De la médecine dosimétrique
MM. | H. BOULEY O. ❄, | Inspecteur-général. | |
LAVOCAT ❄, | Directeur. | ||
LAFOSSE ❄, | Professeurs. | ||
BIDAUD, | |||
TOUSSAINT, | |||
Mauri, | Chefs de Service. | ||
Laulanié, | |||
Labat, | |||
Lignon, | |||
N… |
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THÉORIE | Épreuves écrites |
1° | Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ; | ||
2° | Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie. | ||||
Épreuves orales |
1° | Pathologie générale ; | |||
2° | Pathologie médicale ; | ||||
3° | Pathologie chirurgicale ; | ||||
4° | Maréchalerie, Chirurgie ; | ||||
5° | Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ; | ||||
6° | Police sanitaire et Jurisprudence ; | ||||
7° | Agriculture, Hygiène, Zootechnie. | ||||
PRATIQUE | Épreuves pratiques |
1° | Opérations chirurgicales et Ferrure ; | ||
2° | Examen clinique d’un animal malade ; | ||||
3° | Examen extérieur de l’animal en vente ; | ||||
4° | Analyses chimiques ; | ||||
5° | Pharmacie pratique ; | ||||
6° | Examen pratique de Botanique médicale et fourragère. | ||||
7° | Dissection anatomique, préparation histologiques. |
AVANT-PROPOS
Notre but était de traiter des avantages que l’on pourrait tirer de l’usage de la thérapeutique dosimétrique en vétérinaire ; mais cette méthode est d’origine trop récente pour que nous puissions la considérer comme étant connue de toutes les personnes que le sujet peut intéresser. C’est pour cela que nous avons cru bien faire en décrivant d’abord la médecine dosimétrique telle que la comprend son auteur.
De là, la division de notre thèse en deux parties : la première traitant de la médecine dosimétrique et la deuxième de la dosimétrie en médecine vétérinaire.
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DE LA MÉDECINE DOSIMÉTRIQUE
I
En séparant l’art de guérir de la philosophie générale, en écartant toute hypothèse, et en se basant exclusivement sur l’observation, Hippocrate donna la base de la vraie médecine. Mais cette science retomba bientôt dans la voie systématique d’où elle avait été tirée, et subit l’influence des idées du temps. De là, cette série de doctrines qui ont tour à tour prévalu et en dehors desquelles il n’y avait pas de guérison possible.
Cette exclusion absolue a fait que la plupart de ces théories, quoique partant d’un principe vrai, après avoir été prônées, ont été complètement abandonnées pour d’autres qui, ayant les mêmes défauts, devaient avoir le même sort.
L’esprit moderne imbu des principes de Bacon devait, par son positivisme, avoir raison de ces doctrines. En effet, basés sur l’observation, sans adopter aucune des théories précédentes, les modernes ont extrait ce que l’expérimentation ou les faits ont démontré être vrai pour en former un tout qui est la méthode éclectique de nos jours. L’éclectisme, en adoptant toutes les idées pourvu qu’elles soient en rapport avec les faits, a ouvert de nouveaux horizons à la médecine et tend tous les jours à en faire une science positive.
Grâce à la méthode baconienne, la philosophie de la médecine s’ébauchait, se formait brillante et pleine d’avenir ; mais la thérapeutique embarrassée dans sa polypharmacie, n’a suivi qu’incomplètement et à regret, pour ainsi dire, les progrès de la pathologie sa sœur. Cependant, des efforts ont été tentés pour ramener cette branche si importante de la médecine dans la voie du progrès et l’élever à la hauteur des sciences exactes. Hahnemann en instituant l’homœopathie n’eut pas d’autre but, mais il franchit les limites du vrai et ne se sauva d’un excès que pour retomber dans un autre : le médicament était élevé à la puissance du mythe.
Aussi, cette doctrine uniquement composée d’observations illusoires, d’assertions sans preuves et sans démonstration possible, n’eut-elle qu’un succès momentané ; elle fut l’origine de cette catégorie de médecins expectants qui, reconnaissant l’incertitude de l’ancienne thérapeutique, restaient dans l’inaction plutôt que de faire de l’homœopathie quand ils étaient parfaitement convaincus de la nullité de ses effets.
La doctrine de Hahnemann fit faire un pas à la matière médicale en étudiant consciencieusement les propriétés, inconnues jusqu’alors, de bon nombre de substances et en discréditant la polypharmacie ; mais en revanche, elle augmenta le scepticisme qui a enrayé et enraie encore les progrès de la thérapeutique allopathique.
Frappé de cette discordance, les progrès de la pathologie d’une part, et le retard relatif de la thérapeutique d’autre part, le docteur Burggraeve a formé une nouvelle pharmacopée sur laquelle il a basé sa médecine dite atomistique. Mais ce nom rappelait par trop l’homœopathie pour que ses détracteurs ne fussent pas portés à l’assimiler à cette dernière et à lui faire subir le même sort. Aussi, la nouvelle venue fut-elle obligée de changer de nom. Elle prit celui de médecine dosimétrique ou en rapport avec l’intensité de la maladie ; c’est-à-dire, que là où l’expectation ne fait rien et où l’homœopathie n’agit que pour la forme, la médecine dosimétrique emploie les moyens les plus énergiques de la matière médicale.
II
M. Burggraeve a étendu sa réforme plus loin que ne le comprend le champ de la pharmacie : il a voulu arrêter le matérialisme médical sur la pente duquel glisse l’école anatomo-pathologique. Pour cela, il a adopté les principes du docteur Amédée Latour, qui condamne en ces termes l’école organicienne :
« La médecine actuelle a dévié de ses voies naturelles ; elle a perdu de vue son noble but : celui de guérir ou de soulager. La thérapeutique est rejetée sur le dernier plan. Sans thérapeutique cependant le médecin n’est qu’un inutile naturaliste, passant sa vie à reconnaître, à classer, à dessiner les maladies de l’homme. C’est la thérapeutique qui élève et ennoblit notre art ; par elle seule il a un but ; et j’ajoute que par elle seule cet art peut devenir une science. »
Pour chercher la nature de la maladie, il nie le concours de l’anatomie pathologique qu’il appelle la science du fait accompli. Les lésions ne peuvent être évidemment que la cause éloignée, c’est-à-dire, matérielle, mais la cause vitale, celle qu’on aurait pu écarter par un traitement pharmacodynamique, cette cause là a été négligée et la lésion matérielle est venue s’enter sur la lésion vitale.
D’ailleurs, la grande classe des névroses où entrent les maladies les plus terribles, les plus mystérieuses et quelques-unes des plus fréquentes même, se présente comme le rempart du vitalisme. Faudrait-il que la thérapeutique restât inactive parce que les lésions n’existent pas ? Non, certainement, elle s’adresse à cette doctrine, et c’est à elle qu’elle doit ses succès.
Pour M. le docteur Burggraeve, la médecine dosimétrique est à la fois une doctrine et une méthode.
La doctrine est celle du père de la médecine, le vitalisme est sa foi ; « je pense, donc je crois » est sa devise.
C’est l’incitabilité de Brown, la nature d’Hippocrate, présidant à tous les actes de l’organisme et luttant contre les causes morbifiques. C’est le principe vital qui, la maladie existant, amène les crises et multiplie ses efforts pour combattre l’état pathologique. C’est encore lui qui maintient l’antagonisme nécessaire à la santé entre le système de la vie animale et le système de la vie végétative.
Les systèmes cérébro-spinal et ganglionnaire sont ses facteurs, leur intégrité absolue est seule compatible avec la santé, car les organes qui n’obéissent plus à un système, subissent la tyrannie de l’autre.
Il définit la maladie : « Un ensemble de symptômes exprimant un trouble vital. »
Ce trouble n’est, le plus souvent, qu’une dépense insolite de force vitale ; de la façon dont le médecin ménage cette force, l’entretient ou la soutient, dépend le résultat de la lutte. La maladie se rapporte soit au défaut d’influx central, soit à la rupture de l’antagonisme dynamique ou synergique, celui-ci peut avoir pour effet le spasme ou la paralysie.
Le résultat pratique de cette doctrine est que l’on doit juguler la maladie au début, en agissant dynamiquement et en conséquence, selon que l’on aura sthénie ou asthénie. Mais comme la force s’épuise par la violence, l’art du médecin ne consisterait le plus souvent qu’à calmer.
Par ce moyen, la maladie combattue à son début par la pharmaco-dynamie, le mal n’aura pas le temps de produire ces désordres profonds qui font l’étude de l’anatomie pathologique.
La méthode consiste dans la façon d’administrer les parties actives selon les symptômes et la marche de la maladie, aussi en traiterons-nous dans le chapitre suivant qui a pour objet la thérapeutique dosimétrique.
III
A. — Nous avons déjà dit que l’homœopathie et les idées progressives de ce siècle n’étaient pas parvenues à faire de la thérapeutique une science même quelque peu exacte. Pour cela, il y avait à modifier et à rendre la matière médicale plus sûre d’elle-même, moins problématique dans ses effets.
