De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 04


Chapitre IV.

Des effets des Vers dans le corps de l’homme.


Nous diviserons ce Chapitre en deux Articles : Dans le premier, nous verrons les effets que produisent les vers, qui naissent hors des intestins : Et dans le second, les effets de ceux qui s’engendrent dans les intestins.

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Article Premier.



LEs Vers, qui viennent hors des intestins, sont, comme nous l’avons déjà observé, les Encephales proprement dits, les Rinaires, les Auriculaires, & les Dentaires ; ce sont les Pulmonaires, les Epatiques, les Cardiaires, les Sanguins, les Vesiculaires, les Spermatiques, les Elcophages, les Cutanées, les Umbilicaux, & les Veneriens.

Les maux, que causent les Encephales, proprement dits, sont des douleurs extraordinaires de tête, quelquefois des fiévres chaudes, ainsi que nous l’avons remarqué dans le Chapitre précedent.

Les Rinaires produisent des effets semblables.

Les Auriculaires font sentir des douleurs violentes dans l’oreille, & quelquefois des démangeaisons extraordinaires.

Les Dentaires causent aux dents une douleur sourde, mêlée de démangeaison ; ils rongent peu à peu les dents, & y entretiennent beaucoup de puanteur.

Les Pulmonaires causent des toux violentes, montent quelquefois dans la trachée artere, & font faire par leurs picottemens des efforts semblables à ceux que l’on a coûtume de faire, quand il est entré quelque miette de pain, ou quelque goutte d’eau ou de vin dans le larynx.

Les Epatiques causent des pesanteurs de foye, avec des élancemens dans le côté droit, &, selon quelques Medecins, un sentiment de chaleur dans tout le corps avec une grande mélancolie. Je ne sçay si ce dernier effet se trouve vray à l’égard de l’homme ; mais je sçay bien qu’on lit, dans les Observations de Borel, qu’un chien, qui avoit un gros ver velu dans le foye[1], ainsi qu’on le reconnut aprés en l’ouvrant, alloit, toutes les fois qu’il pleuvoit, se mettre sous les goutieres, & s’y plaisoit tant, qu’on ne l’en pouvoit chasser ; que ce chien étoit outre cela fort mélancolique, & fuyoit les autres chiens. Ce fut M. Tardin, Medecin de Tournon, qui ouvrit le chien, & qui y trouva ce ver.

Les Cardiaires causent des tremblemens, des Syncopes, & cette maladie appellée passion Lunatique, qu’on attribuë faussement à la Lune ; ils causent souvent des morts subites.

Les Sanguins ne font sentir aucune douleur, ils se tiennent dans les vaisseaux, & nagent au milieu du sang, comme les vers du vinaigre nagent dans le vinaigre ; ces vers sont trés-menus & trés-petits, & il y a de l’apparence qu’étant portez au cœur avec le sang, ils entrent dans les arteres avec ce même sang, & sont portez dans ses chairs, d’où ils sont repris par les venes. Il est vray-semblable aussi qu’étant quelquefois trop gros, pour être reçu avec le sang dans ces mêmes venes, ils restent dans les chairs, où ils produisent des furoncles, des éleveures, & souvent ces gales universelles qui affligent tout le corps. Les Cardiaires pourroient bien être de ces vers sanguins arrêtez dans les inégalitez des ventricules du cœur, où ensuite ils grossissent, & acquièrent par l’accroissement assez de force, pour ronger le cœur même.

Les Vesiculaires, qui s’engendrent dans les reins, qui sortent par la vessie, causent souvent des retentions d’urine, & de violentes douleurs au col de la vessie lorsque l’on urine. Il s’est vû des malades uriner du sang, & aprés avoir jetté des vers par l’uretre être entierement gueris. M. Thomas Mermann, premier Medecin du Duc de Baviere, traitant une femme malade d’une dissurie, luy fit rendre par les urines un ver long d’une coudée, après quoy elle fut guerie par le moyen de quelques évacuans.

Les Spermatiques font, selon le sentiment de quelques Auteurs, une irritation aux parties qui les renferment, laquelle produit quelquefois des excés de mouvemens veneriens, mais ce sentiment n’est pas plus raisonnable que celuy de ceux qui pensent que le vinaigre ne picque qu’à cause des vers qui y sont.

Les Elcophages rongent les ulceres, & en mangent les mauvaises chairs, mais en même tems ils y produisent une corruption nouvelle par les excremens qu’ils y deposent.

