De la situation de l’enseignement médical en France
Sous la pression de ses effroyables malheurs, la France, par un mouvement unanime d’opinion, s’est attachée à la réforme de son enseignement supérieur. Elle a compris que cet enseignement est, entre tous, celui qui règle, assure et développe les forces dirigeantes et organisatrices du pays. Les enseignemens primaire et secondaire préparent l’enseignement supérieur façonne et achève l’homme qui sait penser, juger, décider et agir. Si cet enseignement languit, s’il fléchit sur tels ou tels points, la direction sociale devient incertaine et dévié, la sécurité du pays est elle-même compromise. L’enseignement supérieur, c’est le commandement et la direction. Que devient un peuple mal dirigé, une nation commandée par l’impéritie et la présomption ? Ils courent à l’anarchie et aux défaites. La science fournit les armes qui défendent ; elle organise les résistances ; elle rend efficace la lutte des nations pour la vie. Ce n’est pas que la science soit tout, et qu’elle suffise à remplacer les grandes vertus publiques : loin de là ; mais, bien comprise, la science prouve elle-même l’impérieuse nécessité des grandes vertus sociales, et elle en devient l’inspiratrice, elle montre ce que peuvent l’esprit de discipline, d’obéissance, de sacrifice, le respect de toutes les autorités légitimes, de l’autorité morale surtout, source de toutes les autres.
Le gouvernement qui venait de sombrer dans la défaite n’avait pas mis au nombre de ses préoccupations primitives et essentielles le développement de l’enseignement supérieur. Il l’avait longtemps laissé au point même où il l’avait trouvé, ne paraissant pas se douter qu’il mettait ainsi en souffrance les intérêts sociaux les plus élevés. Durant cette période du gouvernement impérial, le rapide accroissement des sciences naturelles et biologiques transformait toute une partie capitale de l’enseignement supérieur. Demeurer immobile dans les erremens du passé, c’était bientôt se condamner à se trouver en arrière. Autour de nous, les autres croissaient et se fortifiaient ; l’Allemagne surtout multipliait ses moyens d’étude, se couvrait de laboratoires, augmentait le nombre de ses chaires, grandissait la situation de ses professeurs, fomentait, dans chacune de ses universités, une vie intense, qui de là rayonnait, et surexcitait l’orgueil national. Nous assistions à ce spectacle sans en pénétrer la portée. Nous nous sentions tellement assurés de nos gloires passées qu’elles nous paraissaient remplir encore le présent, et il ne nous semblait pas possible que notre vieille suprématie pût être ébranlée.
Ce qui pouvait contribuer à nourrir nos illusions, et à nous tromper sur l’état de misère où nous tombions peu à peu, c’est que, malgré tout, la science française faisait encore grande figure. L’activité ingénieuse et féconde de l’esprit français semblait avoir le don de suppléer aux ressources qui lui manquaient. Elle se créait quelque obscure et pauvre retraite d’où sortaient cependant d’éclatantes découvertes. Quels étaient en effet les laboratoires où s’élaboraient les travaux de la physiologie française, ceux, en particulier, de M. Claude Bernard ? Quels étaient les amphithéâtres où se préparaient les recherches anatomo-pathologiques de la médecine française, celles de Cruveilhier qui restent comme un étonnant modèle ? Cependant la science française était menacée ; les moyens d’étude lui manquaient, surtout en fait d’études expérimentales, et l’expérimentation est un élément essentiel du progrès scientifique. La science ne peut prospérer lorsque l’un de ses élémens de progrès vient à faire défaut. Voilà ce que disaient ceux-là mêmes qui, par leurs travaux, semblaient donner un démenti à de telles plaintes. Ces travaux, ils les montraient arrêtés ou incomplets par le défaut d’organisation et de puissance de nos instrumens de travail. Ils ajoutaient, en outre, que si, à la rigueur, ils avaient pu suffire à mener à fin quelques recherches personnelles, ils ne pouvaient enseigner, former des générations scientifiques pleinement instruites et assurant l’avenir de la science française. Ces plaintes ne pouvaient ne pas être entendues ; elles étaient déjà comprises par quelques-uns avant nos désastres ; après, elles émurent tous les esprits. Tous les corps électifs, les grands corps savans, les chambres, les assemblées municipales des grandes villes, les ministres qui ont pris successivement le gouvernement de l’instruction publique, les hauts fonctionnaires de l’université, firent tous entendre les mêmes vœux, et réclamèrent d’une voix unanime la réforme de notre enseignement supérieur. Celle-ci devint l’une de ces nécessités publiques qu’il faut satisfaire à tout prix. On se mit à l’œuvre ; au calme apathique succéda une activité louable. Les résultats ne se firent pas attendre. Nos facultés scientifiques furent dotées d’instrumens puissans de travail ; partout s’élevèrent des laboratoires de recherches et d’enseignement ; d’importantes questions d’organisation surgirent, celles entre autres de la création de grands centres universitaires, doués d’une certaine autonomie, et où seraient plus particulièrement réunis, et sous la forme la plus perfectionnée, tous les moyens d’investigation, d’analyse et de détermination.
Tous les progrès désirables ne sont pas accomplis, tant s’en faut ; mais de sérieux sont déjà réalisés, d’autres sont en voie, et aboutiront prochainement. Nous voudrions montrer où nous en sommes, non sur tous les points de l’enseignement scientifique, mais sur un point, sur un département particulier, à la vérité très important, de notre haut enseignement, sur l’enseignement médical. Par la nature de son objet, qui est la vie humaine, saine ou troublée, l’enseignement médical est l’un des plus complexes et des plus élevés ; par son caractère professionnel qui lui soumet l’une des professions les plus agissantes et les plus nécessaires de la société, il est l’un de ceux qui doivent le plus préoccuper l’état.
Étudier la vie humaine sous toutes ses formes, dans tous les milieux, et à ses momens divers, pénétrer les plus apparens comme les plus cachés de ses secrets, surprendre ses premiers actes, suivre son développement, déterminer ses fonctions, leur hiérarchie et leur fin, assister à sa déchéance, voir enfin comment elle se brise ou se dissout, quelle étude ! D’un diagnostic exact de la maladie aller aux questions d’art et de pratique, voir comment les maladies guérissent naturellement, comment elles amènent la mort, et de cette double connaissance déduire l’ensemble de ces indications d’agir qui ont reçu le nom d’indications thérapeutiques, déterminer les moyens de les remplir, par cette voie conduire la maladie à la guérison, ou ralentir et adoucir les approches d’une mort inévitable, remédier aux infirmités, prévenir le mal, éloigner les influences hostiles à la vie : tel est, à son point de départ comme à son aboutissant, l’enseignement médical. En est-il un qui se propose un objet plus considérable, qui soit plus plein de révélations admirables, qui touche à des intérêts plus saisissans ?
Aussi, quelle profession pénètre plus profondément au cœur des sociétés humaines que celle du médecin ? De partout, il est fait appel à son savoir. L’individu, la famille, la commune, l’état, lui confient des missions qui touchent aux plus chers et aux plus pressans intérêts. Est-il étonnant que, par le nombre de ses adeptes et par la nature de ses fonctions, la profession médicale exerce sur les populations une influence profonde et continue ; bienfaisante, si le médecin est éclairé et digne, dangereuse si le médecin est ignorant, ou obéit à de mauvaises passions ? Quelle importance suprême en revient à l’enseignement médical ! Combien la société est intéressée à ce qu’il soit libéralement donné, et de façon à former des générations de médecins comprenant leur mission, possédant à fond leur science et leur art, et s’y attachant comme à toutes les grandes choses que l’on comprend !
Cette importance sociale de l’enseignement médical semblait mal appréciée des gouvernemens précédens, à en juger par le demi-abandon dans lequel il était laissé. Alors que, à l’étranger, les instituts physiologiques et pathologiques grandissaient chaque jour, en France toute amélioration, tout agrandissement de nos facultés de médecine restaient en suspens. On faisait des projets que l’on n’exécutait pas. Nous ne possédions que trois facultés ; on les laissait languir et vieillir, et l’on demeurait indifférent à leur progressif affaiblissement. L’une, célèbre par son passé et l’élévation de ses doctrines, Montpellier, semblait oubliée et endormie dans les régions du midi, manquait de laboratoires et de ressources cliniques. Strasbourg, sur les confins de l’Allemagne, assistait au prodigieux développement que prenaient les études expérimentales en ce pays ; notre faculté de Strasbourg semblait bien pauvre en regard de ces universités voisines, remuantes, richement dotées, écoutées de tous, sorte de pouvoir national et presque prépondérant ; elle n’obtenait une certaine vitalité que par l’adjonction d’une école de santé militaire, qui lui fournissait ses élèves et stimulait son enseignement. La faculté de Paris enfin, où affluait la presque totalité des étudians français, avait jeté, sous la restauration et sous les premières années du gouvernement de juillet, un éclat extraordinaire ; elle avait rempli le monde de ses découvertes, entre lesquelles brillait l’auscultation, comme une merveille éblouissante. Toute l’Europe scientifique et médicale venait alors s’instruire à l’école de Paris, et ainsi rayonnaient rapidement tous les progrès réalisés en ces années fécondes. Cette gloire, reconnue de tous, donna à croire sans doute que la faculté de Paris était une création achevée, munie de tous les moyens désirables d’instruction et de travail. Quelle renommée dépassait ou égalait la sienne ? Quelle grande découverte n’était le fruit de ses entrailles ? Pourquoi les pouvoirs publics se seraient-ils préoccupés de sa prospérité ? La faculté réclamait et se plaignait. Quel corps ne fait entendre réclamations et plaintes ? On les écoutait d’une oreille distraite, et on ajournait le moment d’y faire droit.
La faculté de Paris conservait à peu près sa vieille installation, qui datait du premier empire ou même de la première république. Quelques pavillons de dissection, un ou deux amphithéâtres de cours, quelques collections d’histoire naturelle, d’anatomie normale et pathologique, quelques services de clinique générale, semblaient suffire à constituer une faculté complète de médecine. Les transformations de la science n’y faisaient rien ; telle était une faculté en 1820, telle elle devait être en 1860. Il n’était tenu compte, en apparence, d’aucune des conditions nouvelles, faites aux recherches scientifiques ; il semblait que la physiologie ne fût pas devenue une science expérimentale de premier ordre, et que l’histologie normale et pathologique ne fût qu’une ombre que l’on cherchait ailleurs à faire prendre pour une réalité.
La faculté de Paris, ainsi réduite et dépourvue, ne pouvait donner accès aux étudians qui venaient s’inscrire sur ses registres. De partout l’insuffisance éclatait ; les salles de cours et d’examens faisaient défaut : la place manquait à la bibliothèque, elle manquait dans les pavillons de dissection, et les cliniques ne livraient qu’à un bien petit nombre l’instruction pratique qui fait le médecin. La faculté ne semblait connaître ses obligations vis-à-vis de l’étudiant que le jour où elle recevait son inscription, et le jour où, candidat, elle l’interrogeait à un examen. Entre ces deux actes, les seuls obligatoires, et tous les deux à redevance, l’étudiant semblait libre vis-à-vis de la faculté, et la faculté libre vis-à-vis de lui ; ils pouvaient vivre en étrangers à l’égard l’un de l’autre. La faculté ne semblait pas croire qu’elle était responsable à l’égard de l’étudiant, et qu’elle lui devait tous les moyens d’instruction nécessaires pour former un anatomiste, un physiologiste, un pathologiste, un thérapeutiste, un accoucheur, un médecin enfin dans la pleine acception de ce mot. Je sais bien que le nombre infiniment trop élevé des étudians inscrits à Paris rendait et rend encore très difficile l’entier accomplissement de tous les devoirs de la faculté. Au moins aurait-on dû tenter quelques efforts plus ou moins efficaces vers ce but, au lieu de garder une placide et satisfaite immobilité ; il fallait ouvertement lutter contre un état de choses qui conduisait à une inévitable déchéance.
Toutefois le déclin de la médecine française était loin de répondre à la pauvreté extérieure de l’enseignement officiel. Paris demeurait, au point de vue médical, un foyer encore ardent et fécond. Des élèves distingués, des maîtres éminens, sortaient nombreux de cette faculté, qui étouffait de petitesse et souffrait de tant de misère. C’est qu’à côté de la faculté siégeaient les hôpitaux. Chaque salle d’hôpital, chaque salle d’autopsie, devenaient un centre d’observation et d’enseignement clinique et anatomo-pathologique. L’administration hospitalière, soucieuse des études, avait construit un vaste institut anatomique, ouvert aux élèves internes et externes des hôpitaux. Les concours d’externat et d’internat qui relevaient, non de la faculté, mais de l’assistance publique, conservaient leur prestige et leur valeur ; ils assuraient aux candidats nommés, des avantages inestimables d’instruction pratique, et constituaient ainsi un groupe considérable d’élèves qui maintenaient l’honneur de la faculté de Paris, quoiqu’ils ne dussent à celle-ci, en tant que corps officiel, ni leur situation, ni souvent même leur éducation scientifique. Si les concours d’externat et d’internat attiraient à eux l’élite des étudians, par contre, les concours institués par la faculté, ceux des prix de l’école pratique, étaient peu à peu désertés et s’éteignaient naguère faute de candidats. Seuls, les concours pour les fonctions de prosecteur et d’aide d’anatomie, dépendans de la faculté, gardaient leur ancien éclat ; on leur avait adjoint ceux de chefs de clinique médicale. Les cliniques chirurgicales, privées jusqu’ici de ce dernier emploi, et ne possédant que des internes, ne doivent rien à la faculté. Ces divers concours ne s’adressaient qu’à un chiffre très restreint d’élèves, ou mieux, de jeunes docteurs ; et, quelle que fût leur importance, ils ne suffisaient pas à rattacher à la faculté toute la jeunesse vivante et animée qui remplissait les hôpitaux, et qui représentait la vraie population scolaire que la faculté devait plus particulièrement surveiller, stimuler, diriger dans les voies de la science.
