortement incliné de haut en bas. Comme cet os ne présente d’ailleurs aucun signe de dégénérescence rachitique, on doit supposer que c’est à une lésion infligée pendant la vie qu’est due l’ankylose. Quand on compare le cubitus gauche au droit, il peut sembler au premier coup d’œil que ces os appartenaient à deux individus différents, le cubitus étant de plus d’un demi-pouce trop court pour s’articuler avec le radius correspondant. Mais il est clair que ce raccourcissement, non moins que la diminution de volume de l’humérus gauche, dépendent tous deux des accidents pathologiques dont nous venons de parler.

4o Un ilion gauche presque intact et contigu au fémur, un fragment de l’épaule droite, l’extrémité antérieure d’une côte du côté droit, l’extrémité postérieure d’une côte du côté gauche et enfin deux extrémités postérieures et une portion moyenne de côte, qui, par leur rondeur exceptionnelle et leur courbe, abrupte, ressemblent plutôt à celle d’un carnassier qu’à celle d’un homme. Cependant le docteur V. Meyer, à l’opinion de qui je défère, ne voudrait pas se hasarder à déclarer qu’elles appartiennent à un animal, et il ne reste qu’à supposer que ces conditions anormales proviennent d’un développement considérable et exceptionnel des muscles thoraciques.

Les os adhèrent fortement à la langue, bien que, ainsi qu’on l’a démontré par l’acide chlorhydrique, la plus grande partie du cartilage soit encore adhérente et paraisse, néanmoins, avoir subi la transformation gélatineuse qui a été observée par Bibra, sur les ossements fossiles[13]. La surface de tous les os est couverte en plusieurs endroits de petites taches noires qui, examinées à la loupe, représentent des dendrites très-délicates. Ces dépôts, qui ont d’abord été remarqués par le docteur Meyer, sont plus visibles à la face interne des os crâniens. Ils consistent en un composé ferrugineux, qui, d’après sa couleur noire, peut contenir du manganèse. Des dendrites analogues s’offrent fréquemment sur les rocs lamelleux et se rencontrent dans les fissures et dans les crevasses. À la réunion de la Société du Bas-Rhin, tenue à Bonn le 1er avril 1857, le professeur Meyer dit qu’il avait observé, au musée de Poppelsdorf, de semblables cristaux dendritiques sur plusieurs ossements fossiles, particulièrement sur ceux de l’Ursus spelæus, mais encore plus abondamment et élégamment déposées sur les os fossiles et les dents de l’Equus adamiticus, de l’Elephas primigenius, provenant des cavernes de Bolve et de Sundwig. De légères traces de dendrites analogues ont été observées sur un crâne romain de Siegburg, tandis que d’autres crânes, qui avaient passé plusieurs siècles sous la terre, n’en offraient aucune trace. Je dois à H. von Meyer les observations suivantes sur cette question :

« La formation de dépôts dendritiques, qui étaient autrefois regardés comme une preuve de leur condition fossile, est intéressante. On a supposé que, dans les dépôts du diluvium, la présence de dendrites peut être regardée comme apportant une marque de distinction entre les os mêlés au diluvium à une période quelque peu postérieure, et les véritables ossements diluviens qui seuls offriraient des dendrites. Mais je suis depuis longtemps convaincu que ni l’absence des dendrites ne peut être considérée comme un signe d’âge récent, ni leur présence comme suffisante pour établir la haute antiquité des objets sur lesquels ils se montrent. J’ai moi-même constaté sur du papier qui ne pouvait avoir plus d’un an de date, des dépôts dendritiques que l’on ne pouvait distinguer de ceux des ossements fossiles. Ainsi je possède un crâne de chien qui provient d’une colonie romaine dans le voisinage de Heddersheim Castrum Hadrianum, que l’on ne peut en aucune façon distinguer des os fossiles des cavernes de Frankish ; il présente la même couleur et adhère à la langue exactement comme ceux-là, de sorte que ce caractère qui, au meeting de Bonn, a donné lieu à des scènes si amusantes entre Bucklandes et Schmerling, n’a plus aucune valeur. C’est pourquoi, dans les cas douteux, la condition des os peut à peine donner des moyens de s’assurer s’il est fossile, c’est-à-dire s’il a une antiquité géologique, où s’il appartient à la période historique. »

Comme nous ne pouvons maintenant considérer le monde primitif comme présentant des conditions d’existence totalement différentes, sans aucune transition à la vie organique actuelle, la désignation de fossile, en tant qu’appliquée à un os, n’a plus le sens qu’elle comportait au temps de Cuvier. Il y a des présomptions suffisantes que l’homme a coexisté avec les animaux trouvés dans le diluvium, et plusieurs races sauvages peuvent avoir disparu bien avant toute période historique, en même temps que les animaux du monde ancien, tandis que les races dont l’organisation s’était perfectionnée avaient propagé leur genre. Les ossements qui sont le sujet de cette note offrent des caractères qui, bien que laissant l’époque géologique incertaine, indiquent néanmoins une très-haute antiquité. On doit aussi remarquer que, si commune que soit la découverte d’ossements d’animaux diluviens dans les cavernes à dépôt de limon, de tels débris n’ont point été trouvés à Neanderthal, et que les os qui étaient recouverts par un dépôt qui n’avait que 4 ou 5 pieds d’épaisseur, sans aucune enveloppe protectrice de stalagmite, avaient conservé la plus grande partie de leur substance organique.

« Ces circonstances peuvent être réunies contre la probabilité d’une antiquité géologique. En outre, rien ne nous autorise à considérer cette forme crânienne comme représentant le type primitif le plus sauvage de la race humaine, depuis que l’on connaît des crânes parmi les sauvages contemporains, qui, bien que n’offrant pas cette conformation extraordinaire du front qui donne au crâne de Neanderthal l’aspect de celui des grands singes, ont néanmoins des caractères qui appartiennent à un état très-inférieur de développement tel que la grande profondeur de la fosse temporale, les saillies temporales en crête proéminentes, et la capacité crânienne généralement très-inférieure. Il n’y a aucune raison pour supposer que la dépression post-frontale soit due à un aplatissement artificiel, tel qu’il est pratiqué, sous différentes formes, par les nations barbares du vieux et du nouveau monde. Le crâne est tout à fait symétrique et ne montre aucune trace de contre-pression occipitale, tandis que, selon Morton, chez les têtes plates de la Colombie, l’os frontal et le pariétal sont toujours sans symétrie. Sa conformation montre le peu de développement de la région antérieure de la tête qui a été si fréquemment notée dans les crânes très-anciens, et qui nous donne une preuve des plus frappantes de l’in


Fig 47. — Crâne de Crâne de Néanderthal. Vues : latérale (A), frontale (B) et supérieure (C). Moitié de la grandeur naturelle. Les contours sont faits à la chambre noire et réduits à la moitié de leur grandeur par M. Busk. Les détails sont représentés d’après le moule et les photographies du docteur Fuhlrott. — a, glabelle. — b, protubérance occipitale. — c, Suture lambdoïde.
fluence de la culture et de la civilisation sur la forme du

crâne humain. »

Plus loin le docteur Shaafhausen dit encore :

« Il n’y a absolument aucun motif pour considérer le développement inaccoutumé des sinus frontaux, dans le crâne de Neanderthal, comme une déformation pathologique ou individuelle ; il s’agit ici sans nul doute possible, d’un caractère typique de race qui est en relation physiologique avec l’épaisseur extraordinaire des autres os du squelette, lesquels excèdent d’environ la moitié les proportions usuelles. Le développement des sinus frontaux, qui sont des appendices des conduits de l’air, indique pareillement une force et une puissance exceptionnelle des mouvements, telle que l’on peut l’induire du volume de toutes les arêtes et apophyses destinées à l’insertion des muscles ou à articulation des os. Que cette conclusion puisse être tirée de l’existence de larges sinus frontaux et de la proéminence de la région inférieure du front, plusieurs autres observations le confirment de différentes façons. Les mêmes caractères, selon Pallas, distinguent le cheval sauvage du domestique et, selon Cuvier, l’ours des cavernes de l’ours contemporain ; selon Roulin, le cochon sauvage d’Amérique a repris sa ressemblance avec le verrat, de même que le chamois se distingue de la chèvre ; le bull-dogue enfin qui se caractérise par ses os volumineux et ses muscles fortement développés, s’éloigne de toutes les espèces de chiens. L’évaluation de l’angle facial, qui, selon le professeur Owen, est si difficile à fixer chez les grands singes à cause de la proéminence des arcades sus-orbitaires, est dans le cas présent, rendue encore plus difficile à cause de l’absence du trou auditif et de l’épine nasale. Mais si l’on donne au crâne une position horizontale convenable à la hauteur des parties subsistantes des lames orbitaires, et que la ligne ascendante touche la surface du frontal derrière les arcades sourcilières, l’angle facial n’excède pas 56°. Malheureusement aucune partie des os faciaux dont la conformation est si importante, quant à la forme et à l’expression de la tête, n’a été conservée. La capacité crânienne, mise en regard du développement extraordinaire du squelette, semble indiquer un développement cérébral très-petit. Dans son état actuel, le crâne contient environ 31 onces de graine de millet ; si l’on tient compte des os qui manquent en proportion de ceux qui restent, toute la cavité crânienne devait avoir 6 onces de plus, en sorte que l’on peut évaluer à 37 onces son contenu total s’il avait été intact. Tiedemann assigne comme capacité du nègre 40, 38 et 35 onces. Le crâne contient un peu plus de 36 onces d’eau, qui correspond à une capacité cubique de 1,035 centimètres cubes[14]. Huschke évalue à 1,127 centimètres cubes la capacité crânienne d’une négresse, à 1,146 celle d’un vieux nègre. Les crânes malais mesurent en eau 36 et 33 onces, et chez les petits Hindous, elle descend à 27 onces. »

Après avoir comparé le crâne de Neanderthal avec un grand nombre d’autres, anciens et modernes, le professeur Shaaffhausen conclut ainsi :

« Les ossements humains et le crâne de Neanderthal dépassent tous les autres dans ces particularités de conformation qui peuvent conduire à cette conclusion qu’ils appartiennent à une race barbare et sauvage. Que la caverne dans laquelle ils ont été trouvés, sans aucune trace d’art humain, fût le lieu de leur sépulture, ou, comme les ossements d’animaux étaient ailleurs, qu’ils y aient été entraînés par des actions géologiques, ils peuvent dans tous les cas être considérés comme la trace la plus ancienne des habitants primitifs de l’Europe. »

Quelque temps après la publication de la traduction du mémoire du professeur Shaaffhausen, je fus amené à étudier le moule du crâne de Neanderthal, avec plus d’attention que je n’en avais mis jusqu’alors : je voulais donner à sir Charles Lyell un diagramme montrant les particularités de ce crâne, comparé aux autres crânes humains ; à cet effet, il était nécessaire de déterminer avec précision les points anatomiques qui devaient être comparés chez les différents spécimens. Parmi ces points, la glabelle était l’un des mieux marqués ; je pris ensuite un second point limité par la protubérance occipitale et la ligne semi-circulaire supérieure, et je plaçai l’une sur l’autre le tracé du crâne de Neanderthal, et celui du crâne d’Engis, dans une situation telle, que la glabelle et la protubérance occipitale externe de chacun d’eux fussent sur la même ligne droite : la différence qui fut alors constatée était si considérable et l’aplatissement du crâne de Neanderthal si énorme (comparez fig. 43, A, et 47, A), que tout d’abord j’imaginai que j’avais commis quelque erreur. J’étais même d’autant plus disposé à l’admettre, que dans les crânes humains ordinaires, la protubérance occipitale et la ligne courbe semi-circulaire supérieure, qui est sur la face externe de l’occipitale, répondent presque strictement, à l’intérieur, avec les sinus latéraux et avec la ligne d’insertion du tentorium ou tente du cerveau.

