De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-19

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 176-177).

CHAPITRE XIX.
CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Qu’arrive-t-il lorsque les journaux sont, par le moyen de la censure, entre les mains du ministère ? Les ministres font admirer dans les gazettes qui leur appartiennent tout ce qu’ils ont dit, tout ce qu’a fait, tout ce qu’a dit leur parti intra muros et extra. Si dans les journaux dont ils ne disposent pas entièrement ils ne peuvent obtenir les mêmes résultats, du moins ils peuvent forcer les rédacteurs à se taire.

J’ai vu des journaux non ministériels suspendus pour avoir loué telle ou telle opinion.

J’ai vu des discours de la chambre des députés mutilés par la censure sur l’épreuve de ces journaux.

J’ai vu apporter les défenses spéciales de parler de tel événement, de tel écrit qui pouvoit influer sur l’opinion publique d’une manière désagréable aux ministres[1].

J’ai vu destituer un censeur qui avoit souffert onze années de détention comme royaliste, pour avoir laissé passer un article en faveur des royalistes.

Enfin, comme on a senti que des ordres de la police envoyés par écrit aux bureaux des feuilles publiques pouvoient avoir des inconvénients, on a tout dernièrement supprimé cet ordre, en déclarant aux journalistes qu’ils ne recevroient plus que des injonctions verbales. Par ce moyen les preuves disparoîtront, et l’on pourra mettre sur le compte des rédacteurs des gazettes tout ce qui sera l’ouvrage des injonctions ministérielles.

C’est ainsi que l’on fait naître une fausse opinion en France, qu’on abuse celle de l’Europe ; c’est ainsi qu’il n’y a point de calomnies dont on n’ait essayé de flétrir la chambre des députés. Si l’on n’eût pas été si contradictoire et si absurde dans ces calomnies ; si, après avoir appelé les députés des aristocrates, des ultra-royalistes, des ennemis de la Charte, des jacobins blancs, on ne les avoit pas ensuite traités de démocrates, d’ennemis de la prérogative royale, de factieux, de jacobins noirs, que ne seroit-on pas parvenu à faire croire ?

Il est de toute impossibilité, il est contre tous les principes d’une monarchie représentative de livrer exclusivement la presse au ministère, de lui laisser le droit d’en disposer selon ses intérêts, ses caprices et ses passions, de lui donner moyen de couvrir ses fautes et de corrompre la vérité. Si la presse eût été libre, ceux qui ont tant attaqué les chambres auroient été traduits à leur tour au tribunal, et l’on auroit vu de quel côté se trouvoient l’habileté, la raison et la justice.

Soyons conséquents : ou renonçons au gouvernement représentatif, ou ayons la liberté de la presse : il n’y a point de constitution libre qui puisse exister avec les abus que je viens de signaler.

  1. Cet ouvrage offrira sans doute un nouvel exemple de ces sortes d’abus. On défendra aux journaux de l’annoncer, ou on le fera déchirer par les journaux. Si quelques-uns d’entre eux osoient en parler avec indépendance, ils seroient arrêtés à la poste, selon l'usage. Je vais voir revenir pour moi le bon temps des Fouché : n’a-t-on pas publié contre moi, sous la police royale, des libelles que le duc de Rovigo avoit supprimés comme trop infâmes ? Je n’ai point réclamé, parce que je suis partisan sincère de la liberté de la presse, et que dans mes principes je ne puis le faire tant qu’il n’y a pas de loi. Au reste, je suis accoutumé aux injures, et fort au-dessus de toutes celles qu’on pourra m’adresser. Il ne s’agit pas de moi ici, mais du fond de mon ouvrage ; et c’est par cette raison que je préviens les provinces, afin qu’elles ne se laissent pas abuser. J’attaque un parti puissant, et les journaux sont exclusivement entre les mains de ce parti : la politique et la littérature continuent de se faire à la police. Je puis donc m’attendre à tout ; mais je puis donc demander aussi qu’on me lise, et qu’on ne me juge pas en dernier ressort sur le rapport de journaux qui ne sont pas libres.