Quant aux Cutanées & aux Umbilicaux, nous en avons suffisamment rapporté les effets dans le Chapitre 3. Art. I. j’ajoûteray seulement ici une chose au sujet des Crinons, qui est que Leeuvvenhock prétend que ce sont de véritables poils, & non des vers ; il dit qu’en les examinant avec le microscope, il luy sembloit à la vérité voir une maniere de tête, qui auroit pû faire croire que c’étoit des animaux, mais que cette apparence de tête venoit de ce que l’extrémité du poil, qui étoit dehors, avoit une couleur differente du reste, qu’aprés tout il n’y a jamais remarqué ni mouvement, ni aucune forme d’animal. A Aix la Chapelle la maladie des Crinons est assez ordinaire, & c’est la coûtume, dans ce lieu là, de frotter le corps avec du miel auprés du feu, alors ces petits Crinons deviennent plus visibles, & on les coupe avec le razoir, croyant couper autant de têtes de vers, quoique, selon toutes les apparences, on ne coupe que des poils que le miel a fait paroître ; car on sçait que le miel fait croître le poil promptement. Le sentiment de Leeuvvenhoek, que les Crinons sont des vers imaginaires, paroît d’autant plus vray-semblable, que les poils, qui poussent sous l’épiderme, sont capables par eux-mêmes de produire beaucoup d’incommoditez, lorsqu’il ne trouve pas une issuë assez libre, pour sortir. Cet Auteur rapporte l’exemple d’un homme de qualité, qui après être relevé d’une grande maladie, le vint trouver, pour luy dire qu’encore qu’il eût bon appetit, il craignoit de n’être pas parfaitement gueri, à cause d’une demangeaison incommode, qu’il sentoit par tout le corps ; que les Medecins attribuoient cette demangeaison à un sang trop acre, & qu’en travaillant à corriger cette acreté, ils prétendoient le guerir. Leeuvvenhoek en jugea tout autrement, il apprit du malade que les cheveux luy étoient tombez pendant sa maladie, sur cela il soûtint que la demangeaison venoit de ce que les poils, qui étoient en même tems tombez par tout le corps, recroissoient, parce que ces poils ne trouvoient pas une sortie assez facile, & picquoient l’épiderme : ce qui ne se pouvoit faire sans une grande demangeaison.

Ce raisonnement paroît conforme à l’experience, car on ne manque gueres sur la fin des Hyvers, ou au Printems de sentir de grandes démangeaisons, qui est le tems auquel le poil commence à recroître ; car c’est un fait constant, qu’excepté la barbe & les cheveux, le poil du corps tombe tous les ans, & se renouvelle ; il y a des gens, qui quand ce poil leur revient, quoiqu’il soit presque imperceptible, s’en trouvent fort incommodez, semblables en cela aux oiseaux, qui sont tout malades quand ils muent.

Quant aux veneriens M. Hartsoécher[2] est de sentiment qu’ils causent tous les ravages qui arrivent dans les maladies veneriennes ; qu’ils rongent & qu’ils mordent tout ce qu’ils trouvent ; & que si le mercure guerit cette maladie, c’est parce qu’il tuë les vers qui l’entretiennent. Ce sentiment me paroît fort vray-semblable, & j’ay vu des personnes, attaquées de ces sortes de maux, se sentir très soulagées, en prenant contre les vers. Un jeune homme entr’autres, qui, pour avoir pris pendant un mois d’une ptisanne, faite avec la gentiane, & s’être purgé de tems en tems avec l’aloës, qui sont de bons remedes contre les vers, s’en trouva si bien, qu’ayant pris ensuite pendant quinze jours des ptisannes de Squine & de Salsepareille, il n’eut plus besoin d’aucun autre remede, & fut parfaitement gueri, il y a trois ans qu’il joüit de cette nouvelle santé, sans avoir ressenti la moindre atteinte de sa derniere maladie. Nous avons remarqué dans le Chapitre 3. que les vers spermatiques ne se trouvent point en ceux qui ont des maux veneriens : ce qui doit faire voir que les vers veneriens sont d’une nature différente ; aussi les spermatiques ne se trouvent qu’en ceux qui joüissent d’une bonne santé, ainsi que nous l’avons observé au même Chapitre.


Article II.

Des effets des Vers qui sont dans les intestins.



LEs Vers des intestins sont de trois sortes, ainsi que nous l’avons remarqué dans le Chapitre 3. Il y a les ronds & longs, les ronds & courts, appellez ascarides, & les plats : Nous parlerons des effets des uns & des autres, & nous commencerons par les vers longs & ronds, ensuite nous viendrons aux ascarides, & nous finirons par le Solium.