Sur le tentorium repose, ainsi que j’ai dit dans mon précédent essai, le lobe postérieur du cerveau ; en sorte que la protubérance occipitale et la ligne courbe en question indiquent approximativement les limites inférieures de ce lobe. Était-il possible qu’un être humain eût à ce point le cerveau aplati et déprimé, ou bien les insertions musculaires avaient-elles changé leur situation naturelle ? En vue de mettre fin à ces doutes et de décider la question, de savoir si l’énorme projection de la région sourcilière dépendait ou non du développement des sinus frontaux, je priai sir Charles Lyell d’obtenir du docteur Fuhlrott, possesseur du crâne, des réponses à certaines questions, ou, si la chose était possible, un moule, ou tout au moins, enfin, des dessins ou des photographies représentant l’intérieur du crâne.


Fig. 48. — Dessins, d’après les photographies du docteur Fuhlrott, des parties intérieures du crâne de Neanderthal. — A, Vue de la face interne et inférieure de la région frontale montrant les orifices inférieurs des sinus frontaux a. — B, Vue analogue de la région occipitale montrant l’empreinte des sinus latéraux aa.


Le docteur Fuhlrott répondit à mon enquête avec une courtoisie et une promptitude dont je lui suis extrêmement reconnaissant, et il m’envoya ultérieurement trois excellentes photographies. L’une d’elles nous donne, de ce crâne, une vue de profil que nous avons fait graver (fig. 47, A), la seconde (fig. 48, A), nous montre les vastes orifices des sinus frontaux sur la face inférieure de la portion frontale du crâne, sinus dans lesquels, dit le docteur Fuhlrott, « une sonde peut être introduite à la profondeur d’un pouce ; » cette même figure fait voir le grand développement des arcades sourcilières épaissies au delà de la cavité cérébrale. La troisième enfin (fig. 47, B), représente le bord de l’occipital et la face interne de la région postérieure du crâne ; elle montre très-clairement les deux dépressions des sinus latéraux qui convergent vers la ligne centrale de la voûte du crâne, pour former le sinus longitudinal supérieur. Il était donc clair que je ne m’étais pas trompé dans mon interprétation, et que le lobe postérieur du cerveau de l’homme de Neanderthal devait avoir été aussi aplati que je l’avais supposé.

La crâne de Néanderthal offre donc réellement les caractères les plus extraordinaires. Sa longueur extrême est de 202 millimètres (8 pouces), sa largeur est seulement de 144 millimètres (5,75 pouces), ou, en d’autres termes, sa longueur est à sa largeur comme 100 est à 72 ; il est extrêmement déprimé puisqu’il mesure seulement 86 millimètres (3,4 pouces), de la ligne glabello-occipitale au point le plus élevé de sa courbe ; l’arc longitudinal mesuré de la même façon que sur le crâne d’Engis (page 262), est de 303 millimètres (12 pouces) ; l’arc transversal ne peut pas être exactement mesuré, en raison de l’absence des os temporaux ; mais on suppose avec probabilité qu’il était à peu près égal au précédent ; en tout cas il excède 255 millimètres (10 pouces 1/4). La circonférence horizontale est de 571 millimètres (25 pouces) ; mais ce chiffre élevé est dû en grande partie au vaste développement des arcades sourcilières, quoique, à la vérité, le périmètre interne du crâne ne soit point petit, Le volume considérable de la région sourcilière donne, en effet, au front l’aspect beaucoup plus fuyant que le contour interne du crâne ne semble l’annoncer.

Pour l’œil d’un anatomiste, la partie postérieure du crâne est encore plus frappante que l’antérieure. La protubérance occipitale est située à l’extrémité postérieure du crâne, quand on met sur un plan horizontal la ligne glabello-occipitale, et bien loin qu’une partie quelconque de la région occipitale dépasse ce point, cette région du crâne glisse obliquement du haut en bas et d’arrière en avant, en sorte que la suture lambdoïde est située sur la face supérieure du crâne. En même temps et malgré la grande longueur du crâne, la suture sagittale est remarquablement courte (112 millimètres) et la suture écailleuse est très-droite.

En réponse à mes questions, le docteur Fulhrott m’écrivit encore que l’occipital « est dans un état de conservation parfaite, non moins que la ligne semi-circulaire supérieure qui forme une saillie très-accusée, linéaire à ses extrémités, mais s’élargissant vers le milieu, où elle forme deux saillies réunies par une ligne ininterrompue, qui est légèrement déprimée au centre.

« Sous le bourrelet gauche, l’os offre une surface oblique de 6 lignes de longueur sur 12 de largeur. » Ceci doit s’appliquer au tracé qui est au-dessous de b, fig. 47, A ; c’est à une particularité intéressante, car elle établit que, malgré l’aplatissement de l’occiput, les lobes postérieurs du cerveau s’avançaient notablement au delà du cervelet, et de plus, parce que cela constitue l’un des nombreux points similaires du crâne de Neanderthal et de certains crânes australiens.

Telles sont les deux formes les mieux connues des crânes humains qui aient été découvertes dans ce qui peut s’appeler un état fossile. L’une ou l’autre peut-elle, à un degré appréciable quelconque, diminuer à nos yeux ou remplir l’espace qui, anatomiquement, existe entre l’homme et le singe anthropomorphe ? ou bien ni l’une ni l’autre de ces formes ne se distingue-t-elle plus profondément de la structure moyenne du crâne humain que ne le font, à notre connaissance, les crânes normalement développés étudiés jusqu’à ce jour ?

Il est impossible de se former une opinion quelconque sur ce double problème, sans entrer dans l’étude préliminaire des variétés que nous montre la structure humaine en général, sujet qui a été jusqu’à ce jour imparfaitement étudié, quoique, même pour exposer ce que nous en savons, les limites de ce travail soient insuffisantes et m’obligent à ne tracer qu’une esquisse incomplète.

L’anatomiste le moins expert sait parfaitement qu’il n’y a pas un seul organe du corps humain dont la conformation générale ne varie dans des limites plus ou moins étendues chez les divers individus. Le squelette offre des proportions variables et même, jusqu’à certains points, différentes. Les muscles qui meuvent les os changent notablement leurs points d’insertion, les variétés dans le mode de distribution des artères sont soigneusement classées en raison de l’importance chirurgicale qu’offre la connaissance de leurs anomalies. Les caractères cérébraux sont extrêmement variables, car rien n’est moins constant que la forme et le volume des hémisphères, le nombre des circonvolutions de la surface du cerveau et j’ajouterai — ces caractères eux-mêmes, plus inconstants que tous les autres, que très-imprudemment on a tenté de donner comme caractères distinctifs de l’homme à savoir : la corne postérieure du ventricule latéral, le petit hippocampe et le degré de projection du lobe postérieur du cerveau sur le cervelet. Enfin, ainsi que chacun le sait, les cheveux et la peau des êtres humains peuvent offrir les diversités les plus extraordinaires de couleur et de texture.

Pour autant que les connaissances actuelles nous permettent de le dire, le plus grand nombre des variétés de structure que nous venons d’énumérer sont individuelles. La disposition simienne de certains muscles que l’on rencontre çà et là[15] dans les races blanches du genre humain, n’est pas, que l’on sache, plus fréquente parmi les nègres ou parmi les Australiens ; et ce n’est pas parce que le cerveau de la Vénus hottentote était plus lisse, que ses circonvolutions étaient plus symétriques et que, à ces points de vue, elle tenait du singe plus que les Européens ordinaires — que l’on sera en droit de conclure qu’un semblable état anatomique du cerveau est général parmi les races humaines inférieures, quelque probable d’ailleurs que puisse être cette conclusion.

Il est fâcheux, en effet, que nous manquions de renseignements sur les parties molles des différentes races d’hommes, sauf de la nôtre[16] ; et, même pour ce qui est du système osseux, nos collections sont malheureusement dépourvues de toutes les parties autres que la tête. Il y a des crânes en assez grand nombre, et depuis le temps où Blumenbach et Camper appelèrent l’attention sur les différences notables et singulières qu’ils nous révèlent, la collection et la mensuration des crânes sont devenues une branche de l’histoire naturelle, étudiée avec zèle ; les résultats qu’elle a fournis ont été groupés et classés par différents auteurs, parmi lesquels l’actif et savant Retzius doit toujours être cité le premier.

Les crânes humains diffèrent les uns des autres, non-seulement par leur volume absolu et par la capacité des parties qui logent le cerveau, mais encore par la proportion relative de leurs différents diamètres, par le volume relatif des os de la face (et plus particulièrement de la mâchoire et des dents), comparés à ceux du crâne, par le degré auquel la mâchoire supérieure (qui est nécessairement suivie par l’inférieure) est rejetée en arrière et en bas sous la ligne de la région frontale, ou en avant et en haut, au delà de cette ligne ; ils diffèrent encore par la relation du diamètre transverse de la face, pris d’un os malaire à l’autre, au diamètre transverse du crâne ; par la forme plus arrondie ou plus conique de la voûte du crâne et par le degré d’aplatissement du crâne dans sa région postérieure ou, au contraire, par sa projection au delà de la ligne, à laquelle et au-dessous de laquelle s’insèrent les muscles du cou.

Dans quelques crânes, le cerveau peut être appelé rond, la longueur extrême ne dépassant pas l’extrême largeur dans une proportion supérieure à 100 : 80, quoique la différence puisse être beaucoup moindre[17]. Les hommes qui ont des crânes de cette forme, ont été appelés, par Retzius, brachycéphales ; le crâne de Kalmouck, dont de Baer a publié des vues de face et de profil (nous en donnons une

fig. 49. — Vues de profil et de face d’un crâne de Kalmouck rond et orthognathe, d’après von Baer (⅓ de la grandeur naturelle).
copie réduite fig. 49) dans son excellent ouvrage[18], nous fournit un exemple admirable de ce genre. D’autres, tels
fig. 50. — Vues de face et de profil d’un crâne oblong et prognathe d’un nègre (1/3 de la grandeur naturelle).
que celui du nègre, représenté fig. 50 d’après M. Busk[19],

ont une forme très-différente, très-allongée, et peuvent être appelés oblongs ; chez ce sujet, la longueur extrême est à la plus grande longueur comme 100 est à 67, et le diamètre transverse peut même descendre au-dessous de ces proportions. Les individus qui offrent cette forme de crâne ont été appelés, par Retzius, dolichocéphales[20].

