De l’alliance anglo-française et de l’ouverture du parlement
La question égyptienne paraît provisoirement résolue, et pour quelque temps peut-être, Méhémet-Ali et son fils Ibrahim vont tomber dans l’oubli. Mais, dans son court passage, cette question a profondément modifié l’état de l’Europe, et créé pour toutes les puissances, pour la France et pour l’Angleterre principalement, une situation toute nouvelle. C’est cette situation que je me propose d’examiner, du moins en ce qui concerne ces deux derniers pays. Quelles ont été, depuis 1830 jusqu’au 15 juillet, les diverses phases de l’alliance anglo-française ? Comment les partis, en Angleterre, ont-ils compris et accueilli le traité qui brisait cette alliance ? Quelles sont les causes véritables de ce traité, et quel est son but réel ? Quelle valeur et quelle portée enfin faut-il attribuer aux politesses que, dans la discussion de l’adresse, on a faites à la France ? Ces divers points, quelque épuisé que soit le débat, ont, ce me semble, quelque importance et méritent d’être éclaircis. Vient ensuite la question capitale, celle de savoir si la France peut et doit ne tenir aucun compte de ce qui s’est passé, et rentrer purement et simplement dans l’alliance. Sur tout cela, je dirai ce que je sais et ce que je pense aussi froidement qu’il me sera possible. Ce ne sont point ici, en effet, des questions de parti, et, défenseurs ou adversaires de la politique du 1er mars, nous avons tous un égal intérêt à savoir pourquoi l’Angleterre s’est séparée de la France, et quelles doivent être dans l’avenir les conséquences de cette séparation ?
Je vais d’abord, pour bien fixer la nature et le caractère véritable de l’alliance avant le traité, raconter brièvement certains faits dont plusieurs ne sont pas exactement connus, ou convenablement appréciés.
On sait que pendant les dernières années de la restauration, il existait entre la France et l’Angleterre quelque refroidissement. Par la guerre d’Espagne, la France, en 1824, avait uni sa politique à celle des puissances continentales, et s’était placée à l’avant-garde de la sainte-alliance. Par l’expédition de Portugal, l’Angleterre, en 1826, avait pris sa revanche, et déployé le drapeau constitutionnel en face du drapeau absolutiste. De plus, certaines négociations s’étaient engagées dont le résultat pouvait être de lier étroitement la Russie à la France, et de constituer ainsi une alliance qui eût tenu l’Angleterre en échec. Quand éclata la révolution de juillet, le duc de Wellington, alors premier ministre, vit donc ce grand événement sans beaucoup de chagrin, et n’hésita pas, malgré ses répugnances politiques, à reconnaître le nouveau gouvernement. Mais si, dans cette conduite de l’aristocratie anglaise, il y avait plus d’intérêt bien entendu que d’entraînement vers la France, il en fut autrement au sein des classes moyennes et inférieures. Là se manifesta en faveur de notre glorieuse révolution le mouvement le plus passionné et le plus vif enthousiasme. Pendant quelque temps, l’admiration pour la France fut à l’ordre du jour dans toutes les réunions publiques, à huis clos ou à portes ouvertes, à couvert ou en plein air. Dans quelques processions, on alla jusqu’à porter les couleurs de la France nouvelle à côté de celles de la vieille Angleterre, rapprochant ainsi, par une image visible, deux peuples si long-temps séparés. On eût dit qu’en un jour venaient de s’effacer les souvenirs et les haines, et qu’à la rivalité jalouse de tant de siècles succédaient définitivement la bienveillance la plus sincère et la plus confiante amitié.
Ce fut dans de telles circonstances que le parti whig s’empara du pouvoir et que lord Grey remplaça le duc de Wellington ; or, par ses antécédens, par ses principes, le parti whig était l’ami naturel de la France libérale, et pour nouer une alliance solide, il suffisait que lord Grey ne démentît pas les hommes d’état illustres dont il s’honorait, à juste titre, d’avoir été le confident et le collègue. Lord Grey d’abord fut fidèle à son origine, et, lors de la première expédition française en Belgique, fit tête avec beaucoup de fermeté aux clameurs qui, partant de plusieurs points du royaume, et surtout de la Cité, accusaient le ministère anglais de livrer Bruxelles et Anvers à l’ambition de la France. Quand, quinze mois plus tard, le ministère du 11 octobre résolut le siége d’Anvers, lord Grey montra un peu plus d’incertitude, et ce ne fut pas sans quelques efforts qu’on obtint son adhésion. Elle vint pourtant, mais après que l’ordre d’entrer en campagne avait été déjà donné par le cabinet. Parmi les actes de la politique française depuis 1830, c’est assurément un de ceux qui font le plus d’honneur au gouvernement, et qui tranchent le plus vivement avec ce que nous avons vu depuis.
Bien qu’un peu tardive, l’accession de l’Angleterre au siége d’Anvers était un fait important et qui marque, à vrai dire, le point culminant de l’alliance anglo-française. Dans cette occasion en effet, la France et l’Angleterre, liées par une convention séparée, agissaient ensemble contre le vœu bien connu des autres puissances, et soutenaient en commun la cause libérale et révolutionnaire contre la cause absolutiste. C’était un premier pas qui fut bientôt suivi d’un second, mais non sans quelque peine. Le roi d’Espagne était mort laissant un royaume partagé et une succession disputée ; or, des cinq puissances européennes, la France et l’Angleterre seules avaient, dès le début, reconnu la jeune reine. Là donc se trouvait encore une occasion naturelle de resserrer l’alliance et de la rendre efficace et sérieuse. On croit généralement que l’Angleterre s’y prêta tout d’abord, et que les difficultés, s’il y en eut, vinrent surtout de la France. C’est une grave erreur, et voici au contraire ce qui se passa. Au commencement de 1834, on s’en souvient, don Carlos et don Miguel réunis menaçaient à la fois les deux trônes constitutionnels d’Espagne et de Portugal. Pour mettre fin à cette situation qui, en Portugal surtout, compromettait gravement ses intérêts, l’Angleterre entama, par l’intermédiaire de M. de Miraflores, une négociation secrète avec l’Espagne et le Portugal, négociation qui devait unir les trois pays, sans qu’il fût question de la France. En conséquence, un traité fut signé et communiqué à M. de Talleyrand, non pour que la France en devînt partie, mais pour qu’elle y donnât son adhésion. Une pareille proposition, on le pense bien, ne pouvait convenir ni à M. de Talleyrand ni au cabinet français, qui, avec beaucoup de peine et après quelques tentatives infructueuses, obtinrent que la convention fût refaite, et qu’elle reçût la forme qu’on connaît. C’est ainsi que prit naissance le traité dit de la quadruple alliance, traité qui, bien que spécial et limité, semblait opposer l’union des quatre états constitutionnels de l’Occident à l’union des trois puissances absolutistes du Nord. L’alliance anglaise était alors dans toute sa force et brillait de tout son éclat.
Malheureusement il survint bientôt des questions qui l’altérèrent sensiblement, et qui en marquèrent le déclin. Mais avant d’en venir à ces questions, il est certains détails personnels qu’il est bon de connaître, parce qu’ils exercèrent une influence notable sur les évènemens qui suivirent. Je veux parler de la fameuse querelle de lord Palmerston avec M. de Talleyrand.
Il y a une école historique qui, systématiquement, s’efforce d’attribuer à de petites causes tous les grands effets. Il y en a une autre qui, non moins systématiquement, ne veut reconnaître que les causes générales, et qui subordonne à une loi fatale et nécessaire tous les évènemens de ce monde. De ces deux écoles, aucune n’a absolument raison, et la vérité est au milieu. Ainsi, il est possible que, dans tous les cas, l’alliance anglaise fût destinée à périr ; mais il est certain que la brouille survenue entre M. de Talleyrand et lord Palmerston prépara la ruine de cette alliance et la précipita. Le cabinet de la réforme, on le comprend, jouissait de peu de faveur auprès des trois grandes cours du Nord et de leurs représentans ; mais, dans ce cabinet, l’objet particulier de leur antipathie était lord Palmerston. Soit que dans lord Palmerston, ancien tory, les ambassadeurs du Nord vissent un renégat, plus odieux à ce titre que ses collègues, soit que, comme ministre des affaires étrangères, ils eussent avec lui plus de points de contact et de sujets de querelle, il était de notoriété publique que contre lui principalement se dirigeaient toutes leurs attaques et toutes leurs menées. À les entendre, lord Palmerston était un brouillon, un révolutionnaire qui, dans un pur intérêt de vanité, eût volontiers mis le feu à l’Europe et jeté les peuples dans l’anarchie et la guerre. Il importait de délivrer promptement l’Angleterre et le monde d’un homme si dangereux. La diplomatie du Nord, on le voit, ne s’est pas mise en frais d’imagination dans la guerre qu’elle a faite dernièrement à un autre ministre des affaires étrangères ; il lui a suffi de répéter, contre M. Thiers, tout ce qu’elle disait en 1833 contre lord Palmerston. Quoi qu’il en soit, quand les puissances absolutistes, si peu bienveillantes pour la France de 1830, attaquaient avec cette violence et par de tels motifs le ministre whig, il semble que ce ministre dût au moins trouver chez l’ambassadeur de France bonne volonté et appui. Il n’en fut rien. Presque dès son arrivée, M. de Talleyrand avait jugé convenable de manifester à la fois, pour le gouvernement qui l’accréditait et pour le ministère auprès duquel il était accrédité, beaucoup d’indifférence et même de dédain. Vivant au milieu des tories, il parlait leur langage, flattait leurs passions, encourageait leurs intrigues. Selon lui, les whigs, par tous pays, étaient un parti bâtard, sans principes, sans consistance et sans avenir. Quant à lord Palmerston personnellement, il le traitait avec une légèreté et une hauteur qui devaient le blesser au cœur. La conséquence, c’est qu’un jour lord Palmerston irrité se vengea de M. de Talleyrand en le faisant attendre deux heures dans son antichambre. À dater de ce moment, M. de Talleyrand jura la perte de lord Palmerston, et s’unit fort étroitement, pour y parvenir, aux ambassadeurs d’Autriche, de Prusse et de Russie. Ceux-ci, ravis d’un tel renfort, trouvèrent fort piquant de prendre fait et cause pour M. de Talleyrand, et de s’abriter, pour diriger leurs batteries contre le ministre révolutionnaire, derrière l’ambassadeur de la révolution.
