De la dictée comme moyen d’enseigner l’orthographe

De la dictée comme moyen d’enseigner l’orthographe
Revue pédagogique, second semestre 189629 (p. 498-506).

DE LA DICTÉE
COMME MOYEN D’ENSEIGNER L’ORTHOGRAPHE



C’est un fait que la dictée est toujours l’exercice prédominant dans nos écoles primaires et celui sur lequel les maîtres comptent le plus pour apprendre à leurs élèves l’orthographe. La plupart des emplois du temps en comptent trois par semaine, et jamais la dictée ne cède sa place à aucun autre exercice, tandis que, pour une raison quelconque, il arrive souvent qu’elle remplace tantôt celui-ci, tantôt celui-là. C’est qu’aussi, dans presque tous les examens, à commencer par celui du certificat d’études primaires, l’épreuve de la dictée est éliminatoire, sinon en droit, du moins en fait : ne pas échouer à la dictée, c’est tout d’abord pour un candidat avoir de grandes chances d’être reçu. Il semble dès lors que le maître ne puisse pas faire trop de dictées pour préparer ses élèves, et souvent même, à l’approche de l’examen, certains en font plusieurs par jour. Et puis, l’exercice est si commode ! On prend un livre ou un journal, quelquefois le premier venu ; on en dicte une page ; on fait épeler et l’on corrige. Les élèves sont occupés, la discipline est facile : aucune fatigue d’ailleurs.

J’ai pensé souvent, et j’ai dit ici même[1], que la dictée n’était peut-être pas le meilleur moyen à employer pour enseigner l’orthographe, et qu’il y en avait sans doute d’autres qui seraient plus prompts, plus sûrs et plus efficaces. Mais voici mieux. Dans un article de la Revue universitaire[2], M. Payot, inspecteur d’académie à Privas, va jusqu’à dire « qu’il serait presque tenté de croire que, si nos enfants apprennent l’orthographe, ce n’est pas par la dictée (faite comme on la fait presque universellement), mais malgré la dictée », et il apporte à l’appui de son opinion des raisons psychologiques et physiologiques dont il est difficile de méconnaître la portée. Il serait regrettable que cet article passât inaperçu des lecteurs de la Revue pédagogique, que la chose intéresse particulièrement.

On admettra sans doute que l’orthographe (il ne s’agit ici, bien entendu, que de l’orthographe usuelle) est plutôt affaire de mémoire que de raisonnement. Que ceux qui ont étudié le latin et le grec puissent parfois être guidés dans leur manière d’écrire un mot par les lois de la phonétique et de la dérivation, peut-être bien : encore auraient-ils tort de trop s’y fier. Que de fois le raisonnement leur ferait commettre des fautes ! Mais pour les élèves de nos écoles primaires, la question ne se pose même pas. Dès lors, si le maître dicte un mot que l’élève ne connaît pas, que va-t-il arriver ? Il cherchera dans sa mémoire la forme de ce mot ; mais si elle ne s’y trouve pas, il fera un effort de logique. « C’est dire assez qu’il est perdu, dit M. Payot, la logique n’ayant rien à voir dans cette affaire. » Sans aller tout à fait jusque-là, il faut convenir que les raisonnements par analogie auxquels il pourra recourir l’induiront souvent en erreur (honneur et honorable, oreille et auriculaire, par exemple) ; et l’on ne peut guère ne pas partager l’avis de M. Payot disant que, « quelque effort d’intelligence qu’il fasse, il ne peut trouver l’orthographe d’un mot qu’il ignore ». Donc, s’il se rencontre dans la dictée un mot que l’élève ne connaît pas, ou même qu’il connaît, mais sans savoir comment ce mot s’écrit (et c’est pour les mots de ce genre surtout que l’exercice serait utile), il ne peut que reproduire ce qu’il entend ; et en admettant même que ce mot ait été bien nettement articulé par le maître, si l’orthographe n’en est pas absolument phonétique, forcément il l’écrira mal. En tout cas, l’écrivit-il bien que ce serait par pur hasard, sans raison aucune, partant sans qu’on puisse dire qu’il y ait vraiment pour lui savoir acquis. Donc enfin, pour qu’un élève puisse écrire convenablement un mot quelconque, qui ne s’écrit pas absolument comme il se prononce (et le nombre en est grand dans la langue française), il faut, — à moins encore que ce mot ne lui soit épelé, ou que déjà il l’ait vu écrit quelque part, ou qu’il l’ait bien écrit lui-même et qu’il s’en souvienne. Pour qu’il puisse le retrouver par un effort de mémoire, il faut qu’il l’ait appris. L’orthographe ne se devine pas.