Les maux que causent les vers ronds & longs, sont des nausées, des vomissemens, une haleine aigre, des tranchées, des coliques, des diarrhées, des tenesmes, des tensions de ventre, des défaillances, des hoquets, des dégouts, & quelquefois au contraire une faim devorante, des toux séches, des frissons, des fiévres erratiques, des convulsions, des épilepsies, des syncopes, des étourdissemens, des chancellemens étant debout, & quelquefois des privations de parole. Je me souviens à cette occasion de ce que rapporte Alexandre Benoît, Medecin, lequel parlant des causes qui peuvent rendre muet, dit que cette maladie est quelquefois produite par des vers qui sont dans les intestins ; il en cite un exemple d’une petite fille, qui fut muette huit jours, & qui guérit après avoir rendu quarante vers par le bas. Forestus[3] cite un exemple semblable d’un enfant de douze ans, devenu furieux dans une fiévre maligne, lequel fut muet deux semaines entieres, & recouvra la parole & la raison aprés avoir rendu par le bas une infinité de vers ensuite d’un médicament, qui luy fut donné à ce sujet.

Quand à la faim que causent les vers, nous remarquerons qu’il s’est vu des maladies épidemiques vermineuses exciter une si grande faim, qu’on n’appelloit point autrement ces maladies, que les maladies de la faim ; il y en eût une de cette nature à Sarragosse, dont presque tout le monde mouroit, & contre laquelle on ne trouva point de meilleur remede que le Bol-d’Armenie, donné tantôt seul & tantôt mêlé avec de la Theriaque : ce qui faisoit sortir des quantitez prodigieuses de vers, & guerissoit presque tous les malades[4].

Au regard des Convulsions, les vers des intestins en excitent quelquefois de si horribles, qu’on les prendroit presque pour des marques de possession. Il s’est vû des enfans travaillez de vers se courber en arriere jusqu’à faire toucher leur crane à leurs talons. Trincavelle assûre en avoir vû plusieurs exemples[5] : pour ce qui est de l’Epilepsie, la plûpart des enfans qui en sont affligez, ne le sont que par les vers.

Un autre effet des vers longs & ronds, est de piquer quelquefois les intestins, de les percer, de se répandre dans toute la capacité du bas ventre, & de dévorer les malades jusqu’à les consumer, ainsi qu’il arriva à cet Herode Agrippa[6], dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres. Grafftius écrit qu’ayant été appellé[7], pour voir un jeune homme de quinze ans, qui étoit fort malade, & qu’ayant reconnu qu’il avoit des vers, il luy fit prendre trois matins de suite d’une poudre qu’il composoit luy-même, laquelle entraîna par le bas plus de cent vers. Le ventre, nonobstant cela, ne laissant pas de demeurer dur & tendu vers le nombril, il fit mettre dessus un cataplasme emollient, & vingt-quatre heures après commençerent à sortir par le nombril plusieurs vers assez longs, ce qui continua plusieurs jours. Cependant le ventre ne diminuant point, il fit continuer le même cataplasme ; & comme c’étoit le tems des fraizes, & que ce jeune homme en mangeoit beaucoup, il arrivoit quelquefois qu’en levant le cataplasme on y trouvoit des grains de fraize attachez : ce qui ne permit pas de douter que les intestins, & les parties contenantes, ne fussent percées par les vers. Le malade mourut peu de jours aprés.

On trouve dans les Auteurs plusieurs exemples semblables, comme dans Hollier[8], dans Nicolas Florentin[9], dans Forestus[10], dans Trincavelle[11].

Le quatriéme de Janvier de l’année 1699. une nourrice me vint demander quelque remede, pour luy faire revenir son lait qui étoit tari, je luy en enseignay un, qui ne fit aucun effet ; elle vint me retrouver, je luy en conseillay un autre, qui fut aussi inutile que le premier ; surpris de ce peu de succés[12], je m’avisay de luy en ordonner un pour les vers, elle prit le remede le lendemain, & trois heures aprés elle rendit vingt-trois vers, dont quelques-uns avoient prés d’un tiers de long. Son lait revint quelques jours ensuite, & elle en eut les mammelles pleines. Il faut remarquer que cette nourrice étoit grasse, de bonne couleur, & ne se plaignoit d’aucune incommodité, sinon que lors qu’elle étoit long-tems sans manger, il luy prenoit des étourdissemens.