Les choses en étaient là quand, en 1834, après la retraite de lord Grey, le parti ultra-tory, secondé par la reine, poussa le faible roi Guillaume à congédier brusquement lord Melbourne et à appeler sir Robert Peel. On sait la part que prit le corps diplomatique à cette tentative malheureuse ; mais on ne sait pas assez que, dans une si grave circonstance, les whigs n’eurent point d’adversaire plus prononcé que l’ambassadeur de France. Quand il vit que les whigs allaient revenir au pouvoir de vive force, et que lord Palmerston, malgré l’Europe entière, malgré le roi, malgré la chambre des pairs, ne pouvait manquer de reprendre le portefeuille des affaires étrangères, M. de Talleyrand sentit que sa situation à Londres n’était plus tenable, et donna sa démission. Il ne fallut rien moins ensuite que l’habileté bien connue de son successeur, le général, aujourd’hui maréchal Sébastiani, pour réparer un peu la brèche et pour rétablir des rapports convenables avec lord Palmerston et le cabinet whig.
Encore une fois je ne veux pas attribuer à la querelle de M. de Talleyrand et de lord Palmerston une importance démesurée. J’ai pourtant lieu de croire qu’elle contribua à rendre les sentimens moins bienveillans, les relations plus difficiles. J’ajoute que la lettre par laquelle M. de Talleyrand, en se retirant, semble faire remonter jusqu’à la couronne elle-même la responsabilité de sa conduite, fut loin d’apaiser les ressentimens que cette conduite avait excités, et de rétablir la bonne harmonie entre la France et le ministère whig.
Je viens maintenant aux questions dont j’ai parlé, et sur lesquelles la France et l’Angleterre ne purent parvenir à s’entendre. La première est la question grecque, dont jamais on n’a beaucoup parlé, mais qui donna lieu à une dissidence profonde entre les deux cabinets.
Depuis la fondation de l’état grec, cet état, on le sait, était de fait sous le protectorat collectif de la France, de l’Angleterre et de la Russie, qui plus tard, en 1832, convinrent par un traité de venir efficacement à son aide, et de garantir l’emprunt qu’il désirait contracter. Cette garantie impliquait naturellement pour chacune des trois puissances le droit de se mêler jusqu’à un certain point des affaires de la Grèce et de veiller à ce que ses ressources ne fussent point gaspillées. Or, sur ce terrain, il fut constamment impossible à la France et à l’Angleterre de se mettre d’accord. La France, fidèle à son principe de constituer dans la Méditerranée de véritables nations, demandait que le roi Othon consacrât sa nationalité nouvelle en renvoyant les Bavarois qui l’entouraient, et en donnant au peuple qu’il était appelé à gouverner, non certes une constitution comme la nôtre, mais des institutions raisonnables et assorties aux mœurs et aux habitudes du pays. L’Angleterre, fidèle à son habitude de domination exclusive, contrariait ouvertement les desseins de la France, et soutenait de toute son influence M. d’Armansperg, dont elle avait su faire un instrument. La querelle alla si loin, qu’au commencement de 1835, je crois, lord Palmerston trouva bon de dénoncer à la cour de Vienne M. le duc de Broglie, alors ministre des affaires étrangères en France, comme un révolutionnaire, et presque comme un jacobin. Selon lui, donner à la Grèce des institutions, même mitigées était un acte de folie, si ce n’est quelque chose de pis. Ce qu’il fallait à ce pays, c’était le despotisme pur et simple.
Grace à l’appui de la Russie et de l’Autriche, lord Palmerston l’emporta ; mais quelque temps après, M. d’Armansperg tomba et avec lui l’influence prépondérante de l’Angleterre. Sait-on alors ce que fit le cabinet whig ? Changeant subitement de principe et de langage, il devint l’allié non du parti constitutionnel modéré, mais du parti révolutionnaire. Dès-lors des institutions mesurées, raisonnables, graduelles, ne suffirent plus, et la Grèce fut excitée à se donner sur-le-champ une constitution radicale et telle que le pays ne pouvait la supporter. L’influence qu’elle avait demandée au despotisme, l’Angleterre en un mot la demanda à l’anarchie, et trouva fort mauvais que la France ne la suivît pas sur ce nouveau terrain.
On comprend facilement que, d’une divergence si complète et si prolongée, il naquit à Athènes, entre les ministres de France et d’Angleterre, à Paris et à Londres, entre les deux gouvernemens, de vives et quelquefois d’amères discussions. Comment s’accorder d’ailleurs quand le point de départ et le but sont si fort éloignés l’un de l’autre ? Ce que voulait la France, comme elle l’a voulu depuis en Égypte, c’est créer une puissance indépendante, vivant de sa propre vie, capable de choisir ses alliances et de compter dans le monde. Ce que voulait l’Angleterre, comme elle le veut aujourd’hui en Égypte, c’est abaisser toute puissance qui s’élève, affaiblir tout état qui se fortifie, et tenir, à tout prix et par tous les moyens, les gouvernemens et les peuples sous sa main.
Pendant que l’affaire de Grèce aigrissait ainsi les esprits et préparait obscurément la rupture de l’alliance, une autre affaire, celle de l’Espagne, vint porter un coup bien plus rude aux bonnes relations des deux pays. Pour apprécier sainement la conduite de l’Angleterre en cette occasion, il convient de remonter assez haut.
J’ai dit qu’au début l’Angleterre n’avait vu qu’avec répugnance et jalousie la France entrer dans le quadruple traité, et devenir, au même titre qu’elle, protectrice des gouvernemens de Portugal et d’Espagne. En Portugal, il est vrai, l’influence de la France était presque nulle à côté de la sienne ; mais en Espagne, le parti modéré qui gouvernait en 1834 et au commencement de 1835, paraissait s’appuyer sur la France plus que sur l’Angleterre. Quand donc, en 1835, MM. Martinez de la Rosa et de Toreno demandèrent l’intervention, l’Angleterre, consultée par le ministère du 11 octobre, s’y refusa tout net. Ce n’est pas tout. Quelque temps après, le ministère du 11 octobre, préoccupé de l’état de l’Espagne et convaincu, comme l’expérience l’a prouvé depuis, que les provinces basques se battaient pour leurs fueros plutôt que pour don Carlos, revint à la charge et proposa à l’Angleterre, non plus une intervention, mais une médiation armée entre les parties belligérantes. Or, cette médiation, à laquelle l’Espagne avait donné son assentiment, fut encore refusée. Ainsi, qu’on le remarque bien, deux refus successifs de la part de l’Angleterre, deux refus pendant que le parti modéré gouvernait l’Espagne et que la France y avait quelque influence.
Plus tard, à la vérité, en 1836, l’Angleterre se ravisa, et ce fut elle-même qui insista pour l’intervention. Mais les circonstances étaient changées. De 1834 à 1836, les puissances du Nord, que l’alliance anglo-française gênait et inquiétait avaient fait à Paris de grands efforts pour démontrer que cette alliance était funeste, et que la France, si elle voulait y moins tenir, trouverait ailleurs de larges compensations. Placé entre les flatteries intéressées des cabinets du Nord et les exigences un peu capricieuses du cabinet anglais, le cabinet des Tuileries se trouva donc dans la nécessité de faire un choix, et de se prononcer pour l’action avec lord Palmerston, ou pour la temporisation avec M. de Metternich. Ce fut, on le sait, M. de Metternich qui l’emporta, et lord Palmerston resta seul contre tous. Il est inutile de dire que son irritation contre le cabinet des Tuileries s’en accrut considérablement.
De ce jour à l’avènement du 12 mai, c’est-à-dire pendant toute la durée du 6 septembre et du 15 avril, il n’y eut entre la France et l’Angleterre que froideur et aigreur. L’alliance, sans doute, n’était pas officiellement rompue, et chaque année les discours du trône y faisaient allusion ; mais c’était une alliance dénuée de toute bienveillance et de toute cordialité. Sans parler des incidens secondaires qui sur plusieurs points du globe firent éclater entre les deux peuples de vives jalousies et des rivalités acharnées, on eut, dans l’affaire belge, où l’Angleterre n’hésita pas une minute à se séparer de la France, une preuve éclatante de cette disposition. Dès cette époque d’ailleurs, les cours du Nord, satisfaites d’avoir à demi brouillé la France et l’Angleterre, commençaient à s’adoucir singulièrement pour le cabinet whig et même pour son ministre des affaires étrangères. M. de Metternich, deux ans auparavant, l’antagoniste le plus décidé de ce ministre, reconnaissait qu’après tout lord Palmerston avait du bon, et qu’il gagnait à être connu. Il travaillait donc activement et fructueusement à renouer les vieilles relations politiques et commerciales de l’Angleterre et de l’Autriche. Ainsi, tandis que le cabinet des Tuileries se croyait recherché par tout le monde et maître de choisir ses alliés à son gré, le cercle allait chaque jour se rétrécissant, et l’isolement se préparait. On ne comprendrait pas ce qui s’est passé dernièrement si l’on n’avait sans cesse sous les yeux ce double travail des cours du Nord, d’une part pour séparer le cabinet des Tuileries du cabinet whig, de l’autre pour se rapprocher elles-mêmes de ce dernier cabinet.