Si l’enseignement médical valait, en définitive, mieux que cette situation abaissée, cela tenait à l’enseignement libre qui, dans chaque hôpital, suppléait à l’indigence de l’enseignement officiel. Celui-ci donnant seul le grade, on pouvait, à un jugement superficiel des choses, croire qu’il avait été l’instructeur des candidats qu’il interrogeait, et qui lui demandaient un diplôme. Ce n’était là qu’une illusion. Le professeur trop souvent n’était directement pour rien dans l’instruction acquise par le candidat ; il avait pu y contribuer indirectement par ses livres, par ses propres travaux, mais son enseignement de faculté rarement avait servi de guide au candidat. L’élève, livré à ses propres inspirations, allait du bon ou du mauvais côté, poussé par le vent]qui soufflait, par des incitations de hasard, heureuses ou malheureuses, et qui décidaient de sa voie. Le vieux régime de nos examens était lui-même devenu profondément insuffisant et défectueux ; nous en fournirons plus tard la raison. La faculté, examinant des élèves qui n’avaient été astreints à aucune scolarité efficace et réelle, n’avait pas en revanche les moyens de s’assurer par la valeur irrécusable des actes probatoires que ces élèves méritaient le redoutable droit d’exercice que l’on remettait en leurs mains. La faculté ne pouvait avoir à cet égard qu’une opinion pleine de réserves et qui fallait pas au-delà d’une probabilité très vacillante.
Cet exposé sommaire de la situation de l’enseignement médical serait incomplet, si, à côté des facultés, nous ne placions pas les écoles préparatoires de médecine, instituées dans un certain nombre de grandes villes. Ces écoles, au nombre de vingt-deux, avaient pour but de faire concourir à l’enseignement les moyens d’instruction clinique et anatomique que présentent les hôpitaux des villes importantes par leur population. Les écoles préparatoires pouvaient délivrer huit inscriptions équivalentes à huit inscriptions de faculté, ou douze inscriptions équivalentes à dix inscriptions, ou même quatorze inscriptions équivalentes à douze inscriptions. La dernière année scolaire devait nécessairement s’accomplir dans une faculté. Ces écoles avaient donc à donner l’enseignement correspondant aux trois premières années d’étude pour le doctorat en médecine. Elles offraient l’avantage de constituer des centres où les élèves, peu nombreux, connus personnellement de leurs maîtres, astreints à la présence obligatoire aux cours, pouvaient être dirigés plus sûrement que dans les grandes facultés. Aucun de ces élèves ne pouvait se dérober aux études pratiques d’anatomie, aux leçons et exercices cliniques, et, dans la première année de scolarité, aux travaux pratiques de chimie et d’histoire naturelle.
Mais pour que ces avantages fussent acquis, il aurait fallu que toutes les écoles préparatoires eussent été installées et outillées de manière à répondre aux besoins divers des études médicales pendant les trois premières années ; il aurait fallu que le corps enseignant offrît toutes les garanties qu’exige un enseignement complexe et élevé ; de la sorte, les premières années de la scolarité si fécondes, et qui contiennent en germe le développement de toutes les autres, ne couraient pas le risque d’être faussées, d’entraîner la stérilité de toutes les études ultérieures, en donnant à l’élève de mauvaises habitudes scientifiques, et en le rendant incapable, à moins de secours et d’efforts extraordinaires, de rentrer dans la bonne voie, dans la voie de la science exacte et de l’observation rigoureuse. Malheureusement, toutes les écoles préparatoires ne réalisaient pas cet état désirable. Elles étaient, on le verra, insuffisantes à bien des points de vue ; les moyens les plus indispensables d’enseignement leur manquaient trop souvent ; le corps professoral était irrégulièrement et parfois difficilement recruté ; il était misérablement rétribué, et pourtant les obligations imposées aux professeurs étaient grandes. Ici encore tout était resté immobile ; aucune impulsion progressive. Telles, en 1846, avaient été établies les écoles préparatoires, telles à peu près les retrouvait-on en 1870. Lors de leur fondation, c’était comme un essai que l’on tentait, et l’on n’avait donné qu’une organisation de début et incomplète à ces institutions ; après vingt-cinq ans, rien n’avait été développé, perfectionné. Les facultés de médecine n’avaient pas changé ; pourquoi aurait(on apporté des changemens à l’institution des écoles préparatrices ?
Un tel état de choses devait, frapper tous les esprits, même ceux qui, disposés à un optimisme invincible, croyaient volontiers que rien ne se faisait mieux ailleurs qu’en France. Aussi la situation de notre enseignement supérieur, celle en particulier de notre enseignement médical, commençait-elle à préoccuper dans les dernières années du gouvernement impérial, ceux qui avaient souci de notre avenir intellectuel et national. Il est de toute justice de citer, parmi les ministres de l’instruction publique qui aspiraient à relever cet enseignement, M. Duruy, à qui est due la création de l’école pratique des hautes études, création qui dure encore et qui a donné d’heureux résultats. Sous ce ministère, les projets d’agrandissement de la faculté de médecine de Paris, longtemps médités, furent définitivement arrêtés, et l’exécution en paraissait prochaine. Subordonné à des travaux de voirie, et semblant ne vernir qu’en sous-ordre, cet agrandissement si urgent fut différé. On paraissait croire qu’il serait toujours temps d’en arriver aux améliorations réclamées par le public médical.
Quelques autres raisons d’ordre moral et inavouées germaient au fond des esprits et refroidissaient tout élan qui nous eût été favorable. L’enseignement et le public médical n’ont jamais été très sympathiquement vus dans les hautes régions du pouvoir. La grandeur et la réalité de la médecine, comme science et comme art, y sont en général mal appréciées. On ne distingue guère, même dans ces régions, le médecin instruit, savant, consciencieux, réservé et digne, du médecin ignorant, plein de jactance, étalant d’autant plus de science qu’il en possède moins, et qui fait de sa profession un métier plus ou moins lucratif et menteur. Il en a été et il en sera toujours ainsi. La médecine est tellement inconnue des profanes, qu’on nous pardonne ce mot, que ceux-ci discernent rarement la science fausse et vaine de la science solide et vraie. La médecine, pour eux, conserve toujours une teinte de la science douteuse des arcanes, et elle est plus un mystère plein de hasards qu’un art éclairé et qui sait où il va. Les médecins, en outre, étaient redoutés dans leur action sociale et publique ; on les suspectait d’hostilité au point de vue politique, et ce sentiment venait fortifier les méfiances conçues contre la médecine elle-même.
L’on ne se hâtait donc pas de mettre la main à la restauration de cet enseignement, si urgente qu’elle fût. En outre, on limitait le plus possible l’œuvre de restauration projetée. On la bornait à la réédification, si longtemps attendue, de la faculté de Paris. On s’était lentement décidé à l’agrandissement de cette faculté et à l’installation de laboratoires destinés aux travaux pratiques. Tout se bornait là. Élever de nouveaux centres d’enseignement médical, de nouvelles facultés largement assises, améliorer les écoles préparatoires et régler leur régime, relever, dans les facultés et les écoles, la situation du corps enseignant, celle des professeurs, des agrégés et des suppléans, il n’en était pas question. On avait même, contre toute demande d’amélioration relative aux membres de ces corps enseignans, des fins de non-recevoir qui témoignaient de préjugés singuliers. On se refusait à toute augmentation du traitement des professeurs et des agrégés, sous le prétexte que le plus grand nombre d’entre eux se livraient à la pratique de l’art, que leur titre leur donnait, à ce point de vue, un crédit incontestable, et que c’était là en quelque sorte une rémunération suffisante. Ainsi croyait-on motiver cette anomalie, de professeurs ou agrégés de la faculté de médecine de Paris recevant des appointemens notablement inférieurs à ceux des professeurs ou agrégés des autres facultés. Je cite ce fait, si peu important qu’il semble, pour montrer l’esprit qui dominait, et qui, obscurément, s’opposait au relèvement du corps enseignant des facultés de médecine. Est-il besoin d’ailleurs de réfuter de tels préjugés ? Qu’a-t-on à calculer ce que peut valoir la réputation acquise par un professeur de faculté de médecine ? Qu’importe ? S’il fait bien et régulièrement son enseignement, celui-ci doit-il ne pas être rétribué convenablement, sous prétexte que la pratique médicale donne la fortune ? Pour les professeurs de clinique, cette extension de la pratique civile ne vient-elle pas compléter les enseignemens de la pratique hospitalière, et les leçons du professeur n’en deviennent-elles pas plus utiles ? Supputer la valeur d’honoraires laborieusement acquis, n’est-ce pas obéir à ces sentimens de mauvaise égalité qui pervertissent tant d’esprits ? D’ailleurs il s’en faut que la plupart des professeurs et des agrégés des facultés de médecine trouvent dans la pratique une compensation à des traitemens insuffisans. Beaucoup restent sur le domaine de la science pure, et si l’on désire que le nombre de ceux-ci s’accroisse, il faut y aider et leur faire une situation qui permette de ne pas chercher, en dehors des travaux scientifiques, les ressources nécessaires pour une existence honorable.
Au-delà de nos frontières, un esprit différent régnait. Loin d’avoir à lutter contre de sourdes méfiances, l’enseignement des sciences médicales rencontrait une faveur marquée dans les universités étrangères, celles d’outre-Rhin surtout, et cette faveur se traduisait de toutes façons, par la construction de vastes édifices où toutes les ressources de la science étaient réunies, par les grandes situations faites au professorat, par l’estime publique dont on environnait les professeurs. Ces deux situations, si profondément éloignées l’une de l’autre, étaient déjà signalées à l’opinion avant les funestes événemens de 1870. Les terribles leçons de cette année ont achevé la démonstration.
Il s’agit moins, dans l’exposé qui va suivre, de réformes accomplies que de réformes décidées, dont le jour est proche ou qui sont en voie d’exécution. Ces réformes ne sont plus simplement projetées ; elles ont obtenu l’assentiment des pouvoirs publics ; l’heure où elles doivent passer dans les faits est fixée. Il est donc possible de présenter le tableau qu’elles réaliseront à bref délai.
Il y a à considérer d’abord les réformes apportées au régime des facultés de médecine ; ensuite la réforme de l’enseignement dans les écoles préparatoires et la création des écoles nouvelles, dites écoles de plein exercice. Dans les facultés de médecine, il y a à considérer l’état des facultés anciennes et la création des facultés nouvelles. Les réformes accomplies dans les premières se reproduiront pour la plupart dans les secondes ; mais parmi celles-ci il en est une, celle de Lyon, qui offre certaines conditions exceptionnelles qu’il sera utile de faire connaître.
Les anciennes facultés de médecine étaient au nombre de trois ; mais celle de Paris avait acquis une telle prépondérance par le nombre de ses élèves que sa situation donnait véritablement le bilan de l’enseignement médical. C’était donc celle vers laquelle devaient se concentrer les réformes reconnues nécessaires ; c’était celle aussi qui, par son délabrement et son insuffisance, appelait d’urgentes résolutions. La principale, celle qui tenait sous sa dépendance la plupart des autres, c’était la reconstruction de la faculté. Cette reconstruction, depuis longtemps projetée, s’accomplit à cette heure. Le conseil municipal de la ville de Paris et l’état sont engagés par un vote et par une loi à la réédification de la faculté de médecine ; ils y contribueront par sommes égales, et les sommes prévues s’élèvent à 4 millions 1/2 pour chacune des deux parties contractantes ; C’est à l’initiative de M. Léon Say, à son concours dévoué et persistant, qu’est due cette convention entre la ville et l’état, convention qu’il a préparée comme préfet de la Seine et conclue ensuite comme ministre des finances. La faculté de médecine ne devra jamais oublier les services que M. Léon Say a ainsi rendus à la science et à l’enseignement.
Sans exposer en détail les plans de cette reconstruction, nous dirons que la faculté réédifîée se composera de deux parties ; l’une, comprise entre la place et la rue de l’École-de-Médecine, la rue Hautefeuille et le boulevard Saint-Germain, sera affectée à ce que l’on peut appeler la faculté théorique. C’est là que se donnera l’enseignement dogmatique ; là se trouveront les amphithéâtres de cours, les salles d’examens, une partie des collections anatomiques et d’histoire naturelle, la bibliothèque, les cabinets de physique et de chimie et aussi le laboratoire du cours de chimie. La seconde partie, située de l’autre côté de la place et de la rue de l’École-de-Médecine, formera, à bien dire, la faculté pratique. Elle absorbera l’école pratique actuelle, l’hôpital des cliniques, qui sera enlevé à sa destination hospitalière, et tous les terrains compris entre l’école et l’hôpital. Là seront installés tous les instituts pratiques ; instituts anatomiques, physiologiques, histologiques, anatomo-pathologiques et chimiques. La clinique d’accouchemens, contenue dans l’hôpital dépossédé, sera transférée dans une maternité qui s’élève sur les terrains du Luxembourg ; la clinique chirurgicale de ce même hôpital sera transférée à l’hôpital Necker, déjà doté d’une clinique médicale. L’hôpital Necker, où le mouvement hospitalier est très actif, et qui n’est pas éloigné du quartier des études, deviendra ainsi l’un des centres de l’enseignement clinique de la faculté.
La reconstruction de chacune de ces deux parties de la faculté est également nécessaire. La première permettra de faire subir les actes probatoires d’une façon plus sérieuse et plus digne, et sans occuper, pendant la durée des actes, les salles affectées aux collections anatomiques ou autres ; elle permettra surtout d’appliquer la réforme prochaine qui multipliera le nombre des examens probatoires. Elle permettra encore de réaliser une autre partie du programme des réformes, à savoir la participation active et permanente des agrégés à l’enseignement régulier de la faculté. Dans l’état actuel des choses, cette participation est presque impossible. La faculté ne possède guère qu’un amphithéâtre de cours. Un second amphithéâtre, adossé au laboratoire du cours de chimie, est une sorte d’annexe de ce laboratoire ; mal éclairé, il ne peut qu’exceptionnellement servir aux cours de la faculté. Aucune autre salle de conférences ou de cours. Comment demander aux agrégés une participation à l’enseignement alors qu’on ne saurait leur donner un amphithéâtre où ils puissent se faire entendre ?