Une autre, âgée de trente ans, assez maigre, un peu pâle, & d’un temperament vif, me vint trouver le six de Fevrier de l’année 1699. me disant que son lait luy avoit manqué tout d’un coup ; j’examinay son sein, que je trouvay fort vuide, & d’où il fut impossible de tirer une goute de lait ; le mammelon étoit plein de fentes, semblables à celles qui viennent quelquefois aux lévres. Autour du mammelon paroissoit un cercle beaucoup plus pâle que celuy qu’on a coûtume de voir aux mammelles de certaines nourrices : je ne me tins pas à cet examen, je voulus sçavoir de quelle qualité étoit l’urine de cette femme, & son urine me parut d’abord assez belle, mais l’ayant laissé reposer, je la vis, qui de transparente qu’elle étoit, devint trouble & blancheâtre, ainsi qu’il arrive aux urines de plusieurs malades. Aprés cela je demanday à la nourrice si elle ne sentoit point quelque douleur de ventre, elle me répondit que tout ce qui l’incommodoit étoit des étouffemens, qui la prenoient la nuit, & qu’elle n’avoit point le jour. Je luy ordonnay un remede contre les vers, sans luy dire que c’étoit contre cette maladie, & luy recommanday de m’informer de ce qui se passeroit ; elle vint me trouver 8. jours aprés, & me dit que depuis ce remede elle n’avoit cessé de rendre des vers tous les jours, qu’au reste il luy sembloit que son sein grossissoit. Je voulus voir alors si je remarquerois les mêmes choses que j’avois observées auparavant, & je ne trouvay plus de crevasses au sein, le cercle du mammelon n’étoit plus si pâle, & l’urine reposée ne changeoit plus ; je ne doutay point alors que le lait ne revint entierement, si je donnois encore pour les vers à cette femme : ce que je fis, & ce qui me réüssit si bien, que quinze jours ensuite elle vint se presenter devant moy avec un gros enfant entre les bras, qui la tettoit à pleine bouche. J’ay voulu rapporter ce fait avec toutes ses circonstances, afin que les Medecins, qui le liront y puissent faire leurs reflexions.

Les Ascarides causent des demangeaisons dans le fondement, & souvent par l’irritation qu’ils font à l’intestin, des défaillances, des syncopes, & tres-souvent des Tenesmes.

Les effets du Solium sont presque les mêmes que ceux des vers longs & ronds, quelquefois même ils sont plus violens, comme le remarque Arnauld de Villeneuve, & il y en a trois que ce Ver produit plus ordinairement[13] ; sçavoir le syncope, la perte de parole, & la difficulté de se rétablir dans les maladies où l’on tombe par quelque cause que ce soit.

Pour la faim, on peut dire que si les vers affament quelquefois, le solitaire est celui de tous qui affame le plus, aussi nôtre malade étoit-il toûjours tourmenté d’une faim dévorante, & cela depuis son enfance, ainsi que je l’ay appris de luy-même : ce qui vient de ce que ce ver consume une partie du chyle, & corrompt l’autre ; car alors le corps est frustré de sa nourriture.

Pour ce qui est de la difficulté de se rétablir dans les maladies, c’est l’effet ordinaire du Solium. Comme la chaleur naturelle est affoiblie quand on est malade, on fait alors moins de chyle, ce peu de chyle, qui devroit servir à nous soûtenir, est presque tout devoré par ce ver, d’où s’ensuit que l’on doit tomber dans un abattement & un épuisement si considerable, qu’il soit impossible de se rétablir parfaitement ; c’est ce qui arrive à tous ceux qui tombent malades ayant ce ver. Si celuy qui a cet Insecte, dit Hippocrate[14], vient à tomber malade, il ne sçauroit se rétablir qu’à peine, vix revalescit. Et la raison de cette difficulté, poursuit-il[15], est que ce ver consume une partie de la nourriture contenuë dans l’estomach. C’est souvent de-là que viennent tant de langueurs qui restent aprés certaines maladies, & contre lesquelles tous les remedes sont inutiles, parce qu’on ne pense pas à cette cause. De-là tant de fiévres lentes, tant d’indispositions, qu’on ne sçait presque à quel genre de maladie rapporter.

Le même Hippocrate dit que ce ver ne fait jamais beaucoup de mal[16], cependant il dit plus haut que ceux qui l’ont, perdent quelquefois tout d’un coup la parole[17]. J’ajoûte à cela que nôtre malade tomboit d’Epilepsie depuis plusieurs années, & qu’il n’en tombe plus à present : J’en ay vû plusieurs autres être affligé d’Epilepsie ayant ce ver : ce qui me fait juger qu’il est plus dangereux que ne semble le dire Hippocrate ; mais apparemment que cet Auteur n’a parlé de la sorte, que par rapport au grand mal, qu’il dit que ce ver ne cause pas, qui est la mort, mortem non inducit, sed consenescit, d’ailleurs il appelle cet insecte du nom de θήριον[18], qui signifie particulierement dans le langage des Medecins une bête dangereuse par le venin. Ceux qui ont le solitaire supportent avec peine la fatigue, le moindre exercice les lasse, & leur corps devient toûjours debile : Hippocrate semble dire le contraire, selon la Traduction de Vander-Linden, qui rend le Grec que nous venons de rapporter au bas de la page, par ces mots : Qui hoc animalculum habet, toto quidem tempore valde debilis fieri non poterit : Celuy qui a cet insecte ne sçauroit devenir debile tandis qu’il l’a, mais cette Traduction n’est pas juste, le grec porte : Il n’arrive point de mal trop considerable à celui qui a ce ver[19] : ce qui est bien différent.

