De l’accent de la langue françoise/Texte entier

A MADAME,
MADAME
DE
SAINT HEREM
Abbesse de l’Eclache



M ADAME,

Je ne vous offre pas ce Traitté, dans la pensée de vous faire un Prezant : c’est seulement affin que vous en disiez vôtre sentiment ; & que vôtre autôrité luy donne cours ; ou qu’elle le fasse condanner au Public, s’il est indigne de parêtre. Si j’êtois à Paris, ou que ie l’eusse dressé pour toute la France ; ie l’aurois prezanté à quelques-uns de l’Academie, comme aux Juges ordinaires de la Langue. Mais dans la Province, Vous seule, MADAME, nous tenez lieu d’une Academie toute entiere ; ie ne fay capital que de vôtre sentimant ; & vous voyez que ie n’ay demandé l’Approbation de personne. Ce n’est pas que ie n’y revere bien des gens, par leur bel esprit, & par leur erudition : mais c’est que j’établis pour principe, qu’il faut outre cela plusieurs autres qualitez, pour juger sainement de la Langue, & de l’Accent : il faut la Naissance, & l’Education ; il faut avoir été dans le Grand Monde ; il faut continuër de pratiquer les honêtes gens : & comme c’est un malheur, & non pas un crime, à beaucoup de personnes de merite de nôtre Province, de n’avoir pas tous ces avantages ; c’est bonheur, qui donne un fort grand lustre à vôtre merite, MADAME, de les posseder parfaitement. Vous avez cette illustre Naissance du premier ordre, sur laquelle une sçavante plume de nôtre siecle travaille il y a déja du tems ; ie ne veux pas icy toucher ce beau Sujet, qui ne doit pas être traitté legerement : & ie me contante d’observer, que le beau sang étant la source de ces Esprîs subtils, qui servent aux organes & aux belles opérations de l’ame, il semble que les vôtres, MADAME, ont été formez de ce qu’il y avoit de plus pur & de plus fin dans la Genealogie de St HEREM : rien du Monde ne ressant mieux son feu tombé des Astres, que celuy qui vous anime : on diroit, dans vôtre conversation, que vôtre ame, en descendant du Ciel, se repoza sur vos lèvres, pour s’énoncer elle-même : & vous avez un si grand dégagemant, que si tout le Monde étoit animé de vôtre façon, ie ne sçay si les Impies se fussent iamais avizez de douter, si les Ames sont spirituelles. Avec cette belle Naissance, vous avez eu l’Education excellante, en Province & dans Paris : vous avez vû le Grand Monde ; & dans ce Grand Monde, l’Air de spiritualité qui vous est si particulier, vous a toûjours attiré la conversation de ce que l’on y voit de plus grand. Certainemant il n’est pas étrange, que tant de bons principes vous ayent âquis cette admirable facilité de bien dire, que l’on voit en si peu de personnes ; Car vous dittes les choses nettement, & delicatemant : vous les dittes sans affeterie, sans étude ; & l’art ne sçauroit parvenir à la belle maniere, où la Naissance & l’Education vous ont conduite. Je n’ay pas peur, en vous parlant ainsi, MADAME ; de troubler vôtre modestie : par ce que ie sçay qu’il n’y a que les ames basses qui soient sensibles à l’applaudissemant : celles qui sont dans vôtre élevation, tirent toute leur gloire de leur propre fonds : & quand elles sont aussi re- ligieuzes que vous l’êtes, elles rapportent à Dieu toute la gloire de ce qu’elles sont, & de ce que l’on dit à leur avantage. Je ferois bien plus de pene à la severité des Devôs du tems, qui ne voulans pas que les personnes religieuzes parlent iamais qu’à leur Directeur, ny qu’elles lisent d’autres Livres, que ceux qui traitent de Devotion ; ils s’offanceroient sans doute, que ie vous loüe, MADAME, de voir le Grand Monde ; & que ie vous prezente un Traité De l’Accent. Mais la pene que ie puis leur faire, ne m’en fait point du tout : il me suffit que tous ceux qui ont du sens, tombent d’accord qu’une illustre Religieuze qui a autant de fermeté que vous, est plus propre à inspirer la Vertu au Grand Monde qu’elle pratique, que beaucoup de Sauvages solitaires. Et pour ce Traitté De l’Accent ; puîque ce sujet est propre à la Chaire, aussi bien qu’au Barreau ; & qu’il peut être sanctifié par l’uzage : pourquoy est-ce qu’une personne consacrée à Dieu n’en peut pas dire son sentimant ? Si vous l’approuvez, MADAME, j’auray cette satisfaction particuliere, d’être utile à Mesdemoizelles vos Nieces qui sont sous vôtre conduite, & dont vous formez égalemant bien l’esprit, les meurs, & la Langue. Je ne pretans pas qu’il m’en revienne iamais de la gloire ; puîque ie ne veux point que vous sçachiez autre chose de moy, sinon que ie suis entieremant, MADAME,

Vôtre tres-humble & tres-obeyssant Serviteur
PREFACE.


COMME les autres Provinces n’ont jamais disputé à celle d’Auvergne, la gloire d’être fertile en bons esprits : & de les surpasser ordinairemant, dans le panchant & dans la capacité que nous avons pour les sciances & pour les Affaires : aussi nous ne sçaurions nous défandre du iuste reproche que l’on nous fait, d’avoir l’Accent fort mauvais. Ce defaut, qui est incontestable, dans toutes nos Actions publiques, & dans nos entretiens particuliers : & tout l’esprit, la solidité, & la sciance que l’on y fait parêtre, ressamblent à ces personnes mal-mises, qui ont toûjours mauvaise grace ; quoy qu’elles ne soient jamais vêtuës, que d’or & de foye. Il est vray que depuis quinze ou vint-ans, l’on commance d’en revenir : le soin que plusieurs personnes de qualité ont pris, d’élever leurs Enfans à la Langue Françoise ; & apres cela, le commerce des Etrangers, faisant un heureux changement d’Accent, qui est tout visible à ceux qui ont été quelque tems absens de la Province. Mais il faut avouër qu’il y a encore beaucoup a faire pour achever un si bel ouvrage. Parceque toutes les maisons n’ont pas l’inclination, ny le pouvoir de donner cette education aux jeunes gens : & que l’exemple de ceux qui la reçoivent est une voye trop foible & trop longue, pour faire une reformation generale. Il semble qu’il est tout a fait necessaire, de donner des Regles ; afinque la raison & l’étude puissent fortifier l’éducation & l’exemple : & qu’ne perfection, qui ne vient que de naître dans un petit nombre de gens de qualité, puisse, par une sérieuze application, s’affermir dans celles-là même ; & après se répandre dans la multitude.

L’accent est la seule partie de l’Orateur, que l’on n’a encore prêque point reglée dans nôtre Langue. Il y a du moins six cens ans, qu’on travaille à la former, selon la supputation de ces Auteurs, qui la font naître au tems de Louys le ieune, qui regnoit en 1137. Mais apres tous les soins qu’on en a pris, sous les Regnes suivans ; jûqu’à celuy de nôtre Entretiens d’Artiste.Monarque invincible, ou nos Ecrivains se glorifient de l’avoir élevée dans sa derniere perfection ; on ne trouve point de Traittez en faveur de l’Accent ; qui en est pourtant un des plus beaux ornemans.Difficilior observatio est per tenores vel. C’est peut être, parce que l’Accent étant un Ton de voix, il est difficile de le regler par écrit ; & que cela se doit faire par des instructions vivantes accentus…… illa per sonos accidunt, quae demonstrarâ scriptô non possunt, vitia oris & linguae. Quintil. l.I.c.5., comme l’on regle les Tons de vois en Musique. Ou cela vient de ce que les Auteurs qui ont travaillé à la Langue, ont eu assez d’affaire, à dresser les autres Regles du discours, ou enfin étans originaires, ou faisans leur sejour, au païs du beau Langage, ils se sont contantez d’y voir l’Accent dans sa pureté ; & ne se sont pas souciez de reformer celuy des Provinces.

Quoy qu’il en soit, mon dessein n’est pas tant, de regler l’Accent en general ; que de marquer les défaux particuliers de la Province : & ie ne veux toucher la maniere dont l’on doit prononcer dans les autres païs ; qu’autant qu’il sera necessaire pour perfectioner le nôtre.