L’agrandissement de la faculté théorique permettra aussi de donner à la bibliothèque un aménagement en rapport avec l’importance des services qu’elle rend. La bibliothèque de la faculté de médecine est l’une des plus considérables de la ville de Paris ; les locaux qui lui sont affectés sont si insuffisans et délabrés que depuis longtemps on ne sait où loger les livres nouveaux, et que les livrés logés ne sont plus assurés d’une bonne conservation. Et pourtant, dans une bibliothèque scientifique et scolaire, l’acquisition des ouvrages récens est indispensable, et le mouvement scientifique est tel que ces ouvrages surgissent incessamment. En outre, la bibliothèque de la faculté est probablement la plus fréquentée de Paris ; plus de 600 étudians viennent chaque jour s’asseoir devant les tables de travail et demander aux bibliothécaires les livres qu’ils désirent étudier. Or la bibliothèque actuelle est tellement insuffisante quant à l’espace que les étudians admis, pressés les uns contre les autres, peuvent à peine y disposer les livres qui leur sont prêtés et les papiers sur lesquels ils veulent prendre des notes. Beaucoup, trouvant toutes les places occupées, se retirent ; d’autres ne viennent pas, sachant combien l’encombrement est grand et par suite le travail difficile. N’est-il pas déplorable qu’un tel état de choses ait pu durer longtemps ? Quelle faute que de refuser aux étudians les moyens de travail qu’ils réclament ! D’autant plus que les études médicales exigent une grande diversité d’ouvrages, souvent fort chers ; qu’il faut consulter auteurs anciens, modernes et contemporains, interroger des recueils périodiques très volumineux, et que ces ouvrages et recueils appartiennent à toutes les langues. Une vaste bibliothèque bien aménagée, bien pourvue, bien servie, est l’un des premiers besoins d’une faculté de médecine.
La réédification de la faculté pratique assurera aux élèves l’instruction pratique sous ses formes diverses. L’institut anatomique qui remplacera les pavillons anatomiques actuels, si misérables d’aspect et en toutes ressources, pourra contenir environ mille étudians et offrir à chacun d’eux une place et les moyens voulus d’instruction. Il faudra multiplier en proportion le nombre des prosecteurs et des aides d’anatomie destinés à surveiller et à guider les jeunes étudians et à rendre leurs études pratiques fructueuses. Cette augmentation inévitable du nombre des prosecteurs et des aides d’anatomie aura en outre ce bon effet d’accroître l’importance des concours de la faculté. Les concours actuels attirent beaucoup de candidats distingués pour un très petit nombre d’emplois ; si le nombre des emplois augmente, celui des candidats croîtra sans doute, mais beaucoup plus trouveront au bout du concours la juste récompense de leurs efforts. Le nombre des vocations scientifiques sera ainsi accru, et les jeunes forces de la faculté se développeront.
A côté de l’institut anatomique, dont l’importance est dominante, s’élèveront des laboratoires de recherches et de travaux pratiques. Les premiers, destinée aux professeurs, serviront à leurs recherches personnelles ; les autres seront consacrés à l’instruction des élèves. Ces laboratoires seront dirigés par un chef et des aides sous la haute surveillance du professeur à l’enseignement duquel est affecté le laboratoire. Il y aura ainsi des laboratoires affectés aux travaux chimiques, aux études histologiques, physiologiques et anatomo-pathologiques. Le laboratoire d’histoire naturelle est attaché au jardin botanique de la faculté, et se trouve ainsi en dehors des bâtimens de la faculté pratique.
A côté de la faculté pratique et de ses laboratoires, il faut placer les beaux laboratoires de clinique et d’analyse qui viennent d’être institués dans chaque hôpital d’instruction clinique et rattachés aux services de clinique médicale et chirurgicale. Parmi ces laboratoires, nous signalerons, à cause de leur importance, ceux du nouvel Hôtel-Dieu et ceux de la Charité. Dans ce dernier hôpital, le laboratoire édifié à frais communs par l’état et par la ville de Paris a pris les proportions d’un véritable institut anatomo-pathologique. Cet institut pourra contribuer non-seulement aux études cliniques, mais en outre à une sorte d’enseignement pratique et régulier de l’anatomie pathologique. Muni d’un amphithéâtre de cours, les élèves pourront y assister à toutes les démonstrations voulues par un tel enseignement. Il ne reste plus qu’à tracer un programme et à adopter un règlement qui puisse à la fois réserver, dans ces grands laboratoires annexés aux cliniques, les droits du professeur de clinique, et en même temps, accorder au chef ou directeur de ces laboratoires une indépendance suffisante pour qu’il puisse faire servir à l’enseignement tous les moyens d’étude que ces laboratoires renferment. Il faut également sauvegarder les droits du professeur titulaire d’anatomie pathologique, dont l’enseignement ne doit être ni détourné ni mutilé au profit d’un autre. Il y a des intérêts divers et délicats à ménager ; mais il n’est pas impossible d’arriver à une bonne solution et de faire aux professeurs leur part première et légitime, tout en laissant aux chefs de ces laboratoires les moyens de donner un enseignement anatomo-pathologique pratique, technique surtout, et élémentaire ; enseignement qui ne peut se donner tel dans la grande chaire dogmatique de la faculté. À cette chaire reviendra toujours l’enseignement anatomo-pathologique donné dans son ensemble, dans sa synthèse, sous ses grandes divisions et dans ses larges rapports avec l’évolution, les symptômes et les signes des maladies.
Les laboratoires annexés aux cliniques générales permettent à celles-ci de joindre à l’examen direct des malades, à l’étude des symptômes et des signes des maladies, les analyses des sécrétions, du sang et des tissus altérés par la maladie. Toutefois, même avec ce complément précieux d’observation, les cliniques générales ne suffisent pas à donner tout l’enseignement clinique. A côté d’elles, il faut placer des cliniques spéciales, dont l’importance est devenue telle aujourd’hui qu’une faculté de médecine où les enseignemens cliniques spéciaux sont dédaignés est condamnée à un état d’infériorité fatale. Cet état d’infériorité, il faut le dire, la faculté de Paris ne l’a que trop subi. Les spécialités médicales ont été jusqu’en ces derniers temps repoussées de son enseignement, à l’instigation de ses plus illustres membres. Ceux-ci déclaraient que l’enseignement encyclopédique a seul un caractère scientifique, et doit seul être reconnu. Cet enseignement encyclopédique comprend en lui les enseignemens spéciaux, et il peut les fournir avec une autorité et une pleine connaissance des choses, que le représentant des pures spécialités ne saurait posséder. La science vit de rapports, et celui qui n’a pas la vue de l’ensemble connaît mal les parties. Le spécialiste, cantonné dans sa petite région, n’a qu’une observation limitée et imparfaite. Il ne faut pas compromettre les fortes éducations médicales et chirurgicales qui sont l’honneur de la faculté de Paris ; elles faibliraient, si on les délaissait pour s’adonner à des études absolument spécialisées, et si ces études prenaient pied dans l’enseignement de la faculté.
On ne saurait méconnaître le caractère élevé de ces raisons toutes françaises, et à la rigueur elles pouvaient être acceptées il y a trente ans. Les spécialités étaient alors si réduites, comme science et comme art, que l’on était en droit de les rattacher à la clinique générale. En quelques leçons, on prétendait exposer aux élèves les sujets de clinique et de thérapeutique spéciales. Déjà cependant l’insuffisance d’un tel enseignement était signalée. Aujourd’hui elle éclate aux yeux de tous. L’étude des spécialités a acquis en effet un développement et un caractère scientifique qui les ont singulièrement relevées. Ce développement, une technique propre et toute nouvelle, très délicate et très complexe, rendent désormais impossible l’enseignement complet des spécialités dans les cliniques générales. Celles-ci ont peine à suffire à l’enseignement général qui leur incombe ; elles ne peuvent se consacrer à un enseignement spécial qui exige beaucoup de temps et un aménagement pratique tout particulier. D’ailleurs on ne devient habile et grand connaisseur en fait de maladies spéciales qu’à la condition d’en voir sans cesse ; on ne manie en maître toute l’instrumentation que l’observation et la thérapeutique de ces maladies mettent en œuvre qu’à la condition de la manier tous les jours. Dédaigner les cliniques spéciales, ce serait sacrifier l’instruction pratique des élèves, sacrifier même une part de la science et renoncer à la faire fructifier par une culture appropriée. Faisons à ces cliniques une large place. L’exemple nous est donné par les universités étrangères. C’est par l’importance qu’elles attachent à l’enseignement des spécialités que ces universités ont acquis une part, et souvent la meilleure, de leur renommée. Les soins donnés à cet enseignement ont déterminé chez elles un courant d’élèves étrangers qui autrefois ne connaissaient que le chemin de nos facultés. D’honorables scrupules ne doivent plus nous arrêter, d’autant plus que l’on peut donner à ces scrupules une satisfaction légitime sans compromettre, mais au contraire en relevant l’enseignement des spécialités et en le rendant pleinement digne d’appartenir à une faculté.
A cet effet, on réservera la charge des enseignemens cliniques spéciaux à ceux qui ont déjà fait preuve d’une instruction encyclopédique complète et forte ; tels sont d’abord les agrégés de nos facultés, tells encore les médecins et chirurgiens des hôpitaux de Paris. Les uns et les autres sont nommés après de longs et vaillans concours, portant sur la médecine et la chirurgie considérées dans leur ensemble. Ceux qui ont traversé ces concours avec succès sont armés de toutes pièces ; ils connaissent et la science générale et les spécialités scientifiques. Si, après avoir conquis un tel titre, quelques-uns s’adonnent à la culture scientifique et pratique de telle ou telle spécialité, on peut être assuré qu’ils sauront voir et comprendre cette spécialité dans ses rapports avec l’ensemble, qu’ils ne se livreront pas à une fragmentation absolue et fausse de la science et de l’art, et qu’ils sauront garder à un enseignement spécial ce caractère supérieur que donnent seules les connaissances générales. Nos maîtres en spécialités éviteront ainsi cet esprit étroit, ces tendances fâcheuses que l’on rencontre dans beaucoup d’universités étrangères. Les enseignemens cliniques spéciaux y sont confiés souvent à des médecins qui ne connaissent que la spécialité qu’ils cultivent, et qui même s’absorbent tout entiers dans l’étude indéfinie d’un point limité, et spécial même dans la spécialité. On perd à cette façon de comprendre et de pratiquer les spécialités toute aptitude, tout esprit scientifique. Un tel danger ne sera jamais a redouter parmi nous.
Le besoin d’organiser dans nos facultés les enseignemens cliniques spéciaux avait frappé depuis quelques années beaucoup de bons esprits. Déjà Rayer, durant son décanat, avait tenté cette organisation ; mais il n’avait pas donné à son œuvre les conditions voulues pour durer. Il avait institué des cours cliniques complémentaires destinés aux agrégés libres, sans s’assurer qu’il pourrait toujours attribuer à ces agrégés les services cliniques, sans lesquels cet enseignement est impossible. Rayer n’avait donc pu faire que des attributions temporaires et dont rien ne garantissait le renouvellement. Aussi la plupart de ces cours sont-ils tombés dans l’abandon, faute de pouvoir les confier à qui de droit. En effet, dès qu’il s’agit d’enseignement clinique, la faculté de médecine n’est pas pleinement maîtresse de son action. Une entente préalable est nécessaire entre les administrations de l’instruction et de l’assistance publiques. Il faut que l’assistance publique consente à céder à la faculté de médecine un certain nombre de services spéciaux, afin que celle-ci puisse les confier à ceux qu’elle estimerait aptes à donner cet enseignement. Cette solution, qui en soi paraît si simple, est en pratique environnée de difficultés. L’assistance publique a ses médecins et chirurgiens, nommés au concours, et dont elle entend maintenir les droits, qui sont de choisir à l’ancienneté parmi les services hospitaliers vacans. Il faut donc trouver un terrain sur lequel tous les droits puissent se concilier, ceux des médecins et chirurgiens des hôpitaux, ceux aussi de la faculté de médecine, ou mieux ceux de l’enseignement.
Ces derniers ont une importance dont il convient d’apprécier la portée. On allègue que les médecins et chirurgiens des hôpitaux font librement des cours cliniques spéciaux, que par conséquent l’enseignement des spécialités n’a jamais, en réalité, fait défaut, et que la faculté n’a pas à se préoccuper outre mesure de cet enseignement. Une telle assertion n’est pas entièrement exacte. Sans doute l’enseignement libre dans les hôpitaux spéciaux a sa valeur, et l’on peut citer à son acquit des noms dont l’autorité scientifique reste incontestée ; mais même ces cours renommés ne répondent pas complètement à ce que l’on est en droit d’exiger. Les enseignemens libres gardent toujours un caractère aléatoire ; ils vont où ils veulent, et durent ce qu’ils veulent. Un médecin ou chirurgien d’hôpital, ouvrant une clinique libre, traite les points spéciaux dont il s’occupe ou qui ont un côté nouveau, et il n’a pas le souci de développer méthodiquement tout un enseignement. Il choisit tel ou tel sujet, et s’y tient. Ce n’est pas là un enseignement régulier, permanent, traitant successivement tous les points qui lui sont afférens : il faut pour cela un enseignement obligatoire et réglé. L’enseignement libre se dégage de toutes ces servitudes, et on ne saurait lui en faire un reproche ; il ne peut donc remplacer l’enseignement officiel, pas plus pour les cliniques spéciales que pour les cliniques générales, pas plus pour les enseignemens théoriques que pour les enseignemens pratiques. Et puis, véritablement, une faculté de médecine doit donner tout l’enseignement médical ; elle ne peut dire : je m’abstiens ici parce que je serai suppléée par des professeurs volontaires et libres. Ceux-ci enseigneront à ma place ; immobile et oisive, je les regarderai faire, sans pouvoir même communiquer avec eux, sans savoir dans quel esprit ils dirigent leur enseignement. Non, un tel état de choses n’est pas admissible.