Cependant il y a lieu de penser qu’après la victoire de la coalition et quand le 12 mai arriva aux affaires, il existait une belle chance d’effacer entre la France et l’Angleterre tous les ressentimens des dernières années, et de renouer solidement l’alliance. Le cabinet anglais était alors fort préoccupé de la question d’Orient, et la Russie l’inquiétait. Dans un pays libre, d’ailleurs, l’opinion publique pèse toujours plus ou moins sur le gouvernement. Or, l’opinion publique, qui se souciait peu des irritations personnelles de lord Palmerston, n’avait pas aperçu, du moins dans toute son étendue, la brèche faite à l’alliance, et restait aussi favorable à la France que contraire à la Russie. C’est sous l’impression de ces sentimens et de ces inquiétudes que le cabinet anglais manifesta le désir d’un accord intime entre la France et l’Angleterre dans la question d’Orient, et d’une action commune. Mais le cabinet du 12 mai préféra poursuivre le concert européen, et les ouvertures de l’Angleterre n’eurent aucune suite. Il y a lieu de croire que ce fut là le dernier coup porté à l’alliance, et que lord Palmerston, dont les rancunes n’étaient point éteintes, tira grand parti de cet incident. « L’alliance de la France, ne cessa-t-il de répéter dès-lors, est sans doute fort précieuse ; mais qu’est-ce qu’une alliance qui n’agit jamais ? La France, si elle le veut, est maîtresse de temporiser toujours et de regarder faire tout le monde, plutôt que de risquer une rupture avec personne ; mais une telle politique ne saurait convenir à l’Angleterre. De tout temps, l’Angleterre a eu l’habitude de mettre la main partout et de se mêler de tout ce qui se passe. Elle ne renoncera pas à cette habitude pour plaire à son alliée. » Quand, profitant habilement de cette disposition, la Russie offrit à lord Palmerston d’oublier les anciennes querelles et de s’entendre, la Russie trouva donc lord Palmerston tout prêt à l’accueillir.
Je n’ai pas besoin de rappeler jusqu’où les choses avaient été poussées lorsque M. Thiers devint premier ministre. Déjà toutes les bases de l’arrangement étaient posées, et il ne manquait plus, pour compléter l’œuvre, que l’accomplissement de quelques formalités. Personne pourtant, s’il eût été temps encore, n’était mieux placé que M. Thiers pour renouer l’alliance. En 1836, M. Thiers avait soutenu, dans le cabinet français, la même politique que lord Palmerston, et il s’était retiré plutôt que de renoncer à cette politique. En 1838 et 1839, il avait placé au nombre de ses principaux griefs contre le 15 avril le relâchement des bons rapports entre la France et l’Angleterre. En 1840, enfin, il venait de prononcer un discours qui lui avait attiré le reproche de vouloir sacrifier à l’alliance anglaise les grands intérêts nationaux. Aussi l’avénement de M. Thiers fut-il accueilli à Londres avec beaucoup de satisfaction ; mais, soit que les choses parussent trop avancées, soit qu’on eût pris son parti d’agir, pour cette fois, sans la France, on n’offrit à M. Thiers rien de plus qu’à ses prédécesseurs. Il se trouva donc dans l’alternative ou de laisser périr une alliance qui lui était chère, ou de sacrifier à cette alliance la politique constante et les intérêts indubitables du pays. On sait quel fut son choix. Pour moi, malgré tout ce qui s’est passé, je l’en loue hautement, et j’ajoute que ceux qui le lui reprochent demanderaient aujourd’hui, s’il en eût fait un contraire, sa mise en accusation.
Dans ce court résumé, j’ai tâché d’être juste et de ne pas grossir les torts de nos adversaires en dissimulant les nôtres. En y regardant de près, il est pourtant aisé d’apercevoir que si, pendant que l’alliance a duré, la France s’est plus d’une fois montrée inerte, irrésolue, malhabile, l’Angleterre est loin d’avoir mis dans sa politique toute la netteté, toute la droiture qu’on devait attendre d’elle. Il est aisé d’apercevoir aussi que les ressentimens personnels de lord Palmerston ont beaucoup influé sur sa conduite publique, et que, depuis plusieurs années, il était l’ennemi de la France ou du moins de son gouvernement. De l’hostilité cachée à l’hostilité ouverte et d’une brouille à une rupture il y a pourtant loin, et l’on ne peut douter qu’avant de faire le dernier pas, le cabinet anglais n’ait long-temps hésité. Pour lord Palmerston, ancien tory et ministre de cinq ou six cabinets divers, c’était peu de chose que de rompre l’alliance française et que de revenir à l’alliance des puissances absolutistes du continent. C’était beaucoup pour lord Melbourne, pour lord Clarendon, pour lord Landsdowne, pour lord Holland surtout, neveu de Fox et ami constant de la France. Aussi lord Palmerston rencontra-t-il de la part des hommes d’état que je viens de nommer une vive opposition ; mais, à force de répéter qu’il connaissait par expérience le gouvernement français, et que tout se bornerait de sa part à quelques vaines protestations, il eut l’art de gagner à sa cause lord John Russell, l’homme principal du cabinet. Au moment décisif, enfin, il employa le dernier des argumens, celui de sa démission. Or, la démission de lord Palmerston entraînait avec elle celle de lord John Russell et la chute du cabinet.
Voyons maintenant, une fois le traité signé, quel effet il produisit sur les divers partis, et quelle fut, depuis ce moment jusqu’à l’époque actuelle, la marche de l’esprit public. C’est une étude curieuse et qui porte avec elle d’utiles enseignemens.
Ainsi que je l’ai dit, l’alliance française avait acquis en Angleterre, depuis dix ans, une espèce de popularité. Les radicaux, par sympathie politique et par amour de la paix, s’y montraient sincèrement et fortement attachés ; les whigs en faisaient un article essentiel de leur programme. Les tories modérés l’acceptaient comme un moyen d’affermir l’équilibre européen. Les ultra-tories seuls, ceux dont lord Londonderry est le représentant dans la chambre des lords, et sir Robert Inglis dans la chambre des communes, conservaient contre la France toutes leurs vieilles haines et tous leurs vieux préjugés. Les progrès et les empiétemens de la puissance russe, voilà d’ailleurs ce qui troublait, ce qui agitait le pays, et l’on sentait parfaitement combien, dans le cas d’une lutte avec cette puissance, l’amitié de la France avait de prix. Quand un matin, par une indiscrétion du Morning-Herald, on apprit la conclusion du quadruple traité, il y eut donc, même avant de savoir ce qu’on dirait à Paris, étonnement général et stupeur universelle. Cette impression devint bien plus vive encore au moment où les lettrés et les journaux de France firent connaître la juste irritation qui se manifestait dans toutes les opinions, dans tous les partis, dans toutes les situations. Aussi deux jours avant la clôture de la session, le 6 août, lord Palmerston se crut-il obligé de rassurer l’opinion, et de promettre tout haut, comme il l’avait fait tout bas, la résignation, si ce n’est l’adhésion de la France. Il accompagna cette déclaration d’un récit des faits inexact et de quelques politesses destinées à faire passer tout le reste. Mais la France n’en était pas encore venue au point d’accepter avec joie et presque avec reconnaissance de vaines protestations et de doucereuses paroles. Le mouvement continua donc, et l’Angleterre put croire que lord Palmerston s’était trompé, et qu’il s’agissait de toute autre chose en France que d’un dépit bruyant et passager.
À partir de ce moment, il faut, en Angleterre comme en France, distinguer deux périodes fort différentes, avant et après la prise de Beyrouth. Voici quelle fut avant la prise de Beyrouth l’attitude des partis.
Pour les tories, il faut l’avouer, la situation ne laissait pas d’être embarrassante. Bien que les plus modérés d’entre eux, le duc de Wellington et sir Robert Peel en tête, se fussent rattachés à l’alliance française, cette alliance n’était pourtant pas celle vers laquelle les portaient naturellement leurs principes et leurs antécédens. Les tories ardens, en félicitant bruyamment lord Palmerston sur son retour à la vieille et bonne politique, gênaient d’ailleurs le parti tout entier, et lui imposaient une certaine retenue. Dans cette situation, les chefs des tories modérés résolurent de laisser marcher les évènemens, se réservant, selon qu’ils tourneraient bien ou mal, d’approuver ou de blâmer. Abandonnés à eux-mêmes et privés de toute direction, les journaux tories de toute nuance donnèrent alors le spectacle de la plus étrange confusion. De ces journaux, il y en eut deux qui restèrent, l’un, le Morning-Herald, systématiquement contraire, l’autre, le Standard, systématiquement favorable à la politique de lord Palmerston. Quant au Morning-Post, au Courrier, au Times surtout, le plus important d’entre eux, ils ne cessèrent de voyager avec une incroyable rapidité d’un point de vue au point de vue tout opposé. Un jour lord Palmerston avait parfaitement raison, et le traité, en droit comme en fait, était inattaquable. Le lendemain lord Palmerston compromettait la paix du monde pour un intérêt chimérique, et méritait presque d’être mis en accusation. Les vives réclamations de la France passaient aussi tantôt pour justes et raisonnables, tantôt pour insensées et absurdes. Et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que l’intermittence n’était pas la même pour tous les journaux tories, l’un démentait d’ordinaire ce que l’autre disait, l’un trouvait bon ce que l’autre trouvait mauvais. À cette époque, je le répète, ballotté entre sa haine pour lord Palmerston et sa malveillance pour la France, le parti tory n’avait point de parti pris et tournait à tous les vents.