Nous ne devons pas attandre cét office des Etrangers ; qui conoissent trop peu nos vices, & s’interressent encore moins en nôtre amandemant. Ceux même de nos Provinciaus, qui n’ont pas passé bien des années hors du païs, ne sont pas capables de cette entreprize. Parce qu’ils sont trop acoûtumez au mauvais Accent qui regne parmy nous ; & ne respirent pas un air assez libre, pour faire le discernemant de ses impuretez. C’est donc propremant le soin de ceux qui ont demeuré lontems en diverses Provinces ; qui ont eü le loisir d’en remarquer les divers Accents ; qui s’y sont serieuzemant appliquez ; & qui par un million d’avis, ou de corrections qu’ils ont reçeuës de ceux qui parlent iuste, ou qu’ils ont oüyes donner à d’autres, ont enfin compris leurs propres défaus, & formé de bonnes idées de l’Accent.

Tout inconnû que ie suis, ie n’oze pas me metre dans le nombre de ceux qui ont fait ce beau progres, parmy les soins que l’on a pris de moy dans la Province & au dehors. Ie reconnois même ingenûmant, que ie n’ay pas acquis ce bel Accent que ie remarque en bien des gens : & que ie neglige beaucoup de pratiquer les Regles que i’ay apprizes. I’oze pourtant donner au Public ma Theorie, comme un modele, sur lequel i’ay crû qu’il y avoit des bons traits à copier : & qui peut être utile à des personnes qui n’en ont point de meilleur.

Ie n’ignore pas les difficultez de mon entreprise. Ie sçay que ie heurte un vice public, qui regne dans la multitude, même des honnêtes gens, des Doctes, des Orateurs. Il y regne sans y être connû : la plûpart de ceux qui parlent mal, croyans de parler assez bien, & ne discernans qu’n tres-petit nombre de leurs defaus. On ne scauroit donc communemant aggréer des Regles, qui sont contraires à un mauvais Accent, inconnû, naturalizé, & qui plaît. Ceux mêmes, qui souhaitent de se connoître, & de s’instruire, m’accuseront de parler à credit ; de depozer du BelVzage, sans le sçavoir ; & de donner de mon auctorité, des Loix à la Langue, qui n’en peut recevoir d’aucun Particulier. I’appuye toutes ces difficultez, de la belle remarque de Quintilien, dans le premier Livre de ses Insitutions, Chapitre sixieme. Sermo constat ratione, vetustare, auctoritate, consuetudine. Auctoritas ab Oratoribus, vel Historicis peti folet… : Cum summorum in eloquentia virorum judicium, pro ratione : & vel error honestus est, magnos duces sequentibus, Consuetudo vero certissima loquendi magistra ; utendumque sermone, ut numo, cui publica forma est. Omnia tamen haec exigunt acre judiciumIl y a, dit-il, quatre principes d’où l’on doit tirer le beau discours : la Raison ; l’Antiquité ; l’Auctorité des Historiens, & des Orateurs ; & l’Uzage. Le sentimant des grands hommes, en matière d’Eloquence, tient lieu de puissante raison ; & il y a de la bien seance, d’errer à la suite des grands Capitaines. Mais l’Usage est le maître infaillible de la Langue : car il est du discours comme de la monnoye, dont il ne faut recevoir que celle qui a cours. Enfin tout cela demande un discernemant fin.

Usitatis tutints utimur nova non fine priculo quodam singimus. Num si accepta sunt, modicam laudem asserunt orationi : repudiara etiam in iocos exeunt. Quintil. X. I. inst. 5.Il avoit dit un peu aupravant, en faveur de l’usage. Le plus seur de suivre l’Usage ; il y a toutjours du peril d’inventer, car si ce que l’on invente est reçû, la gloire que l’on en retire est fort petite ; & s’il est méprizé, on se fait moquer de foy. Ay-je donc ce Discernemant fin, qui est necessaire, pour connoître le bel uzage ; pour choisir les Auctoritez des grands hommes ; pour discerner ce qui est nouveau, d’avec l’Antiquité ; & pour appuyer par le Raisonnemant, ce qui ne le sera pas par les autres trois principes.

Toutesfois, ces difficultez ne me rebutent point. Ie prie seulemant le Lecteur, de convenir avec moy de deux choses : Qu’il regne un fort méchant Accent dans la Province ; & que nous sommes charmez de celuy des Etrangers, qui viennent de la Cour, ou des Provinces qui l’environnent. Cela suppozé, je demande, si avec quelque étude, on ne peut pas marquer en particulier, en quoy consiste le mauvais Accent qui nous offence en Procince, & celuy qui nous charme dans les Etrangers ? Ne peut-on pas trouver en detail, les beaux traits d’un visage qui nous ravit ; & les laideurs d’un monstre qui nous épouvante ? Cela seroit bon aux personnes qui ne regardent les choses que legeremant : mais sans doute cela ne passe pas la capacité des Curieux.

A près tout, ie ne donne pas toutes mes observations, pour incontestables : mais aussi l’on doit avoüer qu’elles ne sont pas toutes reprehansibles : & pourvû qu’il s’en trouve de justes, j’espère qu’elles seront toutes utiles ; & que ce Traitté servira au Public : parce qu’il pourra donner lieu à quelque severe Critique, qui suppléra à mon defaut ; & donnera à la Province l’instruction que ie luy souhaite, de quelle part qu’elle vienne.


DE L’ACCENT

DE LA LANGUE FRANÇOISE

ET

La Maniere de le Purifier

dans nôtre Province.


CHAPITRE I.

Qu’est ce l’Accent ?


L’ACCENT, que les Anciens ont nommé, l’Ame & le Temperamant de la voix, est une espece de Ton, dont il n’est pas bien facile de donner une description generale : parce qu’étant commun à toutes les Langues, elles ne le prennent pas toutes dans le même sens. Les Grecs, qui ont été si heureux, à distinguer tout ce qui arrive en leur Langue, ont fait la differance de la Longueur & de la Briéveté des syllabes ; des Accents, des Esprits, des Apostrophes, & des Contractions : & ont donné des preceptes si clers & si nets, pour regler toutes ces especes ; qu’il reste fort peu de choses indecises dans leur langage. L’Accent ne fait donc chez eux, qu’une pièce ὀρτεοπεια.
Idest emendata cum suavitate vocum explanatio Quintil.
de ce qu’ils nomment Orteopée, qui est la beauté de l’expression. Il consiste dans l’élévation, ou dans l’abaissement de la voix, sur certaines syllabes. Ils le distinguent en Aigu, Grave, & Circonflexe. Le premier éleve la voix : le second l’abaisse : & le troisiéme l’éleve & l’abaisse sur une même syllabe. Tous ces divers tons se forment par la seule ouverture ou clôture de la bouche ; & sans abbreger ou prolonger les syllabes au delà des limites qu’elles ont par les regles de la quantité.

Les Latins se sont efforcez d’accomoder ces divers Accents à leur Langue, comme l’on voit Quintilien, & en d’autres Autheurs. Mais n’ayans pas été aussi heureux à regler les autres tons de l’expression ; ils ont donné lieu à tous les peuples, ausquels ils ont communiqué leur Langue, de la parler chacun à sa mode. Car si l’on assemble un Italien, un Espagnol, un Allemand, un Français, & un Languedocien ; & qu’on les prie de parler Latin ; l’oreille ne sera pas moins choquée de diversité de leur Accent, & de toute la maniere de prononcer ; qu’elle l’est, d’entendre parmy nous parler François à cinq ou six personnes de diverses Provinces. Les uns diront Elementum ; & les autres, Elementom (car les François prononcent lo, pour u) l’Italien dit, Deous, Angelous ; & le François, Deus, Angelus : celui-cy dit, Coelum, vicium, mihi ; & l’autre Choelum, vichium, miki. Nous disons me, te, de, re, &c. Et les Etrangers, mai, tai, dai, rai &c. Si vous demandez à tous ces Docteurs assemblés, comman test ce qu’il faut prononcer Ti, devant une voyelle ; par exemple ; initium, sapientia, doctior. Les uns répondront, qu’on doit dire, inissium, sapienssa, doccior ; & les autres, qu’il faut prononcer, inichium, sapienchia &c. Si vous opposez vites vitium, lites litium, noctes noctium : les uns & les autres ne sçavent que répondre.