Le coup d’œil le plus superficiel jeté sur les vues de profil de ces deux crânes suffira pour prouver qu’ils diffèrent, à un autre point de vue, d’une manière très-frappante. Le profil de la face de Kalmouck est presque vertical ; les os de la face sont inclinés du haut en bas et sous la partie antérieure du crâne. Le profil de la tête de nègre, d’un autre côté, offre une singulière inclinaison : la partie antérieure des mâchoires se projette beaucoup au delà du niveau de la région antérieure du crâne. Dans le premier cas, le crâne est dit orthognathe ou à mâchoire droite ; dans le second, il est appelé prognathe, expression qui rend avec plus de force que d’élégance l’équivalent saxon smouty (qui ressemble à un museau ou groin).

Diverses méthodes ont été imaginées en vue d’exprimer avec quelque précision le degré de prognathisme et d’orthognathisme d’un crâne quelconque[21] ; mais la plupart de ces méthodes ne sont autre chose que des modifications de celle qu’a inventée Pierre Camper, pour obtenir ce qu’il appelait l’angle facial . Le plus léger examen montrera que quelque angle facial que l’on détermine, il ne pourra jamais exprimer que d’une manière grossière et très-sommaire les modifications anatomiques qu’entraînent l’orthognathisme ou le prognathisme, car les lignes dont l’intersection constitue l’angle facial, passent par des points du crâne dont la situation est modifiée par un grand nombre de circonstances, en sorte que l’angle obtenu est une résultante complexe de toutes ces circonstances, et n’est point l’expression d’un rapport organique bien déterminé des diverses parties du crâne.

Je suis arrivé à cette conviction, que les comparaisons crâniennes n’ont de valeur sérieuse que si elles sont établies sur la détermination d’une ligne fondamentale relativement fixe, à laquelle les mesures doivent être rapportées dans tous les cas ; et je ne pense point, au surplus, qu’il y ait quelques difficultés à décider quelle doit être cette ligne fondamentale. Les parties du crâne, de même que celles du reste de la charpente animale, se développent successivement ; la base du crâne est formée avant ses parois latérales et sa voûte ; elle est convertie en cartilage bien plus tôt et plus complétement que ces régions ; et cette base cartilagineuse s’ossifie et se soude en une seule pièce bien avant la voûte. Je conçois alors que la base du crâne peut être considérée, au point de vue du dévelop-


fig. 51. Sections longitudinales et verticales des crânes d’un castor (G. Canadensis A), d’un lémurien (L. Catta B.) et d’un babouin (Cynoc. papio C) ; ab, axe basi-crânien ; bc, plan occipital ; iT, plan de la tente du cervelet ; dab, angle olfactif ; efb, angle crânio-facial ; gh, longueur extrême de la cavité qui contient les hémisphères cérébraux, ou longueur cérébrale ; la longueur de l’axe basi-crânien par rapport à la longueur cérébrale, ou, en d’autres termes, la longueur proportionnelle de la ligne gh à la ligne ab représentée par 100 est, dans les trois crânes : castor 70 ; lémurien, 119 ; babouin, 144. Chez un gorille mâle adulte, cette même longueur égale 170 ; chez le nègre (fig. 50), elle égale à 236. Dans le crâne de Constantinople (fig. 52), elle égale 266. La différence qui existe entre le singe le plus élevé et l’homme le plus inférieur est mise en évidence de la manière la plus saisissante par cette méthode de mensuration.

Dans le diagramme du crâne de babouin, les lignes ponctuées d′ d″ donnent les angles des crânes de lémurien et de castor, superposées sur l’axe basi-crânien du babouin. La ligne ab a la même longueur dans chacun des diagrammes. »

pement, comme sa portion relativement fixe, sa voûte et ses parois latérales étant relativement mobiles. Cette même vérité se vérifie par l’étude des modifications que subit le crâne en s’élevant des animaux inférieurs à l’homme. Chez un mammifère tel que le castor (fig. 51, A), une ligne (a b), tracée à travers les os, et appelée basi-occipitale, basisphénoïde, présphénoïde[22], est très-longue, relativement à la plus grande longueur de la cavité qui contient les hémisphères cérébraux (g h). Le plan du trou occipital (b c) forme un angle légèrement aigu avec cet axe basi-crânien, tandis que le plan de la tente (i T) est incliné un peu plus de 90 degrés sur ce même axe. Le plan de la lame criblée de l’ethmoïde (a d), par laquelle les nerfs olfactifs sortent du crâne, affecte le même angle ; en outre, une ligne, tirée par l’axe de la face, entre les os appelés ethmoïdes et vomer, axe basi-facial (f e), donne un angle extrêmement obtus lorsque, prolongé, elle coupe l’axe basi-crânien. Appelons angle occipital, l’angle que fait la ligne b c avec la ligne a b ; angle olfactif, l’angle fait par la ligne a d avec a b ; angle tentorial, enfin, l’angle formée par i T avec a b : tous ces angles, chez le mammifère en question, sont presque droits et varient entre 80 et 110 degrés. L’angle efb, constitué par l’axe crânien et l’axe facial, et qui peut être appelé angle crânio-facial, est extrêmement obtus et s’élève chez le castor à 150 degrés au moins.

Mais si l’on étudie une série de sections de crânes de mammifères intermédiaires aux rongeurs et à l’homme (fig. 29), on trouvera que dans les crânes les plus élevés l’axe basi-crânien devient de plus en plus petit relativement à la longueur du cerveau ; que l’angle olfactif et l’angle occipital deviennent plus obtus, et que l’angle crânio-facial devient plus aigu par l’inclinaison de l’axe facial sur l’axe crânien. En même temps la voûte du crâne devient de plus en plus arquée pour se mettre en harmonie avec les hauteurs croissantes des hémisphères cérébraux, éminemment caractéristiques de l’homme, aussi bien qu’avec leur développement au delà du cervelet, qui atteint son maximum chez les singes de l’Amérique du Sud ; en sorte que, tout au moins dans le crâne humain (fig. 30), la longueur du cerveau est entre deux et trois fois aussi grande que la longueur de l’axe basi-crânien. La lame criblée est à 20 ou 30° du côté inférieur de cet axe ; l’angle occipital peut être de 150 ou 160 degrés au lieu d’être au-dessous de 90° ; l’angle crânio-facial, de 90° ou même moins, et la hauteur verticale du crâne peut être considérable par rapport à sa longueur. D’après l’inspection des diagrammes ci-contre, il est évident que l’axe basi-crânien est, en s’élevant dans la série ascendante des mammifères, une ligne relativement fixe, autour de laquelle les os des parois latérales de la cavité crânienne de la voûte et de la face peuvent être considérés comme tournant en bas, en avant ou en arrière selon leur position. Cependant, l’arc décrit de la sorte par un os quelconque, ou par un plan, n’est en aucune façon toujours en proportion de l’arc décrit par un autre.

Vient maintenant la question importante de savoir si nous pouvons distinguer, parmi les formes les plus inférieures et parmi les plus élevées du crâne humain, un point quelconque, répondant à un degré quelconque, si léger qu’il puisse être, de cette révolution des os latéraux et des os de la voûte du crâne autour de l’axe basi-crânien, observée sur une

Fig. 52. — Sections de crânes orthognathes (contours clairs), et prognathes (contours foncés) au tiers de la grandeur naturelle. — a, b, Axe basi-crânien. — b c, b’c’, Plan du trou occipital. — d, d’, Extrémité postérieure des os palatins. — e, e’, Extrémité antérieure de la mâchoire supérieure. — T, T’, Insertion de la tente du cerveau.
grande échelle dans la série des mammifères. De nombreuses observations me conduisent à croire que nous

devons répondre à cette question par l’affirmative. Les diagrammes de la figure 52 sont réduits d’après des diagrammes, soigneusement tracés, des sections de quatre crânes, dont deux arrondis et orthognathes, deux allongés et prognathes, pris longitudinalement et verticalement à travers le centre.

Les diagrammes des sections ont été recouvertes de telle façon, que les axes basiaires des crânes coïncident par leur extrémité antérieure et dans leur direction respective. Les déviations des autres parties du tracé, qui représentent l’intérieur des crânes seulement, nous donnent les différences de ces crânes, de l’un à l’autre, quand leurs axes sont considérés comme des lignes relativement fixes. Les contours noirs sont ceux d’un crâne d’Australien et d’un nègre. Les contours clairs sont ceux d’un crâne tartare qui est au musée du Collége royal des chirurgiens de Londres, et d’un crâne arrondi bien développé de race incertaine, qui est en ma possession, et qui provient d’un cimetière de Constantinople.

On voit, au premier coup d’œil sur ces derniers, que les crânes prognathes, au moins en ce qui concerne les mâchoires, diffèrent réellement des orthognathes à peu près de la même sorte, quoique à un moindre degré, que les crânes des mammifères inférieurs diffèrent de ceux de l’homme. En outre, le plan du trou occipital (bc) forme avec l’axe (ab) un angle en quelque sorte plus petit dans les crânes spécialement prognathes que dans les orthognathes ; et la même chose est à peu près vraie de la lame perforée de l’éthmoïde, quoique cela ne soit pas aussi clair. Mais on remarquera cette particularité que les crânes prognathes sont, à certain point de vue, moins semblables à ceux des singes que ne le sont les orthognathes, car la cavité cérébrale se projette plus nettement au delà de l’extrémité antérieure de l’axe, chez les crânes des prognathes, qu’elle ne le fait chez les orthognathes.

On notera aussi que ces diagrammes montrent une grande série de variations dans la capacité et dans les proportions relatives à l’axe crânien, des différentes parties du crâne qui contiennent le cerveau proprement dit. La différence dans la portion de la cavité cérébrale qui dépasse la cérébelleuse, n’est pas moins singulière. Un crâne rond (fig. 52 Const.) peut avoir une proportion cérébrale postérieure plus grande qu’un crâne allongé (fig. 50 negro).

Jusqu’à ce que les crânes humains aient été profondément étudiés avec des procédés semblables à ceux que je suggère ici ; jusqu’au jour où ce sera un opprobre pour une collection ethnologique de posséder un seul crâne qui n’aurait pas été coupé longitudinalement ; jusqu’au jour où les angles et les mesures que je viens de mentionner, ainsi que nombre d’autres dont je ne puis ici parler, auront été déterminés et établis en tableau par rapport à l’axe basi-crânien pris comme unité, et cela pour un nombre considérable de crânes des différentes races du genre humain, je ne pense pas que nous puissions avoir aucune base certaine pour cette crâniologie ethnique, qui aspire à donner les caractères anatomiques des crânes des races humaines[23].

