De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-21

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 178-179).

CHAPITRE XXI.
LIBERTÉ DE LA PRESSE PAR RAPPORT AUX MINISTRES.

Les ministres seront harcelés, vexés, inquiétés par la liberté de la presse ; chacun leur donnera son avis. Entre les louanges, les conseils et les outrages, il n’y aura pas moyen de gouverner.

Des ministres véritablement constitutionnels ne demanderont jamais que pour leur épargner quelques désagréments on expose la constitution. Ils ne sacrifieront pas aux misérables intérêts de leur amour-propre la dignité de la nature humaine ; ils ne transporteront point sous la monarchie les irascibilités de l’aristocratie. « Dans l’aristocratie, dit Montesquieu, les magistrats sont de petits souverains, qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si dans la monarchie quelque trait va contre le monarque, il est si haut que le trait n’arrive point jusqu’à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. »

Que les ministres se persuadent bien qu’ils ne sont point des seigneurs aristocratiques. Ils sont les agents d’un roi constitutionnel dans une monarchie représentative. Les ministres habiles ne craignent point la liberté de la presse ; on les attaque, et ils survivent.

Sans doute les ministres auront contre eux des journaux, mais ils auront aussi des journaux pour eux : ils seront attaqués et défendus, comme cela arrive à Londres. Le ministère anglois se met-il en peine des plaisanteries de l’opposition et des injures du Morning Chronîcle ? Que n’a-t-on point dit, que n’a-t-on point écrit contre M. Pitt ? Sa puissance en souffrit-elle ? Sa gloire en fut-elle éclipsée ?

Que les ministres soient des hommes de talent ; qu’ils sachent mettre de leur parti le public et la majorité des chambres, et les bons écrivains entreront dans leurs rangs, et les journaux les mieux faits et les plus répandus les soutiendront. Ils seront cent fois plus forts, car ils marcheront alors avec l’opinion générale. Quand ils ne voudront plus se tenir dans l’exception et contrarier l’esprit des choses, ils n’auront rien à craindre de ce que l’humeur pourra leur dire. Enfin tout n’est pas fait dans un gouvernement pour des ministres : il faut vouloir ce qui est de la nature des institutions sous lesquelles on vit, et, encore une fois, il n’y a pas de liberté constitutionnelle sans liberté de la presse.

Une dernière considération importante pour les ministres, c’est que la liberté de la presse les dégagera d’une responsabilité fâcheuse envers les gouvernements étrangers. Ils ne seront plus importunés de toutes ces notes diplomatiques que leur attirent l’ignorance des censeurs et la légèreté des journaux, et, n’étant plus forcés d’y céder, ils ne compromettront plus la dignité de la France.