Cela fait voir, qu’après tous les soins des Orateurs, il reste dans le Latin plusieurs syllabes déreglées, dont on n’a pas pû fixer l’expression. Quintilien avouë que les Romains reprochoient souvent aux Etrangers, leur mauvaise prononciation, & que c’est un defaut inévitable : I. i. 6. 5. sunt etiam proprii & inevitabiles soni, quibus nonnunquam nationes reprehendimus. Mais si ces beaux genies eussent sçu dresser une métode certaine, les Peuples s’y seroient assujettis aussi facilemant, qu’ils ont fait à leurs Gentes & à leurs Declinaisons. Cette variété, dans l’espression du Latin, ne consiste point dans les Accents Aigu, Grave, & Circonflexe : & puîque elle n’a point de nom particulier ; ne pouvons-nous pas dire, que ce sont en effet divers Accents, qui ne se reduisent point à ces trois especes communes à tous les Peuples ? Et par consequent, que l’Accent a, dans le latin, des limites bien plus étenduës, que celles qu’on luy veut donner ?

Mais cela est incontestable dans nôtre Langue ; en laquelle outre l’Aigu, le Grave, & le Circonflexe, nous reconnessons plusieurs autres especes d’Accent.

Premieremant, nous disons que c’est une perfection de l’Accent, de prolonger, ou abbreger les Syllabes, quand il est necessaire : Ainsi il est du bel Accent, de prolonger une penultieme, qui finit par n, ou par m : Exemple : Monde, Ample : Nous accusons de mauvais Accent, nos Provinciaux, qui prolongent les Voyelles, qui terminent les penultiémes Syllabes : Exemp, Aymable, Execrable, &c. l’Autheur des Entretiens d’Eugene & d’Atiste, dit dans le second Entretien, que Nous ne metons point d’Accent sur les Syllabes qui precedent la penultiéme. Il veut dire, que nous ne les prolongeons point : & quoy qu’il se trompe dans cette observation, il a pourtant raison de nommer Accent, la Longueur ou Brieveté des Syllabes.

Nous avons nos Esprits, ou Aspirations, aussi bien que les Grecs : nous nous en servons, dans le bel Accent, aux Harangues, Heraut, Heros, &c. Et dans cette Province, nous nous moquons, de l’Accent du Vulgaire du Canton d’Issoire & d’Ardes, où l’on substituë des Aspirations, aux l : Exemp. ils disent Chandahhei, pour Chandaley, ou Chandelier. Nous uzons de Contraction, dans Affaire, Defaire, Parfait : car l’on prononce, Afféra, Defére, Parfét ; reduisant ainsi la double ai, en E : au contraire, on prononce si fortement l’R, en Dire, Lire, &c. qu’il semble qu’on en met deux.

Nous substituons souvant des lettres à d’autres. Le mauvais Accent nous fait dire en ce païs, Mondo, Liro, &c. pour Monde, Lire : & en bel Accent, l’on dit Allaient, Fesaient, Disaient ; pour Alloient, Fesoient, Disoient, &c.

Enfin l’Accent comprend encore les Masculins & les Feminins, Car nous appellons Syllabe Masculine, celle où l’on fait l’Accent aigu : comme Liberté, Amitié, toutes ces Syllabes sont Masculines, & aussi celles, où l’on fait l’Accent Circonflexe, comme Nous, Ton, Dont, &c. Les Feminines sont celles où l’on met l’Accent grave : comme sont les Finales de ces mots Faire, Dire, Princes, Etoiles, Disent, Aiment, &c. Ceux qui n’ayans pas d’étude, ne connéssent point ces differences d’Accent, Aigu, Grave, & Circonflexe ; discerneront les Feminines des Masculines : en ce que les premieres se prononcent en fermant la bouche ; en sorte qu’elles semblent expirer entre les lévres, comme l’on voit dans les Finales de Dire, Etoiles, Aiment, &c Et les Masculines se prononcent à bouche ouverte, comme Dont, Ton, Liberté, Alloit, &c.

De toutes ces observations ie conclus, que nous donnons en France plus d’étenduë à l’Accent, que l’on a jamais fait en Grece & en Italie : & nous le pouvons definir à nôtre façon ; Un Temperamant de la Voix, qui élève ou abbaisse, abbrege ou prolonge, aspire ou non, certaines syllabes ; qui en supprime, adjoûte, substituë, selon les Regles reçûës, ou bien contre les Regles. Si c’est selon les Regles, c’est le bon Accent : si c’est contre les Regles, c’est le mauvais Accent.

CHAPITRE II.


L’Importance du bon Accent.


Des cinq parties de l’Eloquence, on sçait bien que l’Invention est la plus sçavante ; l’Ordre du Discours, est la plus judicieuse ; l’Elegance, est la plus belle ; la Memoire, la plus laborieuse ; & le Recit ou la Debite, est la plus efficace & la plus forte. Mais si l’Elegance fait la beauté du Discours, il faut avouër, que de tous les traits qui la forment, l’Accent est le plus charmant : & sans ses douceurs, tout le reste ne fait qu’une beauté fiere, rude, & choquante. Ie n’en veux point d’autre preuve que l’experiance qui nous fait voir, que l’oreille a plus de plaisir dans l’entretien d’une simple Bergere de Bourges, de Bloys, ou de Tours ; quoy qy’il ne s’y die rien de sçavant, de rare, ny de figuré ; qu’elle n’en a dans le sçavant Discours d’un Orateur de Languedoc, ou du haut Auvergne : parce que le mauvais Accent y est mêlé dans toutes les Syllabes ; il n’en est point qui n’entre dans l’oreille, accompagnée d’une épine, & il ne se peut faire qu’un bouquet aussi herissé, ne blesse des sens tant soit peu delicats.

Il semble même que les beautez de l’Accent sont plus naturelles, que celles des autres parties de l’Elegance, & qu’elles ne dependent pas si fort de l’Usage : car un Provincial arrivant dans Bloys, est naturellemant charmé de l’Accent qu’il y trouve, quoy qu’il ne l’ayt iamais experimanté : & cepandant l’on ne peut attribuër ce plaisir à l’Usage. La raison de cela, est que l’Accent étant Ton, ou un Tour de la Voix, il n’est pas étrange que la Voix étant naturellemant aggreable ou desaggreable, selon les diverses dispositions des Organes, l’Accent plaise ou déplaise naturellemant. Il est vray que c’est à l’Art à aider la Nature, & à rencontrer ces petits tours de Voix qui peuvent plaire, afin de les reduire en Regles, & en orner le Discours : comme c’est aussi à l’Art de dresser les Regles de la Musique & de tous les Concerts, afin de donner de la harmonie aux Voix & aux Sons. Il est constant qu’on ne peut pas dire que si un Concert de Voix ou de Luts, est plus aggreable que l’autre, cela vienne de l’Usage : mais de ce que les Organes & les Instrumans étans nuturellemant plus doux, & rendans un son plus aggreable à l’oreille ; l’Art a mieux rencontré le nombre, la quantité, & les proportions qui étoient necessaires pour faire les Accords. Disons à peu prés la même chose du Discours. Ce n’est pas tout de dire des choses sçavantes, de les dire en bel ordre, de parler en bons termes : toutes ces choses ne font que les delices de l’Esprit : mais pour plairre aux Sens, il faut avoir la Voix douce, & luy sçavoir donner un certain tour qui plaise, & que l’on nomme le bel Accent.Tenores, quos ab Antiquis dictos tonores comperi à verbo Græco τόνευς Quintil. suprà. Et peut-être l’on pourroit par cette raison nommer l’Accent, un petit Concert, & une harmonie de lettres & de syllabes,

Enfin ce qui acheve l’importance de l’Accent, c’est son utilité ; car il est d’un plus grand uzage que toutes les autres parties de l’Elegance, & même de la Retôrique, La sciance de l’Invention est odieuse dans les Conversations libres ; & mêler dans les Entretiens familiers des pieces d’érudition, à moins que l’on en soit prié, c’est ce que nomme Pedanterie ; y prononcer des Discours preparez, en quelle matiere que ce soit, il n’est rien de plus gehenant, & souvant de plus importun dans des Compagnies, où personne ne doit forcer les antres de l’écoutes : Enfin y parler avec impetuosité, & y employer les Gestes & les Mouvemans, c’est montrer aux Rostres, pour ainsi dire, & haranguer en forme au lieu de converser. Mais le bon Accent est de la Ruelle, aussi bien que du Bareau ; il adoucit l’ennuy des discours d’affaires dans le Cabinet ; il couvre les defaux de la Conversation familière : en un mot, il est utile autant de fois que l’on parle ; & sans luy, on ne parle qu’en blessant l’oreille de ceux qui ecoutent.


CHAPITRE III. De la diversité de l’Accent.


