De la Baisse probable de l’or, des conséquences commerciales et sociales/03
D’après ce qui a été exposé dans la première partie de cet essai, nous nous trouvons, selon toute vraisemblance, à la veille d’une baisse très notable de la valeur de l’or par rapport aux denrées et à toutes les autres marchandises ; plus d’une personne autorisée est même d’opinion que le fait est en voie de s’accomplir. La seconde partie[1] a été consacrée à prouver que la législation française ne reconnaît la qualité d’étalon monétaire qu’à l’argent, qu’elle fait de l’or un métal subordonné, c’est-à-dire que le franc, unité monétaire de la France, se compose invariablement de 4 grammes et 1/2 d’argent unis à 1/2 gramme d’alliage (ou de 5 grammes d’argent au titre de 9/10es), tandis que la quantité d’or qui correspond au franc est variable, et que si la loi du 7 germinal an XI l’a mise à 29 centigrammes, grammes, c’est une fixation provisoire dont le terme est arrivé depuis quelque temps même. Nous ne tarderons pas à voir qu’il n’importe pas seulement à l’honneur et à la dignité de l’état d’y mettre fin par des mesures décisives. Pour remplir de notre mieux le programme que nous nous sommes tracé, il faut maintenant examiner deux questions. D’abord nous avons à signaler les inconvéniens principaux qui accompagneraient la baisse de l’or comme aussi les avantages qui pourraient venir en balance de ces dommages. En second lieu, s’il est établi, comme je crois pouvoir le pronostiquer dès à présent, que dans certains pays et particulièrement en France, au cas où le législateur n’aviserait pas, ainsi qu’il l’avait formellement promis en l’an XI, la proportion du mal doit de beaucoup excéder celle du bien, nous aurons à chercher quelles dispositions seraient propres à empêcher ou à amoindrir les effets fâcheux de l’envahissement de notre système monétaire par le précieux métal sous une forme qu’a d’avance condamnée l’esprit de notre législation.
Cela posé, je suppose un habitant de Londres ayant en rentes sur l’état un revenu de 1,000 livres sterling. Une fois l’événement de la baisse entièrement consommé, il recevra comme aujourd’hui 1,000 disques contenant chacun 7 grammes 318 milligrammes d’or fin ; c’est ce qu’on nomme un souverain ou une livre sterling. En tout, il aura 7 kilogr. 318 grammes de métal pur. La baisse étant à son terme, si l’or a perdu la moitié de sa valeur, dans toutes les transactions où il suffisait d’une pièce d’or, il en faudra donner deux. Avec ses 7 kilogr. 318 grammes du précieux métal, notre habitant de Londres ne pourra se procurer en pain, en viande, en articles de tout genre, en satisfactions de toute sorte, que la moitié de ce qu’il aurait eu en retour auparavant. Il sera appauvri de moitié. Ce que je dis d’une personne fixée à Londres serait également vrai d’un habitant de Paris, si l’on ne discontinuait la tolérance en vertu de laquelle l’or circule sur le pied établi par la loi du 7 germinal an XI, quoique depuis les événemens aient renversé l’hypothèse sur laquelle est fondée la rédaction de cette loi en ce qui concerne l’or. Ce ne sera rien moins qu’une perturbation profonde pour les états dans la monnaie desquels l’or sert d’étalon, ainsi que pour ceux où, comme on le fait présentement en France, on lui permet de se comporter comme s’il l’était. C’est la catégorie des pays placés dans l’un ou l’autre de ces cas que nous devons envisager de préférence.
Une révolution pareille peut n’être pas sans quelques résultats utiles. Essayons de nous en rendre compte. En supposant que la baisse de l’or doive être de la moitié de sa valeur, proportion que j’énonce uniquement par manière d’exemple et pour la clarté du discours, il s’ensuivra qu’au bout d’un certain temps la matière première de certains objets de luxe tout entiers en or aura baissé de moitié. Ainsi on pourra faire frapper des médailles d’or à moins de frais, la tabatière d’or sera un luxe à la portée d’un plus grand nombre de bourses, et nos Crésus, les jours de gala, décoreront le buffet de leur salle à manger un peu plus facilement avec des coupes en or. Je dis un peu plus et pas davantage, parce que dans ces objets déjà l’art et la façon, qui forment une partie considérable du prix, n’auront pas baissé, et la baisse ne portera que sur la matière première. À plus forte raison dans la dorure, la matière première seule ayant baissé, il ne s’ensuivra pas une grande réduction, car ce n’est pas la quantité d’or qu’elle absorbe qui en fait la principale dépense. En fait d’avantages permanens que la société ait à espérer de cet abaissement de l’or après l’époque où la crise de la transition sera passée, je ne vois rien de plus dans le cas où il s’agirait d’un peuple qui n’aurait pas le fardeau d’une dette considérable. Il faut en convenir, tout ceci est bien médiocre ; il y a peu de matières pour lesquelles la baisse dans la même proportion ne fût un plus grand bienfait. Dans le cas d’un état qui serait chargé d’une grosse dette publique, l’abaissement de l’or produirait un certain adoucissement pour les contribuables ; c’est un fait que plus loin nous essaierons d’apprécier.
En compensation du plaisir que le public français trouverait à faire frapper à moindres frais de belles médailles en or, à se procurer à meilleur marché des tabatières d’or, et à payer moins cher les boîtes de montre ou les bracelets d’or, ou l’encadrement métallique de ses pierreries, il éprouverait en premier lieu le désagrément d’avoir échangé une marchandise qui a actuellement une valeur relativement fixe, son argent monnayé, contre un autre métal dont la valeur est en décroissance et doit tomber de moitié. Il aurait à peu près fait le commerce de ce grand seigneur qui, par manière de gageure, passa une matinée sur le Pont-Neuf à vendre des écus de six livres pour une pièce de vingt-quatre sous, en supposant qu’au point de départ notre monnaie courante en argent fût de 2 milliards et demi, cette belle opération nous ferait perdre plusieurs centaines de millions, une somme d’autant plus voisine de 1,250 millions que l’enlèvement de notre argent aurait été plus rapide ; or il nous est ravi avec une prestesse bien grande. Ce serait au-delà de cette forte somme, si la dépréciation de l’or était de plus de moitié, ou si, celle-ci étant de moitié seulement, notre monnaie courante en argent avait été au point de départ de plus de deux milliards et demi.
La somme de 1,250 millions est assez ronde pour qu’on ne la sacrifie pas légèrement, et pourtant ce n’est pas la perte qui me semble mériter le plus qu’on s’en préoccupe. Le grand péril et le grand mal, ce sont les inquiétudes, l’instabilité, et finalement les dommages qu’auraient à subir une multitude d’intérêts des plus considérables par leur masse, des plus respectables par la justice qui les recommande et la sympathie qu’ils méritent.
Pour nous faire une idée de toutes les causes de souffrance et de danger public en présence desquelles la France se trouve aujourd’hui du fait de l’or, essayons de pénétrer dans le détail de ce qui se produirait pendant la période de la transition, c’est-à-dire depuis le moment où nous sommes jusqu’à celui où l’or aurait repris une valeur à peu près stable, que, pour être fidèle à l’hypothèse déjà énoncée, je supposerai la moitié de celle qu’il a eue par rapport aux autres marchandises, et particulièrement par rapport à l’argent, dans la première moitié du XIXe siècle.
Pendant la période de transition, ce serait pour toutes les fortunes sans exception une valeur incertaine. Pour les personnes dont les revenus consistent en une somme déterminée d’avance en pièces de monnaie, livres sterling ou napoléons par exemple, ce serait en réalité un amoindrissement continu de l’existence, et par conséquent un état perpétuel de malaise, de gêne, de privations. Elles descendraient par échelons de leur condition présente à une autre où elles n’auraient plus que la moitié de leur aisance passée. Elles y seraient précipitées par soubresauts, sans règle ni mesure, sans pouvoir jamais faire une prévision, car le propre des changemens de ce genre, qui sont des phénomènes soumis à beaucoup d’influences diverses, est d’avoir une marche désordonnée. Or la catégorie des personnes dont je parle ici est très nombreuse. Elle comprend les rentiers de l’état, des départemens, des villes, avec lesquels il est bon de nommer ceux des compagnies : on sait quelle est l’importance des obligations des compagnies de chemins de fer. Pour se faire une idée du nombre des personnes qui seraient atteintes à ce titre, il suffit de rappeler qu’en Angleterre le capital de la dette publique monte à 20 milliards de francs. J’ignore quel peut être, dans les îles britanniques, le montant des dettes des localités et des compagnies de toute sorte : ce doit être une somme énorme. En France, le capital de la dette inscrite est de près de 7 milliards 1/2, déduction faite de ce qui appartient à la caisse d’amortissement. Le nombre des parties prenantes, s’il était déterminé par celui des inscriptions, s’élèverait à plus d’un million[2]. Les départemens et les villes doivent une très forte somme, et les obligations des chemins de fer, sans parler des dettes des autres compagnies, montent extrêmement haut.
À cette liste des personnes qui éprouveraient un grand préjudice, il faut joindre tous les fonctionnaires retraités dont la pension aurait été liquidée antérieurement et tous ceux qui le seraient jusqu’à ce qu’une loi nouvelle eût élevé le taux des pensions, toutes les personnes qui auraient prêté sur hypothèques à longue échéance, tous ceux qui vivraient sur des redevances à longue durée, les particuliers ou les sociétés comme celle du crédit foncier qui recevraient des annuités en remboursement de capitaux prêtés, ceux qui auraient placé leur bien en viager, tous les propriétaires qui auraient contracté des baux à long terme. En pareille occurrence, et jusqu’à ce que le métal eût repris une valeur stable, le bail à long terme, que recommandent les agronomes, serait un fléau pour le propriétaire.
