De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-38

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 232-233).

CHAPITRE XXXVIII.
LA CONSPIRATION SE SERT DES INTÉRÊTS RÉVOLUTIONNAIRES POUR METTRE SES AGENTS DANS TOUTES LES PLACES.

Attaquer par toutes sortes de moyens la famille royale ; avoir toujours en perspective un malheur que tout bon François voudroit racheter de sa vie, et qu’il se flatte de ne jamais voir ; espérer, comme suite de ce malheur, l’exil éternel des princes, s’endormir et se réveiller sur ces effroyables espérances, voilà ce que la secte ennemie recommande d’abord à ses initiés.

Ensuite elle fait les derniers efforts pour soutenir, étendre et propager le système des intérêts révolutionnaires : elle le présente aux timides comme un port de salut, aux sots comme une idée de génie, aux dupes comme un moyen d’affermir la royauté.

Par l’établissement complet de ce système, les révolutionnaires espèrent que toutes les places se trouveront dans leurs mains au moment de la catastrophe. Les autorités diverses étant alors dans le même intérêt, le changement s’opérera, comme au 20 mars, d’un commun accord, sans résistance, sans coup férir. Qu’en coûte-t-il à ces hommes pour tourner le dos à leurs maîtres ? N’ont-ils pas abandonné Buonaparte lui-même ? Dans l’espace de quelques mois, n’ont-ils pas pris, quitté et repris tour à tour la cocarde blanche et la cocarde tricolore ? Le passage d’un courrier à travers la France faisoit changer les cœurs et la couleur du ruban. Voyez avec quelle simplicité admirable ils vous parlent de leur signature au bas de l’Acte additionnel ! ils n’ont rien fait de mal ; ils sont innocents comme Abel. Ils ont écrit contre les Bourbons des calomnies abominables ; ils les ont insultés par des proclamations trop connues : eh bien, ils vont faire aujourd’hui la cour à nos princes avec ces proclamations dans la poche. Ils parlent monarchie légitime, loyauté, dévouement, sans grimacer ; on diroit qu’ils sortent des forêts vendéennes, et ils arrivent du champ de mai. Ils ont raison, puisque toutes les fois qu’ils violent la foi jurée ils obtiennent un emploi de plus. Comme on compte l’âge des vieux cerfs aux branches de leur ramure, on peut aujourd’hui compter les places d’un homme par le nombre de ses serments.

C’est donc bien vainement que vous espérez qu’ils vous demeureront attachés, quand vous leur aurez confié les autorités de la France. Comme avant le 20 mars, ils ne recherchent les places que pour mieux vous perdre. Déjà ils se vantent de leurs succès ; ils deviennent insolents ; ils ne peuvent contenir leur joie en voyant prospérer le système des intérêts révolutionnaires.

« Si nous vous avons trahis, disent-ils, c’est que vous ne nous aviez donné que les trois quarts des places. Donnez-nous-les toutes, et vous verrez comme nous serons fidèles. » Augmentez la dose du poison, et vous verrez qu’au lieu de vous tuer, il vous guérira ! Et il y a de prétendus royalistes qui soutiennent eux-mêmes cette monstrueuse absurdité ! Tout ce qu’on peut dire, c’est que s’ils ont été royalistes, ils ne le sont plus.