Cependant, nous sommes loin de la pharmacopée des siècles précédents, du diascordium, de la thériaque de Mithridate perfectionnée par Andromaque, médecin de Néron. Galien nous a laissé la formule de cette fameuse médecine qui ne contient pas moins de 92 substances, parmi lesquelles on en compte des plus bizarres et possédant les propriétés les plus opposées. Les anciens, en effet, croyaient par la multiplicité des drogues qui entraient dans leurs remèdes, composer des panacées. Leur raisonnement était simple : telle substance étant préconisée contre telle affection, dans les maladies de nature complexe ou douteuse, en donnant un mélange de toutes les substances médicinales, on était sur d’administrer le spécifique, si, dans tous les cas, il existait. Mais, si ce raisonnement était simple, il nous est aussi facile de comprendre combien il était erroné et combien les effets devaient peu répondre à l’attente d’une pareille médicamentation. Ne connaissant pas les propriétés générales et les affinités chimiques des corps, ni les décompositions qui en sont la suite, les anciens croyaient que chaque substance du mélange pouvait agir indépendamment de celles avec qui elle était associée et même que ses vertus se trouvaient exaltées et parvenaient à un degré d’énergie qu’elles n’auraient pas eu dans son emploi isolé. Il n’en est, cependant, pas ainsi, car nous savons que la thériaque, cette fameuse association, n’est en définitive qu’un tonique légèrement calmant dont, à beaucoup moins de frais, nous pouvons produire les mêmes effets avec quelques centigrammes d’opium et un peu d’écorce de saule ou de quinquina, par exemple.
Sans remonter à l’époque de Galien, nous sommes encore loin aujourd’hui des formules aussi bizarres que compliquées des médecins et des hippiâtres du dernier siècle. On se demande même quand on lit leurs ouvrages, ceux de Solleysel par exemple, s’ils ne voulaient pas cacher, quelquefois, l’impuissance de leur art derrière des formules et ordonnances impossibles à exécuter.
Mais si on est arrivé à donner à la thérapeutique une teinte un peu plus scientifique en associant les médicaments avec connaissance de cause, de façon à ne pas être exposé à avoir un tout inerte ou trop actif par les décompositions chimiques qui pourraient surgir du mélange, on est aussi obligé d’avouer que la thérapeutique est la moins avancée des sciences médicales. Cela tient au retard de la physiologie pathologique et à la complexité de composition des médicaments naturels, d’où la multiplicité de leurs effets et la difficulté de leur séparation et appréciation individuelle.
Car, il n’est pas aisé d’établir empiriquement les faits thérapeutiques, et il est difficile d’apprécier l’influence des agents pharmaceutiques, à cause de l’ignorance où l’on est, le plus souvent, de la marche qu’aurait suivie la maladie abandonnée à elle-même.
Malgré ces difficultés, si les médicaments étaient simples et doués chacun d’une seule propriété, bien nette et bien déterminée, leur histoire serait facile et leur emploi thérapeutique deviendrait par cela même plus sur et plus rationnel. Malheureusement il n’en est pas ainsi des médicaments allopathiques ; leurs vertus, à de rares exceptions près, sont toujours plus ou moins complexes et cette multiplicité de propriétés rend leur histoire pharmacologique compliquée et obscure et leur usage souvent très-incertain. Si nous prenons la noix vomique comme exemple, nous avons un mélange de trois alcaloïdes : la strychnine, la brucine et l’iguasurine. À part ce dernier dont les propriétés ne sont pas bien connues, nous avons la strychnine qui est le type des excito-moteurs, et la brucine qui jouit des mêmes propriétés mais à un degré beaucoup moindre et en outre possède des propriétés aphrodisiaques non équivoques. Quand on administrera la noix vomique comme excitateur, on sera surtout servi par la strychnine, mais on n’aura que faire des propriétés spéciales que possède la brucine sur les organes génito-urinaires, et qui, dans certains cas, peuvent être nuisibles.
L’opium est bien autrement complexe, car on en a extrait plus de vingt substances diverses parmi lesquelles sont six alcaloïdes qui représentent les parties actives de ce médicament. Envisagés en particulier, ces alcaloïdes diffèrent fortement les uns des autres par l’intensité ou la différence de leurs propriétés.
M. Cl. Bernard range leur action sous trois chefs dont voici l’énumération avec le rang qui représente l’énergie respective de chaque substance.
ÉNERGIE TOXIQUE. | CONVULSIVE. | SOPORIFIQUE. |
Thébaïne, | Thébaïne, | Narcéine, |
Codéine, | Papavérine, | Morphine, |
Papavérine, | Narcotine, | Codéine. |
Narcéine, | Codéine, | |
Morphine, | Morphine, | |
Narcotine. | Narcéine. |
M. Cl. Bernard, frappé de cette différence d’action dans les parties actives d’un même médicament, ajout les considérations suivantes :
« La thérapeutique offre assez de difficultés par elle-même sans qu’on vienne encore les augmenter en continuant d’employer des médicaments complexes, comme l’opium, qui n’agissent que par une résultante souvent variable. Il faut analyser les actions complexes et les réduire à des actions plus simples et exactement déterminées, sauf à les employer seules ou à les associer ensuite si cela est nécessaire. Ainsi, avec l’opium on n’obtiendra jamais l’effet de la narcéine, qui procure le sommeil sans excitabilité ; mais on pourra, au contraire, trouver des effets très-variables, qui dépendront d’une susceptibilité individuelle plus grande pour tel ou tel des principes actifs qui le composent.
« Les expériences sur les animaux permettent seules de faire convenablement des expériences physiologiques qui éclaireront et expliqueront les effets médicamenteux qu’on observe chez l’homme. Nous voyons en effet que tout ce que nous constatons chez l’homme se trouve chez les animaux, et vice versa, seulement avec des particularités que la diversité des organismes explique ; mais au fond la nature des actions physiologiques est la même. Ainsi le même végétal forme des principes dont l’action sur l’économie est fort différente. On peut donc retirer plusieurs médicaments très-distincts de la même plante, et pour l’opium en particulier, je pense que chacun de ses principes est destiné à devenir un médicament particulier, d’autant plus qu’il est de ces principes qui possèdent une influence très-marquée sur l’organisme sans être toxiques, en raison de l’énergie de cette action. C’est ainsi que le chlorhydrate de narcotine possède une propriété convulsitante très-grande, quoiqu’il soit le moins toxique des principes de l’opium que nous avons examinés. »
Nous supposons enfin qu’à force d’efforts, l’on soit parvenu à faire que la pharmacodynamie, la pharmacothérapie et la posologie des substances végétales, qui entrent dans la matière médicale, soient exactement déterminées, combien de causes d’erreur n’existe-t-il pas encore ? En effet, ne savons-nous pas que les propriétés d’une même plante varient du zéro au summum d’intensité selon qu’elle est cultivée ou à l’état sauvage, selon le climat, la latitude, l’exposition et la nature du terrain où elle vient ? Les ombellifères vénéneuses sont bien plus actives lorsqu’elles croissent dans les bas-fonds humides et ombragés que lorsqu’elles vivent dans les terrains secs et élevés. Et, selon la latitude, ne voyons-nous pas que la ciguë cueillie en Grèce put servir de poison à Socrate, tandis que les Russes et les Sibériens en usent comme condiment et la mangent en salade ? La digitale, si active à l’état sauvage, devient presque inoffensive quand elle est cultivée !
Il est encore une foule de causes qui ne sont pas à dédaigner, telles que la période de végétation, la température de l’année, les soins apportés à la récolte et la conservation des parties végétales, etc. Prenant en considération toutes ces causes d’ignorance et d’erreur, on voit combien la thérapeutique est loin de cette exactitude que cherche en vain le praticien ; celui-ci, en maintes circonstances, sera à se reprocher une erreur dans la quantité des substances employées ou bien en accusera le pharmacien quand la dose n’aura pas produit l’effet voulu, tandis que la faute sera seule au médicament moins actif qu’à l’ordinaire.
C’est cette incertitude dans l’effet du médicament qui fait qu’il y a beaucoup de médecins expectants, c’est-à-dire qui laissent agir la nature et cherchent seulement à maintenir le malade en dehors des causes morbides. D’autres ne croient pas à la thérapeutique, et si dans tel cas, ils emploient telle substance, c’est plutôt pour paraître faire quelque chose et légitimer ainsi leur présence auprès du malade, ou bien par acquit de conscience, parce qu’ils l’ont toujours vue administrer en pareille circonstance, que par la foi qu’elle leur inspire.
Réformer cette thérapeutique, l’asseoir sur des bases nouvelles afin de répondre à tous ses besoins et la rendre sûre d’elle-même, telle est l’œuvre qu’a entrepris M. Burggraeve.
Voici comment s’exprime à ce sujet le docteur Landur dans le journal La Liberté… (16 décembre 1872).
« Aujourd’hui, quand un médecin prescrit un médicament, il ignore absolument ce qui sera fourni aux malades, si ce sera fort ou faible, bon ou mauvais, pur ou impur ; et, comme la loi interdit aux médecins de fournir eux-mêmes les médicaments, on fait une mauvaise thérapeutique et l’on n’ose pas ordonner les médicaments énergiques de crainte de dépasser la mesure ou de ne pas l’atteindre. L’art médical souffre de cette situation plus qu’on ne saurait le dire. Le docteur Burggraeve, professeur émérite de l’Université de Gand, un homme considérable dans la médecine et la chirurgie belges, a ressenti, comme tant d’autres, les inconvénients énormes qui résultent de l’incertitude et de la mauvaise qualité des médicaments, et il s’est mis à la tête du mouvement de réforme.
