De la fréquente Communion.../Partie 2, Chapitre 4

Chez Antoine Vitté (p. 473-485).
Chapitre 4


que selon le sentiment de tous les peres, toutes sortes de pechez mortels nous obligent de demeurer quelque temps en penitence avant que communier. premiere preuve de cette verité, fondée sur la distinction des pechez mortels et veniels.

la premiere de ces preuves servira de fondement à toutes les autres, expliquant la distinction, que les peres mettent entre les pechez. Il n’y a rien de plus constant dans toute l’antiquité, que ce que l’heresie nous conteste, touchant la distinction des pechez mortels, et veniels ; (...).


Saint Augustin establit cette distinction en cent endroits, et sur tout ce qu’il en dit au sermon vingt-neufviesme des paroles de l’apostre merite d’estre remarqué ; (...).


Ce qui nous apprend deux veritez importantes. Premierement, que puisque S Augustin definit un peché mortel celuy qui tue l’ame d’un seul coup ; il n’y peut avoir lieu de douter, que ce pere n’ait mis de ce nombre tous ceux qui font perdre la grace de Dieu, soit publics, soit secrets, soit qu’ils soient nommez par les canons, soit qu’ils ne le soient pas. Et en second lieu, que ceux qui commettent des pechez mortels, quand ce ne seroit que rarement, ne sont point, selon ce saint, du nombre des bons chrestiens, qui vivent sous la conduitte de la foy, et dans la veritable esperance du christianisme. Mais la distinction la plus ordinaire entre les pechez veniels et les pechez mortels est, que ceux-cy sont appellez crimes, et les autres simplement pechez . Je sçay bien qu’en nostre langue le mot de crime signifie ordinairement quelque chose de plus qu’un simple peché mortel ; mais dans le langage de l’eglise principalement en latin, il s’estend generallement à tous les pechez, qui tuent l’ame, et qui esteignent le Saint Esprit. C’est ainsi que l’eglise a entendu le precepte de Saint Paul de ne faire point d’evesque qui ne fust sans crime . (...).


Et dans le livre quatorziesme de la cité de Dieu chap. 9 (...). Si les crimes ne comprenoient pas toutes sortes de pechez mortels, seroit-ce assez bien vivre que d’en commettre, pourveu qu’ils ne fussent pas crimes ? (...).


Ce qui paroist encore davantage en ce qu’il appelle un homme sans tache, qui est exempt de ces crimes : estant ridicule de s’imaginer, qu’une ame coupable d’un peché mortel, quel qu’il fust, pust estre estimée sans tache. Mais il passe encore plus avant dans l’homelie quaranteuniesme, puis qu’il asseure le salut eternel à tout homme baptisé, qui aura passé sa vie sans crime. (...).

Saint Hierosme, ou l’auteur des commentaires sur les pseaumes, qui sont parmy ses ouvrages, ne verifie pas moins clairement que le mot de crime dans le langage de l’eglise, comprend toute sorte de pechez mortels : puis qu’il nous apprend aussi bien que Saint Augustin, (...), lesquels il oppose à ces pechez legers, sans lesquels nous ne sommes jamais en cette vie. Et cette façon de parler est perpetuellement demeurée dans le langage de l’eglise, comme il se void par Saint Eloy, qui escrivoit dans le septiesme siecle, lequel oppose les crimes capitaux aux pechez veniels, en disant dans l’homelie sixiesme, ce qu’il repete trois fois dans l’homelie huictiesme, (...).

Et par Saint Fulbert qui escrivoit dans l’onziesme siecle ; lequel parlant des pechez qui font perdre la grace du baptesme, dit, (...).

Et depuis luy, Pierre De Bloys oppose dans son sermon sixiesme et dixiesme les pechez criminels , criminalia, aux veniels ; et met du nombre des criminels ceux mesmes qui se consomment dans la pensée, comme la convoitise d’une femme. Gratien parle le mesme langage. Et de nostre temps le concile de Trente appelle crimes tous les pechez, qui obligent les baptisez qui les commettent, à recourir au tribunal de l’eglise, tels que sont sans aucune difficulté toutes sortes de pechez mortels. Mais l’on voudra possible esbranler une doctrine si constante par un passage d’Origene qui semble dire, qu’il y a des pechez mortels qui ne sont pas crimes, et pour lesquels on estoit tousjours receu à faire penitence. En voicy les paroles de la version latine, faute de l’original qui n’a point encore paru au jour. (...).


Mais ce passage n’a pas besoin de longue response ; et pour peu qu’on y apporte d’attention, l’on reconnoistra, que tout ce qu’on en objecte n’est fondé que sur un erreur de copiste tres-visible. (...).


Premierement la faute est facile par la seule addition d’une lettre. Secondement elle est evidente puis qu’il y a une manifeste contradiction en ces paroles, (...),

estant impossible de monstrer dans aucun pere ancien qu’il y ait distinction entre (...).