Il conviendrait même d’assimiler jusqu’à un certain point à cette catégorie l’innombrable multitude des fonctionnaires civils et militaires, non qu’il leur fût interdit en pareil cas d’espérer une augmentation de traitement : il est plus que vraisemblable qu’ils l’obtiendraient ; mais il est dans l’ordre des choses que les augmentations de ce genre se fassent longtemps attendre. On en a la preuve par ce qui se passe à l’égard de beaucoup de fonctionnaires, de ceux-là même qu’entoure le plus l’estime publique, de la magistrature par exemple. Voici bien des années qu’on lui annonce toujours pour le lendemain l’élévation de son salaire, et ce lendemain est toujours à venir. La position pénible et presque humiliante de solliciteur réclamant un traitement plus fort serait à subir plusieurs fois, et presque coup sur coup, par les fonctionnaires, parce que, la force qui doit déprimer la valeur de l’or n’agissant que successivement, ce serait par trois ou quatre degrés intermédiaires laborieusement gravis qu’ils auraient à passer avant que leurs appointemens fussent parvenus à leur taux normal. Pour eux donc, ce serait un tourment continuel ; à chaque instant, ils se verraient menacés de n’avoir pas des moyens suffisans d’existence pour leur famille, et il est permis de croire que l’administration des affaires du pays se ressentirait de cette triste situation morale et matérielle des serviteurs de l’état.
Toutes les professions libérales, comme le barreau, la médecine, les professeurs en tout genre, les ingénieurs, les architectes et une foule d’agens de toute sorte auraient de même à augmenter, à plusieurs reprises, le montant de leurs honoraires, ce qui ébranlerait souvent leur position, qu’ils auraient cru assurée.
Pour les populations ouvrières, ce serait une suite d’épreuves très critiques : sous un certain aspect, ce sont des employés à traitement fixe, parce que, là surtout où la population surabonde un peu, les personnes qui font travailler le plus résistent à l’accroissement des salaires qui dérangerait leurs calculs et troublerait leurs prévisions. C’est un fait d’observation, que lorsque les denrées haussent, les salaires ne s’élèvent pas nécessairement en proportion, non que le mouvement ascendant des salaires ne finisse par se déclarer aussi, lorsque la cherté des subsistances se prolonge, mais il ne suit que de bien loin, pour la plupart des professions, renchérissement des articles les plus nécessaires à la vie. C’est que les populations ouvrières sont de toutes les classes de la société la plus dépendante, parce qu’elles sont la plus nécessiteuse. Pouvant le moins attendre, puisque le besoin les presse, elles sont plus tenues de se résigner aux conditions qu’on leur fait. Par cela même, les satisfactions qu’elles ont lieu d’espérer par une fixation nouvelle des salaires ne leur sont le plus souvent accordées qu’après des retards. Il serait aisé de citer des exemples qui établissent cette proposition. M. Tooke en a fait l’observation dans son important ouvrage de l’Histoire des Prix. Dans son enquête historique sur les Métaux précieux[3], M. Jacob fait plusieurs remarques dans le même sens, et entre autres celle-ci, que l’institution de la taxe des pauvres aurait été en Angleterre l’effet des changemens causés par la baisse des métaux précieux. Cette opinion a été reproduite tout récemment par M. James Maclaren dans un écrit remarquable, dont le titre même a de l’intérêt[4], et sur lequel je reviendrai dans un instant.
Pour les propriétaires fonciers eux-mêmes, la période de transition serait une époque de trouble toutes les fois qu’ils auraient à vendre leurs terres, non que le prix de celles-ci ne dût avoir un mouvement ascendant ; mais quel serait à chaque instant renchérissement légitime, c’est ce qu’il serait difficile, sinon impossible, de déterminer avec quelque exactitude. En ce genre comme dans une multitude d’autres, les transactions prendraient un caractère aléatoire.
Il serait facile de citer beaucoup de placemens, très recherchés aujourd’hui, qui deviendraient périlleux en ce que le capital s’y amoindrirait de lui-même et y dépérirait pour ainsi dire par une véritable consomption. Dans cette catégorie se rangerait tout ce que j’appellerai des placemens financiers, c’est-à-dire ceux dont le capital non-seulement s’évalue en monnaie, mais doit ou peut à un moment donné se résoudre en une somme de monnaie fixée d’avance. J’en ai déjà cité plusieurs exemples, entre autres ceux des titres de rente et des obligations de chemin de fer. Une inscription de rente en effet ou une obligation est un titre au détenteur duquel l’état ou une compagnie s’est engagé à délivrer annuellement ira certain nombre fixe de francs ou de livres sterling, c’est-à-dire une quantité convenue de métal, et dont la valeur courante se règle sur cette quantité même. Les actions de la Banque et celles des établissemens analogues rentrent dans cette même classe.
Dans les contrées dont je parle en ce moment, et je répète que ce sont celles qui auraient, dans leur système monétaire, l’étalon d’or, ainsi que celles qui laisseraient aller les choses comme si l’or était légalement revêtu de cette attribution, il y a lieu de prévoir des embarras politiques d’une autre sorte. Il y faudra nécessairement augmenter le budget, car, dans tous les marchés que passe l’état, il aura à payer plus cher qu’auparavant. Il aura de plus l’obligation d’augmenter le traitement de tous ses employés civils et militaires. Même pour ne satisfaire qu’à demi les légitimes réclamations de ses fonctionnaires affamés, il lui faudra retirer du contribuable un gros supplément, car à quel nombre ne s’élèvent pas dans certains pays, et spécialement dans le nôtre, les serviteurs de l’état ! L’augmentation du budget, lorsqu’elle doit être considérable, se traduit par des aggravations d’impôt qui excitent, lors même que c’est justifié, le mécontentement public, d’autant plus que l’accroissement des taxes est plus fort. Je ne crois pas m’exposer à être démenti par aucun homme politique en disant qu’un gouvernement qui aurait à doubler les impôts dans le délai de quelques années courrait par cela seul de grands périls.
Ce n’est pas qu’on ne puisse citer plusieurs impôts, et de ceux qui donnent un grand produit, qui, l’or baissant, rendraient spontanément un plus fort revenu, en proportion de la baisse même du précieux métal. Les impôts qui suivent d’eux-mêmes la valeur des choses imposées seraient dans ce cas. En France, c’est ce qui arriverait pour les droits d’enregistrement, qui, presque tous, sont de tant pour cent par rapport au capital engagé dans la transaction soumise à l’impôt. Il en est de même du droit sur les boissons au détail. Quant aux droits de douane, ceux-là seuls qui sont ad valorem offriraient cette augmentation naturelle, et presque dans tous les états, en France surtout, c’est l’exception ; mais les impôts tels que la contribution foncière, qui sont exprimés par des sommes fixes de monnaie, devront être aggravés par la loi, si l’on veut qu’ils procurent au trésor une recette d’une valeur égale. Or le gouvernement français est-il disposé à se présenter devant le corps législatif en demandant le doublement de l’impôt foncier par échelons successifs dans un délai de dix à quinze ans ? Croit-il que cette démarche lui réussirait beaucoup, et accroîtrait sa popularité ? Il faudrait pourtant bien en venir là.
Le budget serait donc soumis à un perpétuel remaniement, tant pour les dépenses que pour les recettes. Tous les trois ou quatre ans, il faudrait refaire à tâtons le tarif des différens impôts et le taux des différens traitemens, depuis le prêt du soldat et du matelot ou la solde du garde-champêtre et du gendarme jusqu’à la rétribution du préfet et du maréchal de France, la dotation des grands corps de l’état, et en bonne conscience la liste civile du souverain lui-même. Il y aurait à remanier aussi plus ou moins fréquemment les tarifs d’après lesquels se paient les officiers ministériels de toute espèce, notaires, avoués, huissiers, gens avec lesquels il faut compter, comme une expérience récente l’a démontré.
Pareille opération serait nécessaire pour les tarifs des péages qui ont été accordés à une multitude de compagnies telles que celles des ponts, des canaux, des chemins de fer, des docks. Dans le nombre, il en est qui primitivement ont été fixés assez haut pour que les compagnies concessionnaires ne jugeassent pas à propos de les percevoir en totalité. En ce genre cependant on ne peut signaler que ceux des chemins de fer qui concernent le transport des marchandises : hors de là, presque toujours les tarifs accordés sont perçus dans leur intégralité. L’équité voudrait, ce me semble, qu’on les relevât du moment qu’on serait en présence d’un cas de force majeure aussi imprévu que celui d’une baisse déclarée dans la valeur du métal dont la monnaie serait faite. Tous ces changemens de tarif seraient un travail infiniment épineux pour le gouvernement, une source intarissable de discussions avec le corps législatif.
Les dotations ou les revenus des établissemens de bienfaisance, qui fréquemment sont possesseurs de rentes sur l’état, seraient de même fortement amoindris, et il faudrait pourvoir à les rétablir dans leur ancienne importance aux frais de l’état ou des localités. Les optimistes représenteront que les embarras signalés ici à l’occasion des aggravations du budget seront sans gravité, que, la valeur des pièces de monnaie ayant baissé, le contribuable ne pourra se trouver surchargé, si on se borne à lui demander un nombre supplémentaire de livres sterling ou de francs qui corresponde simplement à la dépréciation du métal. Seulement il faut voir que dans la société il y aurait eu beaucoup de personnes plus ou moins profondément atteintes dans leurs intérêts ; à celles-ci, l’aggravation des taxes sera onéreuse. Quant à la masse du public, ce n’est qu’après un certain temps qu’elle se sera familiarisée avec l’idée de la baisse de la monnaie, et qu’elle en aura accepté la conséquence sous la forme d’une aggravation d’impôts. Si la hausse de toutes les propriétés, de tous les revenus, honoraires, salaires, rétributions en tout genre, s’opérait uniformément suivant la même gradation, l’intelligence publique se serait faite assez vite au changement ; mais il s’en faudra de beaucoup que les choses se passent ainsi. Je l’ai fait remarquer, l’événement de la baisse de l’or s’accomplira d’une manière saccadée et en marchant inégalement par rapport aux différens objets. Ce sera une véritable confusion due à l’action de causes accidentelles qui surgiront à chaque instant inopinément et échapperont à tout contrôle. Il n’en faudra pas davantage pour que l’antipathie instinctive chez les contribuables contre l’augmentation des impôts n’ait une justification et ne trouve de bons argumens à son service.