Au fond du cœur, les whigs ne devaient pas être moins perplexes que les tories. Le traité du 15 juillet, en effet, leur faisait renier tout leur passé et abjurer tous leurs principes. Ils s’étaient toujours opposés à ce que l’Angleterre intervînt, par la force des armes, dans les affaires intérieures des autres pays, sans un intérêt évident, sans une pressante nécessité, et on les conduisait au feu contre un prétendu sujet rebelle en faveur d’un prétendu souverain légitime qui n’avait pas su lui-même maintenir sa puissance et son autorité. Ils se vantaient, un mois auparavant, d’être les champions les plus déterminés, les gardiens les plus fidèles des alliances constitutionnelles, et on leur faisait tout d’un coup embrasser les alliances absolutistes, et déserter les alliances constitutionnelles. Depuis cinquante ans, enfin, ils s’étaient donnés comme les amis de la France, qui leur en savait gré, et on les priait d’approuver et de sanctionner un tort grave fait à la France, un tort qui devait nécessairement mettre fin pour long-temps à toute amitié entre les deux peuples. Tout cela coûtait aux whigs ; mais dans ce pays de mœurs parlementaires bien établies et de forte discipline, on suit ses chefs, tout en les blâmant. Les whigs suivaient donc, et une fois engagés, ils s’irritaient d’autant plus qu’au fond de l’âme ils sentaient mieux leur faute. Pour mettre leur conscience en repos, il fallait absolument que la prédiction de lord Palmerston s’accomplît, et que la France restât spectatrice inerte et soumise de l’exécution du pacha. Chaque mot qui se disait en France et chaque mesure qui s’y prenait soulevaient donc au sein du parti whig de violentes colères. On a souvent parlé du ton de bravade des journaux français pendant la crise. Je voudrais que ceux qui répètent ce reproche voulussent bien parcourir avec quelque attention la collection du Morning-Chronicle, du Globe et du Sun depuis la signature du traité. Je ne sache pas, pour ma part, de langage plus froidement insultant, plus outrageusement ironique. Et cependant, qu’on le remarque bien, il était plus facile à l’Angleterre qu’à la France de garder dans cette circonstance son sang-froid et sa modération. La France se sentait abandonnée et se croyait injuriée. L’Angleterre avait fait l’injure, et s’appuyait, pour en répondre, sur trois alliés puissans.
Il n’y a rien à dire des Irlandais, qui, cette fois comme toujours, subordonnèrent la question générale à leurs intérêts locaux. O’Connell fit bien quelques discours pour insulter de nouveau l’empereur Nicolas, et pour reprocher à lord Palmerston d’avoir donné la main à celui qu’il appelle « un monstre couronné ; » mais la conclusion de ses discours fut toujours qu’il fallait profiter de la circonstance, et n’aider l’Angleterre, en cas de guerre, que si l’Angleterre achetait, par de nouvelles concessions, le secours de l’Irlande. L’Irlande n’était donc point, pour la politique française, un point d’appui actuel. Mais si la situation se compliquait, on ne pouvait douter que ce pays ne dût donner au gouvernement anglais, quel qu’il fût, de sérieux embarras. C’était pour tous les hommes sensés en Angleterre, et particulièrement pour les tories, un grave motif de ne s’engager dans aucune guerre continentale qu’à la dernière extrémité.
Il faut le reconnaître, le seul parti qui, du commencement à la fin, se montra franchement, décidément hostile au traité du 15 juillet et favorable à la France, ce fut le parti radical, non dans celle de ses fractions qui touche aux whigs, et se confond presque avec eux, mais dans tout ce qu’il a d’énergique et d’ardent. Au parlement, cette portion du parti radical s’était nettement prononcée, dans la chambre des lords, par la bouche de lord Brougham, dans la chambre des communes par celles de MM. Hume et Leader. Elle eut dans la presse pour organes, le Spectator, l’Examiner (ce dernier avec une certaine réserve) et une foule de feuilles quotidiennes ou hebdomadaires, dans les grandes villes manufacturières. Mais c’est surtout dans des meetings publics qu’elle manifesta ses sentimens. Ceux qui ignorent combien peu l’opinion radicale, lorsqu’elle est isolée, exerce d’influence sur les déterminations et la conduite du gouvernement anglais, attachèrent, je le sais, à ces démonstrations beaucoup trop d’importance. Elles n’en restent pas moins comme un signe très curieux des progrès que l’alliance française avait faits avant le traité du 15 juillet, au sein des masses populaires. Pour qui se rappelle l’état de l’Angleterre, il y a vingt ans, c’est assurément un étrange spectacle que de voir à Carlisle une assemblée nombreuse « désavouer hautement toute participation à l’insulte faite à la nation française au moment où la France a pour premier ministre un partisan avoué de l’alliance anglaise ; » à Newcastle un orateur déclarer, aux acclamations réitérées de la foule, que « s’il y a à choisir entre M. Thiers et une armée française d’une part, lord Palmerston et une armée russe de l’autre, il faut se joindre à la France et à M. Thiers. »
« Voilà, messieurs, ma détermination, s’écrie en terminant l’orateur, quelle est la vôtre ? Lesquels préférez-vous, les Russes ou les Français ? — (Les Français !) — Dans un tel cas, lèveriez-vous la main contre la France ? — (Non ! non !) — Êtes-vous unanimes ? (Oui ! oui ! faites voter.) — Si vous êtes unanimes, levez la main. » — Une forêt de mains se lève aussitôt au milieu des acclamations répétées : « Les Français ! les Français ! »
Je le répète, on se trompait quand on attribuait à cette scène et à plusieurs autres du même genre une portée qu’elles n’avaient pas. Il y a pourtant là quelque chose qui, soit en Angleterre, soit en France, mérite de fixer l’attention.
Ainsi les tories divisés et incertains entre l’éloge et le blâme, les whigs soutenant lord Palmerston, mais par point d’honneur plus que par conviction ; les radicaux modérés plus froids encore que les whigs et plus embarrassés ; les Irlandais se préparant, si la question devenait plus grave, à s’en faire une arme nouvelle et à n’offrir leur concours que conditionnellement ; les radicaux extrêmes enfin, unanimement soulevés contre lord Palmerston et pour l’alliance française : tel était l’état des partis en Angleterre pendant les deux mois qui suivirent le traité, c’est-à-dire au moment où l’opinion en France paraissait unanime. Il faut ajouter à cela, dans tous les partis, beaucoup d’opinions individuelles, qui, par un sentiment ici religieux, là commercial et industriel, repoussent systématiquement la guerre quand elle n’a pas pour objet la défense directe et incontestable du territoire et de l’honneur national.
Je le dis avec une entière sincérité, plus j’examine l’état des esprits à cette époque, plus je me persuade que la politique de lord Palmerston n’avait point l’assentiment national, et que s’il eût cru à la ferme détermination de la France, le pays eût pesé sur son gouvernement pour lui imposer une honorable transaction. C’est ce que lord Brougham exprimait il y a peu de jours à la chambre des lords, dans des termes qu’il est bon de reproduire : « Tout le monde sait, disait lord Brougham le 26 janvier dernier, que si la portion libérale du pays avait appris tout à coup que la guerre était imminente entre l’Angleterre et la France, elle se serait levée comme un seul homme pour enjoindre au gouvernement de maintenir la paix, quoi qu’il pût arriver. » À la chambre des communes, un des membres les plus éclairés du parti tory, M. Milnes, a dit à peu près la même chose. Lord Palmerston, au reste, connaissait et craignait cette disposition ; c’est pourquoi, tout en expédiant en Orient l’ordre de se hâter et d’en finir promptement à tout prix, il cherchait à contenir à la fois la France et l’Angleterre, en laissant espérer une révision amiable du traité et un honorable arrangement.
La comédie, pourtant, tirait vers sa fin, et l’Angleterre, mise en demeure par les concessions de Méhémet-Ali, allait être forcée de dire son dernier mot, quand arriva la nouvelle de la prise de Beyrouth. On sait quel effet produisit en France cet évènement, qui glaça soudainement tant d’ardeurs, abattit tant de courages, retourna tant d’opinions. En Angleterre, l’impression fut naturellement toute contraire, et l’amour-propre national satisfait commença à venir en aide à la politique de lord Palmerston. Dans le premier moment, néanmoins, la satisfaction n’était pas sans mélange, et l’on attendait avec inquiétude les nouvelles de France. Mais quand on vit que la France, au lieu de s’irriter, se calmait ; quand on apprit ce qui se passait dans le cabinet et hors du cabinet ; quand en outre l’insurrection de Syrie et l’inaction d’Ibrahim vinrent donner l’espoir fondé que la résistance serait courte et que tout se terminerait avant l’hiver, il n’y eut plus, à vrai dire, en Angleterre qu’une opinion et qu’une voix. Lord Palmerston avait prédit deux choses, que le pacha d’Égypte serait facilement vaincu, et que la France céderait. Or, la double prédiction se réalisait, et lord Palmerston était triomphant sur tous les points. Les whigs et les radicaux modérés, délivrés d’une pénible anxiété, battirent donc des mains, et proclamèrent lord Palmerston le plus grand des ministres. Les tories prirent leur parti et se rangèrent du côté de la victoire. Les radicaux extrêmes se turent et réservèrent pour un temps meilleur leur opposition. Depuis ce moment d’ailleurs, la politique anglaise marcha de succès en succès. Ce fut d’abord la chute du ministère du 1er mars, puis la prise de Saint-Jean-d’Acre, puis le vote de l’adresse, et chacun de ces évènemens consolida l’alliance qui venait de s’établir, aux dépens de la France, entre tous les partis.
