De la Tyrannie/À la Liberté
À LA LIBERTÉ.
La plupart des livres sont dédiés aux puissans, dans l’espérance d’en obtenir crédit, protection ou même récompense : tes brillantes étincelles, ô divine Liberté, ne sont pas éteintes dans tous les cœurs ! Quelques auteurs modernes, de temps en temps, nous découvrent, dans leurs écrits, quelques-uns de tes droits les plus sacrés et les plus violés ; mais ces livres aux auteurs desquels il ne manque que la courageuse volonté d’exposer de grandes vérités, portent souvent à leurs premières pages le nom d’un prince, de quelqu’un de ses satellites, et presque toujours celui d’un de tes plus cruels ennemis nés. On ne doit donc pas s’étonner si
tu as dédaigné jusqu’à présent de jetter un regard favorable sur les peuples
modernes, et si tu as refusé de faire germer dans ces livres déshonorés
par de tels protecteurs, ce petit nombre de vérités enveloppées par la
crainte dans des termes obscurs et équivoques, ou étouffés par l’adulation.
Mais moi qui ne veux point suivre de pareils modèles, moi qui ne me vois forcé de prendre la plume que parce que le temps malheureux dans lequel je vis, me défend d’agir ; moi qui voudrais dans une pressante nécessité la jetter loin de moi, pour prendre l’épée sous tes nobles étendards ; ô Liberté ! c’est à toi que j’ose dédier cet ouvrage. Je ne prétends pas y faire un étalage pompeux d’éloquence, je le voudrais peut-être en vain, encore moins une dépense fastueuse d’érudition, que je n’ai pas ; mais j’essayerai de tracer avec méthode, précision, simplicité et clarté, les pensées dont je suis rempli ; de développer ces vérités que les seules lumières de la raison m’indiquent et me dévoilent ; de mettre au jour enfin ces desirs généreux nés dans les premières années de ma jeunesse, et que j’ai renfermés dans mon cœur brûlant.
Quoique ce livre, tel qu’il est, ait été conçu avant tout autre, et écrit dans ma jeunesse, cependant j’ai l’espérance, après l’avoir retouché dans un âge plus avancé, de le publier comme le dernier de mes ouvrages ; et s’il ne me restait plus dans ce temps-là le courage, ou pour mieux dire, le feu nécessaire pour le penser, il me restera néanmoins moins assez d’esprit d’indépendance et de jugement pour l’approuver et pour mettre fin par lui à toutes mes productions littéraires.