Quant à présent, je crois que l’on peut esquisser en peu de mots tout ce qui, sur ce sujet, peut être dit avec quelque certitude. Tracez une ligne sur un globe terrestre, de l’ouest de l’Afrique (Côte-d’Or) aux steppes de la Tartarie ; à l’extrémité méridionale et occidentale de cette ligne, vit la race d’hommes la plus dolichocéphalique, prognathe, aux cheveux frisés et à la peau noire — les vrais nègres. — À l’extrémité septentrionale et orientale de cette ligne, vivent les hommes les plus brachycéphales, orthognates, aux cheveux lisses et à la peau jaune — les Tartares et les Kalmoucks. Les deux extrémités de cette ligne imaginaire sont pour ainsi dire des antipodes ethniques[24]. Une ligne tirée à angle droit ou à peu près, sur cette ligne polaire qui va de l’Europe et de l’Asie méridionale à l’Hindoustan, nous donnerait une sorte d’équateur autour duquel se groupent les têtes arrondies, les ovalaires, les oblongues, les prognathes et les orthognathes, les races claires et les races foncées ; mais nulle d’entre elles ne possède les caractères excessivement marqués du Kalmouck et du nègre. Il est digne de remarque que les régions des races antipodes, sont également antipodes quant au climat, le contraste le plus grand qu’offre le monde étant peut-être celui qui existe entre les côtes humides, chaudes, brumeuses, formées par les terrains d’alluvions de l’Afrique occidentale, et d’autre part, les steppes et les plateaux arides de l’Asie centrale, steppes glaciales en hiver et aussi éloignées de la mer que peut l’être une partie quelconque des continents[25].

De l’Asie centrale, vers l’est, aux îles de l’océan Pacifique, d’une part, et à l’Amérique de l’autre, les types brachycéphaliques et l’orthognathisme diminuent graduellement, et sont remplacés par les dolichocéphales prognathes, moins, cependant, sur le continent américain (sur toute la longueur duquel existe en grande majorité, mais non exclusivement, un type de crânes arrondis)[26] que dans les régions du Pacifique où reparaissent, dans le continent australien et dans les îles adjacentes, le crâne oblong, les mâchoires saillantes, la peau noire. Toutefois, à d’autres égards, ce type s’éloigne tellement du nègre, que quelques ethnologistes lui assignent le nom spécial de négritos ou négroïdes.

Le crâne australien est remarquable par son étroitesse et par l’épaisseur de ses parois, spécialement dans la région des arcades sourcilières, laquelle est massive fréquemment, quoique non constamment, dans toute son épaisseur, les sinus subissant un arrêt de développement. En outre, la dépression nasale est extrêmement brusque, en sorte que les arcades surplombent, et donnent à la contenance, une expression particulièrement basse et menaçante. La région occipitale du crâne est quelquefois moins proéminente, à ce point que non-seulement elle ne s’avance pas au delà d’une ligne abaissée perpendiculairement à l’extrémité postérieure de la ligne glabello-occipitale, mais même, dans quelques cas, elle s’incline presque tout de suite vers la région antérieure. En raison de cette circonstance, les parties occipitales qui sont au-dessus et au-dessous de la protubérance forment entre elles un angle beaucoup plus aigu que d’ordinaire ; d’où il suit que la partie postérieure de la base du crâne semble être obliquement tronquée. Beaucoup de crânes australiens ont une hauteur considérable, tout à fait égale à la hauteur moyenne des crânes de toute autre race ; mais il en est d’autres chez qui, tandis que la voûte du crâne se déprime remarquablement, il se produit une élongation telle que probablement la capacité n’est point diminuée. Le plus grand nombre des crânes qui possèdent ces caractères que j’ai pu constater, proviennent du voisinage de Port-Adélaïde, dans le sud de l’Australie et servaient aux indigènes pour leurs provisions d’eau ; à ce dessein, la face avait été brisée et une corde avait été passée à travers la cavité orbitaire d’une part et le trou occipital de l’autre, en sorte que le crâne était suspendu par la plus grande partie de sa base.


Fig 54. — Crâne australien de Western-Port, provenant du musée du collége des chirurgiens de Londres, avec le tracé du crâne de Neanderthal, tous deux réduits au tiers de la grandeur naturelle.


La figure 54 représente le tracé d’un crâne de ce genre, muni de sa mâchoire et provenant de Western-Port ; le tracé noir représente le crâne de Neanderthal, et tous deux sont réduits au tiers de la grandeur naturelle. On remarquera qu’il suffirait d’aplatir et d’allonger quelque peu le crâne australien en augmentant dans la même proportion les arcades sourcilières, pour le transformer en une forme identique à celle du fossile de Neanderthal, égaré parmi nous[27].

Et maintenant, revenons aux crânes fossiles et au rang qu’ils occupent parmi les variétés modernes des conformations crâniennes, si toutefois ils peuvent prendre place parmi elle. En premier lieu, je dois faire remarquer que, ainsi que le professeur Schmerling l’a bien observé (voy. p. 263) dans ses commentaires sur le crâne d’Engis, — tout jugement solide sur les problèmes que les crânes soulèvent, est grandement ébranlé par l’absence des mâchoires inférieures des deux crânes en question, de sorte qu’il n’y a aucun moyen de décider avec certitude, s’ils sont plus ou moins prognathes que les races contemporaines inférieures du genre humain. Et cependant nous l’avons vu, c’est plutôt sous ce rapport que sous aucun autre, que les crânes humains s’éloignent ou se rapprochent du type bestial. Le crâne d’un Européen d’une dolichocéphalie moyenne, diffère beaucoup moins du crâne d’un nègre, par exemple, que n’en diffère sa mâchoire. C’est pourquoi, en l’absence des mâchoires, les opinions avancées sur les rapports des crânes fossiles avec les races modernes, doivent n’être admises qu’avec certaines réserves.

Prenant donc les témoignages tels qu’ils sont réellement, je dois avouer d’abord en ce qui concerne le crâne d’Engis, que je ne vois dans ses débris aucun caractère qui, s’il était d’origine récente, pourrait me mettre sur la voie de la race à laquelle il appartient ; son contour et ses mesures s’accordent parfaitement bien avec ceux de quelques crânes australiens que j’ai examinés. Il a parfaitement cette tendance à l’aplatissement de l’occiput si remarquable dans quelques crânes australiens dont j’ai parlé. Mais tous les crânes australiens ne présentent pas cet aplatissement et l’arcade sourcilière du crâne d’Engis est tout à fait différente de celle des types australiens.

D’un autre côté ses mesures concordent également bien avec celles de quelques crânes européens. Assurément d’ailleurs aucune partie de sa structure n’offre la moindre trace de dégradation. C’est là, en effet, un crâne humain d’une bonne moyenne qui peut avoir appartenu à un philosophe, ou peut tout aussi bien avoir contenu le cerveau inculte d’un sauvage[28].

Autre est le crâne de Neanderthal : sous quelque aspect que nous le considérions, que nous regardions sa dépression dans le sens vertical, l’énorme épaisseur de ses arcades sourcilières, son occiput incliné ou ses sutures écailleuses longues et droites, nous rencontrons partout les caractères simiens qui le marquent de leur empreinte comme étant la forme la plus pithécoïde qui ait été découverte parmi les crânes humains. Toutefois le professeur Schaafhausen dit que ce crâne, dans sa condition présente, contient 1033,24 centimètres cubes d’eau, ou environ 63 pouces cubes, et comme le crâne tout entier pourrait difficilement avoir contenu une quantité additionnelle d’eau supérieure à 12 pouces cubes, sa capacité peut être estimée à environ 75 pouces cubes (1230 c. cubes), ce qui est la capacité moyenne donnée par Morton pour les Polynésiens et les Hottentots. Cette quantité de substance cérébrale suffirait pour qu’on pût penser que les tendances pithécoïdes indiquées par ce crâne ne s’étendaient pas profondément dans l’organisation, et cette conclusion est appuyée par les dimensions des autres os du squelette données par le professeur Schaafhausen, qui montrent que la hauteur absolue et les proportions relatives des membres étaient tout à fait ceux d’un Européen de stature moyenne ; à la vérité les os étaient plus volumineux, mais ce fait, ainsi que le grand développement des insertions musculaires noté par le docteur Schaafhausen, sont des caractères que l’on rencontre chez les sauvages. Les Patagons, exposés sans vêtements ni protection à l’action d’un climat qui ne diffère pas beaucoup de celui qu’offrait l’Europe au temps où vivait l’homme de Neanderthal, sont remarquables par le volume des os de leurs membres[29].

C’est pourquoi, à aucun point de vue, les ossements trouvés à Neanderthal ne peuvent être considérés comme ceux d’un être humain intermédiaire à l’homme et aux singes ; tout au plus prouvent-ils l’existence d’un homme dont on peut dire qu’il retourne, en quelque chose, vers le type pithécoïde, de même que les pigeons Messager. Grosse-gorge ou Culbutant revêtent parfois le plumage de leur souche primitive, la columba livia. À vrai dire, le crâne de Neanderthal, quoique très-réellement le plus pithécoïde des crânes humains connus, n’est en aucune façon aussi complétement isolé qu’il semble l’être tout d’abord ; il forme en réalité le terme extrême et inférieur d’une série ascendante qui conduit graduellement au crâne humain le plus élevé et le mieux développé ; d’un côté il se rapproche étroitement du crâne australien aplati dont j’ai parlé, tandis que les autres formes australiennes nous conduisent graduellement aux crânes qui ont à un très-haut degré le type de celui d’Engis ; d’un autre côté, il est encore plus étroitement voisin des crânes des hommes de la race qui habitait le Danemark pendant l’âge de pierre, et qui étaient probablement contemporains ou ancêtres des constructeurs de ce que l’on a appelé « refuse heaps[30] » ou kjokkenmöddings de cette contrée.

La correspondance est très-frappante entre le contour longitudinal ou profil du crâne de Neanderthal et celui de quelques-uns des crânes du tumulus de Borreby, crânes dont des dessins très-exacts, que nous reproduisons ici,


Fig. 56. — Crâne danois de l’âge de pierre, provenant du tumulus de Borreby (dessinés à la chambre noire, au tiers de la grandeur naturelle, par M. Busk).

ont été tracés par M. Busk. L’occiput est tout aussi fuyant, les arcades sourcilières sont presque aussi proéminentes et le crâne est aussi bas. De plus, le crâne de Borreby ressemble plus qu’aucun crâne australien à celui de Neanderthal par l’inclinaison rétrograde du front, beaucoup plus rapide que dans ceux-là. D’autre part les crânes de Borreby sont tous un peu plus larges que le crâne de Neanderthal, par rapport à leur longueur ; quelques-uns d’entre eux, en effet, atteignent le rapport de 80 : 100, qui constitue la brachycéphalie.