En Angleterre comme en France, il y a donc eu, qu’on ne l’oublie pas, deux périodes fort distinctes et que sépare la prise de Beyrouth, l’une de fermeté et de presque unanimité, l’autre de division et d’incertitude ; mais ces deux périodes ne correspondent pas l’une à l’autre dans les deux pays, ou plutôt correspondent en sens inverse. Pendant la première, quand on craignait encore que la France ne fît la guerre, il existait en Angleterre beaucoup d’hésitation et de doute. Pendant la seconde, quand on fut assuré que la France resterait tranquille, le doute et l’hésitation disparurent. Et qu’on ne croie pas qu’à mesure que la France se montrait plus accommodante, les exigences à son égard devinssent moins impérieuses, l’opinion moins injuste, le langage moins amer. C’est précisément tout le contraire. Sous le ministère du 1er mars, on avait bien voulu reconnaître que la France avait droit à certains égards, à certaines concessions, et qu’il ne fallait pas blesser sa juste susceptibilité. Sous le ministère du 29 octobre, il fut établi que la France avait tort « du commencement à la fin, en droit et en fait, selon l’esprit et selon la lettre, dans l’esprit et dans la forme, » et qu’elle devait se tenir pour contente, si, oubliant ses folles menaces, on consentait à la faire rentrer dans l’association européenne. On ne tarda pas à découvrir aussi que la paix armée et les cinq cent mille hommes de M. Guizot n’étaient guère moins dangereux que les neuf cent mille hommes et la guerre possible de M. Thiers. À la fameuse lettre de lord Melbourne contre les neuf cent mille hommes et la guerre possible succéda donc une lettre du duc de Wellington contre les cinq cent mille hommes et la paix armée, lettre colportée dans quelques salons, mais qui, grace au vote formel de la chambre, n’a pas encore produit le même effet. Aujourd’hui, whigs et tories se réunissent pour signifier à la France que son attitude inquiète l’Angleterre, et qu’elle doit en changer.
Du récit que je viens de faire, il y a, ce me semble, deux conclusions à tirer : l’une que, si la politique de lord Palmerston est aujourd’hui populaire en Angleterre, elle ne l’était pas d’abord, et ne l’est devenue que le jour où toute chance d’une collision avec la France a complètement disparu ; l’autre, qui est la conséquence de la première, qu’avec un peu plus de persévérance la France eût obtenu, non peut-être tout ce qu’elle désirait, mais une concession suffisante pour sauver ses intérêts et mettre à couvert son honneur ; et cette concession, qu’on le remarque bien, l’Angleterre, si ce n’est lord Palmerston, pouvait la faire sûrement et honorablement. Quand on est quatre contre un, on a le droit incontestable de se montrer prudent et modéré.
Tous ces faits bien établis, il reste encore, avant d’arriver à l’ouverture du parlement, une question à examiner. Quelle a été, en signant le traité, la vraie pensée de l’Angleterre, ou, si l’on veut, du cabinet whig et de lord Palmerston ?
Il est d’abord deux explications officielles que lord Palmerston me permettra de ne pas prendre au sérieux : celle qui présente le traité du 15 juillet comme un moyen de prévenir la guerre, et celle qui prétend y découvrir l’anéantissement de la prépondérance russe à Constantinople. En Angleterre même, la risée publique a fait bonne et prompte justice de cet étrange système qui consiste à faire la guerre pour la prévenir, et à allumer soi-même l’incendie de peur qu’il n’éclate. Quant à la Russie, il est vraiment par trop naïf de supposer qu’elle ait poursuivi avec tant de persévérance et d’ardeur l’accomplissement du traité qui devait lui porter un coup si rude. En France, si ce n’est en Angleterre, on rend plus de justice à la politique russe, et on comprend parfaitement les motifs qui l’ont déterminée à sacrifier l’ombre au corps et l’apparence à la réalité. Après comme avant le traité, les flottes et les armées russes sont aux portes de Constantinople, et, tout rétabli qu’il est dans son indépendance et son intégrité, l’empire ottoman n’est certes pas aujourd’hui plus qu’il y a six mois en mesure de les en éloigner. L’unique différence, c’est que l’alliance anglo-française est rompue, et que le plus grand obstacle aux desseins de la Russie se trouve ainsi détruit ou écarté.
Mais outre les deux buts que je viens de signaler, le traité, selon les publicistes dévoués à lord Palmerston, en a un autre encore bien respectable assurément et bien sacré. Qu’est-ce après tout que Méhémet-Ali ? un sujet rebelle. Qu’est-ce que le sultan ? le souverain légitime de l’empire ottoman. Le droit est donc du côté du sultan, précisément comme il serait du côté de la reine d’Angleterre si le vice-roi d’Irlande prenait les armes contre elle. Et n’est-il pas admirable dès-lors de voir l’Angleterre et ses alliés venir généreusement au secours du droit opprimé par le fait, et prêter une main protectrice au souverain légitime contre le sujet rebelle ? Qu’en France, où les idées sont perverties, on ne rende pas justice à tant de magnanimité, cela se conçoit ; mais il est permis à la vieille Angleterre, toujours si scrupuleuse et si droite, d’avoir une autre politique et de la pratiquer !
Qu’on ne croie pas que j’invente ou que j’exagère. Ce que je viens d’écrire, je l’ai lu vingt fois depuis six mois, et je le lis encore tous les jours. À la vérité, tandis qu’en Syrie l’Angleterre se préparait à soutenir le droit contre le fait, les pouvoirs établis contre l’insurrection, dans un autre pays, en Espagne, la même Angleterre prenait parti pour le fait contre le droit, pour l’insurrection contre les pouvoirs établis. C’est dans les premiers jours de juillet, peu de jours avant le traité, qu’Espartero, encouragé, excité par l’Angleterre, leva l’étendard de la révolte à Barcelone et dépouilla violemment la reine régente de ses attributions constitutionnelles ; c’est le 11 août, peu de jours après le même traité, que l’Angleterre encore adressa à Espartero une lettre officielle pour lui annoncer que la reine venait de lui conférer la grande croix de l’ordre du Bain, « comme une marque de haute estime pour sa personne et comme une récompense de sa loyale conduite envers sa souveraine. » Mais que signifient ces apparentes contradictions ? Tout simplement qu’il n’y a rien d’absolu dans ce monde et que le droit a plusieurs faces.
Je ne voudrais pas être trop sévère pour la politique anglaise. J’avoue pourtant que, lorsque je vois les écrivains whigs et tories de ce pays se réunir pour reprocher à la politique française de « manquer de moralité » et « de n’avoir pas un principe fixe d’action, » je ne puis me défendre du sentiment le plus amer. La politique anglaise, je le reconnais volontiers, a toujours eu « un principe fixe d’action, » l’intérêt ; mais je ne sache pas qu’un tel principe ait jamais passé pour très moral. Il y a quelques années, en parcourant la correspondance officiellement publiée de l’ambassadeur d’Angleterre à Lisbonne, au moment de l’usurpation de don Miguel, j’y trouvai le passage suivant qui me parut caractéristique : « J’ignore, disait l’ambassadeur, quel parti prendra le gouvernement britannique au sujet de l’usurpation de don Miguel ; mais, en attendant, je cherche à rendre cette usurpation aussi irrégulière que possible. Elle en sera d’autant plus facile à renverser, si vous le voulez, et vous en aurez, si vous préférez la reconnaître, d’autant plus de mérite. » Il y a dans ce peu de paroles toute la politique anglaise en abrégé.
Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible d’admettre qu’en signant le traité du 15 juillet, l’Angleterre ait été mue par un amour platonique et désintéressé pour les droits du sultan et pour sa légitimité. Est-il plus vrai qu’elle ait voulu, comme elle le prétend encore, mettre fin à la tyrannie de Méhémet-Ali et affranchir d’un joug insupportable les populations chrétiennes de la Syrie ? Chose singulière ! il y a douze ans, l’Angleterre faisait la guerre pour soustraire les populations chrétiennes de la Grèce aux horreurs de la domination turque ; elle fait la guerre aujourd’hui pour rendre aux populations chrétiennes de la Syrie les bienfaits de la même domination. Disons toute la vérité. Si la tyrannie égyptienne était déplorable, l’anarchie turque ne l’est pas moins. Mais l’Angleterre n’exploitait pas la tyrannie égyptienne, et elle espère exploiter l’anarchie turque. De là sa préférence pour celle-ci, et l’intérêt tout nouveau qu’elle semble prendre au bien-être et à la liberté des populations.