Or, et c’est ici qu’est la véritable originalité de la thèse soutenue par M. Payot, il est aujourd’hui scientifiquement démontré que le fait de la mémoire, le souvenir, qui paraissait, il y a peu de temps encore, un fait simple, a été trouvé d’une étonnante complexité. Le souvenir complet d’un mot comprend quatre souvenirs distincts : 1o un souvenir auditif, si déjà on a entendu le mot ; 2o un souvenir d’articulation, si déjà on l’a prononcé ; 3o un souvenir visuel, si déjà on l’a vu imprimé ou écrit ; et 4o, enfin, un souvenir graphique, si déjà on l’a écrit. « Et la preuve de cette complexité du souvenir des mots, la preuve de cette quadruple coalition de souvenirs dans un souvenir qui a longtemps paru simple, ajoute M. Payot, c’est la maladie qui nous la fournit avec une clarté surabondante. En effet, elle frappe chacun de ces quatre souvenirs individuellement, les uns indépendamment des autres. » Et il en cite de nombreux exemples empruntés aux sommités de la science actuelle, avec l’indication des ouvrages spéciaux que pourraient consulter ceux qui ne se considéreraient point comme suffisamment convaincus ; puis il ajoute :

« Ce qui nous importe, c’est cette incontestable vérité que le mot, et par suite l’orthographe du mot, sont fixés dans quatre mémoires différentes. Il s’agit de déterminer, de notre point de vue, l’importance comparée de ces divers souvenirs.

» Les illettrés sont réduits à deux de ces mémoires et aux deux mémoires les moins précises (souvenirs d’audition et souvenirs d’articulation) : aussi altèrent-ils rapidement la langue, et les dialectes, tant qu’ils n’ont pas été fixés par l’écriture universellement répandue, ont-ils évolué rapidement.

» Il est clair que, du point de vue orthographique, » — (sans méconnaître pourtant l’appoint du souvenir auditif ni de celui de l’articulation : d’où l’avantage d’une prononciation distincte chez les maîtres et d’une articulation bien nette chez les élèves) — « les souvenirs les plus importants sont les souvenirs visuels et les souvenirs graphiques ».

Ces faits établis et ces principes posés, il devient difficile, semble-t-il, de ne pas admettre les conséquences suivantes :

1o D’abord, si l’on veut que les enfants apprennent et retiennent la manière dont les mots doivent s’écrire, il ne faut leur laisser voir et surtout ne leur jamais laisser écrire que des mots bien orthographiés ; car la forme des mots mal écrits se grave dans leur mémoire visuelle tout comme celle des mots bien écrits, et il y a même chance qu’elle s’y imprime d’autant plus facilement et qu’elle y persiste d’autant plus tenace qu’elle aura été la première en date ; et il en est de même du souvenir graphique, la main écrivant mal les mots, instinctivement pour ainsi dire, tout comme elle les écrit bien quand par la répétition et l’accoutumance elle a pris l’habitude de les bien écrire. Que penser, dès lors, de ces dictées à pièges continus, où les élèves font presque autant de fautes qu’il y a de mots ? C’est bien de celles-là qu’on pourrait dire avec M. Payot, que « si nos élèves apprennent l’orthographe, ce n’est pas par la dictée, mais malgré la dictée ».

2o Si dans une dictée, bien choisie d’ailleurs, il se présente quelques mots d’une orthographe difficile et dans lesquels les élèves courent risque de faire des fautes, au lieu de les y exposer pour avoir ensuite occasion de les reprendre, le maître fera mieux de les prévenir ; car il est plus facile d’empêcher une image fautive de se former dans leur esprit que d’y substituer ensuite une image correcte. Il devra donc, avant la dictée, écrire ou faire écrire au tableau noir tous les mots difficiles, en appelant l’attention des élèves sur les irrégularités que ceux-ci présentent. S’ils les voient bien écrits et s’ils les écrivent bien d’abord, il y a gros à parier qu’ils les écriront toujours bien.