Le Solium produit dans les femmes des effets plus fâcheux que dans les hommes, il leur cause des coliques violentes, de longs delires, des syncopes fréquens, & avec cela des suppressions de regles, des tumeurs de ventre, des dégouts & des appetits bizares, que l’on prendroit aisément pour des signes de grossesse. On y a été trompé quelquefois, & Spigelius en rapporte un exemple assez digne de remarque : Une Demoiselle de qualité avoit tous les degouts, & tous les appetits ordinaires aux femmes grosses ; avec cela le ventre fort gros, & une suppression entiere de ses regles. Ses parens alarmez la firent examiner aux Medecins & aux Sages-femmes, qui assûrerent d’une commune voix qu’elle étoit enceinte : ce qui fut cause qu’on ne luy fit aucun remede. Cette fille, ainsi dépourvuë de secours, tomba dans une sécheresse universelle de tout le corps, & mourut peu de tems aprés. On l’ouvrit, & au lieu d’un enfant, qu’on s’attendoit de trouver dans la matrice, on trouva dans les intestins un grand amas d’eaux & un ver plat, qui occupoit toute la longueur des boyaux.

Nous avons observé que nôtre pleuretique se trouva gueri sitôt aprés la sortie de son ver : il ne faut point finir ce Chapitre sans examiner comment s’est pû faire cette guerison.

Nous remarquerons premierement qu’il n’est pas étonnant de voir des pleuresies vermineuses ; on en void souvent, & plusieurs Auteurs en font mention. Gabucinus entre autres en rapporte une[20], dont la guérison a beaucoup de rapport avec celle-cy : Il raconte qu’une fille ayant tous les symptomes ordinaires aux pleuretiques, une douleur picquante au côté, une toux séche, un poulx dur & recurrent, une courte haleine & une fiévre continuë, il remarqua que le corps de cette fille étoit tantôt froid, tantôt chaud, & que lors qu’il y avoit de la chaleur, une des jouës rougissoit, & que l’autre demeuroit pâle ; que sur cela il donna à la malade un medicament contre les vers, lequel en fit sortir une grande quantité, aprés quoy la pleuresie cessa.

C’est ce que nous avons vû arriver dans nôtre malade, il s’est trouvé gueri de sa pleuresie presque aussitôt aprés la sortie du ver. Voicy comment ce rétablissement se peut expliquer.

On sçait que la pleuresie est une maladie entretenuë par le sejour d’une humeur, arrêtée dans la plevre : or, je dis que le sejour de cette humeur étoit entretenu par celuy du ver, & voicy comment. Rien n’est plus capable de resoudre une humeur arrêtée, que l’abondance & la vivacité des esprits animaux ; ces esprits se produisent par le moyen de la distribution, qui se fait d’un bon sang à tout le corps, ce bon sang se fait du bon chyle ; or le bon chyle est devoré par ce ver, qui en consume la partie la plus subtile & la plus delicate, comme il est facile de le juger par la structure de son cou, qui est presque aussi mince que du papier ; il ne restoit donc dans le malade qu’un chyle épais & grossier, peu propre d’ailleurs à se distribuer. Ce chyle faisoit un sang épais, & ce sang épais des esprits grossiers, qui n’étoient pas assez subtils pour resoudre les parties du sang arrêtées dans la plevre, & pour leur donner la subtilité nécessaire, afin d’être reprises par les vaisseaux, & de rentrer dans le commerce de la Circulation ; lors donc que ce ver est sorti, le bon chyle, au lieu d’être employé à la nourriture de l’insecte, l’a été à celle du malade, il s’en est fait un sang plus delié, des esprits animaux plus vifs & plus abondans, l’humeur amassée dans la plevre a été par consequent penetrée par des parties subtiles & insinuantes, qui l’ont rendu propre à être reprise par les vaisseaux, en sorte que cette humeur étant dissipée, la guérison a dû s’en suivre.