Ce n’est donc, quoi qu’on en puisse dire, ni pour consolider la paix, ni pour diminuer l’influence russe, ni pour protéger la légitimité du sultan, ni pour venir en aide aux populations opprimées, que l’Angleterre s’est séparée de la France et a tiré le canon. Ce sont là de vains prétextes qui s’évanouissent au plus léger examen, et la vraie raison reste toujours à trouver. Cette vraie raison, voyons pourtant si nous ne pourrions pas la découvrir, non par le raisonnement, mais par l’examen attentif de certains documens irrécusables et clairs. Et d’abord, quand on cherche en Angleterre la pensée des partis, ce ne sont ni les journaux quotidiens ni les discours parlementaires qu’il convient d’interroger. Les journaux quotidiens, rédigés à la hâte, ont en général le caractère d’une spéculation plutôt que d’une opinion. Au parlement, on se pose, on se drape, on parle par la fenêtre ; mais chaque parti a une Revue où d’ordinaire il dépose toute sa pensée et où se trahissent quelquefois ses plus secrètes intentions. Telle est pour les radicaux la Revue de Westminster, pour les tories la Revue trimestrielle, pour les whigs la Revue d’Édimbourg. Or, ces Revues ont toutes les trois, dans leur dernier numéro, examiné dans son ensemble et dans ses détails la question d’Orient. Voici, si j’ai bien lu, ce qui résulte de cet examen.
Je dirai peu de mots de l’article de la Revue de Westminster, écrit, dit-on, par M. Bowring. Cet article, très favorable à la France, est d’un bout à l’autre la critique la plus amère de toute la politique de lord Palmerston. Après avoir fait ressortir ce que ces mots, « indépendance et intégrité de l’empire ottoman, » ont de ridicule dans la bouche de puissances qui, depuis bon nombre d’années, pillent à l’envi les provinces de cet empire, et qui aujourd’hui même dictent au sultan toutes leurs volontés, l’organe du parti radical rappelle l’assentiment éclatant donné par l’Angleterre à l’arrangement de Kutayah, et déclare la politique actuelle du cabinet whig aussi déloyale qu’inconséquente. Puis, au moyen d’une analyse approfondie de l’état moral et religieux des populations orientales, il arrive à cette double démonstration, qu’il est impossible de rétablir en Syrie la domination turque, et que, quand bien même on y parviendrait, ni la Syrie ni la Turquie ne s’en trouveraient mieux. La conclusion, c’est que lord Palmerston, pour un but chimérique et mauvais, a brisé l’alliance française et troublé la paix du monde. Il est inutile d’ajouter que de la Revue de Westminster il ne sort, sur les intentions et les vues du ministère, aucune révélation.
Avec la Revue trimestrielle, dont l’article est écrit par M. Croker, la lumière commence à poindre. Pour la forme, on adresse bien à lord Palmerston quelques reproches rétrospectifs ; mais en ce qui touche sa conduite depuis six mois, on lui donne raison sur tous les points. Le seul tort de lord Palmerston, c’est d’avoir montré trop de déférence pour la France et de lui avoir fait trop de concessions. Ainsi le traité aurait pu et dû être plus long-temps caché au cabinet français. Ainsi encore, c’est une faiblesse insigne que de revenir sur la déchéance prononcée contre Méhémet-Ali. Mais, à ces légères fautes près, lord Palmerston a rendu un grand service à son pays. Sait-on pourquoi ? La France tendait à prendre en Égypte et en Syrie une influence qu’il importait de lui enlever. La Revue tory ne regrette nullement d’ailleurs la rupture de l’alliance française, surtout quand cette rupture peut conduire à un rapprochement avec les cours du Nord. Pour tout dire en un mot, le traité fait rentrer la politique anglaise dans la voie d’où jamais elle n’aurait dû sortir. À ce titre, il mérite l’approbation de tous ceux qui tiennent aux vieilles traditions nationales.
Ce langage, on le voit, est déjà fort clair ; mais celui de la Revue d’Édimbourg, organe avoué du ministère, l’est bien plus. Pour comprendre toute l’importance de l’article dont il s’agit, il faut savoir qu’il a été écrit par M. Macaulay, membre du cabinet, et retouché d’une part par lord Palmerston lui-même, de l’autre par lord Clarendon, de tous les ministres le plus favorable à la France depuis la mort de lord Holland. L’article peut donc être regardé comme l’expression fidèle de l’opinion moyenne du cabinet. Or, cet article, que dit-il ? Très nettement et je le crois très sincèrement, que le traité a eu pour but d’empêcher que l’influence en Orient se partageât entre la Russie et la France. Pendant que la Russie dominait à Constantinople, la France, patrone des chrétiens syriens et protectrice de Méhémet-Ali, prenait dans la Méditerranée une situation fâcheuse et humiliante pour l’Angleterre. Cette situation, l’Angleterre, dans l’intérêt de sa puissance aussi bien que de son commerce, ne pouvait la tolérer plus long-temps. À la vérité, quelques personnes pensent qu’on s’y est mal pris, et qu’au lieu de détruire Méhémet-Ali, il eût mieux valu prendre sa cause en main et l’enlever à la France. Mais la France avait pris les devans, et, sur ce terrain, elle eût été victorieuse. Le ministère whig a donc choisi une autre route, et l’évènement prouve qu’il ne s’est pas trompé.
Ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’après de tels aveux l’organe du ministère whig se croit encore obligé de signaler à l’indignation publique ce qu’il appelle la politique tortueuse du 12 mai et du 1er mars. Le 12 mai et le 1er mars ne sont-ils pas bien coupables en effet de n’avoir pas apprécié tout ce qu’il y avait de bienveillant et d’amical pour la France dans la politique qu’explique si clairement la revue ? Ne sont-ils pas bien ingrats de s’être tenus en garde et mis à l’écart plutôt que de reconnaître par une prompte et franche adhésion de si excellens procédés ? M. Macaulay, lord Palmerston et lord Clarendon, qui ne disent pas un mot des tentatives insurrectionnelles encouragées et soldées par l’Angleterre, avant le traité et au mépris de la note collective du 27 juillet, reviennent d’ailleurs, avec une vertueuse colère, sur le fameux arrangement direct, et montrent combien il était odieux de chercher à mettre d’accord le pacha et le sultan, au lieu de les brouiller. Après une action si noire, la France n’avait plus rien à attendre, et lord Palmerston pouvait sans scrupule cacher le traité bien plus long-temps qu’il ne l’a fait à M. Guizot et à M. Thiers. Quant à la réponse de lord Palmerston à la note du 8 octobre, réponse qui, on le sait, ne fut rédigée qu’après la formation du nouveau cabinet, elle était absolument nécessaire ; sans cette note, la France eût pu croire qu’on lui reconnaissait le droit de prendre l’établissement égyptien sous sa protection, et de protester contre la déchéance de Méhémet-Ali. Que cette déchéance fût ou non raisonnable, il appartenait au sultan seul, conseillé par ses augustes alliés, de la maintenir ou de la révoquer. La France n’était pas plus autorisée à s’en mêler que de la nomination ou de la destitution du gouverneur du Canada ou du lord lieutenant d’Irlande !
L’article collectif des trois ministres se termine d’ailleurs par quelques mots de regret sur le mécontentement de la France. Ce sont ces dernières phrases que certains journaux français ont pris soin de détacher du reste et d’offrir comme une preuve des excellens sentimens de l’Angleterre à notre profonde gratitude.
Il n’est pas besoin maintenant, je pense, de chercher quelle a été dans la question d’Orient la vraie pensée de l’Angleterre. Ce qu’elle a voulu abattre en Égypte et en Syrie dans la personne de Méhémet-Ali, comme en Espagne dans la personne de la reine régente, c’est l’influence française ; ce qu’elle a voulu fonder, c’est sa puissance sur les débris de la nôtre. Maintenant le but est atteint, et déjà l’on se dit qu’après s’être servi de la Russie pour abaisser la France, il serait doux de se servir de la France pour affaiblir la Russie. De là les politesses qu’on nous fait et la peine qu’on veut bien se donner pour nous prouver qu’après tout les derniers évènemens nous sont très avantageux, et que nous n’y avons perdu que des embarras et des illusions.
Si tel est vraiment l’état des choses, on comprendra facilement que les premières séances du parlement ne m’aient pas, comme certaines personnes, transporté d’aise et rempli d’admiration. Whigs, tories et radicaux, tout le monde, il est vrai, a cru devoir parler poliment de la France ; mais tout le monde, en même temps, à deux ou trois orateurs près, a donné à la politique dont la France se plaint justement une complète adhésion. Voilà le résultat dont on a osé se vanter comme d’une réparation éclatante et presque comme d’un triomphe ! Ainsi l’Angleterre aura, depuis six mois, fait, malgré la France, contre la France, tout ce qu’elle voulait, et comme elle le voulait ! Par sa diplomatie et par ses armes, notre puissance sera abaissée, notre influence détruite, notre honneur compromis ! Puis, après cela, il suffira de cinq ou six phrases bienveillantes pour que tout soit fini, pour que nous nous tenions pour contens, pour que nous nous sentions pénétrés d’orgueil et de reconnaissance ! Pour ma part, je comprends tout autrement la situation qu’on nous a faite et les sentimens qu’elle doit nous inspirer. Je ne suis point de ceux qui se sont plaints que le nom de la France fût omis dans le discours de la couronne ; je suis encore moins de ceux qui se glorifient parce que dans la discussion de l’adresse quelques orateurs ont jeté à mon pays quelques complimens concertés. Ces complimens, d’ailleurs, je sais quel en a été le prix, et je ne puis trouver qu’ils vaillent ce qu’ils coûtent.