Il fallait donc ; arriver à une entente avec l’administration hospitalière. Pourquoi cette entente se trouvait-elle si difficile à établir ? C’est que, faisons-en l’aveu, certains sentimens de rivalité jalouse s’étaient peu à peu glissés entre les médecins et chirurgiens des hôpitaux et ceux qui, professeurs de faculté, devaient à ce titre un nouveau lustre. Les grandes corporations voisines et entretenant entre elles des rapports continus se jalousent en raison même de ce voisinage et de ces rapports. C’est là un fait de tous les temps, de tous les pays, observé à tous les niveaux sociaux. Cependant il appartenait à l’administration de l’instruction publique et à la faculté de médecine d’effacer, autant que possible, la trace de ces petites rivalités ; il convenait d’écarter ces vieux et misérables obstacles et de se montrer animés de sentimens plus larges. Loin de lutter contre l’administration hospitalière et de prétendre, sans compensation, diminuer les droits des médecins et chirurgiens des hôpitaux, il fallait demander, au nom de la faculté, le concours des médecins de l’assistance publique, alors que ce concours semblait nécessaire ou utile à l’enseignement clinique spécial. Cet appel, la faculté n’a pas refusé de le faire, et elle a accepté cette proposition de pouvoir charger d’un enseignement clinique spécial tel ou tel médecin des hôpitaux, alors qu’aucun agrégé de la faculté de médecine ne serait en situation d’être promu à cet enseignement. C’est là en quelque sorte une alliance conclue entre la faculté et l’assistance publique dans l’intérêt de l’enseignement clinique. Il y a lieu d’espérer que cette alliance portera ses fruits. Elle a déjà permis de conclure une convention entre le ministre de l’intérieur, représentant l’assistance publique, et le ministre de l’instruction publique, représentant la faculté de médecine, convention qui va inaugurer uns organisation nouvelle des cours cliniques spéciaux.
Par suite de cette convention, le ministre de l’instruction publique peut charger de cours cliniques spéciaux les agrégés, médecins ou chirurgiens titulaires des hôpitaux, ou des médecins ou chirurgiens des hôpitaux, non agrégés. Ils sont nommés pour dix ans, rééligibles, et leurs fonctions de professeurs cesseront lorsqu’ils auront atteint la limite d’âge à laquelle les médecins et chirurgiens des hôpitaux, sont mis à la retraite. L’administration de l’assistance publique livre un service clinique spécial à ces chargés de cours, tout en réservant les droits de ses médecins et chirurgiens actuellement en possession de ces services. Le ministre de l’instruction publique doit donc choisir parmi ceux qui occupent à cette heure un service clinique spécial. Ce n’est pas une entière liberté, mais il n’y avait pas à demander plus en ce moment. Lorsque les titulaires de ces services, chargés au nom de la faculté d’un enseignement clinique spécial, devront, pour une raison ou pour une autre, être remplacés, comment se fera ce remplacement ? Se fera-t-il par une désignation directe de la faculté, parmi ceux qui rempliront les conditions voulues, ou ne pourra-t-on choisir que parmi ceux à qui les droits de l’ancienneté permettront d’occuper ces services spéciaux ? Cette dernière supposition s’accorde mal avec les intérêts de l’enseignement. Ce point litigieux, la convention conclue entre les deux ministres ne le résout pas. La décision est remise à une commission mixte qui, d’après la convention, sera permanente, et réglera la mise en pratique de cet enseignement, qui aura été si péniblement organisé. Espérons que cette commission prendra une décision conforme aux conditions d’un bon enseignement, lesquelles veulent un libre choix et non une désignation parmi des occupans à l’ancienneté. Après dix ans de possession d’un service clinique spécial au nom de la faculté, il n’y a pas à croire que l’on voudra attribuer ce service à d’autres qu’à ceux que la faculté jugera aptes à l’occuper. Quoi qu’il en soit, un premier pas est fait. Cette prise de possession de cliniques spéciales, toute limitée qu’elle soit, doit devenir pour la faculté une prise de possession réelle par les seuls progrès du temps et par la force acquise d’une longue occupation.
Il y aura à voir par la suite si toutes ces cliniques spéciales doivent rester à l’état de cours complémentaire, et si quelques-unes ne méritent pas le rang de clinique magistrale. Déjà l’une d’elles a été ainsi convertie. Le cours des maladies mentales est devenu chaire magistrale, ce que justifiaient la grandeur et l’importance sociale de cet enseignement. De telles conversions peuvent être indiquées dans l’avenir et demandées par la faculté. En outre, un article ajouté à la convention passée entre les deux ministres établit que le nombre des enseignemens cliniques spéciaux, présentement fixé à cinq ou six, pourra être augmenté suivant les progrès de la science et les intérêts de l’enseignement. C’est là une libérale et excellente déclaration, et qui trouvera son application.
Ce n’est pas seulement par l’adjonction de cours cliniques spéciaux qu’il y a lieu de compléter l’enseignement de nos facultés de médecine. La plupart des chaires magistrales embrassent de trop vastes étendues scientifiques, et le professeur est obligé de scinder son cours en plusieurs années. Il en est ainsi pour toutes les chaires magistrales qui sont uniques de leur espèce : telles les chaires de pathologie générale, de thérapeutique, d’anatomie pathologique, de médecine légale, d’hygiène, de physiologie, d’anatomie, de médecine opératoire, de chimie, de physique, d’histoire naturelle. Telles sont même les chaires doublées de pathologie interne et de pathologie externe ; pour les unes comme pour les autres, la matière de l’enseignement est surabondante. A moins de fournir un enseignement mutilé et absolument élémentaire, le professeur est condamné à ne traiter qu’une part minime de son sujet. D’autre part, une partie du corps enseignant de nos facultés reste ordinairement inactive et silencieuse, et c’est la partie la plus jeune, la plus ardente à la besogne qui est ainsi immobilisée, celle à qui les exercices de l’enseignement seraient personnellement utiles ; je veux parler du corps des agrégés. Nommés au concours, les agrégés n’ont maintenant d’autres fonctions que celle de participer aux examens que fait subir la faculté ; ils ne prennent part à l’enseignement que lorsqu’ils suffit chargés de suppléer un professeur empêché. Cette participation est donc rare, aléatoire, et peut même conduire l’agrégé à une suppléance qui n’est pas en rapport avec ses goûts et ses études préférées.
Il y a à s’emparer, au profit de l’enseignement, de ces forces vives et presque perdues de l’agrégation. À cette fin, chaque agrégé sera attaché à une chaire magistrale pour compléter l’enseignement du professeur titulaire, et cela avec l’agrément et du professeur et de la faculté. Le professeur désignera la partie du cours qu’il peut abandonner à un agrégé, et ce cours complémentaire sera, par la faculté, confié à l’agrégé. Ces dispositions libérales doubleront l’étendue de l’enseignement parcouru. Le jeune agrégé pourra recueillir là des succès précoces, et qui plus tard le désigneront au choix de la faculté. Ces succès feront-ils échec au professeur, et celui-ci pourra-t-il en prendre ombrage ? Non, le professeur sera le premier à se féliciter des succès de son jeune collègue ; il saura toujours guider l’influence sérieuse que donnent l’expérience acquise et l’autorité de jugemens longuement médités. Nous avons dit quels obstacles avait offerts jusqu’ici à cette extension des fonctions de l’agrégation l’installation pauvre et étroite de notre faculté. Cette installation s’agrandit, et le moment est venu de demander aux agrégés le concours qu’ils sont prêts à donner. Aussi le décret qui vient de réorganiser les cours cliniques spéciaux établit-il la participation future et régulière des agrégés aux fonctions de l’enseignement.
Les améliorations ou réformes dont nous venons de tracer l’exposé s’appliquent surtout à la Faculté de Paris. Quelle est, sous ces rapports, la situation des facultés de province ? Il faut distinguer ici entre les facultés anciennes et les nouvelles. Les facultés, anciennes sont celles de Montpellier et de Nancy. La faculté de Montpellier a de glorieuses traditions, qui sont encore sa principale force ; mais il ne faut pas se dissimuler que le mouvement de transformation qui agite l’enseignement médical ne lui est pas de tout point favorables Cet enseignement, devient de moins en moins dogmatique et synthétique, pour revêtir le caractère analytique et pratique. Or ce caractère pratique de la médecine moderne se puise tout entier dans l’observation clinique, et dans ce qui se rattache à cette observation. La première et essentielle condition d’une telle observation se trouve dans la possession de ressources cliniques abondantes. Les études anatomo-pathologiques, et, avant elles, les études anatomiques, se relient à la possession de ces ressources cliniques. C’est là, sans qu’il soit besoin d’insister sur une vérité si évidente, ce qui fait que, désormais, les facultés de médecine ne peuvent pleinement prospérer que dans les cités très populeuses, pourvues d’hôpitaux où convergent et se répètent les faits pathologiques, de façon à fournir à l’étudiant attentif des occasions d’observation, fréquente, et embrassant l’ensemble de la pathologie. Comment instituer ailleurs que dans les très grandes villes les enseignemens cliniques spéciaux dont nous avons fait ressortir l’importance ? Comment trouver ailleurs que dans ces villes un assez grand nombre de services hospitaliers pour qu’un service puisse être attribué à la plupart des professeurs d’une faculté de médecine, à ceux du moins dont l’enseignement porte sur la pathologie et. la thérapeutique ? Qu’est un professeur de pathologie interne ou de pathologie externe, de pathologie générale ou de thérapeutique, qui ne possède pas un service d’hôpital ? N’est-il pas comme un combattant qui entre dans la lutte avec des préceptes et non avec des armes ? Son enseignement n’est-il pas destiné fatalement à perdre le caractère animé et vivant que le contact des faits et le commerce assidu des réalités peuvent seuls donner ?
La faculté de Montpellier doit donc s’efforcer de développer son enseignement pratique sans en éteindre le caractère philosophique, de fortifier son enseignement anatomique, d’accroître surtout ses ressources cliniques. Il faut faire dans ce sens tout le possible, sans se dissimuler que ce possible est malheureusement très limité par la faible importance numérique du milieu où siège la faculté.
La faculté de médecine de Strasbourg était perdue pour nous avec l’Alsace. La faculté de médecine de Paris, consultée, demanda le transfèrement de la faculté de Strasbourg à Lyon. Le chef du pouvoir exécutif, M. Thiers, croyant donner satisfaction à une pensée patriotique, désigna Nancy pour recueillir ce douloureux héritage. On voulait opposer une faculté voisine aux facultés allemandes ; on craignait en allant jusqu’à Lyon de céder trop de terrain aux influences allemandes et de reculer devant elles. Ces sentimens, malgré ce qu’ils offraient de généreux, ont conduit à une fâcheuse résolution. Le vrai et le seul moyen de lutter efficacement contre les facultés d’outre-Rhin, c’est d’élever sur le territoire français des facultés douées de tous les ; élémens de vie scientifique et pouvant prospérer dans un milieu favorable. Ces conditions, on les rencontrait sûrement à Lyon ; elles faisaient défaut à Nancy. On pouvait bien créer à Nancy une faculté de médecine pourvue de laboratoires de physique, de chimie, de physiologie, d’histologie, dotée même d’un institut anatomique bien aménagé ; mais ce qui manquait, et ne pouvait être créé à volonté, c’étaient de vastes hôpitaux et des services hospitaliers actifs pour les professeurs de clinique et autres professeurs de la faculté. L’administration municipale de la ville faisait à ce sujet les plus belles promesses ; elle s’engageait à édifier un nouvel hôpital pourvu de tout ce qui peut servir à l’enseignement. Ces promesses n’ont pas été tenues : le seront-elles jamais ? Et d’ailleurs la construction d’un nouvel hôpital à la place des vieux et insalubres hôpitaux de la ville amènera-t-elle un beaucoup plus grand nombre de malades, et assurera-t-elle ce renouvellement incessant de faits pathologiques sans lesquels l’instruction médicale doit languir ?
En outre, les traditions manquent à cette faculté hâtivement instituée. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on crée un centre d’instruction médicale et d’activité scientifique. Il y faut le temps et l’appel continu de maîtres renommés. La faculté de médecine de Strasbourg avait été longtemps à se créer cette tradition et à affirmer sa valeur. Elle n’avait même trouvé la prospérité que lorsque l’administration de la guerre lui avait rattaché l’école de santé militaire. Les étudians militaires vinrent donner à la faculté alsacienne une vie et une animation qu’elle ne connaissait pas. L’école militaire de santé est tombée ; peut-être pourrait-on la relever avec fruit, et la rattacher, comme l’ancienne, à cette faculté de Strasbourg transférée à Nancy. Il y aurait là, pour cette faculté, une source de prospérité qui la ranimerait sans doute, et la ferait sortir de son état de langueur. Il n’y a pas à se dissimuler toutefois que l’intérêt de l’école militaire, si on la relevait, ne concorderait pas de tout point avec l’intérêt évident de la faculté de Nancy ; l’école pourrait trouver ailleurs un milieu plus favorable, et on ne saurait en vouloir à l’administration de la guerre d’écouter surtout les intérêts de son école de santé.
Trois nouvelles facultés de médecine ont été décrétées ; deux, celles de Lyon et de Bordeaux, par la loi du 8 décembre 1874, et à la suite d’un remarquable rapport de M. Paul Bert, celle de Lille ultérieurement par un décret du 12 novembre 1875. Ces créations de facultés doivent compter parmi les actes destinés à marquer la réforme et le développement de notre enseignement médical.
On peut s’étonner que Lyon ait si longtemps attendu une faculté de médecine. Tout invitait à l’établir dans cette grande cité. L’enseignement médical devait y rencontrer tous les élémens désirables de prospérité. L’Hôtel-Dieu, la Charité, l’Antiquaille, fournissaient à l’observation clinique d’inépuisables ressources ; ces hôpitaux assuraient, en outre, tous les autres moyens d’instruction, soit pour les études d’anatomie descriptive, d’histologie, d’anatomie pathologique, de médecine opératoire. Le nombre des services hospitaliers permettait à chaque professeur, à ceux du moins dont l’enseignement touche directement à la pathologie, de devenir médecin d’hôpital. Enfin le corps médical de Lyon s’honorait de traditions scientifiques élevées, qui lui valaient une haute renommée. L’institution déjà ancienne du concours pour le majorat des trois grands hôpitaux lyonnais, et aussi pour toutes les places de médecin dans ces hôpitaux et à l’hôpital de la Croix-Rousse, avait créé dans la médecine lyonnaise un mouvement, une activité scientifique, que l’on ne retrouverait pas ailleurs. Il y avait donc là tout ce qui appelle et favorise l’établissement d’une faculté de médecine. Le voilà enfin réalisé ; et cet événement : doit réjouir tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’enseignement supérieur. On médite la création de grands centres universitaires. Ces centres ne sauraient s’établir que là où s’élève et prospère une faculté de médecine. Celle-ci anime tout autour d’elle, non-seulement par le nombre des élèves qu’elle attire, mais encore par les rapports nécessaires qu’elle entretient avec les autres facultés, et, en particulier, avec la faculté des sciences. La science de l’homme vivant n’a-t-elle pas besoin de toutes les autres sciences ? Les lettres et la philosophie elles-mêmes gagnent à ce contact avec la science de la vie. Que de vérités métaphysiques qui ne sont que des vérités biologiques, transportées en apparence sur un autre terrain, mais qui en réalité demeurent sur un terrain commun, celui de l’homme, un à traversé ses aspects changeans !