3o Si, malgré toutes ces précautions, les élèves ont pourtant fait quelques fautes, le maître les corrigera ou les leur fera corriger, mais autrement qu’on ne le fait d’habitude. Il est nécessaire, en effet, que la correction efface totalement la faute pour les yeux et qu’elle détruise le souvenir graphique vicieux ; et il est même bon, à ce dernier point de vue, qu’elle fasse intervenir, plus activement que ne l’a fait la faute, la mémoire de l’enfant.

Il en résulte que le maître devra, d’après M. Payot :

a) « Raturer le mot mal écrit, de façon qu’il soit totalement illisible ;

b) « Le récrire à l’encre rouge au-dessus du mot raturé. »

Voilà pour la correction du souvenir visuel fautif ;

c) Obliger l’enfant à recopier dans la marge, au moins une douzaine de fois, et correctement, le mot primitivement mal écrit. On lui fera comprendre que ce n’est pas là un pensum, mais qu’il s’agit simplement de détruire chez lui une mauvaise habitude, et on lui montrera par des exemples qu’on ne détruit une mauvaise habitude que par une bonne habitude contraire. »

Voilà pour la correction du souvenir graphique fautif.

En admettant que certains maîtres hésitent à recourir à ce procédé qui, mal pratiqué, peut amener chez l’enfant l’ennui et provoquer le découragement, au moins faut-il qu’ils soient bien convaincus de la vérité du principe sur lequel il repose, à savoir qu’il est nécessaire, pour la main comme pour les yeux, de substituer un souvenir vrai à un souvenir faux ;

d) Enfin, « pour lier en un solide faisceau les souvenirs d’audition et d’articulation aux souvenirs visuels et graphiques, obliger tous les élèves à la fois d’articuler à haute voix, en espaçant largement les syllabes, et jusqu’à ce qu’on arrive à une netteté parfaite, les mots difficiles dans la division moyenne, toute la dictée dans les divisions élémentaires. Ce sera en même temps un exercice de lecture. »

Mais, dira-t-on peut-être, si la dictée est ainsi entendue, elle devient un pur exercice de copie. Eh ! sans doute ; elle ne peut même être que cela, si l’on veut n’y voir qu’un moyen d’apprendre l’orthographe. On n’a pas assez remarqué que, si la dictée est à sa place dans un examen où il s’agit de constater ce qu’un élève sait en orthographe, elle convient certainement moins dans une classe comme exercice préparatoire à cet examen. Singulier moyen d’enseigner, en effet, que d’enseigner… par la correction !

Il faut bien en arriver à cette conclusion que la dictée, au point de vue de l’orthographe usuelle, est un moyen de vérification et non un procédé d’étude. Dès lors, que de loin en loin le maître fasse une dictée d’orthographe à ses élèves, pour constater les résultats obtenus par d’autres exercices et pour les aguerrir à l’épreuve de l’examen, rien de mieux ; mais que cette vérification ait lieu presque tous les jours, et pendant toute la durée de la scolarité, voilà ce qui ne se comprend plus.

Est-ce à dire pourtant que la dictée, qui figure au programme des exercices scolaires, doive être totalement supprimée ? En aucune façon, mais elle doit être faite autrement et dans un tout autre but.

