De la manière de négocier avec les souverains/XXIII

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Chapitre XXIII
S’IL EST UTILE
D’ENVOYER PLUSIEURS
NEGOCIATEURS
EN UN MEME PAYS.



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LOrsqu’il ne s’agit que d’entretenir une bonne correſpondance avec un Prince ou un État durant la paix, & de rendre compte de ce qui ſe paſſe au Pays, où on ſe trouve ſans qu’il y ait d’interêts importans à y menager, il ſuffit d’un ſeul Miniſtre ſoit en qualité d’Ambaſſadeur ou d’Envoyé, & il eſt même plus avantageux de n’en avoir qu’un dans chaque pays, parce que les jalouſies qui naiſſent ſouvent entre pluſieurs Miniſtres d’un même Prince, le fatiguent d’ordinaire par leurs accuſations & leurs plaintes reciproques, & peuvent cauſer de l’embarras dans l’execution de ſes ordres ; mais il y a des occaſions où il eſt avantageux & même neceſſaire d’envoyer dans un même lieu ou dans un même pays pluſieurs Miniſtres habiles, appliquez & laborieux.

Ces occaſions ſont les conferences pour la paix, ſoit que les Princes y envoyent en qualité de partie intereſſée, ou de mediateurs pour procurer le repos à des Puiſſances qui ſont en guerre.

Il ſeroit difficile à un ſeul Miniſtre de pouvoir ſuffire à toutes les conferences, à tous le Memoires, à toutes les réponſes, tant de vive voix que par écrit, & à toutes les démarches qu’il fait faire en de pareilles occaſions pour travailler à y ajuſter tant d’interêts differens & de paſſions qui diviſent les Princes & leurs Miniſtres, & c’eſt avec beaucoup de raiſon que chaque Prince & chaque État y envoyent d’ordinaire pluſieurs Miniſtres pour partager entre eux ce travail, & convenir enſemble des meſures qu’ils doivent prendre afin de conduire les affaires dont il ſont chargez, au but qu’ils ſe ſont propoſé.

Il eſt bon en ces occaſions de pratiquer ce qui fut établi durant la negociation de Munſter, entre le Duc de Longueville qui étoit le chef de l’Ambaſſade & Meſſieurs d’Avaux & Servien ſes Collegues, qui fut de ne faire qu’une ſeule dépêche pour les trois afin de conſerver de l’uniformite dans le recit des faits qui auroient pû être mandez differemment, ſi chacun d’eux avoit écrit à part à la Cour ; & à l’égard de leurs ſentimens ſur chaque affaire dont ils rendoient compte, lorſqu’ils étoient differens, ils le marquoient dans leur dépêches commune, en diſant : Moi Duc de Longueville ſuis d’un tel avis, & le ſentiment de moi d’Avaux, ou de moi Servien eſt tel ; ce que chacun appuyoit de ſes raiſons, ſurquoi la Cour décidoit par ſa réponſe, qui étoit auſſi commune à tous les trois.

Ils avoient encore pluſieurs bons ſujets, qu’ils deputoient à Oſbabruck où ſe tenoient les conferences des Miniſtres Proteſtans d’Allemagne & des Couronnes du Nord & où ils aſſiſtoient avec la qualité d’Envoyé ou de Reſident du Roi : ce Miniſtres du ſecond ordre leur étoient d’un grand ſecours & quelques uns d’entr’eux ſont devenus depuis d’excellens Ambaſſadeurs, qui ont rendu de grands ſervices à l’État.

Il eſt auſſi fort utile & ſouvent neceſſaire d’employer plus d’un Miniſtre dans les pays libres où le gouvernement eſt partagé entre pluſieurs, & dans ceux où il y a guerre civile, lorſqu’on a quelques interêts à y menager avec les partis oppoſez, il faut encore plus d’un Negociateur dans un État électif quand il s’agit d’y gagner des ſuffrages pour l’élection d’un nouveau Prince.

Lorſqu’il n’y a qu’un ſeul Negociateur dans un pays où l’autorité eſt diviſée, il ne lui eſt pas poſſible de ſe tranſporter en tous les lieux où ſa preſence eſt ſouvent neceſſaire dans le même tems, & de traiter avec tous ceux qui y ſont en credit. Il arrive encore ſouvent qu’un même Miniſtre ne réïſſit pas à plaire à tous ceux qui ſont dan des interêts oppoſez, & qu’il ſuffit qu’il ſoit ami du Chef d’un des partis pour ſe rendre ſuſpect aux autres, ce qui ſe repare par un autre Miniſtre qui n’a pas le même liaiſons.

Il eſt bon en ce cas d’en choiſir pour le même pays qui ſoient amis entre eux & d’une humeur compatible afin d’éviter les jalouſies & les diviſions capables de préjudicier aux interêts de leur Maître, ce qui n’arrive que trop ſouvent. L’on a vû durant la negociation de la paix de Munſter, un exemple de cette diviſion entre les deux derniers Plenipotentiaires de France, qui alla juſqu’à publier des manifeſtes l’un contre l’autre. Le Cardinal de Richelieu ne ſe contentoit pas d’employer pluſieurs Negociateurs pour une même affaire, il partageoit ſouvent entr’eux le ſecret de ſes deſſeins & il faiſoit mouvoir divers reſſorts pour les faire réüſſir.

Outre les Miniſtres publics qu’il envoyoit dans chaque pays, il y entretenoit encore ſouvent des Agens ſecrets & des Penſionnaires du pays même qui l’avertiſſoient de tout ce qui s’y paſſoit independamment & ſans la participation des Ambaſſadeurs du Roi, qui ignoroient ſouvent les Commiſſions de ces Emiſſaires, & ils lui rendoient compte de la conduite de ces Ambaſſadeurs, auſſi-bien que de ce qui ſe paſſoit dans la Cour où ils étoient ; ce qui faiſoit que rien n’échappoit à ſes lumieres, & qu’il étoit en état de redreſſer les Ambaſſadeurs qui manquoient en quelque choſe par leur mauvaise conduite ou par défaut de penetration.