Je ne crois pas exagérer en disant que la période de transition qu’il faudra traverser jusqu’à ce que l’or ait repris une valeur à peu près stable offrira les caractères de malaise, d’inquiétude, d’instabilité et de mécontentement qui servent de cachet aux époques révolutionnaires. À ce sujet, on me pardonnera de rappeler ici une observation qu’a présentée M. Jacob dans son livre sur les Métaux précieux[5], alors qu’il expose les effets de renchérissement qui suivit l’exploitation des mines d’Amérique. « Il y a quelque lieu de penser, dit-il, que le mouvement ascendant de la dépense (déterminé par cet enchérissement), pendant qu’une grande partie du revenu de la couronne restait stationnaire, fut une des causes qui donnèrent naissance, sous Charles Ier, à la guerre civile à la suite de laquelle ce prince infortuné perdit la vie. »
J’ai indiqué plusieurs des classes qui seraient atteintes à leur grand détriment par la baisse de l’or ; pour ne pas laisser trop incomplet le tableau des changemens en perspective, il faut ajouter qu’à côté des perdans il y aurait des gagnans. Si le créancier est forcé de donner quittance en recevant une valeur moindre que celle qu’il se croyait assurée, si par exemple les 100 livres sterling qu’on lui donne ne représentent plus pour lui que les jouissances qu’autrefois il aurait eues avec cinquante, il perd assurément ; mais le débiteur bénéficie d’autant : les 100 livres sterling qu’il a comptées, il se les est procurées avec moitié moins de travail ou de privations. En face de la plupart des pertes que nous avons énumérées, il y a donc lieu de mettre un gain de même importance, À ce sujet, deux questions se présentent et mériteraient qu’on s’y arrêtât : l’une, de reconnaître si, pour la société prise en masse, il y a compensation ; l’autre, de savoir si l’équité sanctionne la perte que subit celui-ci et, le gain qui échoit à celui-là.
Sur le premier point, je n’ajouterai qu’un mot aux aperçus que j’ai déjà soumis ici au lecteur. Des changemens qui affectent profondément une très grande masse d’intérêts sont toujours regrettables, même lorsque, à côté et par le même fait, un bon nombre de personnes se trouvent obtenir des avantages. C’est pour la société une épreuve dangereuse, particulièrement lorsque les populations ouvrières sont au nombre des classes qui ont à souffrir ; ce sont celles auxquelles la patience est le plus difficile, puisqu’elles ont le moins de ressources. La société se trouvera, dans ces circonstances, avoir à franchir une situation que je crois avoir justement qualifiée de révolutionnaire. Si la qualification est juste, elle en dit assez pour faire apprécier tout ce que la transition aurait de périlleux. Avec de l’habileté et du calme, un peuple peut traverser sans désastre un défilé pareil ; mais il y faut en outre du bonheur. Or peut-on, sans présomption, se flatter de réunir ces trois dons du ciel, le calme, l’habileté et la bonne chance ?
Insistons davantage sur l’autre question, celle de l’équité. Elle n’est pas sans avoir des rapports avec la première : lorsque des faits sont conformes au droit, il est dans la nature humaine en général qu’on s’y résigne plus volontiers. Au contraire, l’indignation « t le ressentiment prennent facilement possession de l’homme qui sent que la justice est lésée dans sa personne.
Parmi les faits auxquels doit donner lieu la baisse de l’or dans les pays où ce métal forme la monnaie unique ou la monnaie dominante, j’en choisis ou, pour mieux dire, j’en reprends un des plus considérables pour l’examiner au point de vue de l’équité : je reviens au cas du propriétaire d’un titre de rente sur l’état. Supposons un habitant de Londres vivant d’un revenu de 1,000 livres sterling qu’il aura sur les consolidés. Pendant et après la dépréciation de l’or comme auparavant, il recevra ses 1,000 disques de métal contenant 7 kilogr. 318 grammes d’or fin ; mais avec cette somme il n’aura que la moitié de l’aisance dont il jouissait antérieurement. Y a-t-il ou n’y a-t-il pas, dans un pareil amoindrissement d’existence, quelque chose qui puisse être taxé de spoliation ? Pour l’Angleterre, je ne le pense pas. À quoi l’état est-il engagé ? Par cela même que l’Angleterre a son étalon monétaire en or, le créancier auquel le gouvernement anglais doit une livre sterling ne peut rien réclamer de plus que la quantité d’or à laquelle la loi, une fois pour toutes, a attaché la dénomination d’une livre, c’est-à-dire 7 grammes 318 milligrammes. L’état est tenu de fournir à son créancier d’une livre cette quantité de métal, il n’a pas d’autre obligation. Si pour payer les créanciers de l’Angleterre dans les années précédentes, lorsque l’or enchérissait quelque peu par rapport aux autres marchands, le gouvernement anglais eût prétendu distraire des arrérages de la rente 2 ou 3 pour 100 ou plus, c’est alors qu’on l’eût dénoncé comme spoliateur. Dans le cas, qui était possible, où les mines de la Californie, de l’Australie et de la Russie boréale n’eussent pas existé ou simplement n’eussent pas encore été découvertes, et où les mines d’or anciennement connues se fussent appauvries, le gouvernement anglais n’eût pas été fondé à diminuer le montant des arrérages et à donner une 1/2 livre sterling au lieu d’une entière, sous prétexte que l’or aurait enchéri du simple au double. Eh bien ! la loi est la même pour lui que pour ses créanciers. Ceux-ci n’ont rien à réclamer au-delà de la quantité d’or qui a été convenue comme formant la livre sterling, si l’or, au lieu de renchérir, s’avilit. Les deux parties ont couru la chance d’une variation dans la valeur de l’or : celle des deux en faveur de laquelle la chance a tourné en profite légitimement. Ainsi, pour l’Angleterre, qui a l’étalon d’or, la stricte équité n’a rien à redire au changement, malheureux pour lui, qu’éprouvera le créancier de l’état.
En France, en serait-il de même ? L’état serait-il admissible à profiter de la baisse de l’or pour faire le service des intérêts de sa dette à meilleur marché ? Peut-il se prévaloir de ce que les 29 centigrammes d’or, qui, en l’an XI, étaient l’équivalent des 4 grammes 1/2 d’argent fin formant le franc, semblent aujourd’hui au moment d’avoir une valeur très notablement moindre, et payer en or les rentiers ? Ceci est une question de bonne foi, dont je crois qu’après les renseignemens déjà résumés, la solution ne saurait être douteuse. Ce serait attentatoire à la justice, parce que la France a l’étalon d’argent. Dans la monnaie française, l’argent, comme dit l’exposé des motifs de la loi de l’an XI, est le point fixe, et ce point fixe est la garantie de l’équité et de l’honnêteté des transactions, le gage de la conservation de la propriété. Il n’est pas possible d’ébranler ce point fixe sans manquer à la probité, dont les états sont tenus, plus encore que les particuliers, d’observer strictement les règles.
Si c’était l’argent qui baissât de valeur, le gouvernement français serait dans son droit en payant les rentiers en argent, tout comme devant. C’est en argent que la convention a été faite. La loi a" statué une fois pour toutes que 4 grammes 1/2 d’argent fin feraient 4 franc, ni plus ni moins. Ainsi que le disait Gaudin dans un passage que j’ai déjà cité, « celui qui prêtera 200 francs ne pourra en aucun temps être remboursé avec moins d’un kilogramme d’argent[6], qui vaudra toujours 200 francs, et ne vaudra jamais ni plus ni, moins. »
Personne ne peut dire qu’un jour l’argent n’éprouvera point, lui aussi, une forte baisse par le fait d’une production grandement accrue par rapport aux besoins et effectuée dans de meilleures conditions. C’est une chance dont le gouvernement français profiterait équitablement et légalement ; mais c’est la seule dont il lui soit permis honnêtement de s’attribuer le bénéfice.
En résumé, par la découverte des mines d’or de la Californie et de l’Australie, si ces mines continuent d’être ce qu’elles ont été jusqu’à ce jour, un moment viendra où les choses se passeront pour la trésorerie britannique comme si quelque génie ennemi de ses créanciers fût venu prendre dans leurs portefeuilles leurs titres de rente et les remplacer par d’autres qui fussent de la moitié. Non que le nombre de livres sterling qui leur seront dues en principe, et dont le revenu leur sera compté à chaque trimestre, doive être diminué, non que la quantité d’or contenue dans la livre sterling doive décroître ; mais la trésorerie britannique retirerait des contribuables chaque livre sterling désormais sans plus de peine pour ceux-ci que lorsqu’auparavant il s’agissait d’une demi-livre, et les infortunés rentiers n’obtiendraient de la livre que la moitié des jouissances qu’elle leur procure aujourd’hui, et pourtant, en droit strict, ils n’auraient rien à réclamer. Quant au trésor français, à moins d’une iniquité flagrante, il n’a aucun profit semblable à espérer de la découverte des nouvelles mines d’or.