Comme tous les hommes ont naturelemant les mêmes Organes, pour recevoir les mêmes idées ; comme ils ont le même esprit pour former les mêmes pensées ; & enfin la même Langue, pour expliquer ces pensées, de la même façon : il est impossible de s’imaginer, que dans la naissance du Monde, il y eut des Langages différents : & il semble hors de doute qu’il n’y eut qu’une seule Langue durant fort l’on tems. La Langue Syriaque n’est pas cette Langue primitive, comme Theodoret l’a soutenû en faveur de sa nation : puîqu’on sçait bien que cette Langue n’est pas plus anciene que la Captivité des iuifs. Goropius a encore moins de raison, de vouloir persuader que c’est la Langue Flamande : enfin l’on est communémant d’accord que c’est l’Hébraïque qui fut la Langue du Paradis Terrestre, & des patriarches ; la Langue de toute la Terre jusqu’au Deluge, & jusqu’à la défaire des Geans. C’est dans cette pensée que Blaise de Vigenaire natif de nôtre Province, a pris soin de recüeillir l’Alphabet & les Caracteres des Peuples de l’Affrique, de l’Asie, des Indes & du Japon : & de montrer que les Elemants de ces langues ont encore tant de rapport avec ceux de l’Hebraïque, après les changemans & les corruptions quisont arrivées ; qu’il est aizé de juger qu’elles en tirent toutes leur origine.

Tous les hommes n’ayant donc que la seule Langue Hebraïque, lors de la construction de la Tour de Babel, elle seule demeurant inviolable dans la famille dont les Hebreux devoient naître : toutes les autres familles qui descendoient de Noë, & qui étoient toutes dans cette assamblée, se trouverent soudainement partagées en autant de Langues capitales. La Grecque, la Latine, la Sclavonique, la Germanique, le Tartarique, l’Abyssine, &c. y furent ouïes : & chaque famille n’entandant que la sienne, elles commancerent à se regarder les unes les autres comme des Barbares, & penserent à se separer.

Par succession de tems, ces Langues capitales furent divisées en plusieurs autres : car de l’Hebraïque dérivèrent les Langues qui partagerent l’Orient : de la Grecque, celles que l’on vit dans l’Asie mineure, dans les Mers, & au reste de la Grece : de la Tartarique, la Russiene, la Turque, &c de la Scalvonique, la Polonoise, la Moscovite, &c. de la Latine ; l’Italienne, l’Espagnole, & la Françoise. La division passant encore plus avant, nous voyons que l’Italienne a sous elle prêque autant d’autres Langues, qu’il y a de provinces en Italie ; & il en est de même de la Françoise, de l’Espagnole, & de toutes les autres. Ce n’est pas que ces Langues capitales perissent, car le beau Grec, le beau Latin, le François, l’Italien pur, &c. restent du moins dans les Livres, & parmy les Sçavans. Mais les Peuples ne s’appliquans pas à en confirmer l’uzage, forment insensiblement un mauvais langage, qui devient enfin langue prêque toute nouvelle.

Mais ce que j’insère de tout ce discours au sujet de l’Accent ; c’est qu’aprés le premier partage des Langues, qui arriva par un coup de la Justice de Dieu, toutes les autres divisions sont arrivées peu à peu ; premieremant par l’alteration de l’Accent, qui s’étant changé par la negligence des hommes, les Langues capitales que Dieu avoit inspirées furent blessées. Aprés cela du changemant de l’Accent, on tomba dans le changemant des Termes, & enfin dans la corruption de toute la Langue. Pour arrête ce progrez qui tendoit à rompre toute societé, & à causer une nouvelle confusion de Langues ; les meilleurs Esprits de chaque Peuple firent des recueïls des Termes, & de toute la maniere de parler des honêtes Gens ; & sur cet usage, dresserent de nouvelles Langues. Mais la negligence, le nouveau mélange des nations, ou d’autres causes, ayans encore changé l’Accent & les idiomes des nouvelles Langues, il a falû faire de nouveaux preceptes, & de nouvelles Langues : de maniere qu’à examiner la chose de prés, c’est ordinairement par la corruption de l’Accent que les Langues commancent de changer.

En effet, le mauvais Accent substituë souvant des lettres à d’autres ; il fait des contractions & des additions, comme i’ay dit au Chap. I. Mais n’est-il pas naturel, que de ces changemans de Lettres, on passe à celuy du mot tout entier, & du changemant des mots à celuy de la Langue ? Par exemple, lors que dans cette Province, au lieu de Monsieur. on pronoce Mouchieu & Proupheto, au lieu de Prophete ; il est visible, que ce defaut, qui n’est que de l’Accent, est une grande disposition à changer les termes entiers. Et ce qui rend cette vérité tout-à-fait sensible, c’est de remarquer, en venant de Paris, la diversité du Langage. Car il n’est rien de plus differant que le Vulgaire de nôtre Province, & celuy de Paris, ou d’Orleans : & cette differance se forme insensiblemant par l’alteration de l’Accent, que l’on trouve plus mauvais d’un lieu à l’autre, à mesure qu’on s’éloigne des belles contrées où il est assez pur. Ce progrez de la corruption de l’Accent, fait que les lieux qui sont voisins, ne different entr’eux que dans l’Accent, & dans quelques lettres qu’ils suppriment, ou qu’ils adjoûtent dans les mots : mais enfin par la suite de ce progrez, les Païs extrêmes, comme Paris & l’Auvergne, se trouvent differents dans les termes, & des la substance de la Langue.

Après cette observation, ie ne puis m’empêcher d’admirer le genie du Siecle, qui ne cesse de se plaindre de ce que l’on n’écrit point en François comme l’on prononce. On trouve cela fort incommode aux Etrangers, qui ne peuvent point apprandre nôtre Langue par la lecture de nos Livres. Et nos Autheurs se laissans vaincre à cette consideration, font des Livres, les plus conformes qu’ils peuvent à la manière de prononcer. Il seroit bien mieux, ce semble, de parler comme l’on écrit, de rendre la parole la suivante de l’Ecriture ; que de la rendre maîtresse : Parce que l’Ecriture étant solide & constante, on s’arrêteroit bien mieux le torrent de la corruption ; & l’on fixeroit la Langue, plus facilement que l’on ne fait, en écrivant comme l’on parle ; & en forçant l’Ecriture, de prandre toutes les modes de la Parole, qui est une volage ; & qui ne demeure pas la même durant l’espace de vingt-ans, & dans l’intervalle de vingt-lieues. La complaizance que nos Ayeuls, ont euë d’écrire par fois, comme l’on parloit de leur tems, est cause que nous n’entendons prêque point les vieux Livres qui nous restent : & aujourduy il nous vient des Lettres de la Cour, de plusieurs personnes de qualité, qui ne sçachans écrire, que comme l’on y parle ; il faut des truchemants pour les expliquer. J’advouë qu’il seroit bon d’écrire comme l’on parle : mais ce seroit aprés avoir fixé la maniere de parler, & avoir arrêté le torrent de l’Uzage. C’est ce que firent les Grecs & les Romains. Ils consulterent une fois pour toutes, le bel Uzage. Ils dresserent là-dessus, la Grammaire, les Rudimans, & les autres Regles ? mais aprés cela, ces Regles ont commandé à l’Uzage, & à la maniere de parler. Si nôtre Langue étoit donc arrivée dans ce haut point de perfection, que quelques-uns veulent dire ; il faudroit établir des Regles inviolables pour parler, sur ce bel uzage pretendu : & aprés cela l’on pourroit garder comme les Grecs & les Latins, une grande uniformité entre le Langage & l’Ecriture. On parleroit comme l’on écrit, & l’on écriroit comme l’on parle. Mais durant le regne de la legereté dans la prononciation, ie ne pense pas qu’on la doive prandre pour la regle de l’Ecriture : autrement nous perdrons l’intelligence des livres François, que l’on a écrits jusqu’à presant : & nos Neveux n’entandront pas les Nôtres.

Ce discours n’est pas tout-à-fait hors de propos : puîque c’est l’Accent qui donne la première atteinte à l’Uzage, & qui commance de changer la Langue. Il ne me reste qu’à observer, qu’il n’y a point de Ville qui l’ayt pur. C’est l’avantage de la Cour & de l’Academie. Mais l’Academie, & la Cour étans composées des gens de toutes les Provinces ; le bel Accent peut naître par tout, quand on s’y applique. Et pour ceux qui negligent ; tout ce que l’on en peut dire ; c’est qu’il y a des Villes & des Personnes, qui ont moins de defauts, & plus de dispositions naturelles à bien parler.

CHAPITRE IV.