Je puis maintenant conclure et dire que les ossements fossiles découverts jusqu’à ce jour ne semblent pas nous rapprocher sensiblement de cette forme inférieure pithécoïde par les modifications de laquelle l’homme est probablement devenu ce qu’il est ; et si nous considérons ce qui est connu des plus anciennes races humaines ; sachant qu’elles fabriquent des haches et des couteaux de silex de la même forme que ceux que fabriquent les hommes les plus sauvages de l’époque actuelle[31], et que nous avons toute raison de croire qu’ils sont restés à ce même état depuis le temps de Mammouth et du Rhinoceros tichorrhinus jusqu’à nos jours, je ne crois pas que l’on dût s’attendre à un autre résultat.

Où donc alors faut-il chercher l’homme primitif ? Le plus ancien individu du genre homo sapiens date-t-il des terrains pliocènes ou des miocènes ? Est-il encore plus ancien ? Les ossements fossiles de quelque singe plus anthropomorphe ou de quelque homme plus simien qu’aucun de ceux qui sont connus attendent-ils dans des couches géologiques les plus vieilles les recherches d’un paléontologiste qui n’a point encore vu le jour ?

L’avenir nous l’apprendra. En attendant, disons que si une théorie quelconque de développement progressif se vérifie, nous devrons ajouter de longues périodes aux estimations les plus larges qui aient été données de l’antiquité de l’homme[32].

Fig. 57. Tête de lance emmanchée en obsidienne (Nouv.-Calédonie). — Fig. 58. Tête de lance en silex (alluvions de la vallée de la Somme). — Fig. 50. Vue de face d’un grattoir en lydite monté sur un manche d’ivoire (Esquimaux). — Fig. 60. Vue de profil du même grattoir en lydite, monté sur un manche d’ivoire (Esquimaux). — Fig. 61. Grattoir en silex (vallée de la Somme). — Fig. 62. Grattoir en silex vallée de la Somme). — Fig. 63. Hache polie en diorite (Indes anglaises). — Fig. 64. Hache polie en diorite (Angleterre). — Fig. 65. Hache polie en diorite (Amérique du Sud). — Fig. 66. Hache polie en basalte (France). — Fig. 67. Hache polie en diorite, montée sur bois (îles Solomon du Pacifique).
  1. Il y a dans le texte : in a fossil state ; mais on conçoit qu’il n’est point ici question d’un état particulier des ossements défigurés par des incrustations salines. On donne néanmoins quelquefois le nom de fossile à certaines pétrifications ; mais c’est à un emploi vulgaire et abusif de ce terme ; la notion qu’il comporte est celle de contemporanéité avec certaines espèces d’animaux aujourd’hui complètement éteintes ou n’existant plus en Europe, telles que le Mammouth de Sibérie (Elephas primigenius Blum), le Rhinocéros (Rh. tichorinus Cuv.), le Renne (Cervus Tarand.), la Hyène (H. spelæa) et l’Ours des Cavernes (Ursus spelæus), l’Hippopotame (H. major). Toutes ces espèces appartiennent aux terrains quaternaires. M. E. Lartet admet quatre âges paléo-zoologiques : ceux du Mammouth, de l’Ours des Cavernes, du Renne et de l’Aurochs.

    M. Garrigou a très-bien étudié cette chronologie dans son étude comparative sur les alluvions quaternaires anciennes et des cavernes. Il a réduit à deux les âges zoologiques fossiles, ceux du grand Ours et du Renne ; l’âge de la pierre polie, beaucoup plus récent, offre presque exclusivement des animaux dont les espèces domestiques existent encore de nos jours. On trouvera au surplus des notions très-étendues sur ces questions dans l’appendice à l’ouvrage de sir Charles Lyell, l’Homme fossile en France (Paris, 1864, J. B. Baillière et fils). Les Reliquiæ aquitanicæ de MM. Lartet et Christy, auxquels nous aurons l’occasion de faire un emprunt dans notre appendice, offriront au complet l’histoire des cavernes du Périgord et du bassin de la Garonne. Sir John Lubbock a proposé les termes palæolithique et néolithique pour les périodes du drift ou dilivium (mot absurde qui semble impliquer l’idée fausse d’un déluge). Les deux autres âges préhistoriques seraient l’âge du bronze et du feu (Prehistoric Times, p.2). (Trad.)

  2. Ch. Lyell, l’Ancienneté de l’homme prouvée par la géologie ; trad. par M. Chaper. Paris, 1864.
  3. Schmerling, Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liége, 1833. Nous avons reproduit le texte original de cet ouvrage qui se trouve à la bibliothèque du Museum. (Trad.)
  4. Dans un passage subséquent, Schmerling appelle l’attention sur une incisive « d’un volume énorme » provenant des cavernes d’Engiboul. La dent représentée est assez longue, mais ses dimensions ne me paraissent pas autrement remarquables.
  5. La planche qui représente cette clavicule mesure 5 pouces d’une extrémité à l’autre en ligne droite, en sorte que cet os est plutôt petit que grand.
  6. Comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris, 2 juillet 1838.
  7. Le professeur Spring a publié en 1864 un mémoire intitulé : les Hommes d’Engis et de Chauvaux, plein de faits et de vues ingénieuses, qui sera consulté avec fruit (Bull, de l’Ac. roy. de Belgique, t. XVIII, no12).
  8. Zur Kenntniss, etc., Sur les crânes des races humaines les plus anciennes (Muller’s Archiv., 1858, p. 453).
  9. Les dendrites sont des cristallisations ramifiées qui, d’après Lyell, se composent généralement d’un mélange d’oxyde de fer et de manganèse — ressemblant à certaines espèces de petites plantes marines ramifiées. On les trouve sur les instruments de silex et elles sont une preuve de leur ancienneté. Cependant on les a observés sur les os romains selon H. van Meyer ; elles sont néanmoins beaucoup plus fréquentes sur les os qui ont été longtemps enfouis. (Trad.)
  10. Comme dans les études palæo-anthropologiques, il est souvent question du diluvium, nous croyons utile de rappeler ici d’après M. Hébert quels sont les phénomènes quaternaires qui ont donné naissance à ce terrain : « 1o Creusement par voie d’érosion de nos vallées actuelles, opération longue et nécessitant l’intervention de masses d’eau considérables. 2o Développement de la faune de l’Elephas primigenius sur le sol de la France ainsi accidenté et qui était alors couvert de forêts peuplées d’éléphants et de rhinocéros, forêts qui, pour le dire en passant, ont à peine laissé de traces quand les animaux qu’elles contenaient ont parsemé le sol de leurs débris. Formation par voie de courants aqueux du dépôt erratique inférieur de nos vallées, caillouteux en bas, sableux en haut, avec nombreux ossements d’Elephas primigenius et de Rhinoceros tichorrinus et quantité de silex taillés de main d’homme dans la vallée de la Somme… 3o Dépôt du limon calcarifère appelé lœss, caractérisé par des concrétions calcaires constantes de forme et de nature aussi bien sur les bords du Rhin qu’à Paris, recouvrant directement le précédent et indiquant une phase nouvelle dans la période quaternaire. 4o Formation d’un dépôt caillouteux composé d’argile rouge et de gravier quartzeux empâtant des silex brisés, sans débris organiques, ne présentant presque jamais de stratification bien nette et reposant soit sur le diluvium gris soit sur le lœss… (diluvium rouge). 5o La surface du diluvium rouge a été soumise elle-même à un lavage par des eaux qui en ont stratifié la partie supérieure et l’ont mélangée avec de l’argile grise… 6o Postérieurement à tous ces phénomènes successifs, nos vallées ont été creusées de nouveau, évidemment dans de nouvelles conditions. Les dépôts que nous venons d’énumérer sont restés appliqués contre les flancs des coteaux, et la forme du sol est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, bien que, dans ces vallées ainsi creusées à nouveau, il se soit encore passé de nombreux phénomènes géologiques dont l’étude est à peine ébauchée, mais qui reportent incontestablement à une très-haute antiquité l’époque de la dernière érosion générale. » (L’Ancienneté de l’homme, appendice par sir Ch. Lyell, p. 85.) Ces phénomènes post-pliocènes sont en partie consécutifs à la fonte des glaciers. Cela est au moins très-probable. (Trad.)
  11. M. Busk a noté que cette dépression est probablement l’orifice du nerf frontal.
  12. M. Busk qui a traduit en anglais et annoté le mémoire de M. Schaafhausen, a pris sur le moule en plâtre des mesures qui diffèrent de celles données par M. Shaafhausen. Les voici, dans le même ordre, telles que M. Huxley les reproduit en regard de celles de l’auteur allemand. 300 — 590 — 114 — 125 — 23 — 00 — 150 — 60.
  13. M. Scheurer-Kestner a fait des recherches étendues sur les modifications chimiques des ossements fossiles à l’occasion de sa découverte d’ossements dans le lehm de la vallée du Rhin. Selon cet auteur, les ossements fossiles renferment, outre l’osséine normale, une autre substance provenant probablement d’une modification chimique de l’osséine. Cette opinion est fondée sur la perte qu’éprouvent les ossements par la calcination, qui leur fit perdre plus du double de ce qu’ils devraient perdre par la combustion de l’osséine seule. Il suit de là que si l’on ne peut chimiquement établir l’âge absolu d’un os, on peut établir son âge relatif par la détermination de la quantité d’osséine modifiée qu’il contient. Les recherches de M. Scheurer ont porté principalement sur les ossements trouvés à Eguisheim, et dont il sera question ci-après ; sa conclusion est que ces ossements trouvés dans le lehm présentant la même composition que les ossements d’animaux provenant du même terrain et ayant appartenu à des espèces éteintes, « la contemporanéité de l’être humain et de ces races doit être acceptée comme démontrée au point de vue chimique. » Voyez Note sur la découverte d’ossements fossiles… suivie de recherches chimiques, etc. Colmar, 1867. (Trad.)
  14. Dans son état complet, sa capacité serait donc de 6 onces de plus (= 187 c. cubes) soit 1,220 c. cubes. (Trad.)
  15. M. Church, Natural history Review, 1861. Voyez l’excellent Essay on myology of orang.
  16. La Société d’anthropologie de Paris a publié * des Instructions générales pour les recherches et observations anthropologiques, qui ont été rédigées par M. Broca, et délivre des feuilles d’observation que tout voyageur peut remplir même sans être au courant de la science. En outre, des Instructions spéciales pour le Pérou, le Sénégal, le Mexique, le Chili, la Sicile et le littoral de la mer Rouge **, se délivrent à tous les voyageurs qui en font la demande. Il y a donc lieu d’espérer, grâce à la précision de ces questionnaires explicites, que dans quelques années le regret si justement exprimé par M. Huxley n’aura plus, au même degré, sa raison d’être. (Trad.)

