De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 39

Chez Antoine Vitté (p. 416-426).

Chapitre 39


quel egard on doit avoir aux pechez veniels, pour regler les communions. Et ce que les peres nous enseignent sur ce sujet.

Saint Augustin a raison de remarquer, que si S Paul eust aussi bien ordonné, que l’evesque soit sans peché, comme il ordonne, qu’il soit sans crime, il ne se fust trouvé personne capable de cette charge, parce que tous ceux qui vivent chrestiennement sous la conduite de l’esprit de Dieu, se doivent, et se peuvent bien exempter des crimes, c’est à dire, des pechez mortels, mais ils sont tousjours redevables à la justice divine d’une infinité d’autres pechez. Nous pouvons dire de mesme en cette rencontre, que si tous les pechez veniels nous devoient empescher de recevoir l’eucharistie, toute la terre souffriroit un interdit general, et ce ne seroit pas pour des hommes fragiles comme nous sommes, que Jesus-Christ auroit institué ces mysteres. Mais cela n’empesche pas, que vostre proposition generalle dans le dessein que vous semblez avoir pris d’oster aux ames toutes sortes de sujets de se retirer quelquesfois de la communion par reverence, n’ait besoin d’estre accompagnée de quelques considerations, pour empescher que les foibles n’en abusent à leur ruïne. J’en rapporteray quatre, dont je ne traitteray les trois premieres qu’en passant, pour m’arrester un peu davantage sur la derniere qui est plus de nostre sujet. La premiere est, que l’abus si dangereux de ne tenir conte des pechez veniels, et de les commettre avec la mesme hardiesse que l’on feroit les meilleures actions, est monté jusqu’à un tel poinct d’excez en ce siecle, qu’il est d’extréme importance de n’y pas donner de l’accroissement, en representant ces offenses, comme des choses de nulle consideration, et ausquelles il ne faut avoir aucun esgard, lors qu’il s’agit de se presenter au plus redoutable des mysteres. La seconde, qu’encore que ces pechez ne tuënt pas l’ame d’un seul coup, comme font les mortels, il est necessaire neanmoins d’avoir grand soin d’en effacer sans cesse les taches par les remedes de la penitence, par les prieres, par les aumosnes, par de fortes resolutions suivies de fidelles et de frequentes pratiques, par l’esloignement des mauvaises compagnies, par les retraites dans son logis, par des œuvres contraires à celles que l’on a faites ? Comme par l’occupation contre l’oisiveté ; par le silence contre la liberté des paroles ; par les loüanges et les tesmoignages d’estime contre les médisances ; par de favorables interpretations, contre les mauvais soupçons, par la liberalité contre la trop grande espargne, et la dureté vers les pauvres ; par des actions humbles contre des actions orgueilleuses ; par de bons accueils, et des marques d’amitié contre les aversions ; par la vigilance contre la paresse ; par la mortification contre l’attachement aux plaisirs des sens ; et enfin par des traittemens doux et favorables contre les aigreurs et les choleres domestiques qui troublent toute la maison interieure et exterieure. (...). D’où vient, que ce saint establit en deux choses le devoir d’un homme juste touchant les pechez ; la premiere, de n’en commettre jamais de mortels ; la seconde, d’expier sans cesse les veniels par les œuvres de charité. Et c’est ce qui doit faire prendre garde, que vostre maxime si generalle ne donne sujet aux ames de negliger la satisfaction qu’ils doivent à Dieu pour leurs offenses venielles, lors principallement qu’ils desirent s’approcher du saint autel. Certes quand je considere ce que Saint Hierosme escrit de la penitence continuelle que Sainte Paule faisoit pour ces sortes de pechez, je ne puis m’empescher de la rapporter en cet endroit, pour monstrer l’extreme soin qu’ont les ames saintes de se purifier de leurs moindres fautes par de grandes satisfactions. Cette illustre romaine, qui n’avoit esté toute sa vie qu’un exemple rare de chasteté, ne laissoit pas de se traitter avec autant de rigueur, que si elle eust esté la plus criminelle du monde. (...). La troisiesme consideration est, que pour instruire fidellement ceux qui veulent vivre dans la pieté chrestienne, comme leur baptesme les y oblige ; il ne falloit pas oublier de distinguer avec soin l’affection aux pechez veniels, d’avec les pechez veniels, puis que cette affection, selon le sentiment de l’antiquité, que l’un des plus saints evesques de nostre temps, a estably de nouveau, comme une regle judubitable en matiere de devotion, est un juste empeschement de frequenter l’eucharistie ; ainsi