Des causes du mauvais Accent



IL est du mauvais Accent, comme des maladies epidemiques : la cause en est tout-à-fait difficile à découvrir. C’est un mal populaire, si ancien, que l’on n’en sçait point le commancemant : il est si bijarre, que chaque Province en a une espece particuliere, qui ne se repand point au dehors : & il est si opiniatre, qu’on ne le sçauroit guerir universellemenant. D’où est-ce que peut proceder un vice si étrange ?

L’Accent, aussi-bien que le Langage même, & tous les accidans qui le suivent, étant un ouvrage de la bouche : on ne peut douter que la disposition des parties qui la composent, ne contribuent beaucoup à la pureté, ou impureté de l’Accent.

S’il se treuve des contrées, où l’on ayt communemant la bouche disposée de certaine façon, l’Accent y doit être particulier : & si l’on peut découvrir la cause de cette disposition des organes, on pourra rendre quelque raison de l’effet qu’elle produit.

Il est constant que du côté de France, on a communémant la bouche petite, & la langue & les lévres déliées : & c’est pourquoy l’on y parle avec une extrême facilité, on y prononce net, & le discours y est mieux formé qu’ailleurs, & plus beau. En Auvergne, & singulieremant dans la Limagne, on a la langue & les lévres grosses & pezantes : ce qui fait qu’on y parle lentemant, & avec pene (quoy que cette difficulté ne soit sensible qu’à ceux qui y font attention). Comme les lévres épaisses, ne se joignent & ouvrent pas si nettemant, dans chaque expression ; l’on ne sçauroit prononcer si parfaitemant : & la nature n’étant pas portée à se faire, dans tous les mots, les petites violances qui seroient necessaires, pour surmonter cette difficulté ; on prononce negligemmant, & seulemant autant qu’il est necessaire, pour se faire entendre : de maniere qu’il n’est pas étrange, qu’il paraisse du mauvais Accent, & d’autres impuretés dans le discours. Enfin la pituite, dont cette sorte de Temperamant abonde, humectant un peu trop les Organes, empêche la netteté de l’expression ; contribuë nôtre chi, nij, dij, &c. & cause d’autres defaus.

Dans le haut Auvergne, on a ordinairemant la bouche fort grande ; ce qui fait que n’ouvrant les lévres & les dents qu’à demy, on a l’Accent Languedocien ; comme ie l’ay fait observer à plusieurs personnes ; & chacun experimentera cét Accent en soy-même, si l’on essaye de parler les dents fermées.

Mais à quoy raporterons nous cette diverse disposition des Organes ? Sera-ce à la diversité des alimants, ou de l’air ? Ou bien aurons nous recours à la naissance : en disant que les premiers Peuples, qui habiterent chaque Canton, étans originaires de quelqu’un, qui avoit les Organes disposés de la sorte ; ont reçû & transmis à la Postérité cette conformation, avec l’Accent qui la suit ? On voit tous les jours, que les Enfans ressamblent à leurs Ayeuls, Bisayeuls, &c. ils ressantent leur maladies : ils sont enclins à leur vices. Les Annales de Bourgoigne, disent de l’une des illustres Familles de cette Province, que d’antiquité ces gens-là sont malins & pervers : ceux de cette maison qui vient aujourduy, de l’un & de l’autre sexe, m’ont avoüé que leur maison n’a iamais perdu cette reputation ; & ils travaillent efficacemant à la maintenir. Ie sçay bien aussi d’autres familles, qui naissent avec certaine disposition des Organes, laquelle est connuë ; & qui leur donne un certain Accent tout propre, que ie ne veux pas specifier.

Enfin l’on pourroit recourir à la cause superieure : & donnant à la diversité de l’Accent, la même origine que l’on donne à celle des Langues ; conclurre, que c’est une suite de cette malediction d’enhaut, qui tomba sur les Architectes de Babilonne : & que la même vertu qui travailla alors à la division des Langues, a continué & continüe de les subdiviser insensiblemant, par l’altération de l’Accent, comme i’ay dit au Chapitre precedent. Cela n’a-t-il pas autant d’apparance que de rapporter à la même cause, la noirceur des Ethiopiens, avec un Autheur de ce siecle ; qui dit qu’elle vient de la malediction lancée sur Cham, duquel ils sont décendus ? Et saint Augustin n’a pas eu plus de raison de rapporter à cette disposition secrete de la Providance, la diversité, des humeurs, des inclinations, &c.

Enfin il faut avoüer, qu’il n’est pas facile de former un jugemant certain sur ce Phenoméne de la Vie civile. On peut trouver la cause de la continuation du mauvais Accent, dans une Province : l’exemple seul suffit, pour contanter un esprit : car il est visible que l’imagination se remplit facilemant des idées du bon & du mauvais Langage. Mais la naissance de chaque espece d’Accent ne pouvant pas avoir l’Example pour principe, il faut necessairemant avoir recours à d’autres. I’ay assés dit pour donner lieu à une plus exacte recherche. Il faut passer au point le plus important, qui est la manière de purifier l’Accent.

CHAPITRE V.


De l’Accent des Voyelles.


A



LE plus mauvais Accent que l’on fasse sur cette Voyele, est un defaut de quantité ; en la faisant mal-à-propos, longue ou breve : en quoy nôtre Province est grandemant defectueuse. Et pour en corriger les defaus, il faut necessairemant plusieurs Regles ; selon les diverses situations de cette Voyele ; ou selon ses conjonctions avec d’autres lettres.

1. Lors qu’elle se trouve à l’entrée d’un mot ; faisant une même syllabe avec I ou u, : comme en, Aimer, Aimable, Aisé, Ailleurs, &c. Autruy, Autre, Auvergne, &c. il faut ordinairemant prolonger cette syllabe. 2. Quand cette Voyele à l’entrée du mot, est suivie d’une consone, l’Uzage est fort divers & bizarre : car si le mot a plus de deux syllabes, comme Abandon, Abyme, Adonner, Abonder, Aquiter, Aquerir, Affranchir, &c. la premiere syllabe est breve. Si le mot n’a que deux syllabes ; & que la seconde soit masculine ; comme Amour, Accent, Accés, Affreux, Amer, Amant, Aler, &c. la premiere doit aussi être breve. Mais si la seconde est feminine ; comme Ame, Acre, Arbre, Ane, Age, &c. la premiere doit être longue. Quelqu’un pourra s’étonner en cela de la bizarrerie de l’Uzage : car pourquoy est-ce, peut-on dire, que la premiere syllabe de Ame, est plûtôt longue ; que la premiere de Amour, Amer, Amant ? Toute-fois ie réponds que cét uzage tout bizarre qu’il semble, n’est pas tout-à-fait sans raison. C’est que, comme i’ay déjà marqué dans Amour, Amant, Amer, &c. la seconde syllabe étant masculine, & portant elle-même son Accent (puîqu’on ne peut éviter de la prononcer fortemant) il faut que la premiere soit breve : autremant l’on feroit deux Accents en un même mot.

3. La Voyele A, étant dans l’interieur des mots, se prononce aussi diversemant : Lorsque les mots n’ont que deux syllabes, la premiere est breve : comme Rage, Gage, Face, &c. Ces mots Sale, Pale, sont equivoques, & l’on ôte l’équivoque dans le discours, par le moien de l’Accent. Car prenant, Sale, pour une chose mal-propre ; on prolonge la premiere syllabe : & le prenant pour une Chambre, on la fait breve. Et tout de même, prenant Pale, pour un instrumant, la premiere est breve : mais le prenant pour une couleur, on la fait longue. A cela il n’y a point d’autre raison, que la necessité d’éviter les equivoques, qui sont odieuzes a toutes les Langues.

4. Il faut pourtant avoüer, qu’il y a des mots de deux syllabes, dont la premiere est naturellemant longue : quoy qu’elle finisse par A : comme Baailler, Hâcher, Hâte, Hâter, &c. Grace, Passe, Lasser, Casser, &c. Mais l’on voit bien, que c’est à cause des aspirations, qu’il faut faire dans les premiers mots ; & à cause des consones, qui sont dans les quatres derniers. Lors que le mot a plus de deux syllabes, & qu’il y en a une ou plusieurs, qui finissent par A, il faut que la derniere où se trouve cette Voyele, soit courte : Exemple : Orage, Effroyable, Detestable, Etable, &c. Et c’est l’un des plus insignes defaux de nôtre Province, de prolonger ces sortes de syllabes : cét Accent rendant le plus mauvais son, que l’on puisse dire.

