De la métamorphose des fontaines (recueil)/Hymne pour la Victoire

De la métamorphose des fontainesBibliothèque artistique et littéraire (p. 59-64).

HYMNE
POUR LA VICTOIRE

Muses, favorisez au chant nouveau que j’orne,
Et pour qu’il soit de vous l’honneur que je vous rends.
De vos dons embaumez ma lèvre à pleine corne,
Vierges sourdes aux cris des honteux ignorants.



Celui qui ne sait point par la vertu du Nombre
En accordant la lyre élever des cités,
Comme Amphion et comme Orphée étendre l’ombre
Mouvante des forêts, et des fauves domptés
Écarter la fureur qui gronde en leurs repaires,
Les dieux ne furent pas bienveillants à ses pères.


Muses, ne craignez point d’accompagner mes pas.
Si j’ai du Pythien bien suivi les combats,
Laquelle parmi vous n’a ma course guidée,
Ô neuf sœurs, redressant en ma droite irritée
Une flèche du sang de Nessus empestée,
Et ces cordes au fût qui ne se rompent pas ?



Désarmez notre bras, car la victoire est sûre,
Et sur la lyre seule affermissez nos doigts.
Je pourrai maintenant de la plus haute voix
Suivre de l’harmonie une égale mesure.


Toi qui, mettant le char dans le cercle des signes
Et de la même ardeur que faisait Apollon,
N’as laissé ses chevaux battre aux traces indignes
D’un autre Phaéthon ;


Qui mené par l’Aurore et les Heures compagnes
Des barrières du jour aux portes de la nuit,
As tout l’éclat du ciel versé sur nos campagnes
En toi-même produit ;



La mer qui te reçoit après t’avoir vu naître,
De ce nouveau soleil a les feux retenus,
Certaine que par toi doive encore apparaitre
Et par elle Vénus.


Trois fois, Moréas, heureux, vois, la Victoire
A repris son honneur aux lauriers attaché ;
Si ce n’est point de toi, qui donc a cette gloire
De l’avoir recherché ?


Ce n’est pas pour léguer aux ondes Égéennes
Son nom, ni pour l’éclat d’un sort injurieux,
Que Du Plessys unit l’aile d’Icare aux siennes,
Porté jusques aux cieux ;



Mais plus près de Phébus que le fils de Dédale,
Il n’appréhende point de sa témérité,
Car il passe Neptune et la chance inégale
Du vol qu’il a tenté.


Ai-je avec cent héros au bord doré du Phase
D’un monstre dépouillé la pourpre du bélier,
Et les taureaux d’airain dont le naseau s’embrase,
Les pouvais-je lier ?


Pour satisfaire au vœu des prochaines années,
Si de l’Aulide encor je détourne mes pas,
La fausse fermeté des roches Cyanées
Ne les bornera pas.



J’aime la Vérité, c’est pourquoi je vous loue
Qui les Muses avez prises dans vos maisons,
Qui seuls voyez leurs yeux fleurir et sur leur joue
D’immortelles saisons.


Vous, des antiques voix rivaux et moi troisième,
Après Pindare, et trois ensemble combattants,
Ensemble nous savons vaincre par le temps même
L’éternité du temps.