Voici donc la perspective qui s’ouvre devant nous : parallèlement à la baisse de l’or, une période de souffrance pour un grand nombre d’intérêts dignes de considération et de sympathie. Cette période apparaît hérissée de périls pour le repos des états et la marche régulière de la société. À l’égard de la France en particulier, on est en face d’une législation faite avec maturité il y a un peu plus d’un demi-siècle, législation intelligente, honnête, et au nom de laquelle les intérêts froissés pourraient réclamer hautement et dire qu’en leur personne un droit sacré est méconnu et violé. Dans ces circonstances, qu’est-ce qu’il convient de faire ?
Dans les états où l’or est le métal étalon des monnaies, tels que l’Angleterre, il est difficile d’indiquer ce qu’il y aurait à faire ; on peut même contester qu’il y ait lieu de faire quelque chose. En Angleterre cependant, quelques personnes ont émis l’avis qu’il fallait changer d’étalon et substituer l’argent à l’or. Elles se fondent sur ce que, l’or cessant pour un certain intervalle, qui peut être passablement long, de satisfaire à la condition essentielle d’une valeur relativement stable, il cesse par cela même d’être apte aux fonctions monétaires. Le changement d’étalon est en soi un acte rempli de gravité, auquel on ne peut se porter qu’après mûre réflexion et qu’autant qu’on est bien certain d’avoir de son côté la raison et la justice, ainsi que les plus hautes et les plus légitimes convenances de l’intérêt public. Toutefois la substitution de l’un des métaux précieux à l’autre pour cette importante attribution serait bien autrement possible à justifier — dans le cas où l’on abandonnerait le métal dont la baisse graduelle est imminente ou déjà déclarée — que s’il s’agissait, ainsi qu’on l’a proposé et qu’on le propose encore en France, de dépouiller de la qualité d’étalon le métal dont la valeur reste relativement fixe pour en investir l’autre, dont la valeur serait en voie de décroissance. Cependant le changement d’étalon, même dans les circonstances où l’or serait remplacé par l’argent, comme en Angleterre, ne laisserait pas de soulever de fortes objections. Les débiteurs en tout genre, auxquels nécessairement cette substitution serait préjudiciable, représenteraient, non sans justesse, que si la baisse de la valeur de l’or doit tourner à leur avantage dans le système de l’étalon d’or, la hausse, si elle avait eu lieu, aurait été à leur détriment et au profit des créanciers : si le sort se prononce en leur faveur, c’est aux créanciers de se soumettre. Et, ajouteraient-ils, n’y a-t-il pas eu des momens dans l’histoire moderne de l’Angleterre où le débiteur a eu à souffrir de la hausse de l’or, soit par rapport à sa valeur passée, soit par rapport au papier-monnaie qu’il avait reçu, lui débiteur, lorsqu’il empruntait dans la période de 1797 à 1821, et dont il a dû, s’il s’est acquitté après cette dernière date, faire le remboursement en or ? Les choses ne se sont-elles pas passées alors tout comme si l’hypothèse de la hausse du précieux métal se fût réalisée ? Si dans ces circonstances ils eussent réclamé le changement du système monétaire du pays, ils eussent été certainement éconduits. Par la même raison, diraient-ils, il n’y a pas lieu d’accueillir aujourd’hui les réclamations que pourrait présenter le créancier à l’occasion de la baisse.
En Angleterre, il y aura pour le contribuable une certaine compensation aux accroissemens d’impôts, accroissemens apparens au surplus et non pas réels, que la baisse de l’or obligera de demander au parlement. Elle viendra de ce que l’intérêt annuel de la dette publique, qui est d’environ 28 millions sterling ou 700 millions de francs, est une charge qui, tout en restant la même nominalement, serait de fait allégée de moitié, si la baisse de la valeur de l’or était dans cette proportion. Répétons en effet qu’une fois la baisse du métal accomplie, il sera aussi facile de payer 2 livres sterl. d’impôt que 1 livre aujourd’hui. La réduction à moitié du lourd fardeau de la dette publique serait, selon toute probabilité, un argument puissant auprès d’une assemblée politique telle que le parlement, qui penche naturellement du côté où il voit un soulagement pour le contribuable, et qui, dans le cas actuel, trouverait des raisons considérables à faire valoir pour procéder ainsi.
Mais en regard de cet avantage, qu’il serait fondé par le droit strict à revendiquer pour les contribuables, le parlement devra mesurer la masse d’inconvéniens et même de périls pour la société qui résulterait nécessairement du maintien d’une monnaie en cours prononcé d’avilissement. J’ai indiqué quels seraient les changemens qu’apporterait à une multitude d’existences la baisse du métal dont la monnaie est faite ; il y aurait déjà, ce semble, de quoi épouvanter même un homme d’état doué de la fermeté qui distingue particulièrement les gouvernans de l’Angleterre et la nation anglaise, et pourtant aux généralités que j’ai présentées il est facile d’ajouter d’autres faits qui ressortent de la situation de la société britannique et de ses habitudes. Le rôle que jouent les fonds de l’état en Angleterre est extrêmement étendu. Les consolidés sont le placement d’une masse énorme de capitaux qui sont dignes de la sollicitude particulière du législateur. Tous les fonds qui sont dans les mains de fidéi-commissaires ou sous la sauvegarde de la cour de chancellerie, et qui composent par exemple la fortune d’une multitude de mineurs, sont placés dans la rente ou sur hypothèques, ce qui ici revient au même, je veux dire, court la même chance. Les dotations d’une foule d’églises, d’écoles, d’hôpitaux et d’institutions utiles en tout genre sont aussi dans les fonds de l’état. Dans un grand nombre de cas, les parts de propriété qu’un père laisse à ses enfans autres que l’aîné sont représentées, en vertu d’arrangemens de famille (family settlements), par une somme de monnaie dont l’aîné, devenu chef, reste dépositaire. Le nombre des personnes qui vivent d’une rente viagère, ou qui ont déjà fait des versemens de manière à en avoir une un jour, est pareillement très considérable chez nos voisins de l’autre côté du détroit. En général, l’assurance sur la vie, dont l’effet est d’assurer à telle ou telle personne une rente viagère dans telle ou telle éventualité, est usitée parmi les Anglais sur une échelle que nous ne soupçonnons pas en France. La conséquence est pourtant claire : ce seraient des milliers de milliers d’existences qui seraient troublées ; ce serait la constitution même de la propriété qui serait atteinte dans le mode de partage entre les enfans ; ce seraient des habitudes dignes d’encouragement, telles que les assurances sur la vie avec leurs combinaisons multiples, qui seraient ébranlées. La coutume de placer son argent dans les fonds publics, qui est éminemment favorable au crédit de l’état et qui en même temps contribue à perpétuer la prudence parmi les populations, serait subitement dépouillée, pour un laps de temps assez étendu, de l’avantage qu’elle a aujourd’hui de garantir pour l’avenir un degré déterminé de bien-être ; elle s’affaiblirait donc nécessairement, si elle ne se perdait pas. Dans cet ensemble de faits très fâcheux, dans ce bouleversement de tant d’existences, dans ce discrédit qui serait jeté sur des pratiques dont se trouvent si bien la société et même le trésor britannique, il y a de quoi faire hésiter le parlement, même en présence de la séduction qu’exercerait une réduction effective de la dette publique aussi marquée que celle à laquelle j’ai fait allusion[7].
Dans les états comme la France, où la loi ne reconnaît d’étalon que l’argent, et où l’or n’est dans le système monétaire qu’un métal subordonné, le remède au mal, dans une forte mesure, est d’une moindre difficulté à découvrir, et le législateur pour s’y décider n’aurait pas à subir les mêmes perplexités que dans les îles britanniques. Il suffirait de mettre fin à la tolérance, contraire à la légalité, en vertu de laquelle l’or continuera indéfiniment, si l’on n’avise, de se placer dans la circulation aux mêmes conditions que s’il conservait toujours, par rapport à l’argent, la même valeur qu’il y a un demi-siècle.
Dans le système de la législation française, si l’or, au lieu de valoir, comme en l’an XI, quinze fois et demie son poids d’argent, n’en valait plus que la moitié, c’est-à-dire sept fois et trois quarts, on serait tenu de prendre, à l’égard des monnaies, des mesures telles que ce qui serait un franc en or, c’est-à-dire l’équivalent légal de la pièce de 5 grammes d’argent au titre de neuf dixièmes de fin, renfermât 58 centigrammes du précieux métal. Ainsi le veulent l’esprit et le texte de la loi. On aurait à faire subir à la monnaie d’or un changement analogue dans le cas où l’or, au lieu de s’abaisser de moitié, tomberait d’une hauteur moindre, et viendrait par exemple à dix fois la valeur de l’argent ou à douze, ou à quatorze, ou même à quinze. Or par quelle voie arriver à cette transformation ? Serait-ce en refondant les pièces de 10, 20, 40 fr. de manière à doubler juste le métal fin qu’elles contiennent dans l’hypothèse d’une baisse de moitié ?
Ainsi compris, le procédé de la refonte aurait un grand inconvénient : pour avoir toujours des pièces d’une valeur fixe de 20 fr. par exemple, il faudrait réitérer indéfiniment la refonte. Il y aurait lieu en effet d’y revenir chaque fois que l’or vaudrait 3 ou 4 pour 100 de moins par rapport à l’argent. Les pièces d’or sortiraient à peine du balancier qu’il faudrait les y remettre. Une pareille mobilité dans la consistance intrinsèque des pièces d’or répugne au sens public ; c’est une pratique absolument inadmissible. Le procédé de la refonte ainsi entendu a pu paraître acceptable lorsqu’on prévoyait une variation très médiocre dans la valeur de l’or, et encore dans la supposition qu’elle s’accomplit avec rapidité ; dès qu’on a la perspective d’une variation considérable, qui à cause de ses proportions mêmes ne pourra être complétée qu’après un intervalle de temps assez long, l’expédient devient impraticable.