« Les dictées graduées avec discernement, disait déjà une circulaire ministérielle du 20 août 1857, analysées au point de vue des idées, du sens des mots, de l’orthographe, dictées ayant pour objet un trait d’histoire, une invention utile, une lettre de famille, un mémoire, le compte-rendu d’une affaire, etc. tel doit être, dans l’école primaire, le fondement de l’enseignement de la langue. » À part le mot « fondement », sur lequel il y a peut-être à faire quelques réserves et qu’il ne faudrait pas entendre dans un sens trop exclusif, on ne pouvait mieux dire. La dictée, en effet, peut apprendre tout autre chose que l’orthographe : elle peut être l’étude approfondie d’un passage d’auteur choisi par le maître en vue d’un but bien déterminé. Sans doute ce passage pourrait être pris dans un livre ; mais le maître aura rarement à sa disposition un nombre de livres suffisant pour pouvoir en mettre un entre les mains de chaque élève. Et puis copier, n’est-ce pas lire plusieurs fois ? Toujours les élèves s’appliqueront davantage à ce qu’ils auront écrit, et qui doit rester, qu’à ce qui n’aura que frappé passagèrement leurs oreilles ou leurs yeux. Donc, au lieu de tirer ses dictées d’un livre les unes à la suite des autres, ou de les prendre dans le journal que chaque semaine lui apporte et dont le rédacteur n’a pas pu prévoir les besoins spéciaux de ses élèves, qu’il se préoccupe avant tout de chercher ce qui a trait aux choses qu’il leur importe le plus de connaître. Chaque fois qu’il trouve dans ses lectures une idée juste, utile, intéressante, exprimée en termes simples et clairs, qu’il n’hésite point à en faire le sujet d’une dictée, puisque ce sera pour lui le moyen de meubler et d’enrichir leur esprit. Après leur en avoir lu le texte et après avoir appelé leur attention sur les difficultés orthographiques qu’il comporte, qu’il le dicte et explique le sens de tous les mots qu’ils pourraient ne pas comprendre ; qu’enfin il leur fasse remarquer comment ces mots se lient pour former des phrases, disant bien ce que l’auteur a voulu dire, et il leur aura vraiment appris du français. Et la dictée aura été ce qu’elle doit être : un exercice d’écriture courante, un moyen d’affermir les enfants dans l’habitude de bien mettre l’orthographe, soit usuelle, soit même grammaticale, et enfin l’étude approfondie d’un texte capable de leur donner telle connaissance générale ou particulière qu’il aura en vue.

Mais enfin, dira-t-on encore, si le maître ne peut pas compter sur la dictée pour initier ses élèves à la connaissance de l’orthographe, où trouvera-t-il un enseignement, direct cette fois, et qui soit autre que la correction des fautes commises par l’élève ? En se reportant à ce qui a été dit précédemment, on verra qu’il doit utiliser toutes les ressources de la mémoire et s’adresser d’abord au souvenir visuel de l’élève, puis confirmer celui-ci par le souvenir graphique. Ainsi, dès le moment où l’on apprend à lire à un enfant, on devrait commencer avec lui l’étude de l’orthographe. Quand les mots ou les petites phrases qui font l’objet de la leçon ont été lus, qu’on retourne le tableau et qu’on lui fasse épeler de mémoire ce qu’il vient de lire : il sera amené à remarquer de quelles lettres chaque mot est composé et dans quel ordre elles sont rangées ; à la mémoire des formes perçues par les yeux viendra se joindre le souvenir des sons perçus par l’oreille et même le souvenir des efforts d’articulation qu’il aura dû faire pour les bien prononcer. Qu’ensuite on lui fasse écrire, d’après un modèle emprunté à son livre ou transcrit au tableau noir, ce qu’il vient de lire et d’épeler, et il se mettra les mots dans la main, comme déjà il les a dans les yeux, dans les oreilles et dans les cordes vocales. Les quatre éléments du souvenir se trouvant ainsi réunis et se prêtant un mutuel appui, ces mots se graveront dans sa mémoire d’une manière indélébile. Cela, certains maîtres le font, mais ils sont peu nombreux ; et en général, on ne le fait pas avec assez de méthode ni de ténacité. Et cependant, ou je me trompe fort, les élèves apprendraient ainsi, dès le cours préparatoire et presque sans s’en douter, l’orthographe usuelle d’un grand nombre de mots. En outre, ils contracteraient une bonne habitude qu’ils conserveraient utilement, car la préoccupation de l’orthographe doit être constante : une leçon de lecture au cours élémentaire, et même plus tard, ne devrait jamais se terminer sans que l’attention des élèves eût été appelée sur les mots dont l’orthographe est particulièrement difficile ou irrégulière, sans qu’ils se soient attachés à les fixer dans leur souvenir par la mémoire visuelle et même graphique.

Certains maîtres donnent parfois en dictée le morceau qui a fait, la veille, l’objet de la leçon de lecture. Le procédé est déjà commode pour celui qui a plusieurs cours à diriger : le morceau, étant connu, n’a plus besoin d’être expliqué, et un élève plus avancé suffit pour en faire la dictée et même la correction à ses camarades. Mais il ne peut qu’être bon dans tous les cas. Sachant que ce qu’ils lisent pourra faire l’objet d’une dictée, les élèves ne se préoccupent plus seulement, au moment de la lecture, de lire et de comprendre ce qu’ils lisent ; mais ils remarquent aussi comment les mots s’écrivent et ils tâchent de ne pas l’oublier. C’est une habitude qu’ils contractent, qu’ils gardent ensuite dans leurs autres lectures, et qui ne peut que les aider puissamment à apprendre et à retenir l’orthographe.