« Ayant beaucoup d’autorité et les moyens d’action nécessaires, il a déjà réussi à un degré tel, que l’on peut croire le succès assuré. M. Burggraeve n’emploie en principe que des substances actives et énergiques, des produits chimiques purs, et les enferme dans des granules de sucre de la grosseur d’un grain de chènevis et par conséquent faciles à avaler. La dose que contient chaque granule est assez petite pour qu’on puisse graduer aussi doucement qu’on veut l’action du remède. Les granules se vendent au public en tubes scellés portant la signature qui sert de garantie.
« M. Burggraeve supprime à peu près complètement les plantes employées en nature et leurs extraits, comme n’ayant aucune composition certaine ; il n’a pas occasion de formuler des potions ; les sirops, les tisanes ne lui servent que comme article d’agrément. On peut donc par sa méthode exercer la médecine aussi proprement que les homœopathes. Je dois néanmoins dire que je suis loin de considérer comme bon tout ce que M. Burggraeve recommande et que je vois, à sa manière de formuler, des défauts scientifiques importants que je me réserve de signaler en temps et lieu. »
Nous ne savons pas si M. Landur a encore signalé les défauts scientifiques qu’il reconnaît à la méthode de M. Burggraeve. Dans tous les cas, nous n’avons pas eu occasion de le lire. Peut-être qu’il fait, par là, allusion à quelques objections que nous nous posons nous-mêmes plus loin.
Les promoteurs du nouveau système ont adopté le granule, gros comme une graine de moutarde ou de millet, comme étant la forme la plus commode pour la médecine de l’homme.
Mais de forme comme de nom, les granules ressemblaient trop aux globules des homœopathes pour que les adversaires de l’innovation ne criassent pas à l’homœopathie. Cependant s’ils étaient logiques et de bonne foi, ces gens-là devraient nier l’action de virus qui agissent indépendamment de la quantité, ils devraient aussi nier l’odeur, quoiqu’ils sachent qu’un grain de musc, par exemple, fournit une odeur intolérable pendant des années entières et sans diminuer sensiblement de poids. Et, pour autant de bonne foi qu’on veuille leur prêter, ils ne seraient certainement pas fervents au point de prendre le contenu de quelques tubes de granules à l’aconitine ou au sulfate de strychnine pour le triomphe de leur cause. On sait que, lorsqu’il s’agit de médicaments homœopathiques, on peut, au contraire, avaler impunément des boîtes entières de globules, à la barbe de leur puissance dynamique, serait-elle acquise par la trillionnième dilution !
Une partie du problème était résolue, les parties actives du médicament étaient séparées, une complication était éliminée et la thérapeutique avait fait un pas vers la simplification.
Il restait encore à connaître les effets thérapeutiques des nouvelles substances afin que les moyens d’action fussent aussi sûrs que possible. M. Burggraeve a expérimenté sur lui-même ; après avoir parfaitement observé l’état de son pouls et la température de son corps, il a pris successivement des doses de ½ milligramme d’alcaloïde à des intervalles déterminés. Il a pu, ainsi, constater à quelle dose il faut porter le remède pour arriver au degré de saturation de l’organisme où le pouls et la chaleur se dépriment au-dessous de la moyenne physiologique.
Les doses minima sont ainsi fixées ; les auteurs de Matière Médicale donnent la plupart des doses maxima.
M. Burggraeve a aussi conclu que, dans l’état pyrétique il faut dépasser cette dose minima autant de fois que le pouls et la chaleur sont eux-mêmes au-dessus de la moyenne physiologique ; ainsi pour amener un abaissement du calorique animal de deux degrés, a-t-on besoin, par exemple, de 2 milligr. d’aconitine, pour l’abaisser de 4° c. il en faudra 16 en moyenne, peut-être plus, car il faut compter avec l’impressionnabilité individuelle et l’idiosyncrasie.
M. Burggraeve a ainsi expérimenté pendant 15 ans, tant sur lui-même que sur le malade, étant placé dans une position tout exceptionnellement favorable, à la tête d’un des hôpitaux les plus importants de la Belgique.
Il n’a publié ses travaux que lorsqu’il a été parfaitement convaincu de l’efficacité de sa méthode et sûr de lui-même. Mais la vie d’un homme, pour tant de courage et de génie qu’on lui suppose, ne peut pas suffire à une œuvre pareille qui doit remplir toutes les conditions d’exactitude exigées par la science.
Il faut que la thérapeutique repose, comme nous l’avons déjà dit, sur des règles reconnues vraies par la pratique et admises par la grande majorité des hommes de l’art. C’est ce qu’ont senti M. Burggraeve et ses premiers adeptes qui se sont faits les généreux apôtres du maître. Ils ont fondé l’Institut dosimétrique où depuis cinq ans se sont fait inscrire une foule de praticiens habiles et consciencieux, tant pour la médecine humaine que pour la médecine vétérinaire. Ils ont expérimenté et expérimentent tous les jours dans leur laboratoire et dans leur pratique les médicaments de la nouvelle pharmacie. Leurs résultats sont abandonnés au critérium de tous les médecins et le médicament, après avoir fait ses preuves, revient purifié, pour ainsi dire, par la sanction générale.
C’est de cette façon qu’a été formée la thérapeutique dosimétrique, et on peut dire que cet édifice si vaillamment conquis sur le terrain des hypothèses, repose sur des données aussi exactes que le comporte la science d’aujourd’hui. B. — Nous avons dit en quoi consiste la doctrine et qu’elles étaient les aspirations de la médecine dosimétrique, nous allons maintenant examiner sa méthode.
La maladie étant, pour les vitalistes, le résultat d’un concours de causes agissant sur une partie immatérielle qu’on appelle principe vital, la méthode dosimétrique consiste à combattre cet état morbide dès qu’il apparaît, avant qu’il n’ait pris racine dans l’économie par les lésions pathologiques : elle jugule la maladie à son début.
Tel est le but vers lequel tend la thérapeutique dosimétrique. Mais, dans les conditions de la pratique, il ne peut pas toujours être atteint, car, indépendamment des maladies chroniques, la négligence du malade vient, parfois, en aide au mal qui a déjà droit de cité quand le médecin est appelé. Cependant le praticien, pour établir le traitement, doit ramener toutes les affections à deux types : le type chronique ou anatomo-pathologique et le type aigu ou dynamique.
Dans le type chronique, le traitement sera lent comme la maladie elle-même, il tendra à combattre lentement mais sûrement l’affection en s’adressant à tous les symptômes, tandis qu’on administrera des incitants destinés à relever les forces de l’économie afin qu’elles puissent lutter avantageusement contre l’état morbide.
Dans le type aigu, au contraire, on agira énergiquement en s’adressant aussi aux symptômes et en administrant jusqu’à effet et coup sur coup les médicaments appropriés.
La première règle de la dosimétrie, dit M. Burggraeve, est : « … aller jusqu’à effet thérapeutique ou curatif, et cela à des intervalles d’autant plus rapprochés que la maladie met plus de rapidité à parcourir sa période dynamique ou vitale ; c’est-à-dire, qu’aux maladies aiguës il faut un traitement aigu, et aux maladies chroniques un traitement chronique. »
La seconde règle est la dominante et la variante du traitement ; la dominante s’adresse à la cause du mal, et la variante aux effets. La cause morbide une fois constatée, le traitement reste le même, cette cause ne variant pas, mais les effets de la maladie varient suivant les individus et les systèmes ou organes sur lesquels ils portent leur action. On a ainsi à combattre, tantôt la douleur, tantôt le spasme, tantôt des exsudations, des suppurations, etc. Dans tous les cas le sujet souffre, il faut le soulager, ou bien les tissus se désorganisent : voilà pourquoi, tout en conservant le remède dominant qui attaque la maladie dans sa base, il faut des médicaments variant selon les désordres qui se présentent.
Le docteur Burggraeve ne tient que secondairement compte de l’étiologie des maladies, car, dit-il, l’étude des causes peut être utile pour prévenir les maladies à venir, mais il faut pour combattre la maladie présente autre chose que des raisonnements.
Il n’en est pas de même des symptômes, cri de douleur de l’organe malade, qui sont surtout la manifestation du système vaso-moteur, car le calorique animal est sous sa dépendance et toutes les causes qui tendent à enrayer son action produisent la fièvre.
Le calorique est une manifestation de la vie : quand il diminue, c’est la maladie ; quand il disparaît, c’est la mort ; quand il augmente, c’est l’épuisement vital.
Aussi, s’adresse-t-on toujours à ce système par la variante du traitement. À cet effet, on a les alcaloïdes défervescents, à la tête desquels sont l’aconitine, la vératrine, l’hyosciamine, la quinine, etc., qui ralentissent le mouvement vital et ses deux expressions : la chaleur et le pouls.
De même que Barthez, le médecin de Gand admet en nous une force en action et une force latente ; l’épuisement commence lorsque cette dernière est attaquée, aussi faut-il, dans le cours des maladies, en faire usage le moins souvent possible.
Il divise aussi les médicaments en excitants et incitants.
Les excitants sont ceux qui s’appliquent à la force en action, l’activent et augmentent sa dépense aux dépens de la force en réserve. Dans ce groupe entrent la plupart des médicaments inflammatoires généraux de M. Tabourin.