J’ajoûte à cela, que c’est une erreur de croire, avec quelques Medecins, que les vers ne puissent pas causer la pleuresie : Ils la causent tres-souvent, comme remarque Quercetan ; & pour le comprendre, il n’y a qu’à faire reflexion sur ce que peut produire cette matiere corrompuë, qui accompagne toujours les vers ; car on n’a pas de peine à concevoir qu’elle peut aisément affecter la plevre & l’enflammer, sans qu’il soit necessaire de recourir à d’autres causes. Quercetan rapporte, qu’ayant fait ouvrir plusieurs vieillards, qui étoient morts de pleuresies, il leur trouva les intestins remplis de gros vers, ce qu’il regarda comme la cause veritable de leurs pleuresies[21].

J’ay dit plus haut que les Vers ronds & longs picquoient souvent les intestins ; nous remarquerons icy que le Solium ne picque point, parce qu’il n’a pas la tête faite d’une maniere propre à cela, ayant cette partie fort molle, ainsi que l’observe Spigelius[22] & Sennert[23], & qu’on le void en celuy que je conserve.

On peut connoître par tout ce que nous avons dit jusques icy, que les maladies que causent les vers, ne sont point indifferentes ; & voicy deux ou trois exemples qui le pourront encore persuader.


OBSERVATION.


Il y a peu d’années qu’ayant été appellé chez un nommé M. Lorrain, dans la rue de la Truanderie, pour voir un jeune garçon malade d’une fiévre tierce, auquel on faisoit prendre inutilement le Quinquina depuis trois Semaines, j’avertis le Pere & la Mere que leur enfant étoit malade de vers, que cette fiévre venant d’une telle cause, le Quinquina ne la gueriroit point, & qu’il falloit recourir à d’autres remedes ; j’en prescrivis quelques-uns, qu’on se disposoit à faire, lors qu’il entra une personne, qui soûtint qu’il n’y avoit point de vers dans le malade, parce que le Quinquina étant amer, les auroit tous tuez, disoit-il, quand il y en auroit eus. Cette raison specieuse, que la pratique dément, porta les parens à continuer l’usage du Quinquina. Huit jours aprés la fiévre augmenta, il survint un transport au cerveau, & je fus rappellé. Un lavement de lait, que je fis donner alors, lâcha le ventre de l’enfant, & entraînant avec les matieres quatre gros vers vivans, fit voir aux parens leur erreur, qu’ils reconnurent trop tard ; car l’enfant mourut peu d’heures aprés.


AUTRE OBSERVATION.


M. Daval, Docteur de la Faculté de Medecine de Paris, m’a dit qu’ayant un jour laissé pour mort un malade qu’il traitoit, il s’avisa neanmoins d’y passer le lendemain, qu’ayant trouvé alors son malade dans la même extrémité, sans connoissance, presque sans poulx & sans chaleur, il soupçonna sur quelques signes, dont il s’apperçût alors, que tout cela pouvoit être causé par des vers ; qu’aussi-tôt, sans differer, il fit prendre au malade plusieurs choses contre les vers, lesquelles chasserent de son corps un animal jaune, ayant deux cornes par devant ; que le mal ne diminuant point pour cela, il fit réïterer les mêmes remedes, qui chasserent encore un ver semblable au premier, après quoy le malade revint à lui, & recouvra peu à peu la santé.


AUTRE OBSERVATION.


M. Hartsoeker m’a mandé d’Amsterdam, qu’il avoit il n’y a pas long tems un de ses enfans fort malade, & hors d’esperance de guerison ; qu’il luy donna quelques grains de Tartre Emétique, qui ce jour-là ne fit, en apparence, aucun effet, mais que le lendemain l’enfant rendit trois gros vers morts, & fut gueri aussitôt.


AUTRE OBSERVATION.