Ajouterai-je que cette préoccupation de l’orthographe doit les suivre dans tous leurs devoirs écrits et dans tous les autres exercices de la classe ? Il ne faut pas qu’ils se laissent aller à cette idée qu’ils n’ont à lui donner tous leurs soins que dans la dictée, et que partout ailleurs elle n’est qu’un accessoire dont ils peuvent ne pas tenir compte : de là, dans leurs cahiers, ces dictées sans fautes, alors que tous leurs autres devoirs en fourmillent. C’est ainsi que leurs yeux s’habituent à voir des mots mal écrits, leur main à les mal écrire, et qu’il est si difficile ensuite de les ramener à une orthographe correcte.

Mais ce qui, plus et mieux que tout le reste, apprendrait aux élèves l’orthographe usuelle, ce seraient des exercices journaliers de vocabulaire, à condition qu’ils fussent méthodiques et progressifs. Chose singulière ! tandis que, dans toutes les autres branches des études, on se forme un plan, on suit une progression arrêtée d’avance, il ne se fait rien de tel pour l’étude des mots. C’est au hasard des lectures et de la conversation qu’on les étudie. On conviendra sans doute que l’auteur du texte que les élèves lisent ou transcrivent n’a songé, en le composant, qu’à la valeur des idées qu’il émettait et à la manière de les exprimer, mais nullement à l’ordre ou à la progression à établir dans l’étude des mots qu’il employait. Et pourtant, parmi ces mots, il en est qui sont plus difficiles à comprendre et à écrire que les autres : de là la nécessité d’une gradation ; il en est qui ont entre eux des ressemblances de sens et aussi de forme : pourquoi ne pas le faire remarquer ? Il en est qui dérivent les uns des autres : pourquoi ne pas suivre cette filiation ? Autant de moyens qui aideraient les élèves à se les graver dans la mémoire, aussi bien comme forme que comme sens. L’idée, sans le mot qui l’exprime, garde quelque chose de vague et de flottant ; le mot, sans l’idée, n’est que l’apparence du savoir ; l’idée et le mot doivent former un tout. Mais ils ne se fixent vraiment que par l’écriture, qui permet en outre de les transmettre à travers le temps et l’espace. À mesure qu’on apprend quelque chose à l’enfant, lui donner le mot spécial et propre qui l’exprime, puis lui faire écrire ce mot avec l’orthographe qui convient : tel est l’ordre que nous trace la nature elle-même et qu’il faut suivre. Et s’il en était ainsi, les élèves ne seraient pas exposés à emmagasiner dans leur mémoire des images fautives, et ils écriraient chaque mot comme il doit être écrit, parce qu’ils l’auraient vu bien écrit dès l’abord et qu’ils n’auraient eu ensuite aucune raison de l’écrire autrement.

Il n’est pas possible que l’expérience ne justifie pas les vues qui viennent d’être exposées, ni que les maîtres qui s’inspireront de ces idées n’arrivent pas, avec moins de peine en somme et dans un temps moindre, à faire faire plus de progrès à leurs élèves. Et comme ce temps, économisé par une étude plus rationnelle de l’orthographe, serait précieux pour l’enseignement des autres matières du programme auxquelles il fait trop défaut ! « Qu’on n’essaie point d’opposer ici la pratique à la théorie, dirai-je encore, pour terminer, avec M. Payot. Seules les théories incomplètes ou fausses peuvent être infirmées par la pratique ; mais la pratique confirme toujours les théories exactes et adéquates à la réalité… Il serait inutile que nos savants fissent des découvertes de premier ordre en psychologie, si ces découvertes ne descendaient dans la pratique en l’améliorant, et il n’est que temps que les méthodes d’enseignement de la dictée soient mises en harmonie avec les résultats acquis en psychologie durant ce dernier quart de siècle. »


  1. Voir le numéro du 15 avril 1894.
  2. Numéro du 15 juin 1896