De la Chasse (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
De la ChasseHachetteTome 1 (p. 391-394).


CHAPITRE IX.


De la chasse aux faons et aux cerfs.


Pour chasser les faons et les cerfs, il faut avoir des chiens indiens : ils sont forts, grands, vites, pleins de cœur ; avec cela, propres à supporter la fatigue. On chasse les jeunes faons au printemps ; c’est la saison où ils naissent. Il faut commencer par aller à la découverte dans les gagnages[1] où il y a le plus de cerfs. Quand on sait où ils sont, on arrive avant le jour avec un valet de chiens, une meute et des javelots : là, on tient les chiens en laisse à distance du bois, de peur qu’ils n’aboient à la vue du cerf, et l’on se met au guet. Dès le point du jour, on verra les biches amener leurs faons à l’endroit où chacune doit gîter le sien. Elles les couchent, les allaitent, regardent de tous côtés si on les voit ; après quoi chacune d’elles se porte en avant pour garder son petit. À cette vue, le veneur découple les chiens, prend ses javelots et va droit au premier faon, à l’endroit où il l’a vu couché, se rappelant bien les lieux, de peur de méprise : vus de près, en effet, leur aspect change ; ils sont tout autres qu’ils paraissaient de loin.

Quand on a reconnu le faon, on s’approche : il ne bouge pas, rasé à terre, et se laisse emporter, s’il n’est mouillé, en bramant de toutes ses forces. S’il est mouillé, il n’attend pas : l’humidité qui le pénètre, se condensant par le froid, le fait partir. Il est pris par les chiens, qui le poursuivent de vitesse ; puis on le donne au garde-filets ; il brame de plus belle : la biche le voyant, l’entendant, accourt sur celui qui tient son faon et cherche à le lui arracher. C’est le moment d’animer les chiens et d’user des javelots. Maître du faon, on passera aux autres, et l’on emploiera avec eux le même genre de chasse.

Voilà comme on prend les jeunes faons : ceux qui sont déjà grands donnent plus de mal, parce qu’ils vont au viandis avec leurs mères et d’autres cerfs. Poursuivis, ils se sauvent au milieu et en avant de la troupe, rarement en arrière. Alors les biches, défendant leurs petits, lancent des ruades aux chiens, de sorte qu’on a peine à les prendre, à moins qu’on ne s’élance dans la mêlée, et qu’on ne les disperse en isolant l’un d’eux. Après cet effort, les chiens sont gagnés à la première course, parce que le faon est consterné de l’éloignement de la bande, et qu’il n’y a pas de vitesse comparable à celle d’un cerf de cet âge-là ; mais, à la seconde et à la troisième course, ils sont pris, leur corps n’étant pas encore assez formé pour une fatigue qu’ils ne peuvent supporter.

On tend aussi des piéges aux cerfs sur les montagnes, autour des prairies, près des cours d’eau et des bocages, dans les bivoies, dans les cultures, dans tous les endroits dont ils s’approchent. Les piéges sont de branches d’if brisées, dépouillées de leur écorce, afin qu’elles ne se pourrissent point. Les couronnes, de forme circulaire, sont garnies alternativement, dans leur tissu, de clous de fer et de bois : les clous de fer sont plus longs, afin de serrer les pieds de l’animal, tandis que ceux de bois céderont. Le nœud du cordeau, placé sur la couronne, doit être tissu de sparte, ainsi que le cordeau lui-même, cette plante n’étant point sujette à se pourrir. Le nœud et le cordeau seront fermes. Le bois auquel le cordeau est attaché doit être de chêne ou d’yeuse ; il a trois empans de longueur sur une paume d’épaisseur, et conserve son écorce. Pour poser ces pièges, on fait en terre une fosse ronde de cinq paumes de large. Égale à son orifice aux couronnes des piéges, elle se rétrécit insensiblement par le bas. On pratique ensuite dans la terre une autre ouverture où l’on place solidement le cordeau et le bois auquel il adhère : cela fait, on pose de niveau le bas du piége, on passe le nœud du cordeau autour de la couronne ; puis, quand le cordeau et le bois seront chacun à sa place, on met des tiges de chardon sur la couronne, de manière qu’elles ne s’étendent point au delà, et l’on jonche le tout d’un lit de feuilles légères, celles de la saison. Après cette opération, l’on répand sur l’engin une couche de la terre extraite de la fosse, et par-dessus une terre plus solide, tirée d’un endroit éloigné, pour mieux cacher le piége à la bête. Le surplus de la terre doit être emporté loin du piége ; car si l’animal sent une terre fraîchement remuée, il entre en soupçon : or, il la sent tout de suite.

Le veneur, suivi de ses chiens, doit épier les cerfs de montagne, principalement le matin, quoiqu’il le puisse aussi le reste de la journée ; quant à ceux des cultures, c’est avant le jour. Sur les montagnes, on prend le cerf la nuit et en plein jour, en raison de la solitude ; dans les cultures, c’est la nuit, parce que la présence des hommes l’effraye.

Dès qu’on trouve le piége culbuté, on découple les chiens, on les anime, et l’on poursuit la bête sous la traînée du bois, en remarquant où elle conduit. D’ordinaire elle est visible : des pierres sont déplacées, les traces du bois traîné sillonnent les cultures. Si l’animal a passé par des endroits raboteux, des parcelles d’écorce arrachées au bois adhèrent aux pierres, et tous ces indices facilitent la poursuite de la bête. Si elle est prise par un des pieds de devant, elle tombe bientôt au pouvoir du veneur, le bois lui battant tout le corps et la face ; si c’est par un des pieds de derrière, le bois qu’elle traîne nuit au mouvement de tout son corps. Quelquefois aussi le piége s’embarrasse dans les branches fourchues de la forêt, et, si l’animal ne brise pas le cordeau, il est pris. Il faut, quand la bête est prise ou rendue, si c’est un mâle, n’en point approcher : il frappe des cornes et des pieds. On le frappe de loin avec les javelots. On les prend à la course, même sans piéges, durant la saison d’été : ils sont vite épuisés, s’arrêtent et s’offrent aux traits. Il y en a qui se jettent dans la mer quand ils se voient serrés de près ; d’autres s’élancent dans les rivières ; d’autres perdent haleine et tombent.



  1. Cf. Du Fouilloux : « Comment le veneur doit aller en queste aux tailles ou gaignages pour voir le cerf a veuë. Le veneur doit regarder le soir auant en quel pays les cerfs releuent : et si c’est dedans les tailles, il faut qu’il regarde par quel lieu il pourra venir le lendemain a bon vent : et aussi qu’il choisisse quelque bel arbre sur le bord de la taille, de laquelle il pourra voir a son aise toutes les bestes qui seront dedans. Le lendemain, se doit leuer deux heures auant le iour, et aller au bois : puis quand il sera arriue près des demeures, faut qu’il laisse son chien en vne maison, ou bien s’il a vn garçon avec luy, il luy pourra donner à garder, le faisant demeurer en quelque lieu où il le pourra trouuer s’il en a affaire. Alors s’en doit aller à son arbre, qu’il aura remarque le soir auant, et monter dedans, regardant en la taille : et s’il veoit quelque cerf qui luy plaise, faut qu’il regarde quelle teste il porte, et ne doit bouger de là iusques à ce qu’il le voye rembuscher au fort, etc… »