La faculté de médecine de Lyon s’élève dans des conditions exceptionnelles de grandeur et d’aménagement scientifique. Située sur la : rive gauche du Rhône, elle y occupe un terrain de 26,000 mètres carrés qui se couvrent de vastes et de nombreux laboratoires, de salles de cours, de galeries destinées aux collections scientifiques diverses ; et tout cela établi selon les plus récens perfectionnemens, et avec toutes les dépendances propres à favoriser le travail des élèves et celui des maîtres. Aucune faculté en France n’atteindra à de pareilles proportions ; elle n’aura à redouter la comparaison avec aucune faculté étrangère.
Les enseignemens cliniques se sont établis à Lyon sous les plus heureux auspices. Nous avons dû indiquer les difficultés que rencontrait à la faculté de Paris l’extension de l’enseignement clinique ; nous avons fait entrevoir les rivalités et les méfiances cachées qui y existent entre l’assistance publique et le corps enseignant de la faculté. Aucune de ces difficultés n’a surgi à Lyon. L’administration hospitalière de cette ville a accueilli la faculté de médecine comme un hôte longtemps désiré. Libérale, et intelligente, elle a compris qu’il y avait entre elle et la faculté des intérêts similaires et non opposés, et que ce qui devait grandir à Lyon l’enseignement médical grandissait par cela même l’autorité scientifique des médecins des hôpitaux de la ville. L’administration hospitalière de Lyon a aimé la faculté naissante, a voulu aider à sa bonne institution, et préparer ses succès futurs. Elle a donc mis à la disposition de l’état toutes les ressources d’enseignement dont elle dispose, et grâces lui en soient rendues. Elle a entrepris de grands et magnifiques travaux, auxquels la municipalité n’a contribué que pour une part qui n’était pas la principale, et ces travaux sont conduits avec une telle activité que, à cette heure, l’installation clinique de la faculté de médecine est complète. Si la faculté ne peut montrer à l’ouverture de ses cours ses bâtimens et ses laboratoires achevés, elle pourra du moins montrer avec quelque fierté son enseignement clinique fonctionnant et offrant déjà aux élèves d’intarissables ressources.
La faculté de Lyon ne possédera pas seulement l’enseignement clinique général, pourvu de salles de malades affectées en permanence à chaque professeur de clinique, d’amphithéâtres nombreux et bien disposés, de laboratoires munis de tous les moyens d’analyses, et de recherches ; elle possédera, en outre, les enseignemens cliniques spéciaux, établis, dans les plus larges proportions. Et ici la libéralité de l’administration hospitalière, a permis de donner à quelques-uns de ces enseignemens une importance qu’ils n’avaient pas encore acquise en France, et de les élever au rang de chaires magistrales. Ce n’est pas uniquement le cours clinique des maladies mentales qui devient, comme à Paris, cours magistral ; ce sont aussi la clinique ophthalmologique et la clinique des maladies cutanées et syphilitiques ; mais aussi que n’a pas fait l’administration hospitalière pour qu’un tel résultat pût être acquis ! Elle a créé à l’Hôtel-Dieu un service ophthalmologique dont les proportions et l’aménagement dépassent tout ce qui s’est fait ailleurs. Cette clinique comprend deux salles, chacune de trente lits, l’une destinée aux hommes, l’autre aux femmes ; entre les deux salles, un amphithéâtre de cours, et tous les cabinets et salles préparés pour les examens ophthalmologiques. De même a-t-il été fait à l’Antiquaille pour les maladies cutanées et syphilitiques. Ce n’est pas tout ; l’hôpital de la Charité, situé entre l’Hôtel-Dieu et l’Antiquaille, donnera asile à la clinique obstétricale, chaire magistrale, et, en outre, à des cours cliniques complémentaires sur les maladies des enfans et les maladies des femmes. La faculté de Lyon va donc inaugurer les enseignemens cliniques spéciaux dans des conditions que plusieurs professeurs de la faculté de Paris envieront pour celle-ci. Cet exemple sera peut-être contagieux, et, en tout cas, il sera vivement invoqué par ceux qui pensent que l’avenir et le progrès sont à développer de tels enseignemens.
Nous ne pouvons quitter la faculté de médecine de Lyon sans parler d’un enseignement qui lui appartiendra en propre, et qui formera un enseignement tout de recherches originales, de rapprochemens nouveaux et instinctifs : c’est celui de la chaire de médecine expérimentale et comparée. Lyon possède une école de médecine vétérinaire qui relève du ministère de l’agriculture et du commerce, lequel semble plus généreux à l’égard des établissemens qu’il fonde que n’a pu l’être jusqu’ici, à l’égard de ses facultés, le ministère de l’instruction publique. Cette école est admirablement établie et dotée d’un laboratoire de physiologie expérimentale où les grands animaux peuvent être introduits et soumis à l’expérimentation. De ce laboratoire sont sortis des travaux qui ont illustré le nom du directeur de l’école vétérinaire, M. Chauveau. Il a paru utile de faire profiter la faculté de médecine du voisinage d’un tel établissement scientifique, et de les relier l’un à l’autre par l’institution d’un enseignement qui se rattachât d’un côté à la médecine vétérinaire, de l’autre à la médecine humaine. Que d’affections communes ou comparables entre les deux pathologies, et combien l’expérimentation, qui est si libre d’un côté, peut éclairer les obscurités de la pathologie humaine, où le respect de la vie, sous toutes ses formes, est la loi, où l’expérimentation est si empêchée, même dans les étroites limites où elle est licite !
Nous dirons peu de chose de la faculté de médecine de Lille. Elle compte des hommes de talent, dévoués à leur œuvre, et qui donneront à cette faculté le rang honorable qu’elle doit ambitionner ; mais la création de la faculté de Lille a été hâtive, et a rencontré de graves difficultés dont elle sort à peine. Son enseignement clinique a été menacé et réduit par la convention passée entre l’administration des hospices de la ville et la faculté libre de médecine. Cette convention, cédant à la faculté libre la moitié de l’hôpital Sainte-Eugénie, a été maintenue par le conseil d’état, et mise à exécution. La faculté de l’état conserve pour ses cliniques l’hôpital Saint-Sauveur tout entier, qui restera l’hôpital le plus fréquenté de la ville, et la moitié de l’hôpital Sainte-Eugénie. Ce sera suffisant ; mais il importe de procéder sans retard aux aménagemens cliniques qui sont nécessaires dans ces deux hôpitaux ; amphithéâtres de cours, cabinets de recherches pour les professeurs, laboratoires cliniques. Tout cela manque, et doit être édifié. Il faut hâter l’installation définitive de la faculté et sortir du provisoire. Il faut se mettre à l’œuvre, donner à la faculté tous ses moyens d’enseignement, munir les laboratoires provisoirement établis de tout l’outillage scientifique qui est nécessaire. Le conseil municipal de Lille a demandé et obtenu l’établissement d’une faculté de médecine ; il a tout promis pour cet établissement, il doit songer à acquitter cette dette, et à donner à la ville un établissement digne d’elle et digne de la science.
La faculté de médecine de Bordeaux, votée par l’assemblée nationale en même temps que celle de Lyon, n’est pas encore constituée. Ce retard doit être imputé à la lenteur avec laquelle a procédé jusqu’ici l’administration municipale de la ville. On a mis au concours le projet d’édification de la faculté. Le concours a donné ses résultats ; un projet a été adopté. L’emprunt de la ville, sur lequel doivent être prélevés les frais de construction de la faculté, a été récemment voté par les chambres. Les conventions à passer entre le ministère de l’instruction publique et l’administration hospitalière pour l’établissement des cliniques de la faculté ont été conclues. Il ne reste donc qu’à aborder l’exécution de ces projets et conventions. Là est le retard. Bordeaux réclame la constitution immédiate de la faculté de médecine, et propose de l’établir dans les locaux de l’école préparatoire. Il est difficile d’accéder à de telles propositions. On ne peut ouvrir une faculté ainsi dépourvue ; il faut, tout au moins, que l’installation clinique soit complète, il faut que les travaux de construction de la faculté soient adjugés et commencés. Alors il sera temps d’organiser la faculté. Que Bordeaux regarde du côté de Lyon, et qu’il mesure tout ce qui a été fait là, avant d’arriver à l’installation de la faculté de médecine. Qu’il suive cet exemple, et sa faculté sera créée.
Après avoir parlé de la restauration et de l’agrandissement de nos vieilles facultés de médecine, de l’édification et de l’organisation de nos facultés nouvelles, nous avons à exposer les réformes qui doivent être appliquées dans les conditions de la scolarité qui relève de ces facultés, et aussi les améliorations qui ont été ou doivent être introduites dans la situation du corps enseignant.
La scolarité exigée par le doctorat en médecine comprend quatre années ; elle est évidemment trop courte, eu égard aux connaissances que le doctorat exige ; mais elle est déterminée par une loi, et il n’y a pas possibilité de la modifier aisément et par simple décret. D’ailleurs elle est en fait allongée au moins d’une année par le nombre des examens à subir après la prise des seize inscriptions, c’est-à-dire après la quatrième année d’études révolue. Si cette scolarité est courte, il faut éviter d’en sacrifier la moindre partie ; or c’est ce que permettent les règlemens actuels. Ceux-ci n’exigent la présentation du diplôme de bachelier ès-sciences restreint qu’avant la prise de la troisième inscription, vers le milieu de la première année d’études. Cette tolérance ruine, dans un trop grand nombre de cas, la première année des études médicales. L’élève se consacre tout entier à son examen de baccalauréat et néglige les cours de la faculté. Il néglige encore plus de se préparer dès cette première année aux études anatomiques élémentaires, études qui ne sont pas dans le programme officiel des cours de première année, mais que doivent aborder sans retard les étudians en médecine qui comprennent l’importance et les difficultés de ces études. Il y avait à remédier à cette atteinte portée à la scolarité médicale et dont les effets fâcheux étaient partout signalés, surtout dans les écoles préparatoires où l’élève est observé de plus près. Le remède était facile ; il consistait à exiger les diplômes du baccalauréat ès-lettres et ès-sciences avant la prise de la première inscription. C’est ce qui va être fait dès le mois de novembre 1878. La première année de nos études médicales sera ainsi mieux employée et plus forte.
Une autre et importante réforme proposée par les facultés de médecine, approuvée par le comité consultatif de l’enseignement supérieur, adoptée par le conseil supérieur de l’instruction publique, et soumise en ce moment à l’examen du conseil d’état, dont l’approbation n’est pas douteuse, est celle du régime des examens pour le doctorat. Sans entrer dans le détail de cette réforme, nous devons en montrer en peu de mots la convenance et l’esprit. Les examens du doctorat en médecine sont de deux ordres : les uns, au nombre de trois, dits examens de fin d’année, sont de simples examens de passage d’une année à l’autre ; les autres, dits examens probatoires, au nombre de cinq, comprennent toutes les matières de l’enseignement. Les examens de fin d’année ne remplissent pas le but pour lequel ils ont été proposés. Placés à la fin de chacune des trois premières années d’études, ils demandent à l’élève plus qu’il ne peut alors savoir. Un examen complet d’anatomie après la seconde année et un examen complet de pathologie interne et externe après la troisième année dépassent la mesure. Le professeur, ayant conscience de cet état des choses, et sachant qu’il retrouvera l’élève sur ces mêmes matières aux examens de doctorat, est porté à une indulgence excessive. En outre, dans la faculté de Paris, le nombre des élèves est si considérable que l’obligation de faire subir tous les examens de fin d’année dans le dernier mois de l’année scolaire, et alors que le nombre des examens de doctorat est lui-même écrasant, conduit nécessairement à des examens de fin d’année très rapides, l’examinateur devant interroger toute une fournée d’élèves. Tout cela rend l’examen peu sérieux. On a donc résolu de supprimer ces examens de fin d’année et de les remplacer par des examens définitifs plus nombreux et échelonnés dans le cours des études.
Le côté essentiel de cette réforme, c’est l’augmentation du nombre des examens de doctorat. Cette augmentation a été obtenue par le dédoublement de certains examens dont l’importance est majeure et dont la matière avait une étendue démesurée. L’examen d’anatomie et de physiologie sera dédoublé ; l’examen de pathologie interne, externe et de médecine opératoire l’est également. Le cinquième examen actuel est également dédoublé ; il y aura désormais deux examens cliniques, l’un pour la partie médicale, l’autre pour la chirurgie et les accouchemens. Cette réforme relèvera certainement le niveau des examens probatoires, et par contre celui des études. Elle permettra d’introduire dans les examens tout ce qui se rapporte à l’enseignement clinique des spécialités. Cet enseignement trouvera ainsi sa sanction. Aussi a-t-il été décidé que les chargés de cours cliniques spéciaux prendraient part aux examens probatoires en qualité d’agrégés. Ces cours entreront donc définitivement dans l’enseignement et dans les préoccupations des élèves qui les trouveront représentés aux examens.
