De la manière de négocier avec les souverains/Épître

Épître
A S.A.R
MONSEIGNEUR
LE DUC D’ORLEANS
RÉGENT DU ROYAUME

MONSEIGNEUR.

L’OUVRAGE que j’ai l’honneur de presenter à V. A.R. a pour but de donner une idée des qualitez & des connoiſſances neceſſaires pour former de bon Negociateurs, de leur marquer les routes qu’ils doivent ſuivre & les écueils qu’ils doivent éviter, & d’exhorter ceux qui ſe destinent aux Ambaſſades à ſe rendre capables de remplir dignement des emplois auſſi importans & auſſi difficiles avant que de s’y engager.

L’honneur que le feu Roi m’a fait de me charger de ſes ordres & de ſes pleins pouvoir pour diverses négociations & particulierement pour celles des Traitez de paix conclus à Ryſwyck, a redoublé l’attention que j’ai eûë dès mes jeunes ans à m’inſtruire des forces, des droits, & des prétentions de chacun des principaux Princes & États de l’Europe, de leurs differens interêts, des formes de leur gouvernemens, des cauſes de leurs liaisons, & de leurs démélez ; & des Traitez qu’ils ont faits entr’eux, afin de mettre en œuvre ces connoiſſances dans les occaſions du ſervice du Roi & de l’Etat.

Après la perte que la France vient de faire de ce Grand Roi, dont le regne a été ſi glorieux & ſi triomphant, elle avoit besoin de la main de Dieu, qui l’a toûjours ſoûtenuë dans ſes neceſſitez les plus preſſante. Il falloit pour appuyer la minorité du Roi, qui est monté sur le Trône par droit de ſuceſſion, que cette main toute-puiſſante eût formé un Prince du même Sang, d’un courage & auſſi grand que ſa naiſſance, plein d’un parfait amour pour les Peuples de ce grand Royaume, d’un génie aſſez vaſte & aſſez étendu pour fournir à tous leurs beſoins, & pour redreſſer quantité de déſordres que les malheurs d’une longue & pénible guerre avoient introduits ſur la fin du dernier Regne. Enfin il falloit une intelligence ſurperieure à tous les emplois, une capacité ſans bornes, des lumières vives, claires & diſtinctes, & une activité infatiguable qui ſe multiplie à proportion des néceſſitez de l’État, & tout cela réüni dans la perſonne d’un Prince toûjours juſte, toûjours aimable, toûjours bienfaiſant, & qui a formé en lui le caractere d’un veritable Pere de la Patrie. Ce ſont ces traits si vivement & ſi profondement marquez en Vous, Monseigneur, qui font que toute la France eſt venuë en foule ſe ſoumettre avec une entière confiance & une pleine securité à tous vos Ordres, qu’elle en attend tout ſon repos, & tout ſon bonheur, & qu’elle vous prédit & vous annonce par avance, pour digne prix de vos bienfaits, une gloire qui paſſera jusqu’à la poſtérité la plus reculée. Je ſuis avec un profond reſpect, & un zèle & un attachement singulier,


MONSEIGNEUR,

De V. A.R.

Le très-humble, très-obéiſſant &
très-fidele ſerviteur.
De Callières