que nous l’avons fait voir dans le chapitre 22 où nous supplions le lecteur d’avoir recours pour s’esclaircir de ce point si important. La quatriesme et derniere consideration qui nous descouvrira la fausseté de vostre regle prise en general, c’est, qu’encore que tous les pechez veniels ayent cela de commun, qu’ils ne separent pas eternellement de la possession du royaume, il y en a neanmoins de tant de sortes, qu’il est necessaire de ne les pas confondre, comme vous faites, pour juger s’il ne s’en trouve aucun qui nous doive porter à nous separer quelquefois de la sainte communion. Il y en a de volontaires, et d’involontaires selon le langage des anciens peres. Il y en a qui procedent de nostre mauvaise inclination, et d’autres qui sont causez par quelque tentation estrangere. Il y en a que nous commettons avec deliberation, et d’autres que nous ne faisons que par imprudence. Il y en a qui viennent d’une longue accoustumance, et d’autres qui naissent d’une occasion passagere. Il y en a de negligence, et de pure fragilité ; de malice, et d’ignorance ; d’exterieurs et d’interieurs. Les uns blessent davantage la pureté de nostre ame, et les autres moins. La charité du prochain semble plus interessée dans les uns que dans les autres. Il y en a qui causent quelque scandale, et d’autres qui n’en causent point. Les uns apportent plus de trouble à nostre esprit que les autres : et enfin ils sont quelquesfois en plus grande multitude, et d’autresfois en plus petit nombre. Si vostre proposition comprend tous les pechez veniels de toutes ces sortes, elle renverse de tres grands fondemens de la pieté chrestienne, et condamne une infinité de saints, qui nous ont appris, et par leurs escrits, et par leurs exemples, que les seuls pechez veniels nous doivent porter quelquefois à une abstinence respectueuse de cette nourriture celeste. Je ne vous en rapporteray que quelques-uns ; mais pris de divers aages de l’eglise, pour vous faire mieux comprendre sa perpetuelle conformité dans cette doctrine. Sainct Augustin vous apprendra que les pechez, mesme veniels, qui blessent un peu la chasteté, principalement lors qu’on y retombe souvent, doivent faire apprehender que l’on ne reçoive indignement l’eucharistie, si l’on n’a grand soin de les rachepter auparavant par les aumosnes. C’est dans son sermon 244 où parlant de ceux qui usent intemperamment du mariage, et hors la fin de la generation des enfans ; (...). Cecy vous servira de responce à l’authorité de Saint Augustin et de Saint Hilaire, que vous prenez tres-mal à propos pour le fondement de vostre regle. Car vous n’avez autre chose à nous rapporter de ces deux peres, que ce que vous en avez cité dans le chap. 14 où je vous ay desja monstré que la citation de Saint Hilaire, n’estoit qu’un effet de vostre peu d’intelligence en ces matieres. Et pour celle de Saint Augustin, qui est le seul veritable autheur de ce passage lequel vous attribuez à ces deux peres, je vous ay fait voir qu’il ne parle pas en sa personne ; mais qu’il rapporte seulement les raisons et les paroles d’un autre, et qu’ainsi les enseignemens qu’il donne à son peuple dans ce sermon nous doivent estre de plus grand poids pour nous asseurer de ses veritables sentimens : outre que ce qui est rapporté dans cette epistre 118 se doit entendre de ce qui arrive ordinairement et de ces pechez veniels, que la fragilité de nostre nature nous fait commettre sans cesse. Saint Gregoire qui peut rendre tesmoignage de la doctrine de l’eglise dans un âge plus avancé, nous enseigne, (...). Saint Bonaventure qui a vescu prés des derniers temps escrit ces paroles dans son traitté de la preparation de la messe ; (...). Advoüez que ces excellentes paroles de Saint Bonaventure destruisent absolument vostre decision, puis qu’il declare en termes clairs que non seulement les pechez mortels, mais aussi les veniels venans à se multiplier par nostre negligence et par nostre paresse, mettent l’ame hors de la disposition que ces sacrez mysteres demandent. Enfin pour descendre jusques à nostre siecle le bien-heureux François De Sales est si esloigné d’approuver vostre maxime, que nous ne devons point avoir esgard aux pechez veniels pour regler nos communions ; qu’escrivant à une dame de grande vertu, et à laquelle il rend ce tesmoignage si advantageux, que le sentiment qu’elle avoit d’estre toute à Dieu n’estoit point trompeur, il approuve extremément, que son confesseur luy eust retranché la consolation de communier souvent, à cause seulement de quelques paroles d’impatience ausquelles elle estoit sujette. (...).