Maintenant je vais plus loin, et je me demande s’il est vrai que la discussion de l’adresse ait en définitive témoigné d’une si grande bienveillance à notre égard ? Le langage du parti tory, il faut le reconnaître, a été parfaitement convenable, et, tout en approuvant le traité, le duc de Wellington et sir Robert Peel n’ont pas hésité à déclarer « qu’il n’y a point de sécurité possible dans le monde quand la France est en dehors des conseils européens. » Sir Robert Peel a même fait plus, et blâmé le mauvais procédé de lord Palmerston au moment de la signature du traité. Mais il s’en faut que les ministres et leurs amis aient mis dans leurs discours la même courtoisie envers la France et les mêmes ménagemens. C’est lord John Russell, qui se plaint amèrement que le gouvernement français ait été assez étourdi (reckless) pour trouver mauvais que les puissances coalisées se soient passées de la France. C’est lord Palmerston qui se justifie d’avoir tenu la France dans l’ignorance du traité par cette simple considération, que la France, avertie, eût probablement demandé à présenter ses observations et que beaucoup de temps ainsi aurait pu être perdu. C’est lord Melbourne enfin, qui, lorsque lord Brougham parle de ménager la susceptibilité connue de la France, répond qu’on ne peut admettre qu’une nation trouve dans son tempérament irritable une raison de dicter la loi aux autres. « Ce serait, ajoute-t-il, faire comme dans la vie privée, où trop souvent le plus mauvais caractère de la famille parvient à gouverner les autres membres à force de répéter qu’il est très irritable, très susceptible, et qu’il ne faut pas le mettre en colère. » Tel est le langage conciliant des ministres whigs ; voici maintenant celui de leurs amis. En Angleterre, on le sait, le membre qui propose l’adresse et celui qui l’appuie sont expressément désignés par le ministère et s’entendent avec lui. Or, que dit lord Brabason, en présentant l’adresse ? « Qu’il se réjouit, en bon Anglais, que le traité se soit exécuté malgré la France et même en dépit (in spite) de son opposition. Il espère, d’ailleurs, que la France reconnaîtra son erreur. » Que dit M. Grantley Berkeley en appuyant la même adresse ? « Que la politique de son noble ami (lord Palmerston) a fait de l’Angleterre l’arbitre du monde, en dépit (in spite) des attaques et des clameurs françaises. » Vient ensuite M. James, autre ami du ministère, qui, comme la Revue d’Édimbourg, déclare nettement que « le traité a eu pour but d’empêcher que la France n’eût dans le Levant plus de puissance et d’influence que l’Angleterre. L’Angleterre tout entière doit se féliciter que ce but soit glorieusement atteint. »
Qu’on ne croie pas que par ces citations je veuille ajouter à une irritation déjà bien forte ; mais il est nécessaire que la vérité soit connue : or, la vérité, je le répète, c’est que, pour tous les partis en Angleterre, l’abaissement de Méhémet-Ali et la destruction de l’influence française dans le Levant sont le sujet d’une vive satisfaction ; c’est de plus qu’une fois l’œuvre accomplie, tous les partis commencent à songer à l’avenir, et à se dire que, dans le cas possible d’une lutte entre la Russie et l’Angleterre, il serait fâcheux d’avoir entièrement perdu l’amitié de la France. Il faut donc à la fois prouver à l’Angleterre qu’on a remporté une grande victoire, et à la France que cette victoire n’est rien. Il faut, pour expliquer la rupture de l’alliance, grandir le traité outre mesure, et, pour obtenir que l’alliance se renoue, réduire le même traité aux plus minces proportions. Il faut, en un mot, démontrer qu’on a eu raison de tenir peu de compte de la France, et donner à entendre que néanmoins on est plein d’estime pour elle. Or, cela est plus embarrassant pour ceux qui ont fait le traité que pour ceux qui l’ont accepté, pour les whigs que pour les tories, pour lord Melbourne et lord Palmerston que pour le duc de Wellington et sir Robert Peel.
Je viens maintenant à la question la plus grave de toutes. En supposant que l’Angleterre fasse des avances sérieuses à la France, convient-il de les accepter ? En d’autres termes, l’alliance rompue par le traité du 15 juillet doit-elle être renouée ?
Il est d’abord un point qui me paraît hors de doute : c’est qu’aujourd’hui, et tant que le ministère whig sera à la tête des affaires, la reprise de l’alliance serait un déshonneur et une impossibilité. L’alliance anglaise, il faut le dire, n’a jamais été très populaire en France, et ce n’est pas sans peine que les efforts réunis du gouvernement et de la presse étaient parvenus à la faire accepter. Les raisons en sont simples. La première, tout le monde la sent ou la comprend, c’est le souvenir de la grande lutte qui, en 1814 et 1815, se termina si malheureusement pour nous. Que l’Angleterre ne conserve de cette lutte aucun ressentiment, cela est naturel, puisqu’elle en est sortie victorieuse ; mais nous ne sommes pas dans la même situation, et tout patriotisme serait éteint en France si de tels évènemens n’avaient laissé dans tous les cœurs de bien amers souvenirs. Il y a d’ailleurs quelque chose de plus. S’il existe une idée populaire, une idée nationale, c’est que les traités de 1815, en privant la France de toutes ses conquêtes, de celles même qui, à d’autres époques, avaient été reconnues et consacrées par l’Europe, l’ont laissée, par rapport aux autres puissances dans un état de faiblesse et d’infériorité qui ne saurait durer toujours ; c’est par conséquent que, le jour où l’équilibre européen actuel sera troublé, la France, rajeunie par une longue paix, aura droit à quelques compensations. Or cet espoir, prochain ou lointain selon le cours des évènemens, tout le monde sentait que l’alliance anglaise le détruisait d’avance. L’alliance anglaise, quelque bonne qu’elle pût être, dans le présent, avait donc aux yeux des masses le double tort de froisser des souvenirs respectables et de détruire de chères espérances. Ajoutez qu’un vieil instinct avertissait le pays que l’Angleterre n’est pas une alliée fort sûre, et qu’il faut toujours se tenir en garde contre elle. Ajoutons encore que l’antagonisme mal entendu selon moi, mais incontestable, des intérêts commerciaux, inspirait à des classes nombreuses de la population des inquiétudes d’une tout autre nature.
Par ces raisons et par d’autres encore, les avantages de l’alliance anglaise, appréciés dans le monde politique, ne l’étaient pas ailleurs. Qui donc, après qu’elle a été si brusquement, si perfidement rompue, oserait aujourd’hui proposer de la renouer ? Qui pourrait conseiller à la France d’oublier l’humiliation qu’elle a subie, le dommage qu’elle a éprouvé, et de tendre la main, comme si rien ne fût arrivé, à ceux qu’elle accuse à bon droit de ce dommage et de cette humiliation ? Il est, je le sais, des philosophes dont l’intelligence est trop vaste pour se laisser emprisonner dans les limites d’une étroite nationalité, et qui n’ont pu encore découvrir ni l’intérêt que nous avions à défendre l’établissement égyptien, ni les torts de l’Angleterre à notre égard. Mais le bon sens public n’en juge pas ainsi, et comme il arrive souvent, le bon sens public a raison contre les philosophes. Aujourd’hui donc, je le répète, l’alliance anglaise est hors de cause. Quiconque tenterait de la renouer serait désavoué à l’instant même par le pays tout entier.
Mais les ministres passent, les impressions s’effacent, les circonstances changent. N’est-il donc pas possible que, dans un délai plus ou moins éloigné, la tentative des dernières années soit reprise, et que l’union des deux grands peuples constitutionnels de l’Europe, de ceux qui marchent à la tête de la civilisation, s’accomplisse enfin et se consolide ? N’est-il pas possible que cette union si grande et si féconde produise de tels résultats et porte de tels fruits, que toutes les rancunes et toutes les préventions s’évanouissent pour toujours ?
Je suis, je l’ai dit ailleurs, de ceux qui ont toujours le plus vivement désiré le maintien et l’affermissement de l’alliance anglaise. Sans m’abuser sur les torts d’une politique toujours la même, quel que soit le parti qui gouverne, j’aime et j’estime l’esprit à la fois hardi et prudent, entreprenant et patient, qui a conduit ce peuple à de si hautes destinées. J’aime et j’estime jusqu’à cet orgueil patriotique qui, lorsque le nom anglais est sérieusement engagé, fait taire pour un moment toutes les dissidences, suspend toutes les querelles, efface toutes les nuances, et rallie autour du drapeau national toutes les opinions. C’est en Angleterre, d’ailleurs, qu’est né et que s’est développé dans sa grandeur et dans sa puissance le gouvernement auquel je suis sincèrement attaché, ce gouvernement parlementaire dont en France nous poursuivons la réalité avec tant de peine et si peu de succès. J’ajoute que, de tous les grands états européens, l’Angleterre est le seul qui n’ait aucune malveillance pour notre révolution, et qui, lorsque ses intérêts ne sont pas contraires aux nôtres, nous veuille un peu de bien. De plus, et ceci est le point capital, l’alliance anglo-française, quand elle est réelle, garantit la paix du monde, et favorise au plus haut degré les progrès de la civilisation. Malgré cela, je ne crois pas, je ne crois plus, à l’union intime de la France et de l’Angleterre. Je vais dire pourquoi.
Mettons pour un moment de côté les raisons que j’ai déjà indiquées, raisons graves pourtant, qui rendent l’alliance anglaise difficile à justifier dans le pays. Supposons que le temps ait triomphé des antipathies nationales, vaincu les préjugés populaires, rapproché les intérêts commerciaux ; supposons même que toute idée d’agrandissement ait disparu, et que la France ne tourne plus un œil de regret vers son ancienne frontière ; encore faut-il, pour que l’union intime des deux pays s’établisse, que ce soit à des conditions égales et de manière qu’une des parties ne reste pas à la discrétion de l’autre. Or, n’est-il pas presque impossible qu’il en soit ainsi ? L’Angleterre, état insulaire et la première des puissances maritimes, n’a rien à craindre, on le sait et elle le sait, pour son indépendance et pour sa nationalité. Pour elle, toute la question est d’augmenter ses possessions d’outre-mer, d’accroître son commerce, d’étendre son influence. C’est donc à la fois sur tous les points du globe qu’on la rencontre, c’est de toutes les puissances qu’elle a besoin à la fois, c’est à toutes les puissances qu’elle a simultanément affaire.