Dans la vieille ruë du Temple, chez M. Laurel Avocat, je fus appellé il y a trois ans, pour voir un jeune homme malade d’une dissenterie, auquel on avoit donné quatre fois l’hypécacuanha, je reconnus qu’il avoit des vers, j’en avertis celuy qui le traitoit, lequel par un grand raisonnement sur les Acides & sur les Alcalis, soûtint que cette dissenterie ne pouvoit provenir de vers, & fit tant, qu’on résolut dans le logis que le malade seroit traité selon les principes de cette Philosophie ; le succés ne favorisa pas le raisonnement du Philosophe, le mal empira, & on conseilla au malade de changer d’air ; on le transporta à la Campagne, où il devint encore plus indisposé, on le fit revenir à Paris, où huit jours aprés il mourut : on l’ouvrit, & on luy trouva les intestins tous remplis de vers, & sur tout le colon. Je ne puis m’empêcher à ce sujet de remarquer icy en passant qu’on met les Acides & les Alicalis à trop d’usages & que l’abus, que les demi-Sçavans font tous les jours de cette Doctrine, est quelque chose de pitoyable : c’est une induction mal tirée de quelques experiences de chymie qu’ils allient avec la Philosophie de Decartes ; ils empruntent de ce Philosophe les corpuscules & la combinaison de la matiere, ils y joignent les Acides & les Alcalis, que la Chymie leur découvre, & croyent par ce moyen avoir trouvé la clef & le denoüement de toute la Physique. Avez-vous la fiévre, c’est, disent-ils, que les corpuscules du sang sont en mouvement, & que les Acides venant à rencontrer les Alcalis, produisent une fermentation plus ou moins grande, selon la proportion des uns ou des autres. Manquez-vous d’appetit, c’est qu’il n’y a pas assez d’Acide dans l’estomach, & que le peu, qui s’y en trouve, est émoussé par la grande quantité des Alcalis : est-on d’un tempérament sec, on abonde en Alcali : est-on replet, les Acides sont en plus grande abondance : les yeux d’écrevices vous rafraîchissent, ce sont aussi tôt les Alcalis de l’écrevice, qui émoussent la pointe des acides : le vin vous échauffe, ce sont les Acides du vin, qui augmentent les acides de vôtre sang, & donnent à ce sang un trop grand mouvement : Les feüilles d’un arbre tombent-elles en Automne, les alcalis ont émoussé les acides, & empêchent le mouvement necessaire à la vie : Les fruits sont-ils abondans, c’est que la terre, qui les nourrit, abonde en acides : Y a-t-il peu de fruits, c’est qu’il y a trop d’alcalis. J’attends que bientôt, si on demande pourquoy la Seine charie des glaçons en hyver, & rompt quelquefois les ponts, on répondra que cela vient des acides & des alcalis ; car l’eau se figera par les acides de l’air, lesquels fixeront les alcalis, & les parties de pierre & de bois, que les glaces rompront, ne se seroient point rompuës, si les acides, qui se sont insinuez dans leurs pores, ne les eussent rendu cassantes. Ainsi pourquoy le feu consume-t’il une maison ? c’est que les acides & les alcalis sont mis en mouvement. Pourquoy l’action des maçons démolit-elle les bâtimens ? bientôt les acides & les alcalis en seront la cause. Je ne nie pas qu’il n’y ait de ces sels, mais je ne puis souffrir qu’on les mette ainsi à tout sans discernement, & qu’on aime mieux risquer la vie d’un malade, que de demordre un moment de cette Doctrine.

Il s’agit d’examiner si une maladie est causée par des vers, il y a des signes pour cela faciles à connoître ; au lieu de s’y arrêter on va chercher les acides & les alcalis : on prouve par ce systeme qu’il n’y a point de vers dans le malade, & cependant le malade meurt de vers : Voilà ce que le bon sens, ce que la conscience même ne sçauroit excuser. La Doctrine des acides & des alcalis est inutile en Medecine sans une connoissance exacte de ce qui se passe dans le corps humain ; car c’est-là la vraye science du Medecin, sans laquelle tous les systemes des acides & des alcalis, non plus que tous les autres, ne servent de rien, ainsi que le remarque si à propos M. Jacquemier dans la sçavante These qu’il a fait soûtenir aux Ecoles de Medecine de Paris le treiziéme jour de Novembre de l’année 1698[24].

Si j’eusse voulu m’arrêter à tous les raisonnemens, qui me furent faits sur ces sortes de sels, pour me prouver que le malade, que j’ay délivré du Solium, dont on void icy la figure, n’avoit aucun ver, qu’il le falloit encore saigner, & luy donner ensuite le petit lait, il auroit encore ce ver, ou seroit mort : selon eux la potion purgative alloit faire des desordres extraordinaires, étant donnée avant la coction des humeurs, & avant que les acides & les alcalis eussent fini leur combat : le malade devoir mourir si je ne le faisois encore saigner ; tout étoit à craindre sans la saignée & le petit lait. Je n’ordonnay neanmoins ni l’un ni l’autre, mon malade prit le breuvage que je luy préscrivis, rendit un ver de quatre aulnes trois poulces, & guerit : voilà tout le mal qui en arriva.

On n’examine pas avec assez de soin s’il y a des vers dans les malades, de-là vient que plusieurs personnes de tout âge, faute d’avoir pris des remedes, ou des préservatifs contre les vers, tombent en langueur & meurent, sans qu’on en sçache la veritable cause. Ces insectes s’engendrent peu à peu dans le corps, & s’y engagent après de telle sorte, lors qu’on neglige les remedes qui les pourroient chasser, qu’on n’est souvent plus à tems de les combattre lors qu’on le voudroit. On en a trouvé quelquefois de fort longs jusques dans le tronc de la vene porte. En 1601. Spigelius faisant une Anatomie publique, & préparant le foye du sujet, qui étoit le corps d’une femmes d’un âge mediocre, morte dans une maigreur extraordinaire, trouva quatre gros vers ronds[25], longs d’une palme, dans le tronc de la vene porte, où il s’étoit formé une obstruction, qui avoit causé la mort à la malade ; il montra ces vers à Fabricius Aquapendente son Maître, lequel les fit voir le lendemain dans l’Amphiteatre à tous les assistans comme une chose extraordinaire.