Il serait mieux de refondre les pièces d’or une fois pour toutes, afin de les rétablir dans un autre système, en leur donnant un poids fixe, en rapport simple avec la base du système métrique, au lieu de chercher à les ramener toujours, par des changemens de poids, à une valeur fixe, telle que 40 francs, ou 20 francs, ou 10 francs. On frapperait des pièces d’or de 5 grammes ou de 10 grammes, comme la pièce de 1 franc en argent, qui pèse juste 5 grammes, et la pièce de 2 francs, qui en pèse 10. Ce serait revenir à la pensée que recommandaient Mirabeau, l’administration des monnaies, l’Institut, et qu’avait adoptée le législateur en l’an III et en l’an VI. C’est aussi celle qu’avait recommandée la section des finances du conseil d’état pendant la discussion de l’an XI. La valeur de ces pièces, c’est-à-dire le nombre de francs et fractions de francs qu’elles vaudraient, varierait selon le cours de l’or par rapport à l’argent. Pour éviter aux particuliers l’ennui et les difficultés d’un débat à chaque paiement, cette valeur serait fixée tous les six mois ou tous les ans, conformément à un règlement d’administration publique qui donnerait pour base à la valeur des pièces d’or le cours officiel de ce métal par rapport à l’argent sur les principales places de commerce de l’Europe, telles que Londres, Paris, Hambourg. Ce serait reprendre la pensée première de Prieur et de la commission des cinq cents, revue et agrandie par Cretet et la commission des anciens. C’est cependant une question à examiner que de savoir si les paiemens de particulier à particulier auxquels s’appliquerait ce cours légal de l’or ne devraient pas être limités au maximum de 1,000 fr., et si pour des sommes plus fortes il ne faudrait pas s’en remettre aux conventions des parties.
L’arrangement que je viens d’indiquer, je veux dire la refonte de la monnaie d’or et l’adoption de pièces nouvelles d’un nombre rond de grammes, est de tous le plus philosophique, le plus conforme à la théorie des monnaies : la pratique s’en accommoderait fort bien. Le seul défaut qu’on peut y trouver est d’obliger à une refonte non-seulement générale, mais immédiate. L’inconvénient n’est pas grave, car on aurait assez vite et à peu de frais refondu et remonnayé un ou deux milliards, et la circulation de la Fiance, ramenée à son état normal, ne comporte pas 2 milliards de monnaie d’or assurément, à côté de la monnaie d’argent et des billets de banque[8]
Un autre expédient plus simple, et qui changerait l’état des choses instantanément et sans frais, est celui qui consisterait à établir par une loi que désormais la pièce de 20 francs ne vaudra plus que 19 fr. ou 19 fr. 50 c ; plus tard, quand la baisse du métal serait plus prononcée, une loi nouvelle dirait 18 francs 50 c. ou 18 fr., et ainsi de suite. C’est ce qui a été fait en Russie, où l’édit de 1810, qui offre beaucoup d’analogie avec la loi française du 7 germinal an XI, avait ordonné la fabrication d’impériales et de demi-impériales en or de 10 et 5 roubles, le rouble étant une pièce d’argent servant d’unité monétaire. En conséquence, on a frappé beaucoup de pièces d’or de 5 roubles, portant en toutes lettres les mots de cinq roubles, comme nos napoléons portent ceux de vingt francs. L’édit du 1er (13) juillet 1839 qui est venu en complément de celui de 1810, trouvant le rapport des métaux un peu altéré et l’or enchéri en Russie comme dans le monde entier, statua que désormais les demi-impériales dites pièces de 5 roubles passeraient pour 5 roubles et 15 copeks, ce qui s’est pratiqué sans difficulté, malgré le nom de cinq roubles inscrit sur ces monnaies. On ne voit pas pourquoi il ne serait pas procédé de même en France et dans les pays où la législation monétaire est la même. Seulement, à l’inverse de ce qui s’était manifesté en 1839, l’or ayant baissé de valeur au lieu de hausser, ce ne serait pas une addition de valeur que recevraient les pièces d’or, c’est une déduction qu’elles auraient à supporter, et cette déduction elle-même deviendrait plus marquée plus tard, quand il y aurait lieu, ce qui se verrait par le cours comparé des deux métaux précieux.
Pareillement en Espagne, des édits ont itérativement changé les rapports entre le quadruple d’or et la piastre d’argent, conformément aux variations qu’avaient éprouvées les deux métaux dans leur valeur respective. Un de ces édits est du 17 juillet 1779. Il y a toutefois cette différence qu’en Espagne on n’avait jamais inscrit sur le quadruple qu’il était l’équivalent de tel ou tel nombre de piastres. Sous l’ancien régime en France, les pièces d’or, le louis et le double louis, ne portaient point non plus d’inscription qui dît qu’ils étaient de 24 et de 48 livres. La loi leur attribuait cette valeur par rapport aux pièces d’argent, qui étaient des livres ou des multiples de la livre ; mais la loi pouvait être modifiée à cet égard, sans que l’empreinte des monnaies d’or fût en contradiction avec le nouveau cours qu’on leur aurait donné.
Cette inscription des mots quarante francs, vingt francs ou dix francs sur les pièces d’or, et toute inscription semblable qui serait usitée dans un autre état où d’ailleurs la loi aurait posé en principe que l’étalon est en argent, ne me paraît pas une objection qui doive empêcher le législateur d’attribuer aux pièces d’or existantes une valeur successivement moindre et conforme à chaque instant au rapport entre la valeur de l’or et celle de l’argent. Quel est le sens des mots dix francs, vingt francs ou quarante francs sur nos pièces d’or ? Signifient-ils que ces pièces seront nécessairement et à perpétuité prises pour la somme de 10 ou de 20 ou de 40 francs ? Assurément non, car cette interprétation serait contraire à l’esprit et à la lettre de la loi. Ce serait dire en effet que l’or est l’étalon aussi bien que l’argent : la qualité d’étalon implique l’immutabilité de valeur ; elle ne se révèle que par cette immutabilité, et l’immutabilité à son tour implique la qualité d’étalon. Les mots inscrits sur les pièces d’or frappées à partir du 7 germinal an XI n’ont qu’un sens limité et provisoire : ils expriment un fait matériel, à savoir qu’au moment où les pièces ont été monnayées, le rapport entre les deux métaux, l’or et l’argent, est tel que le poids d’or contenu dans les pièces dites de 10, 20 ou 40 francs est l’équivalent de 10, 20 et 40 francs, c’est-à-dire de 10, 20 et 40 fois 5 grammes d’argent au titre de neuf dixièmes de fin, ou que s’il y a une différence, elle est assez faible pour qu’on puisse, dans les petites transactions, se dispenser d’en tenir compte. Je dis les petites transactions, car, sous le régime de la loi du 7 germinal an XI, l’or a cessé de figurer dans les opérations un peu considérables, dès qu’il a gagné une prime appréciable. On portait son or chez le changeur, afin de s’approprier la prime, et l’on ne faisait les paiemens qu’en argent, tout le monde le sait bien.
Il résulte de l’esprit et de la lettre de la législation française sur les monnaies que, lorsque la variation de valeur serait devenue assez sensible pour que l’équivalence fût nettement rompue entre ces poids respectifs d’or et d’argent, l’inscription frappée sur les pièces d’or n’aurait plus de sens ni de portée. Le gouvernement a non-seulement le droit, mais l’obligation alors d’opérer la refonte, afin de garantir des intérêts envers lesquels le législateur a contracté un engagement solennel en l’an XI, intérêts parfaitement respectables, et d’abord l’intérêt de la société en masse. Cette obligation est surtout étroite dans le cas, qui est imminent aujourd’hui, où la variation de l’or a lieu en baisse, car, dans le cas opposé, il n’y a pas de lésion possible. Il ne pourrait y avoir de lésé que le débiteur qui s’acquitterait en or ; mais il est clair que les débiteurs, en pareil cas, s’acquitteraient en argent, rien qu’en argent. Quel est le paiement commercial de quelque importance qu’on a fait en pièces d’or dans les vingt années qui ont précédé la découverte des mines de la Californie et de l’Australie ?
Or, si le législateur a le droit et le devoir de refondre les monnaies d’or, afin que, dans la pièce de 20 francs, il y ait désormais une plus forte quantité de métal, il a tout aussi bien le droit de faire une opération au fond identique, c’est-à-dire de statuer que la pièce actuelle dite de 20 francs n’en vaudra plus que 19 1/2, ou 19, ou 18, si telle est la valeur qui résulte du cours comparé des deux métaux.