Les incitants, au contraire, stimulent et augmentent la force en réserve, et à l’instar des bons financiers, ils augmentent le capital au lieu de l’atteindre ; les premiers épuisent la force vitale, ceux-ci l’entretiennent.
Comme incitants, nous avons : la quassine, qui est l’incitant de l’estomac, la strychnine, principalement l’arséniate, est l’incitant du système musculaire, et la caféine l’incitant du cerveau.
Ce sont les trois régulateurs de la force vitale, les combattants de l’asthénie. À la sthénie qui arrive par épuisement vital, dans les pyrexies, par exemple, on oppose les rafraîchissants minoratifs, dont le principal est le sulfate de magnésie déshydraté et effervescent, et les alcaloïdes défervescents cités plus haut. Pour mieux envisager le mode d’action de ces médicaments, nous allons prendre un exemple, l’inflammation, je suppose, qui est la cheville ouvrière de la physiologie pathologique.
Pour M. Burggraeve l’inflammation est une combustion exagérée sous l’influence de l’irritation. Les ferments intérieurs tels que la fécine, la biline, la sudorine, l’uréine, etc., qui peuvent être cause de cette irritation, mais qui en sont toujours le résultat, servent d’éléments de combustion.
La conséquence de cette combustion est la formation de produits, les uns organiques, tels que le pus, couennes, néoformations de toute espèce ; les autres chimiques, comme l’ammoniaque, l’urée, les chlorures, etc.
Dans l’inflammation, toute la vitalité semble se concentrer sur l’organe qui est le siège de cette surexcitation morbide et se retire de la périphérie ; de là, les frissons, la pâleur de la peau, la petitesse du pouls et la prostration générale qui abat le sujet.
Tel est le début de la maladie qu’on doit combattre par tous les moyens possibles, avant que des lésions plus graves viennent rendre la tâche du praticien plus laborieuse et plus difficile. Aussi, devra-t-on s’empresser de ramener la chaleur et le sang à la périphérie, afin de dégager le point ou l’organe interne siège de l’inflammation, tout en chassant au dehors les éléments de la combustion. Donc, indication des évacuants et des nervins ; soit :
Sel de Sedlitz, — digitaline, — acide phosphorique, — sulfate de strychnine.
Comme évacuants, outre les purgatifs, la thérapeutique dosimétrique nous donne la digitaline qui à une action spéciale sur l’urée, la vératrine qui agit sur la peau, l’aconitine sur la muqueuse stomacale et la colchicine sur les reins.
Le médecin observera la marche de la réaction, si la fièvre persiste et, selon l’indication du pouls, on fera des déplétions en rapport avec les forces du malade. Les saignées doivent toujours être subordonnées à l’état général du sujet et faites concurremment à l’administration des nervins.
« En effet, supposons un organe parenchymateux, tel que le poumon, dit M. Burggraeve, si on a tout d’abord resserré son tissu par la strychnine, il est évident que moins de sang s’y précipitera si, au contraire, on commence par produire le vide par la saignée, le sang s’y engouffrera, et il pourra y avoir du danger, à cause de la lipothymie. On voit se confirmer ainsi l’importance de cette loi de la thérapeutique dosimétrique : de faire précéder (ou tout au moins coïncider) les nervins aux évacuations sanguines. »
Pour combattre la chaleur exagérée qui succède ordinairement aux frissons de la peau, on a recours aux alcaloïdes dits défervescents, tels que l’aconitine, la vératrine ; ces deux agents font rapidement tomber la chaleur et le pouls ; la vératrine, à part ses actions diaphorétique et diurétique, est considérée comme l’antipyrétique par excellence.
Enfin, l’anémie conséquente à l’inflammation est combattue par l’arséniate de fer.
Par ces moyens, M. Burggraeve arrête toujours la fièvre inflammatoire quelle que soit la gravité des accidents, et c’est le moyen de laisser produire le moins de lésions pathologiques et d’éviter ce que les organiciens appellent les beaux cas.
Telle est, rapidement exposée, la méthode de la médecine dosimétrique où, comme on a pu le voir dans l’exemple que nous avons pris, la vitalité entre à peu près seule en ligne de compte à l’exclusion de toute cause matérielle. Cependant, M. Burggraeve ne néglige pas dans sa pratique certains moyens diagnostiques de la médecine organicienne, afin de mieux arriver à la connaissance des lésions vitales et de leur intensité, pour régler plus sûrement l’activité du traitement.
Ces moyens sont : La thermométrie et l’urologie.
La thermométrie surtout joue un grand rôle dans cette médecine vitaliste. Le calorique étant la manifestation de la vie, sinon le principe vital lui-même, M. Burggraeve a pu dire : « Le thermomètre est au médecin, ce que le manomètre est au mécanicien.
DE LA MÉDECINE DOSIMÉTRIQUE
Notre but était de montrer les avantages de la thérapeutique dosimétrique, surtout ceux que l’on pourrait tirer de son application à la médecine des animaux.
Mais nous avons cru utile avant d’exposer notre thèse, de dire ce qu’est la médecine dosimétrique et sa doctrine telle que l’a conçue son auteur, M. Burggraeve ; c’est ce que nous avons essayé de faire dans la première partie de cet opuscule.
I
La médecine vétérinaire, encore toute récente, n’a puisé que dans les idées modernes, et comme par son origine elle n’avait aucune attache aux doctrines anciennes, elle n’a pas eu de peine à embrasser les innovations de la science médicale. ; par sa passivité, elle a joui de toute la liberté d’action pour un choix impartial.
Forcés de guérir bien et vite, les vétérinaires n’ont pu être exclusifs, d’ailleurs l’expérimentation leur ouvrant un plus vaste champ qu’en médecine humaine, ils se sont adressés partout, l’éclectisme est devenu leur règle et les a sauvés des excès des purs doctrinaires.
« Ce n’est pas en restant constamment dans la même ornière qu’on marche plus vite. Au contraire, la route s’effondre et le char est arrêté.
« La médecine vétérinaire a ici un grand rôle à remplir, puisqu’elle doit tracer la route à sa sœur la médecine des…… autres bêtes, comme eût dit Beaumarchais. » (Burg.)
Aussi, le besoin de la nouvelle méthode, à part la partie pharmaceutique, est-il peut-être moins grand chez nous que chez les médecins, car, nous en suivons souvent les préceptes pratiques ; si bien qu’on pourrait dire que, si M. Jourdain a fait de la prose sans le savoir, beaucoup de vétérinaires ont fait de la médecine dosimétrique sans s’en douter.
C’est en conservant cette indépendance, indispensable à la vraie science et en nous restreignant au positivisme, résultat de l’expérimentation, que nous allons essayer d’extraire pour notre médecine les enseignements que peut nous suggérer la méthode dosimétrique.
II
Et d’abord, que nous importe sa doctrine ? Que nous soyons de l’école vitaliste ou de l’école organicienne, le résultat de l’application d’un médicament ne sera-t-il pas le même ? Qu’il agisse directement sur les forces de l’organisme, ou que celles-ci ne soient atteintes qu’après coup, grâce à l’intermédiaire d’une modification matérielle, pourvu que les effets répondent à l’attente du praticien ? Mais, s’il faut choisir une théorie, n’est-il pas plus rationnel de croire que les médicaments agissent matériellement par leurs propriétés physico-chimiques ou mécaniques sur les éléments de l’organisme, d’où les modifications dynamiques, que d’admettre que ces agents puissent avoir prise sur une partie immatérielle telle que les forces, qui ne sont rien en dehors de la matière ?
On pourrait peut-être aussi demander à M. Burggraeve, qui est si profondément vitaliste, ce que devient le principe vital, pendant la période de mort, quand on fait successivement périr et ressusciter certains infusoires autant de fois que l’on veut par la dessiccation et l’humidité. De quel recoin sort-il quand il vient revivifier[1] des salamandres, des crapauds ou des poissons gelés ? Il faut aussi que ce principe soit sécable en autant de parties que l’on fait de sections dans une hydre d’eau douce et que chacune de ces parties agisse pour sa part comme elles agissaient ensemble quand elles ne formaient qu’un tout, ou bien que dans l’hydre il existe une multitude de principes vitaux !
À cela, M. Burggraeve pourrait nous répondre que ce qui est bon pour l’homme peut ne plus l’être pour les animaux et en particulier pour les batraciens, les poissons et les infusoires ! ! Dans ce cas nous n’en aurions que faire, nous… médecins des animaux.
Mais cela ne nous empêchera pas d’admettre les principes de M. le docteur Amédée Latour ; nous voulons être autre chose que « d’inutiles naturalistes », et, comme M. Burggraeve, nous appelons l’anatomie pathologique la science du fait accompli. Cependant, elle éclaire l’anatomie normale, elle nous fait connaître les processus morbides et nous donne la conviction des désordres que produit la maladie et du besoin où nous sommes d’agir énergiquement.
Quant à l’origine des lésions, elle coïncide avec l’origine de la maladie ; peu apparentes et à peu près nulles dès le début, elles existent cependant soit dans les solides, soit dans les liquides ; elles vont s’aggravant avec la maladie et se compliquent, si l’art n’intervient, au point de devenir ce que l’on a appelé des beaux cas.