Ainsi réformés et augmentés, nos examens probatoires pourront être comparés sans désavantage à ceux qui sont soutenus devant les universités étrangères les plus renommées. Il se peut que la liberté de l’enseignement supérieur, si elle prend racine et fructifie parmi nous, que le nombre des facultés officielles, s’il va en croissant encore, rendent désirable une autre organisation d’examens. On se délivrerait des difficultés et des assujettissemens des jurys mixtes, on préviendrait l’abaissement possible des examens probatoires devant telle faculté officielle, en laissant à toute faculté officielle ou libre le droit de délivrer un diplôme universitaire. Ce diplôme n’aurait qu’une valeur honorifique ; il fournirait le simple témoignage d’études régulières. L’état se réserverait le droit d’autoriser l’exercice professionnel » après avoir fait subir à ceux qui lui présenteront un diplôme universitaire des examens pratiques, garantie de la capacité du candidat. L’exercice professionnel livre un droit redoutable, et la société, représentée par l’état, doit juger directement ce que vaut et ce que sait celui qui demande cet exercice. Un jury nommé par l’état en connaîtrait. Ce système est aussi libéral que rassurant au point de vue social. Bien examiné, il n’offre pas les difficultés d’exécution qu’on s’est plu à lui attribuer : il fonctionne en Allemagne : peut-être serons-nous un jour appelés à y avoir recours, C’est urne question réservée et dont l’avenir décidera.
Le corps enseignant des facultés de médecine se compose des professeurs titulaires, des agrégés et des chargés de cours cliniques spéciaux. La situation des uns et des autres a été notablement améliorée. D’après le décret du 14 janvier 1875, le traitement des professeurs de la faculté de médecine et de la faculté des sciences de Paris a été égalisé et porté à 13,000 francs ; celui des professeurs de la faculté de droit et de la faculté des lettres de Paris a été fixé à 15,000 francs. On a établi entre ces deux ordres de facultés une légère différence en faveur des dernières. Cette différence me semble difficile à justifier. Ces divers ordres d’enseignemens se valent par la matière et les difficultés, et celui qui exige le travail le plus soutenu est peut-être celui de l’ordre médical, tant la production scientifique y est multipliée et incessante. Cette faculté est en outre celle à qui incombe peut-être le plus lourd fardeau d’actes probatoires. L’égalité de traitement entre les professeurs de toutes les facultés de Paris est évidemment la solution désirable.
Ce même décret rappelle une disposition libérale, déjà édictée sous l’empire : c’est celle d’un accroissement progressif de traitement pour les professeurs des facultés de province, accroissement que doivent motiver l’ancienneté et l’éclat des services rendus dans l’enseignement. Cette disposition du décret a reçu une première exécution. Dès la fin de l’année dernière, un certain nombre de professeurs des facultés de Montpellier et de Nancy ont vu ainsi leur traitement notablement augmenté. Il y a lieu d’espérer que les dispositions du décret seront régulièrement appliquées, et que chaque année les professeurs les plus méritans verront s’améliorer leur modeste situation.
L’agrégation dans les facultés de médecine forme un corps vigoureux, qui assure un recrutement de professeurs, souvent connus par des travaux éminens au moment même où ils sont nommés. Maintenir l’agrégation au niveau où l’ont placée les concours les plus difficiles de l’ordre médical, la fortifier et l’égaliser dans toutes les facultés de province, relever la situation qui lui est faite, telle était la voie à suivre à l’égard de cette jeune et vaillante corporation. Quelques pas en avant se sont faits dans cette voie. Le décret du 15 janvier 1875 a porté le traitement de l’agrégé à 4,000 francs par an, et lorsque l’agrégé supplée un professeur, il reçoit en outre la moitié du traitement du professeur, si la suppléance est entière et dure toute l’année. Pour mesurer ce que vaut ce petit, mais très réel progrès, il faut savoir qu’antérieurement le traitement fixe de l’agrégé était de 1,000 francs par an, et le traitement éventuel de 700 à 800 francs environ.
Une autre et heureuse transformation va s’opérer dans l’agrégation par l’application des décrets du 18 août 1877. Les agrégés de la faculté de médecine étaient nommés pour neuf ans, sur lesquels il fallait prélever trois ans de stage. Ce stage réduisait à six ans les fonctions de l’agrégation. Ce stage offrait-il de réels avantages ? Le stage exigé pour le barreau est consacré à une initiation progressive du stagiaire aux devoirs de l’avocat et à l’exercice véritable de la profession. Il n’en est pas de même pour le stage de l’agrégation. Il ne consiste que dans une abstention absolue. L’agrégé stagiaire a sa nomination et son entrée assurée dans la faculté. Mais c’est tout ; durant son stage, il reste étranger à la faculté, attendant avec plus ou moins d’impatience le jour où il deviendra un agrégé véritable. Le stage ainsi compris n’a aucune raison d’être. Et puis, après un concours qui a hautement témoigné de la capacité de l’élu, un stage est-il logique et justifiable ? Enfin on l’impose au moment même où l’agrégé, après de pénibles sacrifices, éprouve souvent le besoin de trouver quelques ressources attendues et qui lui sont une compensation bien désirée. La carrière des concours n’est pas celle de la clientèle. Souvent le candidat qui réussit a été jusqu’au bout de ses ressources de fortune, et parfois il les a dépassées. Il est presque cruel de l’ajourner dans son succès, et de ne pas le délivrer, sans retard, de difficultés peut-être pressantes.
D’autres considérations militaient dans ce même sens de la suppression du stage. La durée de l’agrégation, réduite à six ans, laisse à peine à l’agrégé le temps de se faire apprécier et de se former aux fonctions de l’examinateur et du professeur ; au moment où il fournit sa mesure, ses fonctions cessent, et il retombe peut-être dans l’oubli. Dans aucune faculté, la durée de l’agrégation n’est aussi restreinte, et ce ne sont pas les difficultés incomparables de l’enseignement médical qui pourraient motiver une exception en ce genre. Un récent décret supprime donc le stage et porte à neuf ans la durée de l’exercice. Double et utile réforme. Pour qu’elle pût se réaliser sans porter un grave préjudice aux candidats qui se préparaient à concourir, il fallait augmenter notablement le nombre des agrégés en exercice. Les concours d’agrégation ont en effet lieu tous les trois ans ; les agrégés nommés au prochain concours devant entrer immédiatement en fonctions, il fallait ou ajourner de trois ans le concours actuel ou augmenter de près d’un tiers le nombre des agrégés en exercice. C’est cette dernière solution qu’a admise l’administration de l’instruction publique avec une libéralité dont nous ne saurions trop la remercier. Dix places nouvelles d’agrégé, celles que l’on met au prochain concours pour la faculté de Paris, sont ainsi créées. Cette création trouve d’ailleurs d’autres et péremptoires raisons d’être dans le nombre croissant des actes probatoires. Ce nombre va encore s’accroître tout d’un coup par suite de la réforme des examens de doctorat ; une modification des jurys d’examens deviendra peut-être nécessaire, et il y aura à faire un appel plus répété aux agrégés comme examinateurs.
Nous disions qu’il faut fortifier et égaliser l’agrégation de toutes les facultés de médecine, maintenir le niveau des concours qui ont fait sa renommée. Dans ce dessein, une mesure nouvelle a été prise il y a trois ans et doit être maintenue : je veux parler de la concentration à Paris de tous les concours d’agrégation. Lorsqu’il n’y avait en France, en dehors de Paris, que deux facultés de médecine, celles de Strasbourg et de Montpellier, les concours d’agrégation avaient lieu au siège de chaque faculté. Cette coutume n’était pas sans inconvéniens. Les concours d’agrégation dans les deux facultés de province parfois étaient abordés sans les craintes salutaires, qu’inspire un échec possible, et on en avait signalé de particulièrement faibles. Il y avait souvent autant de places que de candidats : quels efforts avaient à faire ces candidats ? N’étaient-ils pas assurés de leur nomination ? Les déclarer indignes, n’était-ce pas faire le procès de la faculté elle-même, et témoigner du peu d’ardeur scientifique qui s’y faisait sentir ? Si ces raisons étaient valables lorsque les facultés de province n’étaient que deux, elles deviennent irrésistibles alors que le nombre de ces facultés va s’élever à cinq. On ne peut vraiment songer à établir, outre celui de Paris, cinq concours d’agrégation. On arriverait fatalement à l’abaissement du titre d’agrégé : on affaiblirait lentement, mais profondément, notre enseignement médical. La concentration à Paris des concours d’agrégation maintiendra l’élévation du concours. Les candidats, sachant qu’ils se présenteront devant un jury composé de personnalités éminentes, qu’ils auront pour camarades de concours l’élite valeureuse des élèves de la faculté de Paris, feront des efforts auxquels ils ne se seraient pas soumis ; ils s’exerceront à l’art difficile d’exposer avec clarté une question scientifique ; ils se feront dignes de la lutte dans laquelle ils entrent, et ils en sortiront plus forts et mieux armés. Il en est déjà ainsi, et le prochain concours en témoignera, il y a là, pour les facultés de province, un renoncement, un sacrifice à faire, mais nécessaire, et qui tournera à leur avantage. D’ailleurs leur autonomie n’est pas renversée, car le candidat peut s’inscrire pour telle ou telle faculté, pour une ou pour plusieurs. Certains sacrifices de déplacement et de séjour sont imposés aux candidats de province ; mais l’agrégation est désormais assez haut placée pour que l’on accepte certaines gênes que sa poursuite impose. Les intérêts personnels, les profits de la pratique médicale, ne doivent pas primer cette passion scientifique qui doit animer celui qui entre dans la carrière ardue des concours.
Comme dernière mesure destinée à relever la valeur de l’une des plus notables épreuves des concours d’agrégation, nous signalerons celle qui est édictée par l’arrêté ministériel du 10 août 1877. On sait que le concours d’agrégation se termine par la composition et la soutenance d’une thèse, sur un sujet désigné par le jury et différent pour chaque candidat. La collection de ces thèses est très intéressante ; elle permet de juger où en est la science sur un ensemble de points déterminés. Ces thèses sont lues par toute la jeunesse studieuse de nos écoles ; plusieurs restent comme des modèles d’érudition et d’exposition. Elles sont également lues et recherchées à l’étranger, et c’est en partie sur elles que l’on y mesure notre niveau scientifique. Or pour la rédaction de ces thèses le candidat n’avait que douze jours francs. C’est en ce court espace de temps que, sur des questions difficiles, le candidat avait à composer et à faire imprimer une thèse qui parfois dépassait deux cents pages. Ce labeur excessif n’était pas toujours à l’avantage de la thèse, dont quelquefois la rédaction était diffuse, l’érudition faible, l’ensemble sans unité. L’arrêté du 10 août pare à ces inconvéniens. Les sujets de thèse seront distribués aux candidats immédiatement après les épreuves éliminatoires. Les candidats conservés auront ainsi, pour le travail de la thèse, toute la durée des épreuves définitives avant la thèse, durée qui va à deux mois environ, épreuves, qui laissent d’ailleurs toute liberté d’esprit, car elles n’offrent aucun caractère de surprise ; après ces épreuves, les candidats retrouveront en outre les douze jours francs alloués autrefois. Comment douter que de telles dispositions ne relèvent singulièrement l’épreuve de la thèse, et avec elle le concours d’agrégation dans sa plus durable expression ?
Je ne quitterai pas l’exposé qui touche au corps enseignant de nos facultés de médecine sans faire connaître brièvement la part donnée, dans ces facultés, à l’enseignement libre. De tout temps, des cours libres se sont fait entendre à côté de l’enseignement médical officiel. Ces cours, autorisés par le ministre de l’instruction publique, avaient pour refuge les petits amphithéâtres de l’école pratique. Ces cours étaient si libres qu’ils demeuraient comme étrangers à la faculté, qui semblait ne pas les connaître, quoiqu’elle leur accordât l’hospitalité. Ils s’affichaient un peu partout, et quelquefois surtout hors des quartiers habités par les étudians. Ceux qui avaient obtenu l’autorisation de faire ces cours se disaient bien professeurs, mais parfois leur enseignement se bornait à trois ou quatre leçons qui avaient l’air plutôt de motiver des affiches que de répondre à un désir sérieux d’enseigner et à un cours préparé de longue main. L’enseignement libre se résolvait d’un côté en tentatives entièrement dignes d’éloges et utiles, et, d’un autre côté, en manifestations suspectes et peu dignes d’encouragement. Il fallait retenir les unes et éloigner les autres. Les mesures prises répondent à ce double but. Les demandes de cours libres sont renvoyées à la faculté et examinées par elle ; celles qui sont accueillies sont affichées officiellement par la faculté, après avoir reçu l’autorisation ministérielle ; aucun autre affichage ne peut avoir lieu. Ces cours libres constituent de la sorte une dépendance de l’enseignement de la faculté ; tous offrent un caractère scientifique ; ceux qui prendraient une autre allure seraient éliminés à une demande ultérieure. Ainsi reconstitué et reconnu, l’enseignement libre semble prendre un nouvel essor. On ne compte guère moins de vingt-cinq à trente demandes de cours par semestre. N’est-ce pas là un aide important de l’enseignement officiel ?
Avec la participation future des agrégés à l’enseignement, avec l’adjonction des cours cliniques spéciaux et le concours de l’enseignement libre, on peut affirmer que nos facultés de médecine offriront dés sources d’enseignement aussi abondantes que les universités allemandes, munies de leurs professeurs ordinaires et extraordinaires, et de leurs privat-docenten. Il s’agit que nous demeurions fermes et vigilans dans la mise en pratique de ces réformes. L’esprit de progrès qui anime nos facultés les préservera de tous ces relâchemens qui détendent et affaiblissent les meilleures institutions.
Les nouvelles écoles, dites de plein exercice ; et les écoles préparatoires de médecine forment aux facultés un complément utile. Avec la prépondérance qu’ont acquise les études pratiques, il devient manifeste que les petits centres d’instruction, s’ils sont munis de tout ce qui est afférent à ces études, rendront d’éminens services. Peu nombreux, les élèves, dans ces centres secondaires, sont initiés sans difficultés, sans presse, sans interruption, aux travaux pratiques ; ils trouvent à leur portée tout ce qui peut servir à une première instruction médicale ; ils prennent place dans les laboratoires de chimie, s’exercent aux connaissances pratiques d’histoire naturelle, se livrent assidûment aux dissections, sont dirigés de près dans les études anatomiques ; ils abordent enfin les études cliniques, et peuvent s’adonner à l’examen des malades sans être empêchés par le trop grand nombre des assistans. Tout cela se fait en maintenant l’élève près de sa famille, et sous l’action directe de ses maîtres. La famille continue ainsi son rôle de protection pendant les premières années de la vie scolaire ; l’étudiant ne la quitte, pour aborder les facultés et entrer dans le tourbillon des grandes villes, que lorsque, mieux assuré de ses forces et de sa direction, il connaît sa voie et sait où il doit et veut aller.