Au fond, dans tous les systèmes de refonte, comme dans le cas où l’on adopterait provisoirement la disposition consistant à laisser circuler les pièces d’or actuelles en leur attribuant une valeur moindre que celle qui est inscrite sur leur revers, la seule question embarrassante est de savoir qui devra supporter la perte représentant la diminution de valeur du métal. Pour chaque pièce en particulier, dans l’état actuel des choses, cette perte serait très limitée ; mais eu égard à la quantité énorme du monnayage qui a eu lieu, elle s’élèverait en bloc à une grosse somme. Quelle que fût la dépense à laquelle il dût ainsi être soumis, ce ne serait pas une raison pour l’état de l’esquiver en faussant le sens naturel de la loi, si vraiment en équité c’était à lui de la supporter. Cependant, sur ce point, je crois que toute personne qui voudra prendre la peine de se livrer à un examen attentif pensera que la diminution de valeur ne doit pas être à la charge de l’état, et qu’elle retomberait légitimement sur les particuliers détenteurs des pièces. Quels sont en effet les motifs en vertu desquels on voudrait imposer à l’état ce sacrifice ? Les personnes qui soutiennent cette opinion représentent que l’état, ayant émis ces pièces en leur attribuant la valeur de 20 francs, s’en est fait le répondant, et qu’il est tenu de les reprendre sur ce pied, s’il veut qu’elles cessent de circuler avec cette valeur. Cet argument n’a qu’un défaut, c’est de manquer de base, car le fait sur lequel il repose n’existe pas. Ce n’est point l’état qui a émis les pièces de monnaie d’or, non plus que les pièces d’argent : ce sont des particuliers qui ont fait l’émission. En France, le rôle de l’état à l’égard de la fabrication des monnaies se réduit à une simple surveillance. Il constate dans des formes solennelles, et la solennité ici est bien à sa place, que les pièces de monnaie sorties des balanciers ont le poids et le titre voulus par la loi. Les directeurs des monnaies sont des entrepreneurs publics travaillant à forfait, d’après un tarif que le gouvernement a déterminé, pour les particuliers qui possèdent des lingots ou autres matières d’or et d’argent : ils ne fabriquent point pour le compte de l’état. Sous l’ancien régime, quand Philippe le Bel et ses successeurs fraudaient scandaleusement la monnaie, les hôtels des monnaies travaillaient pour le compte du roi. Il a pu et dû en être de même tant que le souverain s’est attribué, sous le titre de seigneuriage ou sous tout autre nom, un bénéfice exorbitant sur le monnayage. Il est de principe au contraire, dans les temps modernes, que l’état ne bénéficie pas sur les monnaies, et que le tarif des frais de fabrication à prélever par les directeurs sur les particuliers qui leur apportent des matières d’or ou d’argent soit aussi modéré que possible, de manière à représenter seulement leurs dépenses avec l’intérêt de leurs capitaux. Cela est si vrai, qu’à mesure que l’industrie du monnayage se perfectionne, on voit en France le tarif s’abaisser. Il y a même des états, comme l’Angleterre, où le trésor public supporte les frais du monnayage. Dans une pareille situation, est-on fondé à dire qu’en France l’état ait rien garanti au public, sinon que les pièces d’or offraient le poids et le titre voulus par la loi ? Et s’il est constant que la loi, dans sa lettre et dans son esprit, veuille que les pièces d’or ne demeurent l’équivalent de 20 ou de 40 francs dans les paiemens qu’autant que la valeur respective des deux métaux précieux resterait définie par le rapport de 1 à 15 1/2, des particuliers qui ne peuvent se prévaloir de leur ignorance prétendue de la loi peuvent-ils donc être étonnés d’apprendre un beau jour que le disque d’or qu’ils ont en poche, qui valait 20 francs jusque-là, n’en vaut plus que 19 1/2 ou 19, et pourra bien, d’ici quelque temps, n’en plus valoir que 18 ou 17, et moins encore ?
L’argument que quelques personnes essaieront peut-être de tirer d’une prétendue ignorance de la loi n’est jamais recevable : c’est un point de droit bien fixé ; mais ici on n’aurait aucun prétexte pour l’invoquer, car la loi de l’an XI ne saurait être représentée comme une improvisation, quelque chose de bâclé à huis clos sans qu’il se fût rien passé qui pût la faire présager. Loin de là, cette loi, définitivement rédigée avec beaucoup de maturité, dans le silence, il est vrai, au sein duquel fonctionnait le mécanisme législatif sous le consulat, avait été précédée, annoncée par un grand nombre de discussions, de projets de loi, de lois même, à partir de 1789. Sous la constituante, la voix tonnante de Mirabeau s’était chargée d’en proclamer les conditions fondamentales, et depuis ce moment jusqu’en l’an XI, pendant treize années consécutives, la plus remarquable unanimité d’opinions s’était manifestée en faveur des idées générales que la loi de l’an XI a définitivement consacrées. Il était donc difficile d’être plus averti que ne l’a été le public en cette affaire.
À l’opinion d’après laquelle l’état n’aurait à indemniser personne en changeant la monnaie d’or, on oppose deux précédens tirés de la pratique de deux gouvernemens distingués pour leurs lumières, leur bon esprit et leur connaissance des affaires. La Belgique et la Hollande ont modifié leur législation au sujet de la monnaie d’or, et, dans cette opération, la diminution de valeur que les pièces d’or ont pu avoir à subir, par suite de la baisse du métal, a été à la charge de l’état. En Belgique et en Hollande, l’état, en retirant aux pièces d’or le cours légal pour le montant qui leur était attribué jusque-là, en a offert aux détenteurs la valeur nominale en argent. On demande si ce n’est pas une raison pour que l’état fasse de même en France.
L’exemple de la Belgique, qui avait, je le crois, une législation monétaire analogue à celle de la France, ne peut cependant être d’un grand poids. La question s’y présentait sous les proportions les plus exiguës, et n’était point faite pour inquiéter le ministre des finances. Il n’avait point été frappé de pièces d’or jusqu’en 1847. Une loi alors autorisa la fabrication de pièces d’or nationales de 25 francs et de 10 francs ; mais l’émission en fut expressément limitée par la loi à 20 millions de francs, et elle n’atteignit que 14,646,025 francs. La monnaie d’or n’était donc encore qu’à l’état d’essai en Belgique lorsqu’on se décida à lui ôter le cours légal, de manière qu’elle ne circulât plus qu’au gré du commerce. Au moment où cette détermination fut prise par le législateur (28 septembre 1850), la dépréciation de l’or par rapport à l’argent n’était pas sensible. En s’engageant à restituer la valeur nominale des pièces d’or en pièces d’argent, l’état ne s’exposait à aucune chance sérieuse de sacrifice, et le fait est que cette restitution n’a rien coûté. Le gouvernement, qui la proposait dans ces termes, y trouvait l’avantage d’écarter d’avance tous les scrupules que les discussions sur des matières pareilles soulèvent dans un parlement. Je ne prétends donc pas que la Belgique ait eu tort ; mais il ne semble pas que ce qu’elle a fait soit un précédent qui lie en rien la France.
En Hollande, la question du remboursement en argent présentait bien plus de difficultés, car il y avait été frappé une bien plus grande masse de monnaie d’or. Les pièces de 5 et de 10 florins formaient un total de 172,583,995 florins ou 370 millions de francs[9]. En proportion de la population, c’est comme 5 milliards pour la France. Cependant le gouvernement hollandais n’a pas hésité à s’imposer le remboursement en argent. Mais la législation hollandaise était-elle la même que la nôtre ? La loi hollandaise n’admettait-elle pas les deux étalons[10] ? Si elle les admettait, il y avait de la part de l’état, du moment qu’il voulait être honnête, un engagement, tacite au moins, de troquer les espèces faites de l’un des deux métaux contre une valeur nominalement égale en espèces de l’autre, lorsqu’il voudrait modifier son système monétaire en changeant la condition du premier. Il n’y a là rien encore qui soit applicable à la France.
Une autre différence digne d’être citée ici entre la législation monétaire des Hollandais et celle de la France, c’est que dans le royaume des Pays-Bas les pièces d’or de 5 et de 10 florins, qui sont celles que le gouvernement a retirées de la circulation en les remboursant en espèces d’argent florin pour florin, avaient été expressément émises par lui et par lui seul. Il s’était réservé le monopole de cette fabrication ; il était juste qu’il en supportât toutes les chances[11]. Le rôle du gouvernement français dans la fabrication des monnaies est tout autre, comme on l’a vu.
C’est bien ici le lieu de rappeler que le cas a été prévu dans quelques-uns des documens qui ont servi à préparer la loi du 7 germinal an XI, particulièrement dans le premier rapport de Gaudin aux consuls. Or sur le parti à prendre, sur la solution à donner au problème qui nous occupe en ce moment, celui de savoir qui doit supporter les frais de la refonte, Gaudin n’hésite pas ; il dit en toutes lettres : « La dépense sera à la charge des particuliers. » C’est un passage de son rapport que j’ai cité deux fois déjà dans la seconde partie de cette étude. Rien n’est venu infirmer les paroles de Gaudin dans le cours de la longue préparation qu’a reçue le projet de loi, et c’est là, si je ne me trompe, un argument de quelque poids. Il ne faudrait pas croire que, dans l’état présent des choses, la perte fût bien sensible pour la plupart des particuliers, même riches. À l’heure qu’il est, la dépréciation de l’or par rapport à l’argent est très petite, et par conséquent, pour une somme de 1,000 à 2,000 fr., qui est tout ce que peuvent avoir communément en monnaie d’or chez elles les personnes aisées, le dommage, en le supposant de 1 pour 100[12], serait de 10 ou 20 fr. ; qu’on le double si l’on veut, et il sera encore insignifiant par rapport à leur revenu. À celles qui se plaindraient, on serait en droit de répondre que le gouvernement ne leur impose aucun sacrifice, qu’il se borne à faire cesser une fiction et une confusion préjudiciables à l’intérêt public, et que, si elles se trouvent lésées, c’est à la nature des choses qu’elles ont à s’en prendre.