Les névroses qui sont l’objection des vitalistes, vont en diminuant avec les progrès de la science, et l’on peut dire, par analogie, qu’un jour elles seront réduites à un bien petit nombre si elles n’ont complètement disparu du cadre nosologique.
Mais, que nous admettions les causes matérielles ou les lésions vitales, le résultat pratique sera le même ; dans le premier cas, on a tout autant d’intérêt à juguler la maladie au début que dans le second, car, par ce moyen, dans l’un comme dans l’autre, on empêche les pseudo-formations et tous les désordres anatomiques qui sont le corollaire des productions morbides.
Quoique n’admettant pas la doctrine vitaliste, nous adoptons la méthode de M. Burggraeve qui est on ne peut plus rationnelle : juguler la maladie au début pour empêcher les désordres organiques est le seul espoir d’une cure rapide, voilà où doivent tendre tous nos efforts.
Quant à la partie méthodique du traitement, nous n’avons à l’envisager que dans le type aigu, n’ayant guère à traiter des maladies chroniques autrement que par les procédés chirurgicaux.
C’est là que la médecine dosimétrique nous enseigne à ne pas rester inactifs au début d’une maladie qui n’est pas bien caractérisée et nous apprend combien il est peu rationnel d’attendre que le mal qui est encore à l’état latent, soit localisé sur un des organes qui fonctionnent le plus et qui, par cela même, est indispensable à la vie.
Combien de fois le praticien le mieux exercé ne se trouve-t-il pas en présence d’un animal malade, dont les symptômes ne lui arrivent, à travers son enveloppe épaisse, que vagues et indéterminés, se résumant le plus souvent en inappétence et tristesse générale ? Sur ces seules données et pour ne pas faire fausse route, n’est-il pas rationnel de faire bravement la médecine des symptômes et de s’attaquer à tout ce qui paraît anormal ? La température du corps et l’état du pouls ne fournissent-ils pas une foule de renseignements précieux, et n’indiquent-ils pas un besoin pour l’économie de rentrer dans son état physiologique ? Certes si, et le plus souvent c’est sur l’état du pouls que nous nous basons pour établir notre pronostic qui est toujours d’autant plus grave que l’artère bat plus vite ; au contraire quand il se ralentit et que, par suite, la chaleur baisse, nous augurons une terminaison heureuse. Comme on le voit, l’état du pouls et la thermométrie ne laisseront jamais en défaut le praticien qui voudra faire de la médecine symptomatique.
Cependant, tout en admettant l’utilité du traitement basé sur les symptômes, nous ne devons pas, comme M. Burggraeve, rejeter l’étiologie au dernier plan. Plus le praticien est dans l’embarras et le doute, plus il doit tenir compte de tout ce qui peut le mettre sur la bonne voie, c’est-à-dire, celle de la guérison. C’est ce qu’implique avec elle la méthode dosimétrique, et l’on peut s’étonner qu’elle ne tienne aucun compte des causes dans sa thérapeutique. Cela paraît même une contradiction, car si M. Burggraeve, lui-même, trouvait qu’une épine, par exemple, s’est enfoncée dans les chairs, il ne s’adresserait pas exclusivement aux symptômes résultat de l’inflammation, certainement il s’adresserait à la cause, puis à l’effet : il arracherait l’épine et traiterait la fièvre.
Pourquoi, en toutes circonstances, n’en ferions-nous pas autant ? Nous disons même plus, pour le médecin et le vétérinaire surtout, il est aussi indispensable, pour établir un traitement rationnel, de tenir compte des causes que des symptômes. Si nous prenons, par exemple, le bœuf dont l’enveloppe si épaisse ne laisse passer que des symptômes si vagues qu’ils se ressemblent tous dans la plupart de ses affections, en négligeant l’étiologie nous laissons souvent de côté le point le plus sur pour établir le traitement.
Mais il faut avouer qu’il est des cas, même très-nombreux, sur les causes et la nature desquels on est loin de s’étendre, ce qui prouve qu’on ne les connaît pas. C’est dans le traitement de ces maladies que la dosimétrie est appelée à rendre les plus grands services à l’art de guérir, ne serait-ce qu’en le débarrassant de ce grand nombre de médicaments, aux propriétés les plus diverses et les plus contraires, qui sont employés en pareille occurrence. C’est même tout cet arsenal pharmaceutique qui prête le plus au doute de la médecine ; car, quand on voit que tous ou presque tous les agents de la pharmacopée employés contre la même affection, ont été prônés et discrédités tour à tour après avoir produit chacun des cures qui paraissent incontestables, on peut se demander si celui qui aujourd’hui est en vogue ne subira pas demain le sort de ceux qui l’ont précédé. De là, cet adage du docteur Double, en tout digne de Molière : « Hâtez-vous de les employer pendant qu’ils guérissent encore. »
Dans ce cas, repoussons tous ces prétendus spécifiques jusqu’à ce que l’expérience se soit définitivement déclarée en faveur de l’un d’eux ; agissons en combattant les symptômes et en tenant compte des causes s’il est possible, et nous serons sûrs d’arriver ainsi, sinon à la guérison, au moins au soulagement du malade.
III
Si nous considérons l’exemple que nous avons pris pour expliquer la méthode du traitement dosimétrique, nous verrons que l’inflammation est traitée d’une façon on ne peut plus rationnelle.
Évacuants et nervins, tels sont les principaux agents dosimétriques destinés à juguler toute inflammation.
En effet, on peut parfaitement admettre que les nervins augmentent le ton des fibres et fibro-cellules des capillaires ; ils rendent aux vaso-moteurs la synergie nécessaire pour resserrer le calibre des vaisseaux du siège de l’inflammation, de façon à ce que la stagnation du sang ne puisse avoir lieu.
Dans l’inflammation des tissus vasculaires, que les néoformations soient le résultat d’une prolifération cellulaire ou de la sortie des globules par les parois des capillaires, toujours est-il qu’elles sont précédées par une période de congestion. En effet, quand on examine le processus inflammatoire, on remarque que les capillaires, sous l’influence de l’irritation, se resserrent d’abord pour se relâcher ensuite ; si l’irritation est trop forte, le relâchement est presque immédiat.
Cela n’indique-t-il pas qu’à la période d’excitation des vaso-moteurs succède bientôt une période de paralysie produite, sans doute, par épuisement nerveux ?
Les vaso-moteurs ne fonctionnant plus, les capillaires se relâchent, se distendent, d’où stase sanguine, coloration, exsudation et tous les phénomènes qui accompagnent l’inflammation.
Cela étant admis, que doit-on faire pour combattre ces effets ?
Il est évident que, puisque la congestion en est la cause première, il faudra par tous les moyens possibles chasser le sang de la région enflammée. Pour cela, on a employé jusqu’ici les dérivatifs, les révulsifs et les réfrigérants. Ce dernier moyen est sinon le plus pratique, au moins le plus rationnel, car on sait que non-seulement le froid resserre nos tissus, mais qu’il stimule les vasomoteurs constricteurs, — qu’on a encore appelés, pour cette raison, frigorifiques, — de façon à resserrer considérablement les capillaires et chasser le sang de la région.
Le docteur Burggraeve, en administrant des évacuants et des nervins contre l’inflammation a eu raison, car, avec les premiers, on peut espérer satisfaire à la résorption des matériaux fournis par la surexcitation de l’activité normale des éléments anatomiques, et par les nervins, — principalement ceux qui agissent sur le grand sympathique, — on combat directement l’inflammation en rendant aux vaso-moteurs la synergie qu’ils avaient perdue.
M. Bouley, lui-même, a senti toute la portée de cette théorie et, convaincu de sa valeur, il a cherché à l’appliquer dans plusieurs cas d’inflammation, notamment dans la fourbure. On lui a posé à ce sujet une objection, et on lui a dit : « Mais en administrant des nervins, vous agissez sur tout le système nerveux, au moins sur tout le système sympathique, par conséquent, si vous obtenez une constriction dans la région enflammée vous en obtenez aussi une pareille dans tous les capillaires de l’économie et vous n’avez qu’un balancement d’effet, donc l’état des choses restera le même, si toutefois il n’est pas aggravé. »
Mais, M. Bouley aurait pu répondre et a sans doute répondu, que ceux qui ont fait cette objection ne connaissaient pas l’affinité particulière qu’ont les nervins, et en particulier la strychnine, pour les parties malades du système nerveux de façon à localiser presque exclusivement leurs effets sur les parties qui manquent d’influx nerveux. M. Cl. Bernard l’a posé catégoriquement en principe, et l’expérience clinique le démontre tous les jours. On voit, en effet, une dose de sulfate de strychnine qui ne produirait rien sur le sujet sain, administrée au même sujet atteint de paralysie, on le voit souvent, dis-je, sous l’effet de cette dose, reprendre tout-à-fait ou en partie l’usage de ses organes.
C’est en se basant sur ce principe que M. Burggraeve fait toujours précéder ou tout au moins coïncider les nervins à la saignée. Lorsqu’on fait une évacuation sanguine dans le cas de congestion, on diminue la tension dans l’arbre circulaire, mais on ne dégorge pas l’organe congestionné si les capillaires n’ont pas le ton nécessaire pour revenir sur eux-mêmes ; ils sont béants et dilatés, et ne resterait-il que peu de sang, il s’engouffrerait dans cette région par l’effet de la contraction des autres vaisseaux de l’économie qui, eux, jouissent de leur synergie et n’ont pas perdu leur tonicité par excès de dilatation. C’est par cette théorie qu’il explique la mort dans maints cas d’apoplexie chez l’homme pendant que le sang coulait encore, et les faits de paralysie du cheval considérablement aggravés par la saignée faite au début, constatés par M. Henri Benjamin.