5. Lors qu’il y a dans un mot plusieurs syllabes qui finissent par A ; il est grandemant doux, & du bel Accent, de prolonger la penultiéme de ces syllabes. Exemples : en Mâdame, Mâlade, Camârade, Incompârable, &c. on prolonge les syllabes, où il y a un titre : & la raison est Nobis juvenibus, doctissimat senes, acutâ primâ dicere solebant ; ut necessario secunda gravis effet. Quintil. lib. i, c. 5. que l’on évite mieux, par ce moien, la longueur de celle qui suit, selon la remarque de Quintilien.

Toute-fois il y a une exception, en ces Regles, de certains mots de plusieurs syllabes, dans lesquels celle qui finit par A, est longue : comme Miracle, Oracle, Spectacle, Obstacle.

6. Enfin ie doy encore marquer un insigne defaut de cette Province, dans la prononciation de la syllabe Au : par exemple, Auvergne, Aux Cieux, Au Ciel, &c. Dans le haut Auvergne, l’on ouvre si fort la bouche, en prononçant la premiere syllabe de ces mots ; qu’il semble qu’il y ait Aouvergne, Aoux Cieux, &c. Et au contraire, dans le bas Païs, l’on fait l’Accent circomflexe, n’ouvrant pas assez la bouche sur l’A, & la fermant sur u ; ce qui fait, qu’on prononce, prêque comme s’il y avoit oOvergne, oOux, oOu Ciel, &c. Or il faut tenir la bouche égalemant ouverte, sur les deux lettres. Ce qui est fort difficile de regler par écrit : & quoy que ce defaut soit tout-à-fait commun ; il est si peu de personnes qui y fassent attention, que ie crains qu’on ne le comprene pas, sur ce que ie viens d’en dire :

ε

Pour corriger l’Accent grossier que l’on fait sur cette Voyele ; il faut sçavoir que le bel Uzage la prononce en deux differantes manieres : l’une, dans son Accent naturel ; qui est celuy qu’elle a lors qu’on la prononce seule, ou bien dans le recit de l’Alphabet (dont chacun peut aizément faire l’experience) l’autre maniere, c’est de la prononcer, comme si au lieu d’E, il y avoit ai. Nôtre Province prend l’un pour l’autre mal à propos : & de plus, quelque-fois à l’e elle substituë grossieremant un O.

1. La premiere Regle que l’on doit observer ; c’est que quand cette Voyele est suivie de ST ; comme Beste, Teste, Feste, Estre, &c. ordinairemant on luy substituë ai ; en prononçant Baite, Taite, Faite, Aitre. On excepte, Estoit, Festoyer, & d’autres que l’Uzage peut apprande ; lesquels on prononce dans l’Accent naturel.

2. Il faut observer la même regle, lorsque E, est suivy de Sn, ou Sm ; comme en, Chesne, Mesme, Caresme, Cresme, &c. car il faut prononcer, Chaine, Maime, Caraime, Craine.

3. Enfin il faut faire le même quand E est suivy de RR ; comme en Verre, Terre, Guerre, Tonnerre, &c. lesquels il faut prononcer, omme Vairre, Tairre, Guairre, &c. L’Uzage met en même rang, Prêtre, Prophête, que l’on prononce Praitre, Prophaite : parce qu’on y sous-entand un ST. Il fait le même en, la Mer, Amer, que l’on exprime la Mair, Amair. Hors de ces occasions, il faut prononcer l’E dans le ton naturel : Aimer, Aller, Ioüer, &c. Treille, Bouteille, Lettre, Querelle, &c.

4. En Province, on fait tout le contraire de ces Regles. Car dans ces derniers mots, où il faut prononcer simplement un ε ; on substituë Ai ; en disant : Aimair, Allair, Ioüair, Boutaille, Queraille, Laitre, &c. Et dans les autres, où il faut prononcer ai, comme, Baite, Taite, Estre, haine, Caraime, Praitre, Prophaite, &c on prononce un E simple : en disant Bête, Tête, Être, Chêne, Carême, Prophête : Ce qui dérive sans doute du Gavot ; auquel, parce qu’on dit, Bético, Této, Cheino, Careimo, Proupheto, &c. on retient cét accent dans le François.

C’est de la même source que procede la substitution de l’O à l’E ; dont i’ay parlé cy-dessus. Car on doit sçavoir que tous nos Feminins François, consistent dans des syllabes où il y a un E, prononcées en fermant la bouche ; c’est à dire avec l’Accent grave. Par exemple : Simple, Autre, Vôtre, Simplemant, Autremant, &c. Tous ces E, ont l’Accent grave, & sont feminins. Or parce que le Gavot met des O, pour E ; & dit, Autro, Simplo, Simploment, Autroment : quantité de personnes retiennent encore cette expression dans le François ; & au lieu de Autremant, Vôtre, Une, Exemple, &c. il disent Autromant, Vôtro, Uno, Exemplo, &c.

5. Il y a encore à regler la quantité de cette Voyele : laquelle on prolonge souvant mal à propos. C’est donc une regle generale ; que les syllabes penultiémes des mots qui finissent par E sont breves : comme Elle, Eternelle, Vermeille, Querelle, &c. Le contraire est un fort mechant Accent de nôtre Province ; où l’on prolonge ces sortes de syllabes. Lors qu’il y a plusieurs syllabes finissantes par E, comme dans les mots que ie viens de marquer ; il est du bel Accent, de prolonger celle qui precede la penultiéme. De maniere qu’en Querele ; il faut prolonger Que. Ce qui se doit entendre, lorsque cette syllabe est masculine, comme dans ces mêmes mots ; car les feminines sont toûjours breves : comme en Doucemant, &c.

6. Il y a pourtant des Penultiémes, qui sont longues, quoy qu’elles finissent par E ; comme en Maniere, Derniere, Premiere, Troisiéme, Quatriéme, Cinquiéme, & par tout où l’I precede l’E, masculin. Entéter, Empêcher, & semblables, ont aussi la penultiéme, longue ; parce que l’on met dessus : & il est visible, que si l’on exprimoit l’S, & qu’on lût Entester, Feste, Beste, Teste, &c la penultiéme seroit longue. Or la suppression des lettres ne doit pas alterer l’Accent.

7. Enfin il y a à regler les Masculins & les Feminins, lesquels on confond souvant, en faisant l’Accent Grave, où il faut faire l’Aigu. Par exemple en Necessaire, on doit faire l’Accent aigu, sur les deux premieres syllabes ; & la seconde doit être longue : l’Uzage retenant dans le François, l’Accent du Latin. Il en est de méme, en Préceder, Concéder, Céder, &c. Or il est fort commun dans cette Province, de faire l’Accent grave sur ces syllabes qui precedent la derniere. On fait la même faute en Cét, Cette ? cét homme, cette femme. La faute que l’on fait, en prenant Ceux, pour Ces, n’est pas moins. grossiere Car le commun du Monde, dit Ceux hommes, ceux gens, &c. au lieu de dire, Ces hommes, &c. Jamais le pronom, Ceux, ne se doit ainsi joindre à un nom ; il faut toûjours dire, Ces ; & n’employer Ceux, que quand il est suivy de Qui, Que, &c. comme Ceux qui, Ceux-cy, Ceux que.

8. Dans le haut Auvergne, comme en Languedoc, on a accoûtumé de confondre les Masculins, & les Feminins, d’une façon particuliere : car en Visiblemant, Simplemant, &c. l’on fait l’Accent aigu sur la penultiéme, où il faut le grave. On met aussi l’Aigu, sur les articles singuliers, le, de, me, &c. en disant lé Ciel, dé vous, vous mé, &x. & il faut l’Accent grave ; ces articles étans feminins au singulier. Au contraire, on met le Grave sur les articles pluriels, des, les, mes, quoy qu’il faille l’Aigu.

I

Cette Voyele étant suivie de n, ou, m ; doit être prononcée comme ei, Exemple ; Vin, Divin, Prince, Prince, Province, &c. sont prononcez Vein, Divein, Preince, Proveince. Et c’est un des defaus de ce Païs, d’exprimer l’I trop fortemant.