Plusieurs Auteurs attribuent aux vers la cause des fiévres malignes, Kircher[26] & Hauptman prétendent qu’elles ne viennent presque jamais que de-là[27]. Forestus rapporte un grand nombre d’exemples de fiévres malignes & pestilentielles, vermineuses, dont il dit avoir esté témoin[28].

Je n’examineray point icy si ce sont les fiévres malignes qui donnent occasion à la génération des vers, ou si ce sont les vers qui causent les fiévres malignes ; je diray seulement que dans les dernieres qui coururent, je ne trouvay pas de meilleur moyen, pour guerir les malades que je traitois, que de les gouverner par rapport aux vers ; je leur en faisois rendre un fort grand nombre, après quoy ils guerissoient par l’usage de quelques cordiaux : Nous pouvons remarquer que les vins de ce tems-là étoient fort verds, & par conséquent fort capables de corruption : ce qui pouvoit beaucoup contribuer à la génération de ces vers, dont presque tous les malades étoient atteints. J’ajoûteray même une chose, que M. Quiquebœuf, Docteur & Professeur dans la Faculté de Medecine de Paris, observa cette année là, qui est qu’il y avoit des vers dans le vin ; & voicy comment il le reconnut. Un de ses domestiques étant allé à la cave, pour ôter le fosset à un tonneau, afin d’y mettre une fontaine, s’apperçut qu’il y avoit autour de ce fosset une lie mêlée de vers ; cela donna lieu à M. Quiquebœuf d’examiner si dans les lies il pourroit y en avoir, il fit ôter le vin du tonneau, en exposa la lie au Soleil, au bout d’une heure il y parut une fourmillere de vers, la même chose arriva à deux autres pieces.

Toutes les observations, que nous avons rapportées jusques icy, font voir combien il est facile & ordinaire qu’il y ait des vers dans le corps de l’homme, & par consequent combien les Medecins doivent être attentifs aux signes, par lesquels on peut connoître quand il y en a : Nous allons parler de ces signes dans le Chapitre suivant.

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  1. Borell. observ. medicophys. cent. 2. observ. 23.
  2. Voyez sa seconde lettre.
  3. Forest. de febrib. cum morb. Epidem. p. 6. grass. lib. 6. obs. 39.
  4. Forest. lib. 21. observ. 28. in Schol.
  5. Trincav. lib. 9. cap. 11. de rat. curand. part. hum. corp. affect.
  6. Cap. 12. v. 23.
  7. Grafft. apud Guilhelm. fabric. cent. 2. observ. 12.
  8. Holler. lib. I. cap. 54. de morb. int.
  9. Nicol. Florent. serm. 5. tract. 8. cap. 54.
  10. Forest. lib. 7. observ. 35. in schol.
  11. Trincav. lib. 9. cap. 11. de ratione cur. partic. hum. corp. affect.
  12. Tob. Cneulinus de observ. propriis.
  13. Signum solii, est cum patiuntur prædicta symptomata, intensiora & fortiora. Arnold. Villanov. breviar. lib. 2. cap. 21.
  14. μόλις ἀναφέρεται. lib. 4. de morb.
  15. Hip. ibid.
  16. Qui hoc animalculum habet, ei nihil valde periculosum accidit δεινόν τι κάρτα οὐκ ἂν γένοιτο. Hip. ibid.
  17. Quibusdam etiam vocem intercipit.
  18. ὃς ἔχει τοῦτο τὸ θηρίον.
  19. δεινόν τι κάρτα οὐκ ἂν γένοιτο.
  20. Gabuc. de Lumbr. Cap. 13.
  21. Quercet. rediv. Tom. 3. de pleuritid.
  22. Spigel. de Lumbr. lat. cap. 6.
  23. Vide etiam Sennertum lib. 3. part. 2. sect. 1. cap. 5.
  24. Hac omissâ in vanum arcana naturæ penetralia subit Medicus, perperam acidorum alcalium-ve nomina effutiet.
  25. Spigel. de lumb. lato, notâ quartâ.
  26. Kirch. in scrutinio pestis.
  27. Hauptm. de vivâ mortis imagine, & tractatu de Therm. Vvolckensteinensibus.
  28. Forest. de intest. affect. lib. 32 observ. 16. in Schol.