Les moyens employés par M. Burggraeve pour combattre l’inflammation sont on ne peut plus rationnels, que cette dernière soit envisagée dans la théorie vitaliste ou la théorie organicienne. Mais, dans les exemples précédents comme dans tous les autres cas, nous ne voyons pas d’inconvénient, tandis qu’il y a tout avantage, à s’aider des moyens de révulsion concurremment à ceux que nous fournit la médecine dosimétrique.
Quant à la réfrigération et l’eau salée, on peut les considérer comme de véritables nervins ; on connaît l’action excitante toute particulière du froid et du chlorure de sodium sur les nerfs, principalement sur les vaso-moteurs ; donc ces agents entrent parfaitement dans le cadre de notre théorie. Nous nous demandons même si, dans certains cas, on ne pourrait pas faire un usage local, concurremment aux moyens déjà cités, des autres excitants physiques ou chimiques, tels que l’électricité et la bile, qui jouissent d’une action si marquée sur les nerfs.
IV
Pour ce qui est de la partie pharmaceutique de la médecine dosimétrique, nous avons les mêmes raisons pour l’adopter que dans la médecine humaine, et de plus graves encore.
Cependant, on ne peut pas la conseiller exclusivement dans tous les cas comme en toute chose, car si généralement les alcaloïdes représentent les vertus des plantes d’où ils sont tirés, il y a des exceptions : ainsi, dans les labiées, on a un principe aromatique et un principe amer, principes qui ne sont pas toujours représentés dans l’extractif qui par cela est inférieur à la plante elle-même. La salicine ne représente pas l’écorce du saule, pas plus que le gentianin la gentiane elle-même.
Dans les plantes où il existe plusieurs principes, à part l’action spéciale de chacun d’eux, ils produisent par leur alliance naturelle des effets qui n’ont pas leur équivalent dans les principes extraits : ainsi l’opium jouit de propriétés anti-dysentériques qu’on ne trouve pas dans ses divers alcaloïdes ; la noix vomique et le quinquina ont des vertus toniques sur l’estomac qu’on chercherait en vain dans leurs alcaloïdes. On peut en dire de même de l’action fondante de la ciguë, des propriétés irritantes des ellébores.
D’autres fois les principes actifs sont trop énergiques pour être employés en nature, il faut les mitiger ; alors rien de plus simple que de les laisser au milieu des matières inertes qui les renferment naturellement, exemple : la moutarde et la cantharide.
Mais à part ces cas dont quelques-uns représentent seulement des actions diététiques, nous disons que nous avons des raisons plus graves que dans la médecine humaine pour adopter la pharmacopée dosimétrique.
On sait, en effet, les difficultés qu’il faut surmonter quand on est obligé d’administrer de force à un grand animal un électuaire ou un breuvage quelconque, les accidents qui peuvent en résulter soit pour la bête, soit pour l’opérateur, et les pertes de médicament qui ont toujours lieu malgré les plus grandes précautions.
Voici, à ce sujet, les réflexions que faisait M. Burggraeve à la suite d’une lettre de M. Landrin, médecin vétérinaire.
« …… Comme on vient de le voir, M. Landrin n’est pas exclusif, puisqu’il emploie simultanément toutes les ressources de la médecine : saignée, révulsifs, purgatifs, etc. C’est en cela que la dosimétrie se distingue de l’homœopathie, qui à la prétention d’être une médecine à part. La dosimétrie, elle, n’est qu’une méthode d’administration des médicaments plus simple et plus commode.
« Nous n’insistons pas sur la valeur pratique des cas que M. Landrin cite ; chaque médecin en jugera.
« Il est intéressant de voir que les médicaments dosimétriques, malgré leur petit volume, réussissent sur les animaux tout aussi bien que sur l’homme, et nous ne doutons pas que les vétérinaires entrent franchement dans cette voie.
« Quant à la manière dont M. Landrin administre les granules, il les enveloppe dans un bol de son et de miel, de manière à les faire prendre aux animaux les plus récalcitrants, sans difficulté ni dégoût. On sait que les animaux se révoltent contre tout ce qui n’est pas de régime naturel ; les mixtures allopathiques, il faut les leur faire prendre de force, et il y en a autant de répandu que d’avalé. Les mêmes considérations existent pour l’homme. Conçoit-on, du reste, qu’un médicament qui révolte l’estomac et l’être tout entier puisse faire du bien ? L’allopathie est une méthode tellement barbare, qu’on s’étonne que les médecins puissent encore y persister. Bientôt il en sera de l’homme comme des « pauvres bêtes malades, » c’est-à-dire qu’il ne voudra plus de médecines noires. »
D’autres considérations et d’un ordre plus grave, viennent encore plaider en faveur des médicaments dosimétriques pour l’usage vétérinaire.
Si les médecins, avec raison, n’osent se fier aux doses d’une médecine dont on ne connaît pas la quantité de principe actif, nous, vétérinaires, avons encore à considérer la mauvaise qualité des produits. Il suffit, en effet, que certains pharmaciens aient à donner le médicament d’un animal domestique, pour qu’ils servent le fond et le rebut de leur pharmacie, les parties les plus détériorées, vieillies, éventées, sans valeur, et si de la substance demandée il y a plusieurs qualités, ce sera toujours de la dernière qu’il sera donné, à moins d’indication spéciale, et encore… ! !
Ainsi donc, plus que les médecins, avons-nous à compter sur le peu d’effet des médicaments et devons-nous même, bien souvent, nous réjouir de notre bonne étoile qui a voulu que telle substance détériorée ou de mauvaise qualité n’ait pas fait du mal à la place du bien qu’on en attendait.
Pour toutes ces raisons, l’emploi des alcaloïdes serait un grand pas dans notre médecine, soit encore par la facilité de leur administration à cause de leur petit volume, et la sûreté des effets qu’on voudrait obtenir.
M. Darbot, dans les Annales de médecine vétérinaire, en réponse à une lettre de M. Mansuy, vétérinaire à Remiremont, fait sur les médicaments dosimétriques les réflexions suivantes :
« … Je ne terminerai pas, cher Monsieur, sans vous féliciter des guérisons inespérées que vous avez déjà obtenues avec les alcaloïdes, bien persuadé que vous nous ferez bientôt connaître les nouveaux succès que vous enregistrerez dans cette voie si rationnelle de traitement. Sans doute, la thérapeutique dosimétrique n’est pas encore en état d’entrer couramment dans la pratique des vétérinaires ; bien des points et des plus importants restent à élucider : ainsi des granules, tels que la pharmacie nous les offre, c’est-à-dire, préparés pour l’homme, constituent généralement des doses trop fractionnées pour nos grands animaux ; ils sont souvent d’un prix trop élevé pour notre médecine où la question d’argent prime tout, et ne nous sont pas assez connus dans leurs effets pour que nous puissions déterminer, même par à peu près, la quantité qu’il convient d’administrer chaque fois. D’un autre côté, la dosimétrie, dans l’application, demande une surveillance de tous les instants ; surveillance qu’un médecin peut parfois confier à un garde-malade, son patient exprimant les sensations qu’il éprouve, mais que seuls les vétérinaires peuvent faire, parce que, seuls, ils peuvent se rendre compte des modifications survenues dans l’état général de leurs malades. Et combien d’entre nous ne peuvent revoir ceux-ci que tous les deux ou trois jours et même plus ! Ce sont là des desiderata que je mets en relief sans crainte, bien convaincu qu’ils disparaîtront avec le temps.
« Un peu plus tôt, un peu plus tard, il se trouvera bien quelque Burggraeve vétérinaire, qui saura aplanir les difficultés et mettre la méthode en harmonie avec les exigences de notre métier. »
Ces réflexions de M. Darbot sont on ne peut plus sensées ; cependant, en attendant ce Burggraeve vétérinaire, est-il dit qu’on ne doive pas appliquer la thérapeutique dosimétrique en ce qu’elle a de compatible avec notre médecine ? Non, certainement ; les services qu’elle a rendus et qu’elle rend tous les jours à une foule de nos praticiens les plus distingués, font trop bien augurer de son avenir pour qu’on l’abandonne aux premières difficultés qui se présentent. La chimie, par ses ressources inépuisables, nous fait espérer qu’elle parviendra à l’extraction économique des alcaloïdes, sinon à la fabrication artificielle de la plupart d’entre eux, comme elle le fait actuellement pour l’acide valérianique. L’industrie s’est d’ailleurs emparée de la fabrication des alcaloïdes, et dans l’ordre de choses actuel, les praticiens n’ont besoin que de se lancer hardiment dans cette voie pour voir leur cherté réduite de beaucoup, car c’est la consommation qui fait abaisser le prix des objets fabriqués.