D’une telle situation plus encore peut-être que du caractère national, est née cette politique égoïste, qui, depuis si long-temps, a signalé tous les cabinets anglais. Parce qu’elle est en sûreté, l’Angleterre veut se passer toutes ses fantaisies ; parce qu’elle a des intérêts divers dans toutes les parties du monde, il lui faut des appuis et des langages divers. Ne vous étonnez donc pas que l’Angleterre soit monarchique dans tel pays et républicaine dans tel autre, ici votre alliée, là votre ennemie, aujourd’hui pleine d’égards et de bienveillance, demain dédaigneuse et hautaine. Ne vous étonnez pas qu’elle emprunte successivement ou à la fois tous les principes et tous les tons. C’est là la condition de sa grandeur, de sa puissance et presque de son existence. On parle beaucoup depuis quelque temps de politique d’isolement ; la politique d’isolement par excellence est celle de l’Angleterre. Il entre seulement dans les calculs de cette politique de ne pas s’avouer elle-même et de prendre un autre nom.
Je ne discute pas la politique que je signale en ce moment ; je me borne à constater que cette politique existe et qu’elle paraît plus florissante que jamais. Or, la France, je le demande, y sera-t-elle prise une seconde fois ? Dans le résumé qui commence cet article, on a pu voir comment, dans les plus beaux temps de l’alliance, l’Angleterre s’est comportée à notre égard en Grèce, en Espagne, en Belgique, partout. On a vu un peu plus loin quels sont les véritables motifs, les motifs avoués du traité du 15 juillet. La France s’exposera-t-elle de nouveau à de semblables déceptions ? Voilà la vraie question, celle que je pose, et qui malheureusement ne me paraît pas susceptible de deux solutions. Ainsi, qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas de savoir si l’alliance anglo-française, sincère et réelle, serait bonne pour la France et pour le monde. Sur ce point, je reste, pour ma part, fidèle à ma vieille conviction ; mais il s’agit de savoir si, de la part de l’Angleterre au moins, l’alliance anglo-française peut être sincère et réelle ; il s’agit de savoir en outre si la France doit s’accommoder d’être, selon les convenances et les caprices du moment, prise, quittée et reprise. Je ne le pense pas, et je crois être certain que la France est de cet avis tout entière. Il y avait en France, il y a un an, des hommes politiques qui combattaient l’alliance anglaise et d’autres qui la soutenaient. Les premiers aujourd’hui se targuent de prévoyance ; les derniers s’affligent et s’irritent d’avoir été trompés ; tous se promettent de garder au fond du cœur le long souvenir d’une conduite que rien ne peut justifier.
Maintenant faut-il, passant d’un extrême à l’autre, que la France se précipite en aveugle dans de nouvelles alliances et se pose systématiquement comme ennemie de l’Angleterre ? Quelques personnes le voudraient ; mais il n’y aurait, ce me semble, dans une telle politique ni dignité ni sûreté. De tout ce qui constitue une alliance réelle, la bienveillance réciproque, les rapports intimes et confians, les bons offices mutuels, il ne peut plus être question ; rien n’empêche d’ailleurs que les deux pays, quand ils seront d’accord, n’agissent encore en commun. Nous sommes aujourd’hui, par rapport à l’Angleterre, ce que nous avons été depuis dix ans par rapport aux autres puissances européennes, désireux de vivre en paix, mais libres de tout engagement comme de toute préférence, et prêts, si quelque collision éclate, à profiter, soit d’un côté soit de l’autre, de toutes les chances qui peuvent s’offrir à nous. Si cette situation a ses inconvéniens, elle a aussi ses avantages, et, puisqu’on nous l’a faite, nous devons l’accepter résolument, sans hésiter et sans nous en départir.
Cette politique d’isolement et d’expectative est tout simplement, au reste, celle que la chambre a conseillée dans son adresse et que le gouvernement a acceptée. On sait quel est mon avis sur ce qui s’est passé il y a trois mois, et sur la mission que le ministère est venu remplir. Selon moi, il y avait dans la question d’Orient une autre attitude à prendre, un autre rôle à jouer, et je persiste à croire que, même au mois d’octobre, une résolution plus énergique eût tout sauvé. Mais quand les faits ont été accomplis et le ministère changé, il est clair que l’attitude d’isolement était la seule possible. J’ajoute, pour être juste, que, cette attitude une fois prise, il me paraît qu’elle a été jusqu’ici bien gardée. Je n’en veux d’autre preuve que l’inquiétude qui se manifeste en Angleterre, et l’amertume avec laquelle la presse ministérielle commence à parler des ministres qu’elle exaltait naguère, entre autres de M. Guizot. J’espère que le gouvernement persévérera, et que ni injures ni caresses ne le feront dévier de son terrain. Encore une fois, nous ne sommes pas les ennemis de l’Angleterre : nous ne sommes plus ses alliés. Il faut que cela soit bien entendu et bien compris de tout le monde.
Il est une dernière réflexion qui me frappe. Supposez qu’au mois de juillet dernier un ministère tory ait gouverné l’Angleterre et que les signataires du traité s’appellent le duc de Wellington et lord Aberdeen, au lieu de lord Melbourne et de lord Palmerston ; supposez que le parti, jusqu’à ce jour peu favorable à la France, ait ainsi brisé l’alliance française et rétabli, au profit du souverain légitime de la Turquie, une sorte de sainte-alliance ; supposez que dans les détails de la négociation comme dans l’exécution de la convention il y ait eu si peu de franchise, de courtoisie, de ménagemens pour la France ; puis supposez que le parlement s’ouvre dans de telles circonstances et ait à rendre compte de sa conduite, de quel blâme énergique, de quelles éloquentes malédictions les whigs et les radicaux ne poursuivraient-ils pas une politique si déloyale et si imprévoyante ! « Vous triomphez, diraient-ils, parce que nos matelots se sont bien battus, et le succès actuel vous enivre ; mais ce succès, il faut que le pays en connaisse les déplorables conséquences. L’Angleterre avait un ennemi qui depuis dix ans ne cesse de marcher à sa rencontre, et qui, tôt ou tard, doit lui livrer un combat à mort. Elle avait un allié sur lequel, au moment décisif, elle pouvait compter. Eh bien ! pour un intérêt douteux, insignifiant, passager, vous avez voulu que l’Angleterre se joignît à son ennemi pour affaiblir, pour humilier son allié. Vous avez ainsi perdu cet allié, et préparé peut-être, pour un avenir prochain, la plus redoutable des coalitions. Vous avez de plus, en vous jetant dans les bras des états absolutistes, brisé à jamais l’union des états constitutionnels, cette union qui promettait de si nobles, de si pacifiques conquêtes à la liberté, à la civilisation. C’est là sacrifier le principal à l’accessoire, l’avenir au présent, la grande politique à la petite. La paix du monde compromise, les progrès de la civilisation arrêtés, l’alliance française perdue, la puissance russe doublée, voilà en définitive les résultats de votre funeste conduite. Retirez-vous donc, et cédez la place à des hommes qui pourront travailler à réparer les maux que vous avez faits. »
Si la question s’était ainsi posée et qu’un tel langage eût été tenu, la France du moins eût pu croire que le pays ne s’associait point à la conduite de son gouvernement. Au lieu de s’en prendre au pays, peut-être alors s’en serait-elle prise uniquement à ceux que, depuis cinquante ans, elle considère comme ses éternels ennemis. Mais ce sont les whigs qui ont signé le traité, et dès-lors toute illusion comme toute réparation est devenue impossible. Les tories ont approuvé le traité, parce qu’il est conforme à leur politique ; les whigs et les radicaux modérés, parce qu’ils soutiennent le cabinet. Les radicaux extrêmes sont seuls restés fidèles à l’alliance, et ce n’est pas assez. On peut donc dire qu’en trois mois les whigs ont fait plus que les tories en vingt ans pour séparer définitivement la France de l’Angleterre. J’ignore si cette déplorable politique leur a assuré pour quelques jours le pouvoir qui leur échappait à la fin de la dernière session ; mais ce que je sais, c’est qu’ils ne tomberont plus aujourd’hui comme ils seraient tombés il y a un an. Il y a un an, ils eussent emporté leurs principes, leur caractère, et les vives sympathies de tout ce qui aime la liberté et la civilisation. Ils rentreront aujourd’hui dans la retraite, infidèles à eux-mêmes et maudits en Europe par ceux qui furent leurs véritables amis. Quant aux tories modérés, je n’hésite pas à dire qu’ils doivent beaucoup au traité du 15 juillet, et que leur situation s’est élevée autant que celle des whigs a descendu. La France, qui, l’an dernier, eût vu leur avénement avec chagrin, le verrait aujourd’hui avec joie, et les puissances absolutistes les préféreront toujours aux whigs, malgré ce que ceux-ci ont fait pour elles. Pour moi, je n’hésite pas à le dire, entre lord Melbourne et sir Robert Peel, celui-ci a la supériorité incontestable de la conséquence dans la conduite et de la mesure dans le langage. Quand sir Robert Peel sera premier ministre, je ne crois pas que l’alliance doive se renouer ; mais elle sera certainement moins impossible qu’aujourd’hui.