    * Mémoires de la Société d’anthropologie, 1865 ; Archives de médecine navale, 1865, t. III, p. 369, et tirage à part.

    ** Bulletins de la Société d’anthropologie et tirage à part.

  17. Dans aucun crâne humain normal la largeur du crâne n’excède sa longueur.
  18. Crania selecta.
  19. Crania typica.
  20. La nomenclature relative aux diamètres des crânes s’est, dans ces dernières années, enrichie — si c’est là une vraie richesse — de si nombreuses expressions, que nous rendrons peut-être quelque service au lecteur en lui présentant les définitions de quelques néologismes. Parlons d’abord des mots utiles. Broca, le premier, a proposé de désigner du nom d’indice céphalique le rapport réduit en centièmes du diamètre transversal maximum au diamètre longitudinal. Cette dénomination a été universellement adoptée. L’indice céphalique est donc le quotient obtenu en multipliant par 100 le diamètre transversal, et en divisant le produit par le diamètre longitudinal. Cela posé, où finit la dolichocéphalie ? où commence la brachycéphalie ? Retzius avait fixé au quart du diamètre longitudinal chez les dolichocéphales sa différence d’avec le transversal, soit à 75 p. 100. Ainsi que Huxley l’a fait remarquer, ce chiffre excluait du rang des dolichocéphales les Suédois eux-mêmes. D’ailleurs, il est maintenant universellement convenu, pour des raisons tirées de la pratique, que tout crâne dont la largeur est à la longueur comme 80 : 100 (ou au delà de 80) est brachycéphalique. Au-dessous de 80, dans la division dichotomique de Retzius, tout crâne devrait être dolichocéphalique. Mais l’insuffisance de cette distribution, qui confondait des groupes très-distincts d’hommes, a été rapidement sentie, et Broca a proposé, à titre de procédé descriptif, le nom de mésaticéphales pour distinguer les crânes de type intermédiaire entre 77,7 et 80 p.100. En outre, comme ces limites lui paraissaient encore trop larges, il a déterminé des chiffres intermédiaires, en sorte que les crânes étroits étaient distribués en dolichocéphales purs (75 p. 100 et au-dessous) et en sous-dolichocéphales (entre 75 et 77,6). Ici venaient les mésaticéphales (de 77,7 à 79,9). À leur tour, les brachycéphales se divisaient en sous-brachycéphales (de 80 à 84,9) et brachycéphales purs (de 85 et au delà).

    Welcker, dans ses tables crâniométriques, a pris pour minimum de brachycéphalie 81, et pour maximum de dolichocéphalie 72. Entre 72 et 81, se rangent les crânes les plus nombreux, qu’il appelle orthocéphales, terme auquel Vogt préfère, avec raison, celui de mésaticéphales, proposé par Broca, et généralement adopté. Enfin Huxley a donné une nomenclature éminemment éclectique et internationale, où la Suède, l’Angleterre, l’Allemagne et la France sont également représentées : au delà de 80 p. 100, brachycéphales divisés en brachistocéphales (de 85 p. 100 et au-dessus), et eurycéphales (de 80 à 85) ; au-dessous de 80 les dolichocéphales se divisent en quatre groupes, de 80 à 77, sous-brachycéphales ; de 71 à 74, orthocéphales ; de 74 à 71, mécocéphales ; 71 et au-dessous, mécistocéphales. (Prehistoric remains of Caithness, p. 85 ; 1866.) Il pourrait y avoir quelque inconvénient à cette nomenclature multiple et qui a été récemment encore augmentée, et dont quelques termes ont plusieurs acceptions si l’on y voyait autre chose, selon l’expression de Broca, qu’un procédé descriptif. Or, il semble que l’heureuse innovation due à cet auteur de l’indice céphalique rend accessoire toute classification verbale. On pourrait prendre l’habitude de dire crâne de 80, de 83, de 75, etc., avec l’avantage d’une grande précision, tout en conservant les trois termes principaux : dolicho, mesati et brachycéphales.

    Après ces explications, le lecteur peut se demander à quoi ont abouti les classifications d’après les rapports des longueurs. Huxley en parle un peu plus loin ; Vogt, résumant sur ce point les observations de Welcker, dit qu’en apparence « les conditions de civilisation se trouvent plutôt dans un juste milieu entre les deux extrêmes, dans un degré moyen de longueur de la tête, conclusion extrêmement flatteuse pour les Français qui occupent à peu près le milieu de l’échelle des têtes moyennes, de même (et ici la pointe d’ironie est marquée) qu’ils se considèrent comme le centre de la civilisation » (Leç. sur l’homme, p. 65).

    Quoi qu’il en soit, voici quelques mesures que nous empruntons à plusieurs auteurs et notamment aux tableaux crâniométriques de Pruner-Bey, Vogt, Broca, Huxley : Indices céphaliques : crânes déformés du Pérou, brachycéphales 106 p. 100 ; dolichocéphales de même provenance (acrocéphales), 76. On voit par là que les déformations artificielles ont plus d’action lorsqu’elles agissent en longueur qu’en largeur, ce qui confirme l’opinion d’Aeby sur la prééminence comme caractéristique du diamètre transversal, et les belles recherches de Shaafhausen sur le développement du crâne chez les enfants (Bull. de la Soc. d’anth., 1866, p. 319). Les crânes les plus étroits que nous connaissions sont mentionnés, l’un par Vogt, avec l’épithète de crâne véritablement simien, c’est celui d’un Australien (63 p. 100) ; l’autre, par Huxley, c’est celui d’un indigène de la Nouvelle-Zélande dont l’index est 62,9. Il n’est pas rare de trouver des crânes d’Australiens de 65 à 70 ; 7 Australiens ont donné à Pruner-Bey une moyenne de 70 ; moyenne de 8 Hottentots, 69 ; de 50 Néo-Calédoniens, 70 ; de 30 nègres, 72 ; de 13 Esquimaux, 69 ; de 12 Chinois, 77 ; de 10 Scandinaves, 76 ; de 11 Bretons, 76 ; en Amérique, où la forme brachycéphale s’accuse très-marquée, le même savant a trouvé pour des nombres très-petits d’individus des moyennes de 80 à 95 (Mém. de la Soc. d’anth., t. ii).

    Broca, dans ses recherches sur 125 crânes du cimetière de la Cité, antérieur au douzième siècle, a trouvé pour indice céphalique minimum 71, maximum 90, moyenne 79 ; sur 117 crânes du cimetière des Innocents, 79 ; sur 384 crânes parisiens de plusieurs époques et de diverses provenances, 79 ; pour 60 Basques, 77, etc. 36 anciens crânes écossais ont donné à Huxley 76 ; sur 33 anciens Irlandais, Wright a trouvé une moyenne de 75 ; sur 35 Anglo-Saxons, Davis et Thurnam ont eu une moyenne de 75. Un crâne supposé tartare a donné à Huxley 97,7 ; c’est le plus rond des crânes normaux connus (On two widely contrasted forms of human cranium). D’autres diamètres, dont les rapports réciproques ont été formulés par M. Gaussin (Bull. de la Soc. d’anth., 1865, p. 141), notamment le diamètre vertical, ont donné lieu à de nombreuses nomenclatures dont les résultats ne sont point encore très-significatifs. (Trad.)

  21. Tout récemment Liétard a proposé pour la mesure du prognathisme un procédé qui permet de le déterminer d’après la valeur angulaire obtenue en abaissant du point sus-nasal une perpendiculaire sur le plan horizontal ; la ligne faciale, qui va du point sus-nasal au bord antérieur du maxillaire supérieur, détermine un angle aigu qui mesure le prognathisme. Le triangle est rectangle et la valeur de l’angle supérieur est le complément de l’angle antérieur. La base de ce triangle ne mesure pas le prognathisme, puisqu’elle peut varier avec la longueur de la perpendiculaire (Voy. Bull. de la Soc. d’anthr., 1867, p. 127).

    C’est en déterminant des valeurs angulaires, que Welcker a indiqué les nations les plus prognathes dans l’ordre suivant : Cafres, Nègres australiens, Nègres, Hindous, indigènes de la Nouvelle-Hollande, Hollandais, Brésiliens, Cosaques, indigènes de Sumatra, Baschkirs (cité par Vogt, loc. cit., p. 61). (Trad.)

  22. Le traducteur ayant demandé à M. Huxley quelques explications complémentaires au sujet du procédé de mensuration dont la description va suivre, M. Huxley a bien voulu lui donner, sous forme de lettre, les explications suivantes :

    La ligne ab basi-occipitale est supposée tracée du milieu du bord antérieur du trou occipital à l’extrémité antérieure du sphénoïde (suture ethmoïdo-sphénoïdale). Cette ligne traverse donc entièrement les portions de l’occipal et du sphénoïde, qui forment la véritable base du crâne. Quant à la ligne basi-faciale (f e) qui passe entre l’ethmoïde et le vomer, je lui ai substitué, dans un travail ultérieur (On two widely contrased forms of the cranium), une ligne qui dans les crânes humains est plus commode, et qui est tracée de l’extrémité antérieure de la ligne basi-crânienne au bord nasal du maxillaire supérieur. On verra, dans une note de la page 303, les relations que peut avoir la méthode de M. Huxley et celle des savants qui ont des procédés de mensurations angulaires. (Trad.)

  23. Parmi les nombreuses méthodes de mensurations angulaires qui ont été décrites dans ces dernières années, il faut mentionner celle qui est due à l’illustre Virchow, et qui a pris un développement considérable entre les mains de Welcker. Nous voulons parler de l’angle sphénoïdal dont il a déjà été question ; cet angle est formé par l’intersection de la ligne NS, qui part de la racine du nez ou suture fronto-nasale, avec la ligne BS, qui part du bord antérieur B du trou occipital. Le point d’intersection S est situé au bord antérieur de la selle turcique, derrière les deux trous optiques.
    Fig. 53. — Angle sphénoïdal. Procédé de mensuration de Broca. NSB, angle sphénoïdal ; ENB, angle nasal ; BR, base du triangle facial ; ENSB, quadrilatère facial ; E, angle dentaire ; N, angle nasal ; S, angle sphénoïdal ; B, angle occipital. Le crochet est destiné à montrer un procédé de mensuration de cet angle, sans ouvrir le crâne, dû à M. Broca. (Bull. de la Soc. d’anthr., 1865, p. 565.)