Les écoles de médecine et de pharmacie de plein exercice sont encore mal connues. Elles sont au nombre de deux, celle de Marseille, instituée par décret du 26 novembre 1875, et celle de Nantes, instituée par décret du 28 janvier 1876. Ces écoles gardent les élèves en médecine pendant tout le cours de leur scolarité ; elles délivrent seize inscriptions de doctorat équivalentes aux seize inscriptions de faculté. Il résulte de ces larges droits conférés aux écoles de plein exercice que celles-ci doivent offrir à l’élève un enseignement complet et suivant de près celui des facultés. De là la nécessité d’organiser dans ces écoles un corps enseignant à la hauteur d’une telle mission. Aussi le nombre des chaires a-t-il été élevé à dix-sept, lesquelles représentent l’enseignement médical dans toutes ses parties essentielles. À ces chaires magistrales sont adjointes huit suppléances, distribuées entre les divers ordres d’enseignement : deux suppléances affectées aux chaires de médecine, deux aux chaires de chirurgie, deux aux chaires d’anatomie et de physiologie, deux aux chaires de chimie, de pharmacie et d’histoire naturelle. Ces suppléances sont données au concours ; les titulaires sont nommés pour dix ans ; ils prennent une part active à l’enseignement. Ces suppléances assurent le recrutement d’un professorat méritant ; sur elles repose l’avenir des écoles de plein exercice. Les concours ouverts jusqu’à ce jour ont été excellens ; ils demeureront tels, et susciteront, d’années en années, de plus nombreuses compétitions. Que d’internes de nos hôpitaux de Paris qui aiment la science voudraient ne pas la déserter pour la pure pratique, et qui parfois reculent devant les difficultés que leur réservent le concours d’agrégation et celui des hôpitaux de Paris ! Eh bien ! ces internes ont maintenant devant eux les concours de suppléance dans les écoles de plein exercice : s’ils les abordent, et s’ils sont nommés, ils entrent d’emblée dans l’élite médicale d’une très grande ville, car les écoles de plein exercice n’existeront jamais que dans ces villes ; ils y jouissent, on va le voir, de tous les moyens de travail ; enfin ils reçoivent, comme suppléans, un traitement qui, tout modeste qu’il est (2,000 francs), leur est une première ressource, à laquelle d’autres se joindront bientôt. Ainsi commencée, la carrière est assurée. Le suppléant a devant lui le professorat ; un autre concours lui ouvrira sans doute la porte des hôpitaux de la ville, hôpitaux considérables où l’administration a de nombreux services à confier aux médecins. L’estime publique suit de près l’investiture de pareilles fonctions ; elles valent à un jeune médecin un renom mérité. N’y a-t-il pas là des situations enviables, dignes de tenter celui qui hésite et cherche sa voie au sortir d’un internat laborieux ? Je ne sais si la suppléance des écoles de plein exercice n’est pas, à bien des points, préférable à l’agrégation de quelques facultés de province ; la première me semble ouvrir des voies plus larges et moins encombrées.
Les écoles de plein exercice, ayant à fournir une instruction complète, doivent posséder tous les moyens et instrumens de travail pratique qu’exigent les études médicales. Le cahier des charges imposé à ces écoles y pourvoit : laboratoires de chimie, d’histoire naturelle, d’histologie normale et pathologique, de physiologie, institut anatomique, collections diverses, bibliothèque, tout y est. Quant à l’enseignement, clinique, il suffira de dire qu’il est institué avec toutes les ressources assemblées dans de vastes hôpitaux comme sont ceux de Marseille et de Nantes. L’institut clinique de ces deux grandes écoles pourrait faire envie à celui de plusieurs facultés de province ; il comptera pour une bonne part dans la prospérité future de ces écoles. Les municipalités se sont imposé de lourds sacrifices pour réaliser des institutions aussi largement dotées ; mais le but atteint mérite de fixer l’attention. Marseille et Nantes sont devenus des centres d’enseignement médical, où règne une activité soutenue, où la science est cultivée non sans ardeur, ni sans succès. Ce sont deux foyers scientifiques créés et acquis dans les régions de l’extrême sud et de l’extrême ouest. Les vocations scientifiques se développeront dans ces populations intelligentes, et cependant jusqu’ici peu entraînées vers le culte des sciences.
Quel est le rôle des écoles de plein exercice dans les actes probatoires soutenus durant la scolarité médicale, ou qui la terminent et conduisent au doctorat ? Dans le régime actuel, on distingue les examens de fin d’année et les examens de doctorat. Les écoles de plein exercice étaient autorisées à faire subir les examens de fin d’année ; les examens de doctorat, tous rejetés après l’entier accomplissement de la scolarité, devaient être soutenus devant les facultés. Tel était le régime sous lequel avaient été fondées, il y a deux ans, les écoles de plein exercice. Mais ce régime va être comme on l’a vu, profondément modifiée. Les examens de fin d’année seront supprimés, le nombre des actes probatoires s’accroît, et plusieurs de ces actes sont placés dans le cours même des études au lieu d’être accumulés à la fin de la scolarité. Les écoles de plein exercice se trouvaient ainsi dépouillées de leurs examens de fin d’année. Fallait-il maintenir absolument vis-à-vis d’elles l’interdiction de faire subir aucun examen probatoire de doctorat ? Fallait-il par cela même déclarer que le corps enseignant de ces écoles ne rencontrerait jamais les élèves qu’il instruit de façon à contrôler leur travail ? N’était-ce pas enlever à ce corps enseignant le meilleur de son autorité vis-à-vis des élèves, et le moyen le plus assuré de les dominer et de les maintenir dans la voie de l’étude, de l’attention et de l’assiduité aux cours ? Fallait-il enfin obliger les élèves de ces écoles à se déplacer trois fois durant le cours de leur scolarité pour aller soutenir, après telle ou telle inscription, un examen probatoire devant une faculté de médecine ? Ces longs et répétés déplacemens n’imposaient-ils pas à l’élève une telle charge qu’il serait conduit inévitablement à déserter l’école pour la faculté ? Aller à plusieurs reprises dans une faculté et devant des juges que l’on ne connaît pas y subir chaque fois un examen difficile ; si l’on est ajourné, refaire, après trois mois, un long voyage et retrouver ces mêmes juges redoutés, n’est-ce pas condamner moralement l’élève à quitter des maîtres qui peuvent si peu pour lui, et à se fixer auprès de ces facultés, où il est incessamment rappelé ? Ce résultat était fatal. Maintenir à l’égard des écoles de plein exercice la rigueur de la règle qui veut qu’elles ne fassent subir aucun examen de doctorat, c’était décréter la ruine de ces écoles, instituées sous le régime des examens de fin d’année, dont la soutenance leur était attribuée. On aurait donc élevé de grands établissemens scientifiques pour les laisser tomber peu après ! On aurait induit à des dépenses considérables les municipalités de quelques grandes villes, et, ces dépenses faites, une réforme scolaire inattendue serait venue les rendre inutiles ! Cela ne pouvait être, et il fallait aviser.
Réserver les droits des facultés et en même temps permettre de vivre aux écoles de plein exercice, telle était la solution à rechercher. Le projet de réforme des examens de doctorat accepté par le conseil supérieur de l’instruction publique donne cette solution dans la meilleure forme qu’elle pût recevoir. Le premier examen de doctoral placé à la fin de la première année d’études et le second examen de doctorat dédoublé, à savoir l’examen d’anatomie, qui est soutenu après la dixième inscription, et l’examen de physiologie, soutenu après la douzième inscription, ces deux examens en trois épreuves se passeront dans les écoles de plein exercice ; ainsi seront évités aux élèves des déplacemens onéreux. Mais, afin de sauvegarder les droits des facultés, ces examens seront subis devant un jury de faculté qui se transportera à l’école. Toutefois, si les besoins du service l’exigent, l’état se réserve de constituer le jury d’examen avec un professeur de faculté, président de l’acte, et deux professeurs de l’école. Il est évident que ce dernier jury sera le jury habituel. De la sorte, les professeurs de ces écoles retrouveront l’autorité qui doit revenir à tout professeur de l’enseignement supérieur, et que le droit d’examen donne seul à ceux qui l’exercent. On remarquera que ces deux ou, en réalité, ces trois premiers examens de doctorat comprennent les sciences dites préparatoires, auxiliaires, ou introductives : la physique, la chimie, l’histoire naturelle, l’anatomie, la physiologie. Tous les autres examens qui ont un caractère spécialement médical et professionnel, qui portent sur la connaissance des maladies internes ou externes, des lésions, de la thérapeutique, et sur toutes les applications générales et sociales de la science des maladies, seront soutenus devant une faculté. Ne trouve-t-on pas toutes les garanties possibles dans cet ensemble de mesures, soit celles qui concernent les deux premiers examens, soit celles qui réservent les trois autres aux facultés ? Ces mesures assureront la vie des écoles de plein exercice ; perdant la soutenance des examens de fin d’année, elles trouvent à cette perte une compensation surabondante dans la soutenance des deux premiers examens de doctorat et dans leur participation à cette soutenance.
Cette existence des écoles de plein exercice, ainsi déterminée et assurée, est-elle un bien dans l’ordre de l’enseignement médical, ou n’est-elle qu’une superfétation inutile, et peut-être fâcheuse, comme il s’en produit en des temps où tout fermente et se renouvelle ? Nous croyons que l’on peut répondre à cette question délicate par une franche affirmative en faveur de ces écoles. Il est dangereux de créer hâtivement et simultanément un trop grand nombre de facultés. Les droits de toutes ces facultés sont égaux ; chacune délivre un doctorat qui confère de redoutables privilèges. Multiplier à l’excès les facultés, c’est provoquer peut-être un lent mais inévitable abaissement de la valeur du diplôme. Il est à craindre qu’elles ne luttent pas toujours de sévérité, et qu’elles ne cherchent, sans se l’avouer, des élémens de prospérité dans une indulgente faiblesse. Ce serait là, il est vrai, une mauvaise et peu durable prospérité, car le, diplôme délivré dans de telles conditions inspire moins d’estime, et ne communique pas son renom à celui qui le reçoit. La faculté trop indulgente aux examens verrait peu à peu dédaigner le diplôme qu’elle contre-signe. Toutefois un diplôme, même dédaigné, trouve toujours quelques preneurs, et la multiplication rapide des facultés n’en reste pas moins une expérience dont il faut prévoir les inconvéniens possibles. Ces inconvéniens s’effacent, si, au lieu de multiplier les facultés, on crée dans les grands centres, là où les ressources cliniques abondent et où les hommes de valeur se rencontrent, des établissemens scientifiques, bien dotés, où la science pourra être cultivée avec fruit, mais où le diplôme ne se délivre pas. Ces établissemens prépareront d’autant mieux pour l’obtention du diplôme qu’ils ne pourront le donner eux-mêmes. Les écoles de plein exercice enseignent, et les résultats de leur enseignement sont jugés par d’autres professeurs que les leurs, et dont on ne saurait attendre une indulgence fâcheuse. Tout est avantage dans ces conditions, tout y devient excitation à bien faire. Une faculté n’a pas honte d’elle-même lorsqu’elle ajourne aux examens un grand nombre d’élèves ; elle examine, et puis dispense ses sévérités, sans que personne au-dessus d’elle les puisse retourner contre elle-même. Il en serait autrement pour l’école de plein exercice. Celle-ci verrait son crédit atteint si ses élèves étaient trop largement refusés aux examens de faculté ; elle s’attachera à ce qu’ils lui fassent un bon renom devant les juges qu’ils affrontent.
L’établissement des écoles de plein exercice n’est donc pas à redouter ; elles ne seront jamais d’ailleurs bien nombreuses. Seules les très grandes villes peuvent se donner le luxe de cet enseignement médical. Luxe utile et fécond, car une école de plein exercice qui prospère est peut-être le plus profitable des établissemens d’instruction supérieure qu’une riche et populeuse cité puisse ambitionner. Si cette prospérité s’accuse et se maintient, elle peut devenir un point de départ excellent pour l’institution d’une faculté. L’école de plein exercice suscitera peu à peu, là où elle est établie, une forte tradition médicale ; elle y centralisera un mouvement scientifique propre, y créera un milieu où se prépareront tous les élémens constitutifs d’une faculté. Mais tout cela est l’œuvre lente du temps. Les écoles de plein exercice peuvent honorablement vivre et durer telles qu’elles sont. Il n’y a pas à souhaiter leur prompte transformation en facultés.
Nous avons fait connaître, au début de cet exposé, le régime des écoles préparatoires de médecine, aujourd’hui au nombre de seize, et le but que l’on s’était proposé en les créant. Ce régime était mal réglé, et le but n’était que très incomplètement atteint. Le corps enseignant des écoles préparatoires se compose de professeurs et de suppléans ; L’organisation des suppléances était profondément défectueuse. Quand on veut, dans une faculté ou école, préparer un bon et solide professorat, il faut d’abord songer à établir de bons et solides suppléans. Ceux-ci sont le germe dont la vigueur fournira un robuste organisme définitif. Tels sont les suppléans, tels seront dans l’avenir les professeurs. Or, dans les écoles préparatoires, les suppléances, comme nombre, comme attribution, comme nomination, étaient, jusqu’en ces derniers temps, abandonnées à l’arbitraire.
La première réforme à opérer concernait la nomination ; cette nomination, il était urgent de la demander au concours. Le décret du 4 février 1874 y a pourvu. Les résultats obtenus sont certainement encourageans. Tous les concours ne sont pas également satisfaisans ; mais l’ensemble tend à s’élever, et déjà les suppléans ainsi nommés ont fourni d’excellens professeurs. Le concours éloigne les non-valeurs avérées ; il accroît le mérite des candidats qui en ont, et qui n’affrontent pas, sans préparation, des épreuves publiques. Dans les villes de province, tout se voit, se sait, se dit et s’amplifie. La valeur d’un concours est bientôt connue de tous, et le candidat tient à laisser de lui une impression favorable.