D’ailleurs, dans la chirurgie, les objections précédentes sont à peu près réduites à rien, et c’est dans cette branche de la médecine que le Dr Burggraeve a fait et fait tous les jours une application de la dosimétrie suivie d’un tel succès, qu’il dépasse certainement tout ce que l’on a osé espérer jusqu’à ce jour. Depuis que la médecine est venue en aide à la chirurgie, cette dernière s’est faite vraiment conservatrice et a mérité complètement le fameux aphorisme de Celse : Tuto, cito, jucunde.
Ce n’est qu’en combattant la fièvre et toutes les conséquences du traumatisme que l’on peut bien augurer d’une opération, et à cet effet les alcaloïdes sont certainement supérieurs à tous les cordiaux dont on a pu faire usage jusqu’à ce jour. La chirurgie vétérinaire a droit aux mêmes espérances, et, en ceci, elle se trouve, comme nous l’avons déjà dit, en dehors des objections qui peuvent faire négliger l’emploi de ces agents thérapeutiques : le peu de médicament que l’on aurait besoin, vu le peu de durée de la réaction, réduirait à rien la question de prix et la difficulté d’administration.
Les résultats que l’on peut espérer de cette méthode, par analogie à ce qu’elle a produit chez l’homme, dans la rapidité de la cure, compenseraient largement les frais de la médication.
Pour la question des doses, on n’a pas besoin d’en tenir grand compte, car en médecine dosimétrique on doit toujours aller jusqu’à effet. On peut évaluer, cependant, que, pour le cheval, la dose sera cinq fois plus forte que pour l’homme.
Et d’ailleurs n’avons-nous pas des animaux qui nous permettent de nous exercer dans la posologie des alcaloïdes ? Les chiens qui supportent à peu près les mêmes doses de médicaments que l’homme, se trouvent présenter toutes les qualités requises pour le succès des granules dosimétriques dans leur médecine. La question de prix n’est plus posée pour eux ; en effet, ne représentent-ils pas un membre de la famille aussi indispensable aux enfants qu’au maître de la maison ? Le chien est un et ne se remplace pas ; s’il meurt, il emporte toutes les affections.
Pour la surveillance des effets, l’enfant sera son garde-malade, il lui administrera ponctuellement les granules, et le chien dans son silence éloquent lui transmettra ses impressions aussi sinon plus fidèlement que beaucoup de malades de nos pareils. D’ailleurs, en cela, l’expérience a déjà confirmé ces appréciations, et M. Bourrel, à Paris, dans sa belle pratique, fait de la médecine dosimétrique avec un succès qui mérite certainement l’attention de ses collègues.
Il est une autre espèce d’animaux auxquels le vétérinaire est aussi appelé à donner ses soins, et dont quelques-uns représentent une partie de la fortune des cultivateurs : je veux parler des oiseaux de basse-cour et de ces beaux hôtes de nos cages qui ornent nos salons et les remplissent de leurs joyeuses mélodies. La médecine vétérinaire a un vaste champ à exploiter dans les affections de nos gallinacées sur lesquelles, il faut l’avouer, nous sommes fort peu avancés. La dosimétrie est peut-être appelée à jouer un rôle important dans la guérison de leurs maladies et en particulier de ce terrible fléau vulgairement connu sous le nom de choléra ou maladie des poules qui, en enlevant tous les ans une grande quantité à la consommation, grève la fortune de certaines contrées. La facilité d’administration et la forme des médicaments qui semble encore se prêter d’une manière spéciale à l’usage de nos oiseaux, en assureront peut-être le succès.
V
Les cas nombreux de guérison, par la thérapeutique dosimétrique, que les vétérinaires ont déjà obtenus et publiés dans les écrits périodiques, ainsi que ceux qu’il nous a été donné de voir à la clinique de l’École de Toulouse, ne peuvent que nous encourager dans cette voie.
Nous allons nous contenter de citer quelques observations, prises au hasard soit dans le Répertoire de thérapeutique dosimétrique, soit dans nos notes de clinique, qui viendront à l’appui de notre dissertation.
Observation Ire. — Un cheval de trait léger[2] attelé à une voiture, après avoir fait une centaine de mètres, boîte du membre postérieur gauche sans cause apparente. La claudication s’accusant de plus en plus, l’animal ne tarde pas à se couvrir de sueur, il devient anxieux, menace de tomber, et ce n’est qu’à grand’peine que, le tenant par la bride, on le ramène à la maison. L’animal éprouve de grandes difficultés pour se tenir sur les membres postérieurs : il fléchit, marche presque sur les boulets, se porte en avant, respire avec bruit. La muqueuse de l’œil est rouge, injectée, le pouls vite, accéléré, l’artère tendue.
Diagnostic : Paraplégie essentielle.
Traitement. — Saignée abondante (8 kilogrammes) ; à peine pratiquée, le malade est conduit dans un boxe, où il se laisse tomber. Des frictions d’essence de térébenthine sont faites sur les reins, les fesses et les cuisses, et grâce aux efforts que fait l’animal, avec l’aide de plusieurs hommes, on parvient à le remettre sur pied. Il se maintient ainsi avec beaucoup de difficulté pendant quelques instants, finit par s’accroupir et finalement par tomber sur sa litière.
Prescription de 5 granules d’arséniate de strychnine (au 1/2 milligramme) et de 6 granules d’acide phosphorique (au milligramme) tous les quarts d’heure pendant 2 heures. — Sulfate de magnésie dans les barbotages.
Le lendemain, l’animal est debout, fléchissant encore cependant chaque fois qu’il apporte le pied postérieur gauche sur le sol ; ce qu’il fait d’une façon incessante.
On administre pendant la journée, toutes les heures (pendant huit heures), 5 granules d’arséniate de strychnine et 5 granules d’acide phosphorique.
Le surlendemain, même traitement. Le malade va bien, prend ses barbotages dans lesquels on continue à faire dissoudre du sulfate de magnésie ; il tire bien sa paille. On lui fait exécuter une petite promenade.
À partir de ce moment, on continue à administrer pendant cinq ou six jours des granules d’arséniate de strychnine au nombre de 5 répétés 3 fois par jour.
L’amélioration a été croissant tous les jours, et bientôt après l’animal a pu être remis à son service quotidien.
Observation 2me — Le 18 avril 1874[3] on conduit dans mon établissement un cheval appartenant à un camionneur de la Chapelle. Cet animal, soutenu par plusieurs hommes, présente tous les symptômes les plus accusés de la paraplégie : à peine arrivé, et malgré les efforts et les excitations des employés, il se laisse tomber ; l’ataxie locomotrice est complète et il y a perte totale de la sensibilité ; l’implantation d’aiguilles dans les muscles des fesses et des cuisses laisse le malade complètement indifférent.
Pendant qu’il est couché, on pratique une saignée de 8 kilogrammes, on fait des frictions rubéfiantes à l’essence de térébenthine dans l’espoir d’obtenir un peu de réaction et de voir l’animal se relever.
On ne peut y arriver et il faut renoncer à le conduire dans une écurie. On lui confectionne un épais lit de paille à l’endroit où il est tombé.
J’ordonne l’administration, tous les quarts d’heure, de 6 granules de sulfate de strychnine (au 1/2 milligramme), et de 6 granules d’acide phosphorique (au milligramme), dans une petite poignée de son frisé, pendant deux heures.
Sulfate de magnésie dans les boissons ; lavements à l’eau tiède.
Le 19, application vésicante sur les reins et les fesses. ─ Administration dans la journée de 20 granules de sulfate de strychnine, 20 granules d’acide phosphorique, 20 granules de camphre bromé (au centigramme) pour éviter les effets de la cantharidine.
Cinq toutes les heures, de chaque substance.
Le 20, en aidant le malade, on parvient à le faire rester debout pendant environ un quart d’heure ou vingt minutes ; on lui fait prendre, dans un peu de son frisé, 25 granules de sulfate de strychnine, 25 granules d’acide phosphorique, cinq de chaque espèce, par heure.
Dans la journée, je remarque une grande difficulté pour l’écoulement de l’urine, qui est rouge foncé.
Je fais administrer 5 granules d’hyosciamine (au milligramme) par quart d’heure ; au bout de 20 granules, écoulement abondant d’urine, ce qui semble beaucoup soulager le malade. Depuis son arrivée cet animal a toujours pris ses barbotages, de la paille et un peu de luzerne verte.
Le 21, même état que la veille ; cependant, en prêtant aide au malade, on parvient à lui faire prendre plusieurs fois dans la journée la station debout qu’il conserve pendant quelques minutes chaque fois. Il a pris dans la journée 30 granules de sulfate de strychnine et autant de granules d’acide phosphorique, administrés de deux en deux heures.
Le 22, l’animal se lève seul et reste debout pendant plus d’une heure, puis il se couche très-facilement et se relève de même plusieurs fois dans la journée sans avoir besoin d’être aidé. On lui administre, toutes les quatre heures, cinq pilules de sulfate de strychnine et cinq pilules d’acide phosphorique : vingt granules de chaque substance dans la journée.
Le malade est assez solide pour exécuter une petite promenade, dont la durée a été d’environ un quart d’heure.
Le 23, on lui administre le sulfate de strychnine et l’acide phosphorique de la même façon que la veille, et à la même dose. Il fait dans la journée deux petites promenades.
Enfin le 24, il est rendu à son propriétaire, qui, pour ne pas trop le fatiguer, le fait monter sur un chariot bas, à cause du long trajet qu’il aurait à faire.