    Chacun des autres angles du quadrilatère facial a donné des résultats importants. Mais l’angle spénoïdal est à coup sûr le plus significatif. On comprend, un effet, à la seule inspection de la figure, qu’il sera d’autant plus ouvert, que la grandeur de la face par rapport au crâne sera considérable et inversement, de sorte qu’il doit diminuer à mesure que l’intelligence s’accroît. C’est, en effet, ce qu’a vérifié Welcher, qui a trouvé les séries suivantes : sur 30 crânes allemands normaux, moyenne 134° ; 30 crânes de femmes, moyenne 138° ; six nègres, 144° ; 8 nouveau-nés, moyenne 141° ; 10 enfants de 10 à 15 ans, moyenne 137 ; 3 nègres, 138 ; 1 idiot, 445 ; 1 chimpanzé, 149 ; jeune orang, 155 ; orang adulte, 174 ; orang vieux, 180. Trois crânes de sagous bruns ont fourni la même progression d’accroissement de l’angle, à mesure que l’intelligence diminuait, c’est-à-dire que l’âge augmentait ce qui est de règle chez les singes.

    L’angle nasal E, N, B (fig. 53) mesure, selon Welcker, le prognathisme de la face ; il croit avec l’angle sphénoïdal, c’est-à-dire qu’il diminue à mesure que l’intelligence s’accroît. Nous ne pouvons entrer dans plus de détails sur les triangulations crâniennes ; tout en reconnaissant l’avantage qu’il y a à prendre des mesures sur un crâne ouvert, le procédé de M. Broca, au moins pour ce qui est de l’angle sphénoïdal, évite une section, autrefois indispensable ; ce qui, vu la nécessité de prendre des moyennes stables sur un grand nombre de crânes, rendait l’angle en question peu pratique, ainsi que l’a fait justement remarquer Bertillon dans son excellent article, Angles céphaliques, du Dict. encycl. des sc. médicales. (Trad.)

  24. Depuis cet ouvrage, M. Huxley a publié un mémoire que nous avons déjà eu l’occasion de citer (p. 298), et qui contient implicitement une méthode que nous devons signaler en même temps que des documents crâniologiques trop importants pour que nous laissions passer l’occasion de les faire connaître aux anthropologistes français. Ce mémoire de 16 pages, lu à la réunion de l’Association britannique de Birmingham en 1866, a pour titre : Sur deux formes extrêmement contrastées du crâne humain. La méthode, à nos yeux, et sans que M. Huxley fasse mention de son dessein, consiste à rechercher et à décrire les formes crâniennes extrêmes, afin de déterminer pour des points de repère précis les types intermédiaires, et cela pour chacun des éléments principaux de la structure crânienne. Ces éléments ne sont pas très-nombreux. En première ligne, il faudrait placer les relations angulaires de la face et de la partie du crâne qui loge le cerveau ; en seconde ligne, les proportions relatives de la longueur et de la largeur du crâne ou l’indice céphalique ; cet indice devrait pouvoir être rapporté à la portion du crâne, antérieure ou postérieure, qui l’a déterminé, ainsi que Broca l’a établi pour les crânes des Basques (dolichocéphalie occipitale ou frontale) ; en troisième ligne, le diamètre vertical maximum, ou mieux encore l’indice vertical, c’est-à-dire le rapport du diamètre longitudinal au vertical, rapport qui selon Gaussin augmente ou diminue proportionnellement à l’indice céphalique ; disons en passant, que selon de Khanikof le diamètre vertical est constamment égal au tiers de la somme des deux autres (Bull. de la Soc. d’anthr., 1865, p. 141 et 184) ; en quatrième ligne, la capacité crânienne. Sans contester la valeur des cinquante ou soixante mensurations indiquées par les craniologistes, je crois que, pour arriver à de grands groupes, les quatre éléments que je viens de signaler, rapportés aux formes extrêmes, suffiraient à déterminer des classements mathématiques, et auraient en outre l’avantage de faciliter le travail d’observation ; de la note de M. Huxley, j’extrairai donc les éléments qui peuvent s’y rapporter et ceux qui, d’ailleurs, sont les plus frappants.

    Les deux crânes à formes extrêmes — qui probablement sont les formes normales les plus extrêmes — proviennent, l’un d’un Tartare, et le second est attribué vaguement à un indigène de la Nouvelle-Zélande. Mais M. Huxley croit qu’il y a eu là une erreur et que ce crâne est australien, opinion que dès le premier coup d’œil on est disposé à partager. Le premier appartient au musée des chirurgiens de Londres, le second à M. J.-B. Sedgwick. Mais, comme la provenance des crânes n’a pour ce qui nous occupe en ce moment qu’un intérêt secondaire, acceptons les dénominations de Tartare et d’Australien comme les plus vraisemblables. Cela convenu, disons que les diamètres longitudinaux sont, en millimètres (réduits d’après les mesures données en 1/100 de pouce) : tartare 169,5 ; australien 191 ; diamètre vertical (pris du bord antérieur du trou occipital au point de jonction des sutures coronales et sagittales) : tartare 134 ; australien 145,4 ; transverse : tartare 165,7 ; australien 120 ; d’où l’on déduit les indices céphaliques suivants : tartare 97,7 ; australien 62,9. Ainsi, le crâne australien est plus long que le tartare de 215 millimètres, et le crâne tartare est plus large que l’australien de 546 millimètres. Le contenu cubique du crâne de tartare, d’après le moule de l’intérieur du crâne est évalué à 95 pouces cubes, soit 1566 cent. cubes, celui de l’australien à 80 pouces cubes, soit 1310 ; largeur extrême du frontal : tartare 130 millimètres ; australien 99 ; somme toute, les contrastes extrêmes semblent se rapporter par-dessus tout aux indices céphaliques. Il est à désirer que l’on recherche les formes extrêmes pour tous les éléments craniomorphiques. (Trad.)

  25. D’après les recherches de Welcker, rapportées par Vogt (Lec. sur l’homme p. 64), on peut classer comme il suit les têtes courtes, rondes, brachycéphaliques : Lapons, Malgaches, Madurais, Baschkirs, Turcs et Italiens modernes ; parmi les têtes longues les plus caractérisées : Noukahiviens, Hindous, Esquimaux, Nègres, Nègres australiens, Kaffres, Boschimen et Hottentots. Le groupe des têtes moyennes, des moins longues aux plus longues est gradué de la façon suivante : Allemands, Russes, Sumatra, Kalmoucks, Javanais, Français, Cosaques, Juifs, Bohémiens, Mollucais, Indiens, Chinois, Finnois, anciens Grecs, anciens Romains, Brésiliens, Hollandais. On voit combien les classements sont désordonnés, par rapport aux idées courantes sur les valeurs supposées des races. Il y a à cela deux motifs au moins : le premier est que nous manquons de criterium philosophique pour la valeur des races ; le second, que toute appréciation craniologique faite à un seul point de vue est nécessairement défectueuse. (Trad.)
  26. Voyez le précieux écrit du docteur D. Wilson, intitulé : Sur la prééminence supposée d’un type crânien parmi les indigènes Américains (Canadian Journal, 1857, vol. II).
  27. M. Faudel a récemment décrit des ossements humains trouvés dans le lehm de la vallée du Rhin à Eguisheim, près de Colmar (Bull. de la soc. géol. Janvier 1867), associés à une molaire de Mammouth (E. primigenius) et à d’autres ossements de mammifères fossiles. Les os humains et ceux des mammifères offraient les mêmes caractères physico-chimiques. Nous donnons ici (d’après les Bulletins de la soc. d’anthrop., 1867, p. 150) le tracé en profil du crâne de Neanderthal et de celui d’Eguisheim, on verra que le tracé du second est encore plus déprimé que celui du premier.
    Fig. 55. — Comparaison du crâne de Neanderthal et de celui d’Eguishemm.

    Les crânes qui offrent un caractère analogue et qui sont d’une authenticité paléontologique incontestable sont maintenant assez nombreux. (Trad.)