Quatriesmement, comment pouvoit-il mieux marquer, que par ces fautes, qu’il oppose aux crimes mortels, il n’entendoit que les pechez veniels, qu’en les exprimant par ces paroles sur la fin de ce passage ; (...),


qui sont les mesmes termes dont tous les peres se servent pour exprimer cette sorte de pechez ; d’où vient qu’ils les appellent ordinairement, (...).


Et qui se pourroit persuader qu’Origene ou aucun des peres, qui tous nous representent si puissament l’estat deplorable d’un homme qui perd la grace de son baptesme, et l’extréme difficulté de la recouvrer lors qu’elle est une fois perduë, ait parlé d’aucuns des pechez mortels, comme de fautes legeres, communes, ordinaires, dans lesquelles nous tombons souvent, et qui se racheptent sans cesse ? (...).

Il ne se peut

rien concevoir de plus contraire à la doctrine des peres. Car ils sont bien esloignez de croire, que la grace se perde et se recouvre avec la facilité, que quelques-uns s’imaginent en ce temps ; et que ce soit une chose ordinaire à des chrestiens, d’estre aujourdhuy enfant de Dieu, et demain enfant du diable ; de retourner quelques jours apres à Jesus-Christ, et à la premiere occasion de l’estouffer dans son cœur, de vivre, mourir, revivre, mourir encore une fois, tantost saint, tantost demon, tantost digne de l’eternelle jouïssance de Dieu, et aussi-tost apres digne d’une eternelle damnation, et cela par des revolutions continuelles, et qui durent toute la vie. Et ainsi tant s’en faut que ce passage d’origene prouve quelque chose contre la doctrine de tous les autres peres, qu’au contraire, estant bien leu et bien entendu, il la confirme entierement, et monstre quelle difference l’on doit mettre entre la remission des pechez mortels, et celle des pechez veniels. Cette distinction estant establie comme le fondement de tout ce discours, je me contenteray pour cette premiere preuve, d’un seul passage, mais formel, et d’un auteur irreprochable, puis qu’une rare doctrine jointe à une dignité illustre, ne luy permettoit pas d’ignorer, quelle estoit la pratique de l’eglise dans l’administration des sacremens. C’est de Saint Cesarius archevesque d’Arles, et l’une des plus grandes lumieres de nostre France, qui vivoit dans le sixiesme siecle. Ce grand saint dans son homelie 8 ne fait autre chose qu’establir la distinction entre les pechez mortels, et les pechez veniels ; et des diverses peines qui leur sont deuës. Il appelle les pechez mortels , crimes capitaux, et les veniels , petits pechez. Il dit, que les uns tuënt l’ame, et que les autres ne la tuënt pas, quoy qu’ils la rendent fort difforme ; que les bons évitent les uns, mais que personne n’est exempt des autres ; que l’enfer est la peine des uns, et que le purgatoire l’est des autres ; que pour les premiers, si l’on ne s’en corrige, et que l’on ne les efface par les eaux de la penitence, l’on ne peut attendre avec raison qu’une damnation eternelle ; mais que les derniers se purifieront par le feu passager, dont l’apostre Saint Paul parle. Cette opposition qu’il fait dans toute cette homelie, monstre évidemment que par les crimes capitaux, il entend toutes sortes de pechez mortels . Et cependant escoutez comme il veut qu’on se conduise, lors qu’on s’en trouve coupable. Apres avoir fait un denombrement de ces pechez, et avoir mis de ce nombre le sacrilege, (...) .

Si ces paroles estonnantes ne sont pas capables de vous convaincre, ce qu’il dit plus bas le pourra faire plus puissamment. (...).


Apres avoir, dis-je, enseigné, que par ces sortes de bonnes œuvres, et autres semblables, on rachete tous les jours les pechez veniels ; il adjouste, (...). largiorcs elcemo ſvna ?, ctiam plus 160 DE L A F R E Q^V E N T E


Ces paroles n’ont pas besoin de commentaire pour persuader à l’opiniastreté mesme, que selon ce grand archevesque, l’esprit de l’eglise est, que tous ceux qui se sentent coupables de pechez mortels, soient plusieurs jours à faire penitence avant que de communier. Ce que neantmoins vous osez nier avoir jamais esté la prattique de l’eglise. Je pourrois alleguer icy le passage de Gennadius, du livre des dogmes ecclesiastiques ; et celuy de Saint Augustin dans son sermon 252 mais pour éviter la longueur, j’ayme mieux vous renvoyer à ce que j’en ay dit dans la premiere partie. J’adjoûteray seulement, que dans cette opposition des pechez mortels aux veniels, les peres ont creu si constamment, que tous les mortels doivent separer de l’eucharistie, jusques à tant que l’on en ait fait penitence ; qu’une de leurs manieres de parler pour expliquer les pechez veniels ; c’est de les appeller, (...). Ainsi le grand Saint Augustin, pour dire que nous avons besoin de pardon pour toutes nos offenses, encore qu’elles ne soient que venielles, et non mortelles : (...).

Et en un autre endroit, pour dire qu’un homme ne doit pas se glorifier, encore qu’il ne commette pas des pechez mortels : (...).