Pendant toute la durée du traitement, ce cheval a pris dans ses barbotages, matin et soir, cent grammes de sulfate de magnésie.
M. Landrin a encore obtenu des guérisons rapides de la pneumonie du chien et du cheval par l’emploi de l’aconitine, de la digitaline et de la vératrine.
Chez le cheval il a toujours employé, en même temps, la saignée, les sinapismes, le séton, et, à l’intérieur, le nitre et les sels neutres à dose rafraîchissante.
Chez le chien, il a réussi à juguler la pneumonie en ayant recours à l’usage exclusif des alcaloïdes.
Dans divers cas de coliques violentes (congestion de l’intestin et spasme), avec ou sans la saignée, l’atropine et l’iodhydrate de morphine, en même temps que les lavements laxatifs, lui ont donné plusieurs guérisons inespérées.
Dans une fourbure aiguë, excessivement grave, avec fièvre des plus exagérées, il a obtenu, en peu de jours, une guérison radicale par l’administration dosimétrique de l’aconitine, précédée de la saignée. Pendant la durée du traitement l’animal a reçu du sulfate de magnésie.
Un rhumatisme musculaire violent a cédé, chez un chien, à l’emploi de la vératrine. Un cas d’ictère a été suivi, chez le chien, d’une parfaite guérison par l’emploi dosimétrique de l’arséniate de strychnine et du calomel.
Des apepsies et dyspepsies, fréquentes chez les chevaux et les chiens, ont été rapidement combattues par l’emploi de la quassine et du sulfate ou de l’arséniate de strychnine.
Réussite complète dans un cas de cystite du chien en employant la conicine, la brucine, l’hyosciamine et le benzoate de soude. La vératrine, au début de la maladie des chiens (à forme pectorale), donne aussi d’excellents résultats. Il est bon pour terminer le traitement de recourir à l’arséniate de strychnine et quelquefois à l’arséniate de fer.
L’émétine, dans les mêmes cas, a réussi bien souvent, employée de préférence chez les chiens les plus jeunes et les plus délicats. Il a souvent recours, dans ce dernier cas, à l’hydroferro-cyanate de quinine.
Observation 3me. — Le 2 avril dernier, dit M. Mansuy, vétérinaire à Remiremont, vers huit heures du matin, il m’est présenté un cheval de roulage, âgé de 7 ans, d’un moyen embonpoint, qui était extrêmement agité à l’écurie, appuyait au mur de face, vacillait sur ses membres postérieurs, avait les yeux rouges, légèrement jaunâtres, le pouls fort, vite, un animal enfin qui avait le vertige, déjà avec un commencement de trismus. Je lui fais bien vite une saignée à la queue, lui administre 50 grammes d’aloès en dissolution dans de l’eau (c’était encore possible), et ordonne des ablutions d’eau froide sur le crâne.
Du sulfate de soude est donné dans les boissons, que l’animal parvient encore à humer. 40 granules de chlorhydrate de morphine et d’hyosciamine sont prescrits pour la journée, à prendre toutes les heures, à la dose de cinq de chaque substance.
Le soir il y a du mieux.
Le lendemain matin, le mieux est plus sensible encore ; l’animal ne pousse plus au mur, la conjonctive est en partie décolorée, le pouls beaucoup moins vite et moins fort, le trismus moins prononcé. Le sulfate de soude est continué ainsi que le chlorhydrate de morphine ; mais en remplacement de l’hyosciamine j’ordonne le sulfate de strychnine parce que le train de derrière est toujours faible. Le soir du 3, les mâchoires sont tout à fait libres de leurs mouvements, et la marche est plus assurée.
Le cheval repart le 8, entièrement guéri.
M. Mansuy cite encore des cas de guérison de paraplégie graves sur le cheval et l’espèce bovine, principalement celle qui suit le vêlage. Dans deux cas de coliques, chez la vache, il a obtenu un plein succès avec 15 ou 20 granules seulement d’atropine donnés à la dose de cinq chaque demi-heure. Les symptômes de date récente étaient, il est vrai, peu violents.
Un semblable résultat a été obtenu sur un cheval malade d’une indigestion d’eau froide. Cet animal souffrait horriblement, était insensible au pincement des reins, même à des frictions d’essence de térébenthine. 15 granules d’atropine ont calmé la douleur, rétabli la sensibilité et ramené la santé.
Dans un cas de superpurgation, 20 granules de chlorhydrate de morphine ont enrayé la diarrhée dans l’espace de deux heures.
Observation 4me. — Il s’agit d’une chienne boule, hors d’âge, soignée dans l’infirmerie de l’École de Toulouse pour une entérite accompagnée d’épuisement extrême.
Le 6 novembre (1875), jour de son arrivée, on ordonne une décoction de graine de lin miellée avec lavements simples.
Le même traitement est suivi jusqu’au 9 ; l’épuisement n’a fait qu’empirer, si bien que l’animal ne peut plus se tenir debout ; on est obligé de le porter pour le présenter à la visite du matin. Les muqueuses sont très-pâles. Il est ordonné 4 granules d’arséniate de strychnine, bouillon concentré et lait.
Le 10, on constate une légère amélioration. La dose des granules est portée à 6.
Le 11, l’amélioration continue ; l’animal peut se tenir debout.
Le sujet va tous les jours de mieux en mieux ; le 18, on suspend le traitement, la guérison étant complète. Le 20, l’animal est retiré par son propriétaire.
Observation 5me — Un chien de Terre-Neuve, âgé de 1 an, est amené dans les infirmeries de l’École vétérinaire pour être soigné d’une amaurose consécutive à la maladie du jeune âge. On le traite d’abord avec de la pommade au sulfate de strychine : faite au 50e, puis au 30e.
L’état de la vue ne s’améliorant pas, on fait une friction d’onguent vésicatoire autour des yeux, tout en continuant l’usage de la pommade.
Le lendemain 11 décembre, l’animal paraît faible sur son train de derrière ; on diagnostique une paraplégie au début, occasionnée par un état nerveux qui, sans doute, est aussi cause de l’affection amaurotique. On ordonne des pilules composées de noix vomique et de carbonate de fer.
La maladie s’aggrave jusqu’au 21, où l’on administre 8 granules de sulfate de strychnine (au 1/2 milligramme), un chaque heure et demie.
Le 24, le nombre de granules est porté à 10, et le 25 décembre à 12.
Cette dose est continuée jusqu’au 26 décembre, sans que l’on ait constaté une amélioration bien sensible dans l’état de l’animal.
Le 28, on remarque que la marche est moins titubante, la station plus sûre et la pupille est moins dilatée.
L’état du sujet s’améliore de jour en jour.
Le 3 février, le traitement est suspendu et quelques jours plus tard le propriétaire a pu retirer son animal complètement guéri.
Ces quelques observations, prises dans le groupe, n’ont pas besoin de commentaire, chacun jugera de leur valeur par la gravité des cas.
À l’appui de la théorie et de l’expérience viennent encore se joindre les noms d’un grand nombre de praticiens très-distingués qui ont embrassé la nouvelle méthode et la pratiquent avec succès.
Tels sont : MM. Darbot, Cornevin, Bourrel, Verrier, J. Maillet, H. Benjamin, Landrin, Decroix, Payan, Béraud, etc.
Notre professeur M. Lafosse reconnaît lui aussi les avantages de cette méthode, il n’hésite pas à l’appliquer soit dans les névroses, soit dans les maladies des centres nerveux, et souvent avec succès, comme nous l’avons déjà vu dans les cas cités précédemment.
VI
En résumé :
A. — La médecine dosimétrique, qui date à peine de cinq ou six ans, est née des excès de la polypharmacie, de l’impureté et de l’incertitude des médicaments allopathiques. Elle s’est d’abord proposé une réforme thérapeutique en faisant exclusivement usage des médicaments minéraux et des parties actives des végétaux. Mais à cette nouvelle méthode, elle a joint une doctrine : le vitalisme.
Avec cette doctrine elle bat en brèche l’école organicienne et cette science nouvelle qui s’occupe de l’étude des lésions, l’anatomie pathologique.
La thérapeutique se résume en ces trois indications : Soutenir les forces, combattre la fièvre, modifier la nutrition. Pour arriver à ce but elle se sert de trois sortes d’agents : les alcaloïdes, les métaux et les métalloïdes.
Juguler la maladie en agissant dynamiquement, tel est son but ; éviter les horreurs de l’anatomie pathologique, tel est son principe.
B. — En vétérinaire, nous avons surtout senti le besoin de sa thérapeutique ; laissant de côté la théorie vitaliste qui, comme nous l’avons vu, n’est pas indispensable dans l’adoption de la nouvelle méthode, nous devons l’accepter avec confiance, certains que, n’étant pas exclusifs, elle apportera un bon appoint aux moyens que nous avons déjà.
Mais si des difficultés pratiques, des raisons inconnues ou une sanction de l’expérience contraire à notre attente, venaient à discréditer et à faire tomber dans l’oubli la médecine dosimétrique, nous ne devrions pas moins la considérer comme ayant fait avancer d’un grand pas la pharmacopée médicale.
Étudier les propriétés encore inconnues des parties actives d’un grand nombre de plantes, les employer rationnellement dans l’art de guérir, telle est l’œuvre qui sera pour toujours la gloire de M. Burggraeve.