  28. Vogt et Spring ont contesté cette conclusion : le premier après avoir cité cette dernière phrase d’Huxley, ajoute qu’il ne peut adopter sans réserves l’opinion qu’elle exprime. « La longueur excessive, l’étroitesse de ce crâne et sa faible hauteur impliquent une capacité cérébrale relativement faible. Ce n’est que le rapprochement des protubérances frontales qui font paraître le front bombé. Depuis les protubérances frontales jusqu’au point le plus élevé et très-reculé du vertex, la courbure est assez aplatie et les lobes antérieurs du cerveau devaient nécessairement n’être que peu développés. Ces détails se rattachent du reste en grande partie au développement individuel de la masse cérébrale. Les caractères les plus importants pour l’appréciation de la race résident dans les rapports de la longueur à la largeur et sous ce point de vue le crâne d’Engis est un des plus défavorablement, des plus animalement conformés, un des crânes les plus simiens… S’il faut émettre une opinion qui ne peut, à la vérité, reposer sur de nombreuses observations, le crâne d’Engis paraît occuper le milieu entre l’australien et l’esquimau. » (Lec. sur l’homme, p. 389). Spring dit : « Nous considérons comme stériles tous les efforts qu’on tenterait afin d’appliquer à ces très-anciens restes une étiquette moderne. L’homme d’Engis doit être considéré comme une race à part, race troglodyte, ayant pour caractère distinctif, outre le gisement géologique d’être dolichocéphale et orthognathe, etc., pour répéter des indications déjà données, de présenter une faible capacité frontale, des orbites larges, des arcades sourcilières séparées peu proéminentes et peu concaves, des dents incisives très-grandes et une stature moyenne ; race contemporaine des grands mammifères éteints et ne disposant pour armes et ustensiles que d’instruments de pierre aiguisés par simple cassure, sans avoir connu l’art de les polir. » Loc. cit., p.14.) (Trad.)
  29. Le crâne de Neanderthal a fourni le sujet de nombreux travaux et de discussions très-vivement soutenues de part et d’autre sur la valeur de ses caractères qui sont de moins en moins exceptionnels. On connaît maintenant les remarques de Shaafhausen et de Huxley ; mentionnons les opinions émises depuis par quelques anthropologistes : Vogt est loin de repousser toute analogie entre le crâne d’Engis et celui de Neander ; il est disposé à croire, tout au contraire, qu’ils pourraient provenir de la même souche et avoir appartenu, le premier à un homme, le second à une femme. Rodolphe Wagner dans un de ses derniers écrits a émis l’opinion que le crâne de Neander pourrait très-bien être considéré comme celui d’un Hollandais moderne ; Pruner-bey a pensé qu’il s’agissait ici d’un crâne d’idiot ; mais ni l’une ni l’autre de ces opinions ne supporte l’examen. Le Dr. Bernard Davis a publié dans les Mémoires de la société d’Anthropologie de Londres (1863-4) un important travail, dans lequel s’appuyant sur les travaux de Virchow, de Lucæ et de Welcker sur l’ossification des sutures, il a cherché à prouver que la première conclusion de Shaafhausen (citée p. 271) était indirectement inexacte et que « la forme de la calotte de Neander est due à un développement anormal qui ne peut être considéré comme un caractère de race ancien qui se rencontre assez souvent dans toutes les races, à différents degrés, selon les combinaisons des sutures ossifiées, » Dans l’espèce « l’ossification prématurée des sutures de la région temporale, de quelques portions de la suture fronto-pariétale et des grandes ailes du sphénoïde a empêché le développement normal des lobes antérieurs du cerveau et a repoussé en arrière la substance cérébrale ». Thurnam dans son mémoire sur la synostose du crâne (Nat. hist. Review, avril 1865) et Huxley lui-même (Prehistoric Remains of Caithness, p. 151) ont réfuté les explications synostosiques de Davis. D’un autre côté Shaafhausen dans une note adressée à la société d’Anthropologie de Paris (juin 1863), a ajouté à sa première description quelques indications utiles qui, malgré une apparence de contradiction, confirment sensiblement toutes les vues de M. Huxley, sauf en ce qui touche les sinus latéraux, lesquels ne sont point parfaitement visibles, ainsi que l’a dit Huxley d’après une photographie (fig. 48, p. 285) ; en réalité on n’apercevrait que le commencement du sinus latéral droit. Nous regrettons de ne pouvoir entrer dans de plus longs détails sur les mémoires Busk, de W. King, de Turner et de C. Black relatifs à ce crâne célèbre. (Trad.)
  30. Les kjokkenmöddings ou restes de cuisine danois donnent leurs noms à une période trop bien définie de l’histoire de l’homme, pour que nous ne profitions pas de cette occasion pour en rappeler ici les traits principaux. Sur plusieurs points de la côte danoise et tout près de la mer, on rencontre des accumulations de coquilles de mollusques et de crustacés, qui ont été longtemps considérées comme de simples amas naturels tels que l’on en trouve sur tous les rivages. L’illustre Steenstrup, le premier à ce que nous pensons, remarqua que ces coquilles appartenaient toutes à des individus adultes et à des espèces qui ne vivent point en commun, ni dans les mêmes eaux. En outre, il découvrit bientôt des ossements de vertébrés, des instruments grossiers en silex taillé, des poteries, des foyers, du charbon, etc. Un comité fut nommé, composé de trois célèbres professeurs, Steenstrup le naturaliste, Forchhammer le géologue, et Worsæ, archéologue ; il présenta une série de rapports très-complets à l’Académie des sciences de Copenhague ; Lyell, Morlot, Lubbock et Vogt ont, dans différents ouvrages déjà cités, très-bien résumé ces rapports. La hauteur de ces amas de coquilles varie de 1 à 3 mètres ; leur largeur de 30 à 60 mètres et leur longueur va quelquefois jusqu’à 300 mètres. Souvent, ces amas de débris sont disposés circulairement autour d’un point qui peut avoir été une tente ou une hutte. Rarement la masse des débris est mêlée de sable et de gravier ; les espèces les plus abondantes sont l’huître (ostrea edulis), la bucarde (cardium edule), la moule (mysilus edulis) et la littorine (Littorina littorea), qui sont toutes actuelles mais beaucoup plus grosses que celles qui vivent actuellement dans le voisinage. En outre des crabes, des poissons, des oiseaux, des cerfs, des sangliers, castors, phoques, bœufs primitifs, aurochs, etc. Aucun animal domestique ne s’y trouve, sauf le chien qui, ainsi que le remarque Lubbock peut fort bien avoir été sauvage. Les instruments de pierre sont d’un type particulier, très-grossier ; mais Vogt pense que leurs auteurs en possédaient de plus fins pour d’autres usages que pour la cuisine ; toutefois, selon Lubbock, on n’a trouvé qu’un seul fragment de hache polie. On n’y rencontre aucune trace de céréales, aucun débris d’os humain, ni aucune trace de métal. Les crânes trouvés dans les tumuli de Moen et de Borreby (fig. 56) étaient associés à des instruments de pierre du même type que ceux des kjokkenmöddings. Steenstrup pense donc que ces documents sont contemporains et que les tumuli étaient les sépultures des chefs. Worsæ est d’avis que les amas de coquilles sont d’une date antérieure aux tumuli ; l’indice céphalique de ces crânes, d’après une moyenne prise sur 20 d’entre eux par M. Busk, est de 78. Vogt en dit : « Ils sont remarquablement petits, très-ronds, à occiput très-court, à orbites extraordinairement petites, les arcades sus-orbitaires, par contre, très-saillantes, les os du nez proéminents ; entre ceux-ci et les arcades sus-orbitaires, il y a une dépression si profonde, qu’on peut y loger le doigt. Le front est ordinairement aplati, quelque peu fuyant quoique à un moindre degré que celui du Neander » (loc. cit. p. 441). Sur l’âge des amas de coquilles, nous n’avons que des données relatives : parmi les débris qu’ils contiennent, on a trouvé le coq de bruyère dont la présence établit, ainsi que la rencontre de troncs travaillés par des silex et associés à ces instruments, que l’homme des kjokkenmöddings était contemporain de l’époque où les forêts de pins couvraient le Danemark. Le pin a disparu ; le chêne l’a remplacé et a, pendant une longue période, couvert la contrée d’épaisses forêts ; à son tour le chêne a cédé la place au hêtre qui n’existait pas encore à l’époque du bronze et qui aujourd’hui abonde dans les forêts du Danemark. Ces changements exigent un laps énorme de temps. Par l’ensemble de leurs caractères les kjokkenmöddings doivent se placer chronologiquement entre l’âge du renne et celui des habitations lacustres. Ajoutons ici que des amas de coquillages analogues ont été trouvés à la Terre-de-Feu par Darwin, dans les comtés de Cornouaille et de Devonshire par Pengelly et Bater, sur les côtes d’Écosse par Gordon, à Saint-Valery-sur-Somme, par Lubbock, en Australie par Dampier, dans la péninsule Malaise par Earle, dans le Massachusetts et la Géorgie par Lyell.(Trad).
  31. Il a souvent été question dans ce volume des analogies qu’offraient les races sauvages modernes avec les habitants des cavernes et des terrains quaternaires, nous profitons donc de l’autorisation que nous donne M. Lartet pour reproduire ici quelques types des instruments de l’âge de la pierre, comparés à ceux des Esquimaux, des Néo-Calédoniens, etc. (Voir fig. 57 à 67.) Ces figures sont empruntées au magnifique ouvrage de Lartet et Christy : Reliquiæ Aquitanicæ. Paris, 1866, livraison 2.
  32. Les découvertes de M. l’abbé Bourgeois, dont nous parlerons dans l’appendice, rendent éminemment probable la démonstration de l’existence de l’homme à l’époque miocène. Mais, puisque cette expression se rencontre, faisons remarquer qu’en définitive, les termes éocène, miocène et pliocène ne désignent en aucune façon des périodes tranchées dans l’histoire de la terre ; on se rappelle que ces termes ont été appliqués par Lyell aux formations tertiaires, au point de vue exclusif de la palé-conchyliologie. Les couches sont dites éocènes quand elles renferment une petite proportion de mollusques dont les espèces sont encore vivantes ; miocènes, quand la proportion atteint 17 pour 100 ; et pliocènes, quand elle monte de 35 à 95 pour 100. Jamais les vices d’une nomenclature tout arbitraire, ne se montrèrent plus fâcheusement ; à cette heure, elle n’offre plus aucun rapport étymologique exact, non plus que les termes post-pliocène, pleiostène, etc. Il serait grand temps de renoncer à ces dénominations toutes fictives. La période tertiaire offre plus qu’aucune autre peut-être, une assez grande uniformité ; ni la faune ni la flore tertiaires ne contredisent la possibilité de l’existence de l’homme à ses dates les plus anciennes et jusqu’au moment où une grande partie de notre hémisphère s’est recouverte de glaces ; les documents exhumés par M. Bourgeois et les remarques de M. Martins, sur les traces préglaciaires de l’homme n’ont donc fait que confirmer une notion vraisemblable. Quant à la période glaciaire, son influence destructive n’a pas été absolue ; la vie n’a point été anéantie sur notre hémisphère ; bien des espèces ont survécu dans tous les genres qui ont de nouveau peuplé le sol après la retraite des glaciers, dont la fusion a été l’un des principaux agents de la configuration actuelle du sol. Toutes ces périodes ont été excessivement longues, tellement qu’il est impossible de les évaluer par les mesures ordinaires de temps. Quant à la période quaternaire, on a tenté diverses applications approximatives. Le Dr Dowler a évalué l’âge des ossements humains découverts dans les tourbières de la Louisiane, où l’on a pu constater onze couches successives de forêts de cyprès et de chênes dont la durée totale, calculée d’après l’âge des troncs les plus vieux, doit être, au minimum, de cent cinquante-huit mille ans. À cinq mètres de profondeur, sous les racines d’un cyprès appartenant à la quatrième couche inférieure, on a trouvé du charbon de bois, un squelette humain dont la date établie d’après le calcul indiqué plus haut est au minimum de cinquante-sept mille six cents ans ; Lyell a déterminé par le calcul du temps nécessaire au dépôt des alluvions, que d’après les plus basses estimations la formation du delta du Mississipi a demandé cent mille ans ; or, à Natchez, Dickeson a trouvé un os pelvien humain associé au mastodonte, et au megalonyx, dans un lœss ancien que Lyell a démontré être de formation antérieure au delta du Mississipi, et postérieure aux alluvions de la vallée de la Somme (L’ancienneté de l’homme, etc. p. 210). Les calculs de M. Morlot, fondés sur l’accroissement du cône formé par les matériaux transportés par le torrent de la Tinière, donnent, pour la formation de cette éminence environ cent siècles ; or, les débris humains les plus anciens que nous offre le cône de la Tinière, paraissent appartenir à l’âge de pierre le plus récent et remonter à une antiquité de cinq à sept mille ans.

    Mais un autre cône au-dessus de celui de la Tinière, et qui appartient aux alluvions quaternaires, a, par les mêmes calculs, au moins mille siècles. Par des calculs analogues, M. Gillieron attribue une antiquité de six à sept mille ans à l’époque des habitations lacustres de l’âge de la pierre polie. Mais, dans la vallée du Nil, Horner a trouvé à la profondeur de 13 mètres un vase en poterie de terre ; ce qui, d’après des évaluations discutables sur l’épaisseur annuelle des sédiments, donnerait une antiquité de près de douze mille ans. Linant-bey a trouvé un fragment de brique rouge qui avait été enfoui à une époque fixée par des calculs semblables, à trente mille ans. On voit, par cette liste de tentatives que nous pourrions de beaucoup allonger, que la chronologie paléontologique est loin d’être uniforme. Si l’on passe aux formations tertiaires, les évaluations deviennent énormes. En sorte que les partisans de la transformation des espèces ne peuvent être gênés d’aucun côté par le temps, qui, dans cette question, « fait tout à l’affaire. » Quoi qu’il en soit, la chronologie préhistorique est un problème qui se présente avec tous les caractères que réclame la méthode positive. On peut donc en espérer la solution. (Trad.)