Ce seroit icy le lieu de noter, ce que l’on appelle nôtre Chi, Cha ; qui consiste en ce que dans les syllabes qui finissent par I, comme ci, si, di, li, ni, mi, &c. on prononce si fortemant l’I, qu’il semble qu’on en met deux : & le Cha se forme dans la prononciation de Sa ; ça ; dansa, commança : lors qu’on y semble joindre, h ; disant dancha, commancha. Mais ces defaus sont assez connus. Et il vaut mieux d’avertir, que le Chi procede, de ce que dans l’expression de ci, si, di, &c. on applique le plat de la langue, aux dents, ou au Palais de la bouche : car par ce moien, l’air & la pituite y étans comprimez, il en resulte necessairemant ce mauvais Accent. On doit donc prononcer ces syllabes delicatemant ; en appliquant subtilemant la pointe de la langue contre les Lèvres, les Dents, ou le Palais ; selon l’organe qui doit contribuër à chacune. Il faut pourtant observer, que lorsque l’I precede deux l, comme en Ailleurs, Assaillir, Boüillir, &c. alors il faut prononcer à l’Auvergnat ; en appliquant le plat de la langue au Palais de la bouche.

Il y a aussi à regler la Quantité de cette Voyele : & il n’y a qu’à observer, que les penultiémes syllabes, qui finissent par I, sont ordinairemant breves, lorsque les dernieres sont masculines ; comme en Finir, Rimer, Confiner, Rafiner, &c. Et tout de même, quand elles sont feminines : comme, Crime, Rime, Cire, Fine, Mine, &c. Il faut pourtant avoüer, que le bel uzage les fait longues, en certains mots, que l’on nomme Infinitifs : comme Lire, Dire, Rire, Frire, &c. Quand il y a deux syllabes en un mot, qui finissent par I, comme en, Vizire, Mistique, Politique, Pacifique, &c. on fait le plus souvant, la premiere, longue ; afin que la derniere soit plus courte, suvant la remarque que i’ay faite ailleurs.

O

Dans les mots de deux syllabes, cette Voyele est ordinairement longue à l’entrée du mot : comme en Odeur, Oter, Ozer,. Il semble que Offre, Offrir, ont la premiere breve.

Dans les mots qui ont plus de deux syllabes, la premiere est breve : comme, Oraizon, Obeïr, Observer, Offenser, &c. Dans le mot même, la syllabe finissant par O, est breve : comme, Pistole, Immole, Vole, Fole, &c. & c’est un Accent fort grossier de cette Province, de prolonger ces syllabes. Il semble toute-fois qu’elles sont longues, quand elles precedent un Z, comme en Doze, Oze, Poze, Compoze, Choze, Proze, &c. Et peut être même en Roze. Et quoy qu’on ne se serve pas ordinairement du Z, par écrit ; on le prononce pourtant dans le discours. Quand il y a deux syllabes en un mot, qui finissent par O, on prolonge la premiere, pour abreger davantage la seconde : comme en Colloque, Colore, Philosophe. Quand il y a deux O, exprimez, ou sous-entendus ; comme en Contrôle, Enrôle, &c la syllabe est longue.

La syllabe oi, se change quelquefois en E simple ; & quelquefois en ai. On la change en E, dans Disoit, Faisoit, Alloit, & autres troisiémes personnes singulieres des Preterits imparfaits : car l’on prononce Disét, Féset, Allét, &c. On la change en ai, dans Disoient, Fesoient, Alloient, &c. Disois, Fesois, Alois, &c & dans toutes les troisiémes personnes du Pluriel des Preterits imparfaits ; & dans les premieres & secondes personnes du singulier, des mêmes Preterits : car l’on prononce, Disait, Fesait, Allait, pour Disoient, Fésoient, Alloient : & pour Allois, Disois, Fesois ; on prononce Alais, Disais, Fesais.

U

Cette Voyelle, dans les mots de deux syllabes, est ordinairemant longue : comme Uze, Fuze, Buze, Muze, Ruze, Ruzé, &c. Quand il y a plus de deux syllabes ; la penultiéme, finissant par u ; est ordinairemant breve : comme, Figure, Ordure, Murmure, Creature, Peinture, Sculpture, &c. Il semble pourtant qu’elle est longue en Accuze, Excuze : & peut-être que le Z fait le même effet à l’égard de l’V, qu’il fait envers l’O dans l’Article precedant. C’est un défaut de Province de dire Roume, Houme, Doune, Coume, &c. pour Rome, Homme, Donne, Comme. On y dit aussi, Prouphete, Proufit, Moutrer, &c. pour Profit, Prophete, Monstrer, &c. Enfin l’on y dit souvant, Vune, Vuotre, &c. pour Une, Vôtre, &c.

CHAPITRE VI

De l’Accent des Consones.

M, N, R, S,


LES Syllabes qui finissent par m, n, sont toûjours longues, quand elles sont penultiémes : comme Monde, Onde, Prendre, Compris, Trompe, &c. On excepte, Pomme, Comme, Donne, &c. parce que l’on supprime l’m, ou l’n des premieres syllabes de ces mots : lesquelles par consequant ne finissent pas par m, ou n, dans la prononciation ; mais par o. Quand un mot a deux syllabes, qui finissent par m, ou n, on prolonge seulemant la derniere ; comme Entendre, comprendre, &c. Quand il n’y a qu’une syllabe, qui finisse par m, ou n ; il la faut prolonger, quoy qu’elle ne soit pas la penultiéme du mot : comme Sensible, Entendement, &c. R, est prononcée fortemant, du côté de France : quand elle commance une syllabe : comme en Dire, Lire, &c. on prononce prêque deux R.

Quand il y a une double S, la syllabe qui finit par la premiere, est ordinairemant longue, comme en Passer, Pousser, Fosse, Rosse, Necessaire. On excepte Assembler, & autres semblables, où la necessité de prolonger la syllabe, qui finit par m, fait abbreger la premiere.

La syllabe qui finit par S, suivie de C, comme Descendre, Condescendre, doit avoir l’Accent aigu ; & c’est un defaut de Province, de luy donner le Grave, & de la faire feminine.

CHAPITRE VII.


Des Elisions &t Suppressions des lettres finales.



S Upprimer quelques lettres finales d’un mot, pour le joindre à celuy qui suit ; c’est ce que l’on nomme Elision. On la doit faire lorsque le premier de ces deux mots finit par une Voyele feminine, & que le suivant commance par une autre Voyele. Par exemple La Province étoit ; L’homme ayant ; Comme on, &c. Il faut prononcer La Provinc’étoit. L’homme’ayant. Comm’on. Le commun des Gens, ne fait point ces elisions dans cette Province. J’ay dit expressèmant, qu’il la faut faire, quand le mot precedant finit par une Voyele feminine : car si elle est masculine, comme : l’ay été à : il dira au, &c. il ne faut point d’Elizion. Quand le mot precedant finit par une Consone, il ne faut iamais elider, si le suivant commance par une Voyele : Par exemple, il faut dire Les Princes étoient : Ils viennent ensemble : Ils dinèrent avec luy, &c. Et non point comme l’on dit en Province, Les Princ’étoient : Ils vienn’ensamble : Ils diner’avec luy.

La suppression est une espece d’Elision. Lorsque le mot precedant finit par une Consone ; & que le suivant commance aussi par une Consone ; on elide la Consone du precedant, Par exemple Aimer le Vin : Ils viennent, &c. on ne prononce point l’R, de Aimer, ny l’S, de Ils. Quand le mot precedant finit par une Consone, & que le suivant commance par une Voyele ; comme Aimer à boire, Disant à, &c. il ne faut rien supprimer : & c’est un grand défaut de province de prononcer, Aimé à boire ; Disan à, &c. supprimant ainsi l’R, du premier mot, & le T du second.


CHAPITRE VIII


Des Equivoques.



TOutes les Langues abhorrent avec justice, les Equivoques. Parce que la Parole n’étant instituée, que pour expliquer la Pensée ; l’Equivoque empêche de le faire nettemant.L. de Doctr. Christian. Saint Augustin pour éviter l’équivoque du mot Latin OS, qui signifie la Bouche, & aussi, un Ossemant, vouloit que pour exprimer Ossemant, on dit Ossum, Ossi ; & qu’on laissât à la Bouche, l’OS tout entier. Or il y a aussi dans nôtre Langue, plusieurs termes équivoques, dont l’on determine le sens, par la façon de prononcer. Je marque icy ceux que ma memoire me fournit.

Droit, signifie le pouvoir que l’on a sur une chose ; & aussi, une chose droite : & pour faire connaitre la premiere signification, on prononce Droit : pour marquer la seconde, l’on dit Drét.

Sale, étant pris pour Chambre ; on abbrege la premiere syllabe : étant pris pour une chose mal-propre, on la prolonge. Soit venant du Verbe, Ie suis ; on prononce Sét ; car l’on dit, Ie veux qu’il Sét. Mais étant pris pour Adverbe ; on dit, soit : Par exemple : soit qu’il aille, soit qu’il vienne. De maniere qu’il faut dire ; soit qu’il sét pauvre, soit qu’il sét riche. parce que les deux premieres, soit, de ces deux demy-phrases, sont Adverbes ; & les autres sont Verbes.