Ce n’est pas tout ; en même temps que l’on demandait au concours la nomination des suppléans, il fallait déterminer le nombre et l’espèce des suppléances pour en déduire le nombre et l’espèce des concours. Dans le régime passé, le nombre des suppléances était indéterminé ; certaines écoles n’en comptaient que deux, d’autres en comptaient jusqu’à huit. Toute suppléance étant gratuite, l’on en créait à volonté, suivant la faveur qui accueillait telle ou telle demande. En outre, on était nommé suppléant à titre générique ; on n’était pas attaché à tel ou tel ordre d’enseignement et de chaire. Le suppléant, ordinairement le plus ancien, demandait et obtenait la première chaire vacante, sans qu’on s’inquiétât beaucoup de son aptitude à occuper cette chaire. Si la chaire n’allait pas à ses goûts et à ses aptitudes, il permutait à la première occasion. Cette occasion pouvait se faire attendre longtemps. Tout cela était mauvais au point de vue de l’enseignement ; tout cela devait disparaître sous le régime du concours. Le nombre des suppléances a été d’abord précisé. Les écoles préparatoires doivent compter désormais quatre suppléances, et celles-ci ont été catégorisées. A chacune de ces catégories correspond un concours spécial. Enfin le suppléant ne pourra en général occuper à titre de professeur que les chaires qui se rapportent à la suppléance qu’il remplit. Ce régime fournira des professeurs compétens, adonnés depuis longtemps à l’enseignement qui leur sera dévolu. Les suppléans, dans les écoles, ne recevaient aucun traitement ; ils ne prenaient aucune part à l’enseignement, sauf le cas où ils remplaçaient un professeur empêché. Un suppléant pouvait donc rester durant longues années étranger à l’école et à son enseignement. Cet état de choses a été réformé. Les suppléans reçoivent aujourd’hui un traitement, et ils sont chargés de cours complémentaires. Ils développent ainsi l’enseignement de l’école et se préparent au professorat. Telles sont les réformes accomplies par le décret du 14 juillet 1875.
Un autre décret du 14 août 1877 améliore, dans les écoles préparatoires, le régime du professorat. Le nombre des professeurs était variable d’une école à l’autre ; insuffisant ici, là plus développé, mais laissant parfois en souffrance tel ou tel enseignement essentiel. Le décret récent règle tout cela. En outre, il relève la situation faite aux professeurs, et qui n’était digne ni de leur rang, ni de la somme considérable de travail qui leur était imposée ; il crée de nouveaux emplois, nécessités par le développement des travaux pratiques ; il assure aux professeurs des frais de cours sans lesquels l’enseignement pratique est empêché.
Ces diverses réformes, qui amélioreront si notablement le régime et la valeur des écoles préparatoires, accroîtront les frais imposés aux municipalités. Celles-ci auront à doubler au moins le budget annuel de ces écoles. Ce sera là un réel sacrifice à faire. Il était équitable d’offrir une compensation, et d’accroître les prérogatives d’écoles dont le système d’enseignement était si fortement relevé. Cette compensation, les écoles la trouveront dans l’équivalence nouvelle d’inscriptions qui leur est attribuée. Jusqu’ici les écoles ne pouvaient donner comme équivalentes aux inscriptions de faculté que les huit premières ; douze inscriptions d’école se réduisaient ensuite à dix inscriptions de faculté ; enfin quatorze inscriptions d’école se réduisaient à douze de faculté. C’était une prolongation de six mois de scolarité pour les élèves qui voulaient ne séjourner qu’un an dans les facultés de médecine. Le régime nouveau qui sera inauguré en même temps que la réforme des examens accorde l’équivalence pleine des douze premières inscriptions. En outre, les étudians des écoles préparatoires pourront ne subir le premier et le second examen de doctorat, devant les facultés, qu’à la fin de la troisième année d’études. Cependant, comme il n’est pas bon d’abandonner à eux-mêmes les élèves pendant trois ans sans vérifier ce qu’ils savent et sans les tenir en haleine par des examens réguliers, il a été décidé que dans les écoles préparatoires les élèves seraient soumis à des examens semestriels, comme dans les écoles supérieures de pharmacie. Les notes obtenues à ces examens seront consignées au dossier de l’élève et porteront témoignage de la valeur de ses études ; elles aideront au jugement dans les examens définitifs.
L’équivalence des douze inscriptions, importante au point de vue scolaire, paraîtra-t-elle une compensation suffisante aux municipalités, et celles-ci consentiront-elles toutes aux sacrifices nouveaux qui leur sont demandés ? Quelques écoles ne seront-elles pas abandonnées par les municipalités, et cet abandon ne sera-t-il pas regrettable ? Il est des écoles préparatoires faibles, mal dotées au point de vue de l’installation matérielle et des cliniques, dont le corps professoral se recrute avec peine, où les concours de suppléans ne trouvent parfois pas de candidats. Doit-on désirer le maintien de ces écoles ? N’est-il pas préférable de ne voir survivre que celles qui sont fortement constituées et dont l’enseignement ne périclite pas ? Si quelques écoles succombent devant le régime nouveau, le vide qu’elles laisseront sera largement compensé, d’un côté par la vigueur accrue des écoles subsistantes, et d’autre côté par l’édification des facultés nouvelles et des écoles de plein exercice. Il faut que les trop faibles disparaissent devant ces nouveaux venus qui entrent en lutte pour l’existence et qui sont armés pour le succès.
Terminerons-nous cette étude sans rien dire au sujet de l’officiat de santé ? On le sait, la profession médicale compte en France deux ordres de praticiens, le docteur en médecine et l’officier de santé. Toutes les réformes dont l’exposé précède ont surtout en vue le doctorat ; c’est le grade qui appartient à l’immense majorité de nos praticiens. Cependant il y avait un incontestable intérêt à relever la situation et les études de l’officiat de santé. Les projets présentés à la dernière session du conseil supérieur touchaient à l’officiat, et lui imposaient toute une scolarité réformée qui devait rendre le titre d’officier de santé à la fois plus rare et plus sérieux. Cette partie du projet a dû être ajournée, car elle a paru en contradiction formelle avec la loi du 19 ventôse an XI. Cette loi n’est plus qu’un obstacle. Ce n’est qu’en distinguant ce qui, dans cette loi, est d’ordre législatif, et ce qui est d’ordre réglementaire, que l’on a pu aboutir à la plupart des réformes réalisées. On s’est cru en droit de modifier par décret tout ce qui était d’ordre réglementaire. La modification projetée relativement à l’officiat a paru toucher à l’ordre législatif, et a été abandonnée. Il y aurait donc à obtenir des chambres l’abrogation de la loi du 19 ventôse. Cette vieille loi répond à d’autres temps, et la désuétude l’a désemparée. L’enseignement médical touche par quelques points à l’enseignement pharmaceutique. Là aussi les réformes en voie de réalisation sont considérables. L’édification de l’école supérieure de pharmacie de Paris sur les terrains du Luxembourg en est l’irrécusable témoignage ; mais tout ne se borne pas à la reconstruction d’une école sur de beaux et vastes plans. Les réformes de la scolarité propres à ces écoles ne sont pas moins importantes, et mériteraient d’être relatées ; mais cet exposé est déjà long, et nous ne pouvons le surcharger de détails qui lui sont étrangers. Les nouvelles facultés qui s’élèvent sont des facultés mixtes de médecine et de pharmacie. C’est là un type nouveau dont il y aurait à étudier la convenance. Nous n’oserions affirmer que ces facultés mixtes ne soient pas un composé difficile à maintenir. Il se peut que la séparation devienne un jour nécessaire, et que les facultés de médecine, comme les écoles supérieures de pharmacie actuellement associées, demandent chacune à retrouver leur autonomie. L’avenir prononcera à ce sujet.
Si l’on a eu la patience de nous suivre, on se sera convaincu de l’activité apportée dans ces dernières années à la rénovation de l’enseignement médical : réédification et agrandissement des anciennes facultés, de celle de Paris en particulier ; création de facultés nouvelles parmi lesquelles il faut mettre au premier rang la faculté de Lyon ; partout établissement de laboratoires vastes et munis de l’appareil scientifique le plus perfectionné ; développement de l’enseignement clinique, et en particulier de l’enseignement clinique spécial ; amélioration dans la situation des professeurs et des agrégés ; réforme du statut de l’agrégation des facultés de médecine dans le sens d’une augmentation dans la durée des fonctions et de la suppression d’un stage inutile ; améliorations introduites dans les concours de l’agrégation et centralisation à Paris de tous les concours ; participation active des agrégés à l’enseignement des facultés ; réformes profondes apportées au régime des examens du doctorat en médecine par la suppression des examens de fin d’année et par l’augmentation du nombre des actes probatoires et définitifs ; création et organisation du type nouveau des écoles de plein exercice ; transformation graduelle du régime des écoles préparatoires de médecine et de pharmacie. On le voit, les réformes accomplies embrassent le cercle entier de l’enseignement médical.
Cette transformation s’est opérée par un heureux concours d’interventions et d’efforts, parmi lesquels il faut signaler tout d’abord les vœux formulés par les facultés de médecine, surtout par la faculté de médecine de Paris, à laquelle M. Jules Simon, ministre de l’instruction publique, a rendu toute liberté de réunion et de délibération. Ces vœux n’ont pas été stériles, grâce au dévoûment successif et entier de tous les ministres de l’instruction publique, à l’œuvre de réforme de notre enseignement supérieur. Enfin nous ne saurions taire ici le nom du directeur de l’enseignement supérieur, M. le conseiller d’état Du Mesnil. Tous ceux qui s’intéressent aux hautes questions de l’enseignement connaissent l’ouverture de cet esprit qui aime tous les progrès, sans jamais dépasser la mesure qu’autorisent les circonstances et le moment, qui n’épouse aucune passion exclusive, qui sait qu’une légitime tolérance est devenue un devoir plus impérieux que jamais, qui, en demeurant fidèle aux traditions universitaires, reste dégagé de tous les préjugés qui tendent à naître dans un milieu un peu fermé et jaloux. Accueillant tout ce qui était mûrement et libéralement conçu, M. Du Mesnil en a assuré la réalisation, et si quelque bien a été fait, il n’est que juste de lui en rapporter une bonne part.
Il ne faudrait pas croire que tout soit fait et que le repos soit permis. Sans compter la foule des améliorations de détail, que de choses encore à relever dans notre milieu scientifique ; que d’institutions fécondes et qui semblent presque abandonnées ! Notre Académie de médecine est connue par les éminens services qu’elle rend à la science et par ceux qu’elle rend à l’état ; elle est un foyer de discussions profondes, animées, dont le retentissement se prolonge au loin. Quel délaissement néanmoins de la part de l’état ! Quelle installation indigne, précaire, et qui n’est même due qu’à une tolérance forcée de l’assistance publique ! Sa bibliothèque, si riche en documens précieux, en manuscrits historiques, ou reste enfermée en des caisses clouées, ou s’altère et se détruit peu à peu dans un local sombre et humide ; pas une salle de commission, pas un laboratoire d’analyse ! Je sais bien qu’une installation nouvelle est projetée ; mais combien elle se fait attendre, et peut-être est-elle encore incertaine !
Malgré tout cependant notre enseignement médical est sorti de la longue période de torpeur et de demi-inertie dans laquelle il semblait se reposer de ses gloires passées. Il renaît à l’activité et à la lutte ; car, en nos jours difficiles, l’activité c’est la lutte, vivere est militare. Nous avons à défendre le vieux renom de la médecine française, à le maintenir à sa hauteur. À cette fin, nous n’avons rien à répudier de notre passé, de l’esprit qui a animé nos anciens maîtres et leur enseignement. Nous pouvons et nous devons lui rester fidèles, sans rien perdre de l’esprit de conquête scientifique, qui est l’esprit de progrès. Tel est le caractère qui a présidé à cet ensemble de réformes : elles sont restées fidèles à notre génie national, à nos traditions. Certains réformateurs auraient conseillé, de dépouiller entièrement le vieil homme, et nous auraient condamnés à une imitation servile de l’Allemagne. C’eût été la plus déplorable des entreprises. La médecine française y eût compromis son mérite propre sans acquérir le mérite de sa redoutable rivale. Notre organisation d’enseignement non-seulement vaut toute autre organisation, mais elle peut lui devenir supérieure. Il ne s’agit que de la fortifier et de la grandir.
Il faut se garder de diminuer chez nous le caractère vraiment scientifique des générations médicales formées par le concours. Ce n’est pas tel ou tel point de la science qu’elles connaissent particulièrement, c’est la science entière, c’est-à-dire la vraie science, dont la connaissance approfondie leur est imposée par la longue filière de compétitions et d’épreuves qu’elles ont à affronter, et qui commencent à l’internat pour se continuer sans relâche jusqu’aux concours qui livrent le titre d’agrégé et celui de médecin des hôpitaux. Ce sont nos persévérantes études de science générale qui donnent à ces générations médicales le goût dominant des études cliniques. La médecine française, même celle qui aime et cultive l’expérimentation, reste essentiellement clinique ; c’est sa marque propre. Nous aimons peu les études de laboratoire isolées, détachées de l’histoire des maladies et de la thérapeutique ; nous les faisons converger vers la connaissance des lésions et des actes morbides, nous les mettons le plus possible en comparaison avec les faits d’observation, et nous interrogeons ceux-ci avec une sorte de prédilection, car nous savons qu’ils réalisent l’expérimentation la plus délicate et la plus instructive, auprès de laquelle les expérimentations de laboratoire restent souvent douteuses et insuffisantes.
Telle est notre tradition ; elle sera notre honneur et notre force dans l’avenir, comme elle l’a été dans le passé. Que le spectacle des nations voisines ranime notre activité, mais qu’il ne nous jette pas hors de nos voies naturelles. Ne nous accusons pas de défauts qui sont nos qualités. Nous nous perdrions à vouloir acquérir certaines vertus qui nous sont antipathiques, et qui étoufferaient nos vertus de race. La médecine française aime la clarté, répugne aux explications factices, tourne tout aux études cliniques qu’elle poursuit avec passion. Maintenons-la telle, et que nos réformes de l’enseignement médical se conforment à son génie.
CHAUFFARD.