Mais encore un coup, quand bien même on croirait que c’est l’état qui doit supporter la diminution de valeur dont les pièces d’or sont présentement atteintes, ce ne serait pas une raison pour ne pas procéder au changement. D’impérieux motifs économiques et politiques commandent qu’on prenne un parti décisif. On se préparerait de grands regrets, si l’on tardait davantage. La dépense d’une refonte, faite même à la charge de l’état, n’est rien en comparaison des dommages auxquels on se condamnerait, si on ne se hâtait d’agir conformément aux principes et à la loi interprétée fidèlement. Néanmoins, quelque mauvaise chance qu’on ait dans notre pays lorsqu’on soutient l’intérêt public contre les intérêts privés, je ne puis m’empêcher de répéter qu’aux termes des documens qui fixent le sens de la loi ou comblent les lacunes du texte, l’état n’est tenu à aucune indemnité envers les détenteurs des pièces d’or.
Dans tous les cas, il est une mesure à laquelle les esprits les plus timorés ne pourront contester le caractère légal ni celui de l’opportunité : c’est de suspendre dès aujourd’hui le monnayage de l’or. Ce monnayage, poursuivi, comme il l’est, avec une ardeur fébrile par les commerçans en métaux précieux, devient un dommage public. Il ne sert pas à augmenter sensiblement la masse de monnaie dans le pays. Au surplus, on peut avoir le plus grand doute sur la convenance d’augmenter la masse de la monnaie en France[13]. Le monnayage effréné de l’or n’est rien de plus qu’un expédient au moyen duquel certaines personnes ravissent au pays, avec profit pour elles-mêmes, sa monnaie faite d’un métal à valeur fixe pour la remplacer par une autre dont la valeur est condamnée à décroître.
Si le législateur intervenait maintenant dans le sens que je prends la liberté de signaler, ce qui d’ailleurs me semble commandé par l’esprit de la législation existante, on est fondé à penser que tout se passerait sans secousses, et que l’instrument des échanges resterait dans les conditions d’abondance que réclame l’étendue accoutumée des transactions de toute espèce. Il y a encore en effet beaucoup de monnaie d’argent dans les départemens. Malgré la demande inusitée d’argent qui s’est déclarée depuis deux ans environ, à destination de l’Inde et de la Chine, la Belgique et la Hollande, qui n’ont plus de monnaie légale qu’en argent, n’ont aucunement éprouvé le manque de numéraire, et c’est une double expérience qui me paraît convaincante. Ensuite on ne doit pas perdre de vue qu’avec cette combinaison, que j’emprunte à la proposition du conseil des cinq cents, modifiée par la commission des anciens, l’or ne cesserait pas de circuler en France sur de grandes proportions, quand bien même on en restreindrait le cours légal entre les particuliers aux paiemens de 1,000 fr. et au-dessous. On ne voit aucune raison pour que, sous ce régime, bien moins absolu que celui qui a été adopté en Belgique et en Hollande, l’or se retirât de la circulation. Tout porte à croire au contraire qu’il y resterait dans la mesure où l’on en a besoin. En ce qui concerne les métaux précieux, la seule chose qui dès-lors serait interrompue, et elle le serait au grand avantage du public, c’est le courant, aujourd’hui violent, qui remplace dans la circulation de la France les espèces d’argent par les espèces d’or, en permettant aux marchands de métaux précieux de faire arriver chez nous des masses de lingots d’or et de les échanger avantageusement contre nos écus de 5 francs.
Quelques personnes ont proposé une solution très différente de celle sur laquelle j’ai cru devoir appeler ici l’attention. On retirerait à l’argent la qualité d’étalon pour la transporter à l’or. Il serait entendu que le franc, dépouillé désormais de toute liaison avec notre système métrique, se composerait d’environ 29 centigrammes d’or fin ou de 32 centigrammes et une fraction d’or au titre de neuf dixièmes. À l’égard de l’argent, il n’y aurait plus qu’une alternative entre les deux partis suivans : ou bien on le réduirait à la condition de billon, comme en Angleterre, ou bien on diminuerait la proportion de métal contenue dans la pièce qui jusqu’ici était le franc ; on y mettrait 4 grammes de fin, par exemple, au lieu de 4 grammes 1/2, sauf à faire plus tard une diminution nouvelle. Ces deux combinaisons se ressemblent beaucoup, et je ne les séparerai pas dans l’opinion que je crois pouvoir en exprimer. Avec l’une et l’autre, le franc cesserait d’être ce que la loi avait établi qu’il serait : Il grammes 1/2 d’argent de fin. On aura beau se retourner, on n’empêchera jamais qu’un acte de ce genre mérite le nom de faux monnayage. Quand Philippe le Bel diminuait la quantité d’argent renfermée dans les écus de son temps, il ne faisait rien qui fût plus grave ni plus caractérisé. Vainement dira-t-on que la loi, en donnant le nom de pièce de 20 francs à un certain poids d’or, a assimilé 29 centigrammes d’or au franc : à cette argumentation il y a une réponse péremptoire. La loi n’a pas dit que le franc fût 29 centigrammes d’or : elle a dit très expressément que le franc était 4 grammes 1/2 d’argent, et quand elle a assimilé 29 centigrammes d’or à 4 grammes 1/2 d’argent, c’est d’une manière provisoire, et ce provisoire devait cesser le jour où 29 centigrammes d’or cesseraient d’être effectivement l’équivalent de 4 grammes 1/2 d’argent. Quelque bonne volonté qu’on y mette, il est impossible d’admettre que le franc continue d’être 29 centigrammes d’or, dès qu’il y a un écart sérieux entre ce poids d’or et Il grammes 1/2 d’argent, à moins de biffer la disposition générale qui est en tête de la loi de l’an XI et de donner un démenti aux affirmations relatives à ce qu’on nomme un point fixe dans les premiers paragraphes de l’exposé des motifs, aux paroles de Gaudin, que le kilogramme d’argent[14] vaudra toujours 200 francs, et ne vaudra jamais ni plus ni moins, à celles du même ministre indiquant l’obligation où l’on serait de refondre les pièces d’or lorsque la valeur relative des deux métaux serait changée, à celles de Crétet sur la fixité de la valeur nominale de l’argent, à celles de Prieur, et à celles de Mirabeau, toutes aussi formelles dans le même sens[15].
On réplique, et l’on dit : Est-ce que le législateur de l’an XI n’a pas outre-passé ses pouvoirs ? De quel droit nous aurait-il enchaînés à l’étalon d’argent et aurait-il imposé à la France à tout jamais que le franc fût un poids de 5 grammes d’argent au titre de 9/10es, ou, ce qui revient au même, de 4 grammes 1/2 d’argent fin ? Ici il faut distinguer : si l’on veut dire qu’alors que les deux métaux présentaient la même fixité de valeur sans qu’il y eût aucun motif de croire à l’abaissement de l’un plutôt que de l’autre, il eût été légitime et parfaitement correct, au point de vue de la stricte probité, de changer d’étalon, et d’investir de cette dignité l’or au lieu de l’argent, on n’avancerait rien que de vrai. Seulement c’eût été changer pour le plaisir du changement même, car il n’est aucunement établi, dans l’esprit de ceux qui ont réfléchi sur ces matières, que d’une manière générale, par l’absence des caractères et des circonstances qui lui sont propres, l’or ait en somme plus de titres que l’argent à être revêtu des fonctions de l’étalon monétaire : je sais plus d’un bon juge qui pense tout le contraire. La question cependant est de celles qu’on peut regarder comme douteuses. Il eût été possible, en faisant ainsi émigrer l’unité monétaire de l’argent à l’or, de conserver le rapport établi entre cette unité et le système métrique : à cet effet, il eût suffi d’adopter pour unité monétaire le gramme d’or au titre de 9/10es, ou bien 5 grammes, ou encore 10 grammes. En ces termes et sous ces conditions, le changement d’étalon aurait pu se soutenir ; on fût resté dans l’esprit qui animait le législateur de l’an XI, continuateur des traditions les plus sensées et les plus honorables de la révolution française. On n’eût pas contrevenu aux engagemens de l’exposé des motifs de la loi de l’an XI, qui invoque la sécurité des transactions et la garantie des propriétés. Mais autre chose serait de changer d’étalon dans l’intention d’attribuer cette qualité à l’autre métal, précisément au moment même où il serait atteint dans sa valeur et lancé dans un mouvement de baisse. Une circonstance aggravante serait que le motif réel du changement consistât précisément dans cette baisse en perspective prochaine, et cela mériterait peut-être d’être qualifié autrement qu’avec des éloges.
Sans doute le législateur de l’an XI nous a liés, mais à quoi donc ? Quelle est la servitude qu’il nous a imposée, si ce n’est celle qu’acceptent tous les honnêtes gens, de payer, exactement leurs dettes, de remplir fidèlement leurs promesses ? Oui, le législateur de l’an XI a engagé ici notre liberté ; mais en cela il n’a point excédé ses pouvoirs. S’il a disposé de nous, c’est du même droit en vertu duquel il a fixé toutes les règles conservatrices de la propriété. Il a aussi disposé de nous et engagé notre liberté quand il a statué que l’état paierait exactement, à des échéances déterminées et sans déduction, l’intérêt de la dette publique, quand il a posé en principe que l’état ne pourrait s’emparer de la propriété d’un particulier autrement que sous le paiement d’une juste et préalable indemnité, quand il a écrit dans le code des moyens de coercition contre le débiteur qui, étant redevable de 100 francs, prétendrait s’acquitter avec 50 ou 75. Où a-t-on vu que ces liens établis par le législateur fussent des excès de pouvoir ? Des servitudes de ce genre sont de celles dont les peuples libres, au lieu de les répudier, s’honorent de porter le joug. C’est en vertu d’une servitude semblable qu’à l’heure qu’il est, et dans les circonstances présentes, le franc ne saurait être autre chose que 5 grammes d’argent au titre de 9/10es de fin. Dans la liberté prétendue qui serait le correctif de cette servitude, je ne puis voir ni plus ni moins que la liberté de la fausse monnaie et de la banqueroute.