Croit, venant de Croire ; on le prononce Croit : & l’on doit dire Ie crois, tu crois, il croit. Nous croyons, vous croyez, ils crait. Mais venant du Verbe Croitre, on dit Ie crais, tu Crais, il crait, Nous créssons, vous cressez, ils cressent.

Doit, signifiant le Doit de la main, se prononce Doit. Mais signifiant Engagemant, ie je serois du sentimant de ceux qui prononcent, Il dét : comme l’on dit Ils dèvent ; Ils devait : & le mot Dét, a bien plus de raport au Latin Debet, duquel il derive.

On a accoûtumé dans les Provinces, de faire des Equivoques ; ausquelles il est visible, que la maniere d’écrire ne donne point d’occasion. La troisiéme personne du Pluriel des Preterits imparfaits, s’écrit avec ient par exemple ; Etoient, Disoient, Lisoient. Et cependant l’on prononce vulgairemant le Pluriel, comme le Singulier : on dit en l’un & en l’autre : E’tét, Disét, Lisét : si bien qu’on ne peut discerner par cette expression, si l’on parle d’une seule personne, ou de plusieurs. Ce defaut n’est pas seulemant de nôtre Province ; il est aussi des autres : & l’on ne voit que les plus Exacts qui l’évitent. Par tout où l’on voit donc écrit, ou bien où l’on devroit prononcer Etoient, Disoient, Lisoient, &c. il faut dire E’tait, Disait, Lisait : tout de même que nous disons, I’étais, Ie disais, Ie Lisais. Mais où l’on trouve E’toit, Disoit, Lisoit : il faut prononcer E’tét, Disét, Lisét.

CHAPITRE IX


Des Conjugaisons.



O N nomme Verbe, un mot qui signifie, Faire quelque chose. Comme, Aimer, Réver, parler, Lire, Danier. Or l’on peut, en cinq manieres differantes, parler de faire une chose : par exemple, de lire. Et ces cinq Manieres, se nommans en Latin Modi, ont ététraduites dans les Ecôles, par un nom barbare, Mœufs. La premiere de ces Manieres, est de dire qu’on lit en certain tems, prezent, passé, ou à venir : & cette Maniere, se nomme Indicatif. La seconde est en comandant de lire, prezantemant, ou en autre tems à venir : & c’est l’Imperatif. La troisiéme, est en souhaitant qu’on lise ; ou qu’on ait leu au passé : & c’est l’Optatif. La quatriéme, est de supporter qu’on lit, ou qu’on a lû, ou qu’on avoit lû, ou qu’on lira : & c’est le Subjunctif. La cinquiéme, est de parler de lire, indeterminémant ; sans assurer, commander, souhaiter, ny suppozer : comme quand on s’entretient simplemant du plaisir qu’il y a de lire ; & cela se nomme Infinitif.

On appele donc, Conjugaizon, l’explication que l’on fait de quelqu’ne de ces Manieres de aprler de lire, ou de faire quelqu’autre chose. Par exemple, ie conjugue l’Indicatif, lorsque ie dy : le ly, Tu lis, Il lit ; Nous lisons, Vous lizez, ils lizent. I’ay lû, tu as lû, il a lû, &c. Parce que ie recite la maniere, dont il faut exprimer, qu’on lit en certain tems.

C’est aux Rudimans, qu’il faut renvoyer ceux qui ne sçavent pas ces Conjugaizons, en François. Et cependant il est étonnant de voir combien de gens de lettres, les ignorent : quoy qu’ils entendent parfaitemant le Latin.

Le defaut que l’on fait donc, se commet dans l’Optatif. Car il faut conjuguer ainsy le Preterit imparfait : Plût-à-Dieu que ie lusse ; que tu lusses ; qu’il lût. Plut-à-Dieu, que nous lussions, &c. Et le Preterit plus que parfait, se conjugue de la sorte : Plut-à-Dieu que j’eusse lû ; que tu eusses lû ; qu’il eut lû, &c. Voila la veritable maniere de parler & d’écrire. Et voicy comme l’on fait souvant l’un & l’autre : Plût-à-Dieu que ie lusse, que tu lusses, qu’il lusse : Plût-à-Dieu que j’eus lû, que tu eus lû, qu’il eusse lû. Plût-à-Dieu que j’aimasse, que tu aimasse, qu’il aimasse : Plût-à-Dieu, que j’eusse aimé, que tu eus aimé, qu’il eusse aimé, &c. Tout cela s’appele confondre les choses ; & l’on peut aisémant corriger ce defaut parce que ie viens de dire.

CHAPITRE X


Regle generale et Conclusion du Traitté.



VOila les principales observations que ma Memoire me fournit pour la pureté de l’Accent. C’est aux Parens à suppléer à mon defaut, par le soin qu’ils doivent prendre d’élever leurs Enfants, depuis le Berceau, à la Langue Françoize ; & de les retirer de la conversation des personnes qui ne parlent que le Gavot. Les Langues les plus difficiles s’apprenent par la frequentation de ceux qui les parlent bien : l’imagination se laissant aizémant impressioner des idiomes qui frappent souvant l’oreille, & de l’Accent qui les accompagne. C’est de là que vient ce grand commerce qui se trouve entre les Langues ; qui empruntent souvant des termes, les unes des autres. Quintilien fait voir, que le Latin a beaucoup emprunté du Grec ; que le Grec, tout riche qu’il est, a emprunté du Latin : & que le Gaulois n’est pas si pauvre, qu’il n’ayt eu des termes à prêter aux Orateurs Romains, pandant que la Gaule fournissoit des Lauriers à leurs Capitaines. Il dit que Rheda, est un terme Gaulois (peut-être est-ce de luy, que dérive notre Vulgaire, Rode) & Benna en est un autre, suivant les Autheurs. Les Romains n’ont pas manqué de leur côté, de nous accommoder de leurs termes. On croit que toute nôtre Langue en est descenduë ; quoy qu’à la verité, elle ne se ressante guere plus de son origine : & peu à peu l’on change si fort les termes, qui tiennent du Latin ; qu’il semble qu’on ayt resolu d’abolir entieremant la memoire de cette naissance. Enfin le Vulgaire de cette Province a encore tiré du Latin, une partie de ses expressions, qui rentrent prêque toutes entieres ; & on les sçait assez, sans qu’il soit necessaire de les marquer.

Or quand les Peuples se sont ainsy communiquez leurs termes ; ce n’est pas par transaction, & par concert : c’est par une imitation indeliberée & insansible ; qui a été capable au bout d’un tems, de faire oublyer à toute une Nation, ses termes propres ; pour ne se souvenir que des Etrangers.Non assuescat nedum infans quidem ei, sermoni qui de discendue fit. Quint. Cela fait bien voir la force de l’exemple, en matiere des Langues : & avec quel soin l’on doit procurer à la Jeunesse, la pratique des personnes qui parlent juste. Certes il est impossible que le beau François & le bon Accent, ne soient étrangers à ceux qui ne sont élevez qu’à une Langue grossiere.

Mais au soin des Parens, la Jeunesse doit elle-même ajoûter l’application ; & se souvenir de cét avis de Quintilien : Est certè aliquid consummata eloquentia, neque ad eam pervenire natura humani ingeny prohibet. Quod si non contingat ; altius tamen ibunt qui ad summa nitentur, quàm qui In praesat. Inftit., prasunptâ desteratione quo velint evadendi, protinus circa ima substiterint.
PERMISSION.


VEU le Livre intitulé, de l’Accent Langue Françoife, & la maniere de le purifer dans nôtre Province : Ie declare pour le Roy, ne vouloir empêcher que ledit Livre soit imprimé par Nicolas Iacquard Maître Imprimeur en cette Ville, avec défenses à tous autres de l’imprimer & débiter, à peine de confiscation des Exemplaires, & de trois cens livres d’amande. Fait ce dix-huictiéme May 1672.

Signé Pascal.



VEU ledit Livre, & les Conclusions du Procureur du Roy ; Nous avons permis & Permettons audit Iacquard, d’imprimer ledit Livre, intitulé, de l’Accent de la Langue Françoise, & la maniere de le purifier dans nôtre Province ; Et faisons défenses à tous autres de l’imprimer & débiter, à peine de confiscation des Exemplaires, & de trois cens livres d’amende. Fait le 18. May 1672.

Signé Dufour.