Aux considérations qui précèdent, et qui me paraissent d’un poids plus que suffisant pour faire pencher la balance en faveur d’une intervention immédiate du législateur à l’effet de garantir l’étalon d’argent, qui est en péril, on pourrait en ajouter d’autres, de celles-là particulièrement qui sont exposées à paraître d’un ordre mineur à cette classe d’esprits qui se croient plus pratiques et plus sages que les autres, parce qu’ils prétendent faire de la politique sans jamais honorer d’un regard les grands principes et les grands sentimens. Au moment où nous sommes, on peut remarquer parmi les peuples civilisés un mouvement assez prononcé vers l’adoption d’un système uniforme de poids et de mesures, qui serait inévitablement notre système métrique. Ce mouvement s’accélère chaque jour ; un bon nombre d’états s’y sont ralliés officiellement dans les deux hémisphères, et l’idée fait son chemin à petit bruit, il est vrai, et à pas lents chez la plupart des plus grandes nations du monde, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis. On se souvient peut-être qu’à l’issue de l’exposition universelle de 1855, tous les commissaires et tous les jurés alors présens à Paris signèrent une déclaration qui appelait la haute attention des gouvernemens sur l’utilité et la convenance morale d’une convention générale pour cet objet. Je suis de ceux qui pensent que des innovations de cet ordre, en admettant qu’elles ne se résolvent pas directement en un profit mesurable en sous et deniers, n’en ont pas moins une grande importance. Il me semble aussi que la France serait le dernier peuple duquel on devrait attendre des actes de nature à affaiblir ou à contrarier cette manifestation du sentiment noble et fécond qui porte les peuples civilisés à se rapprocher par une étreinte majestueuse. S’il en est ainsi, il n’est pas superflu de faire remarquer que si nous quittions l’étalon d’argent pour y substituer celui d’or, suivant le procédé recommandé par quelques personnes, — qui consisterait à statuer que désormais l’unité monétaire serait la vingtième partie de la pièce d’or de 20 francs, — nous ferions une brèche au système métrique, nous détruirions le prestige dont il jouit parmi les peuples civilisés, de façon à en rendre bien difficile l’adoption universelle, qui autrement serait fort probable. En effet, le franc, tel qu’il est aujourd’hui, fait partie intégrante du système métrique. Jusques et y compris l’an XI, le législateur de la France régénérée en 1789 a attaché le plus grand prix à ce qu’il en fût ainsi[16], et sa volonté jusqu’à ce jour a été religieusement respectée. Or le franc n’aurait plus sa place dans le système métrique, s’il était entendu désormais que l’unité monétaire est le franc tel qu’il existe dans la pièce d’or de 20 francs[17].
Je terminerai par une réflexion. Il y a deux manières d’enfreindre les prescriptions du législateur de l’an XI et d’attirer sur la société française les souffrances, les angoisses, les agitations peut-être, dont nous avons faiblement esquissé la perspective dans la première partie de cette étude ; c’est dire aussi qu’il y a deux manières d’exposer l’état à des accusations blessantes qu’il ne lui serait pas aisé de repousser. La première, plus franche ou plus audacieuse, serait d’apporter demain au corps législatif un projet de loi portant que désormais l’argent est déchu du rôle que lui avait attribué le législateur de l’an XI, en cela fidèle interprète de toutes les assemblées nationales qui s’étaient succédé depuis 1789, et que l’or à l’avenir sera le métal étalon dans les conditions de poids que je viens de rappeler. L’autre, plus timide, consisterait à rester les bras croisés et à laisser les choses suivre indéfiniment le cours qu’elles ont pris d’elles-mêmes. Dès-lors notre monnaie d’argent continuerait de sortir de France jusqu’à la dernière pièce de 5 francs : d’après les renseignemens rapportés au début de cet essai et d’après les tableaux qui sont consignés chaque mois dans le Moniteur, ce mouvement d’exportation acquiert tous les jours des allures plus effrayantes. Pour retenir même les menues pièces d’argent, on serait obligé de les réduire à l’état de billon, en retirant une partie du métal fin qu’elles contiennent. La démonétisation de l’argent serait alors un fait accompli. J’avoue qu’à quelque point de vue que je me place, à celui des intérêts ou à celui de l’équité ou de l’honneur, je ne puis mettre une grande différence entre l’un ou l’autre de ces deux procédés : les effets en seraient les mêmes, et je les crois également funestes et condamnables. Un jour l’histoire, quand elle ferait tenir son burin à des juges sévères défenseurs des principes, tels que fut Tacite pour son temps, n’aurait, pour caractériser l’un aussi bien que l’autre, que de rigoureuses qualifications. Dans beaucoup de cas en effet, l’omission est tout aussi coupable que l’action. Cela est vrai surtout par rapport à celle des forces sociales dont la destination particulière est de se montrer et d’agir.
MICHEL CHEVALIER.
- ↑ Voyez la livraison du 15 octobre dernier, et pour la première partie, celle du 1er octobre.
- ↑ Au 1er janvier 1857, le capital de la dette inscrite était de 8,031,99,446 fr 66 c. La caisse d’amortissement possédait 25,462,159 fr. de rente, ce qui correspond à peu près à 750 millions de capital. Le nombre des inscriptions sur le grand-livre était de 1,028,284 fr. Le montant des arrérages, y compris ce qui revenait à la caisse d’amortissement était de 299,099,242 fr.
- ↑ On the precious Metals, deuxième volume, chapitre XX.
- ↑ Lettre au chancelier de l’échiquier sur la détermination que viennent de prendre les états allemands d’adopter l’étalon d’argent, et sur quelques circonstances qui rendent une mesure invariable de la valeur plus importante pour l’Angleterre que pour tout autre pays.
- ↑ On the precious Metals, tome II, page 103.
- ↑ Au titre de neuf dixième de fin.
- ↑ Ces considérations sont au nombre de celles qu’a présentées avec une grande force M. James Maclaren dans l’écrit que j’ai déjà cité
- ↑ Les frais seraient au plus de 6 francs par kilogramme d'or monnayé, faisant aujourd'hui 3,100 francs. Pour 325,000 kilogrammes d'or, qui feraient plus de 1,000,000 plus tard ce serait 1,950,000 francs.
- ↑ Il est curieux qu’il s’en soit présenté moins du tiers au remboursement, exactement 49,790,970 florins
- ↑ La rédaction de la loi des Pays-Bas du 28 septembre 1816 ne tranche pas nettement la question du double ou du simple étalon ; la question n’y est pas posée, mais elle est implicitement résolue dans le sens de l’affirmative par l’ensemble des dispositions de la loi. Si l’on n’avait voulu avoir qu’un étalon, ce qui était une innovation par rapport aux anciens usages qu’on faisait revivre, l’exposé des motifs l’eût fait connaître, et il n’en est rien dit absolument, ni dans ce document, ni dans les considérans placés en tête de la loi. Au surplus, le législateur néerlandais lui-même a toujours pensé que le pays était sous le régime du double étalon. Le texte de plusieurs lois en fait foi. On peut voir par exemple le considérant de la loi du 26 novembre 1847.
- ↑ L’article 11 de la loi fondamentale des monnaies du royaume des Pays-Bas du 28 septembre 1816 est ainsi conçu : « Les monnaies à l’usage du commerce ne seront fabriquées que pour le comte des particuliers. Les pèces de 1 florin et de 3 florins pourront aussi être fabriquées pour le compte des particuliers ; mais les pièces d’or de 10 florins, les pièces sous-multiples du florin et les pièces de cuivre ne pourront absolument point être fabriquées pour le compte des particuliers, et ne pourront absolument point être fabriquées pour le compte des particuliers et ne pourront l’être que pour le compte et par l’ordre du gouvernement. » Postérieurement, on a décidé la fabrication des pièces d’or de 5 florins, soumises exactement au même régime que celles de 10.
- ↑ En Belgique, où, en vertu de la législation nouvelle sur les monnaies, le phénomène des variations de valeur entre les deux métaux est plus apparent que chez nous, les pièces de 20 francs perdaient à la date des derniers renseignemens que j’ai eus (fin septembre) de 1/2 à 3/4 pour 100 dans les transactions de quelque importance ; on les acceptait au pair dans les hôtels et dans les grands magasins. Depuis les arrivages de la Californie et de l’Australie, l’or n’a jamais perdu en Belgique plus de 1 et 1/2 pour 100. Il est à croire cependant que, si la France déclarait abrogé chez elle le rapport légal de 1 à 151/2 entre les deux métaux précieux, la baisse de l’or se prononcerait davantage, parce que la France remplit, à ses dépens aujourd’hui, le rôle de parachute pour l’or. Tant qu’elle offrira aux commerçans en métaux précieux un marché où il leur soit possible de troquer leur or contre de l’argent sur le pied de 1 contre 15 1/2, la valeur de l’or relativement à l’argent ne pourra, en Europe, s’écarter beaucoup de ce rapport. L’écart ne deviendra plus marqué qu’au moment où la France sera épuisée de pièces d’argent, à moins qu’avant ce temps elle ne renonce à cette fixation.
- ↑ C’est un sujet sur lequel la première partie de cet essai présente quelque développement.
- ↑ Au titre de 9/10es de fin.
- ↑ Pour tous ces textes, et pour divers autres qui ne sont pas moins significatifs, je renvoie à la discussion qui fait le fond de la seconde partie.
- ↑ On a insisté sur ce point dans la seconde partie de cet essai. Voyez la Revue du 15 octobre.
- ↑ Au lieu de peser juste 5 grammes, le franc aurait un poids représenté par un nombre fractionnaire indéfini (0 gramme 32258, etc.).