De l’abus des nudités de gorge

APPROBATION DES DOCTEURS.

Nous soussignéz Docteurs en Théologie de la Faculté de Louvain, certifions avoir lu un Livre intitulé, l’Abus des nudités de gorge, composé par M***** dans lequel nous n’avons trouvé rien de contraire à la Foy ni aux bonnes mœurs. Fait à Bruxelles ce dixhuitième jour de Mars 1675.

J. Mons. J. Roussel. G. Faget.
L’IMPRIMEUR AU LECTEUR.

Je me crois obligé de vous avertir, mon cher Lecteur, que ce petit livre est l’effet du zèle et de la piété d’un gentilhomme François, qui passant par la Flandre, et voyant que la plupart des femmes y ont la gorge et les épaules nues, et approchent en cet état du tribunal de la Pénitence, et même de la sainte Table, témoigna qu’il étoit fort scandalisé de cette coutume, et promit d’envoyer un écrit dans ce Pays qui en feroit voir l’abus et le dérèglement. Il a tenu sa parole, et cet écrit étant tombé entre mes mains je me suis résolu de le donner au public tel que je l’ay receu, en attendant qu’on le traduise en nôtre langue. Peut-estre ne sera-t-il pas moins utile pour la France que pour la Flandre, et je suis persuadé qu’il sera partout approuvé des personnes de science et de vertu.

PREMIÈRE PARTIE.
Que les nuditéz de la gorge et des épaules sont blâmables et nuisibles.

I. Il suffit que le monde souffre et approuve une chose pour pouvoir conclure qu’un Chrétien doit l’éviter et la condamner, car qui ne sçait que le monde est l’ennemy irréconciliable de Jésus Christ, et que ses sentimens sont si opposéz à ses maximes, qu’il est impossible d’observer les loix de l’un sans violer celles de l’autre ; et comme le Chrétien ne doit être animé que de l’Esprit de Jésus Christ et que le monde suit toujours l’esprit du démon, il est évident que les Chrétiens doivent fuir ce que le monde recherche, blâmer ce qu’il autorise, et avoir de l’aversion pour ce qu’il aime.

II. Nous voyons par une funeste expérience que le monde approuve les nuditéz en la personne des femmes, nous pouvons donc hardiment les désaprouver, ou plutost nous devons les condamner, et nous opposer avec d’autant plus de zèle à cet abus criminel, qu’il est appuyé par un long usage et qu’il a passé en coutume. En effet ce mal est si grand et si contagieux, qu’il est devenu commun presque à toutes les femmes et à toutes les filles de toutes sortes de conditions, et qu’il a pour ainsi dire répandu son venin en toutes sortes de lieux.

III. Ce n’est pas seulement dans les maisons particulières, dans les bals, dans les ruelles, dans les promenades, que les femmes y paroissent la gorge nue, il y en a qui par une témérité effroyable viennent insulter à Jésus Christ jusqu’au pied des Autels, et comme si le démon se vouloit servir d’elles non seulement pour prophaner la sainteté des Eglises, mais pour en violer l’immunité ; elles y viennent blesser les yeux des plus innocens et des plus justes, et donner la mort à ceux qui sont encore foibles et chancelans dans la vertu. Les hommes se retirent dans les Temples comme dans des aziles où Satan n’ose presque les attaquer, et où bien souvent il ne peut les vaincre ; mais ce qu’il ne peut faire par luy même il le fait par les femmes qu’il y conduit et qui par la nudité honteuse de leur gorge, de leurs bras, de leurs épaules, attaquent, blessent et vainquent ceux qui croyoient être en seureté, et font ainsi triompher le démon dans les lieux mêmes destinéz au triomphe de Jésus Christ.

IV. Les Tribunaux même de la Pénitence qui devroient être arroséz des larmes de ces femmes mondaines, sont prophanéz par leur nudité, et les Anges qui assistent avec respect et avec crainte à la sainte Table frémissent d’indignation et d’horreur, voyant qu’elles y vont avec une posture non seulement immodeste mais quelquefois impudente et lascive.

V. Je ne m’étonne pas que le monde applaudisse à ce désordre puisqu’il en est l’auteur, mais je ne puis concevoir comment les gens de bien demeurent dans le silence et souffrent cette abomination sans parler et sans se plaindre comme s’ils étoient sans voix et sans piété. Ne diroit-on pas qu’il y a une défence publique de se scandaliser de ces objets indécens, ou que l’on croit que nôtre Dieu n’est pas plus clairvoyant que les fausses divinitéz des Payens qui avoient des yeux et ne voyoient pas ceux qui venoient les adorer dans leurs Temples. Où en sommes-nous et qu’espérons-nous de nôtre silence et de nôtre lâcheté ! Puisque nous connoissons la grandeur du mal, pourquoy ne tâchons nous pas d’y apporter du reméde ?

VI. S’il est vray comme on n’en scauroit douter, qu’une femme modeste est également agréable à Dieu et aux hommes, il n’est pas moins certain qu’une femme sans modestie doit déplaire aux hommes comme elle déplaist à Dieu. Ou pour parler le langage de l’Ecriture, s’il est vray que c’est grace sur grace qu’une femme modestement vestue qui donne des marques de sa sainteté par sa pudeur, il est indubitable que c’est crime sur crime qu’une femme vestue à la mondaine qui fait douter de son innocence par sa nudité ; c’est un crime parce qu’elle peche contre la pudeur, c’est un double crime parce qu’elle fait pecher contre la pureté et qu’en même temps qu’elle se rend coupable, elle travaille avec le démon à faire des criminels.

VII. L’Apôtre S. Paul avoit préveu tous ces maux, et pour y remédier il ordonna que les femmes ne parussent dans les Eglises qu’avec des habits modestes, ornées de pudeur et de chasteté, non pas d’or et de pierres précieuses : telles que doivent être des femmes Chrétiennes, dont les vestemens même font reconnoître la pieté, et dont le port et la démarche sont une preuve ou du moins un indice de la sainteté de leurs actions. Sans doute les femmes devroient s’étudier à suivre exactement ce conseil de l’apôtre, et les hommes devroient faire leurs efforts pour le faire observer, puisqu’il n’est pas moins utile aux uns qu’aux autres. Cependant les femmes le violent sans scrupule, et les hommes le voient violer sans émotion.

VIII. Tachons du moins d’imiter le zéle de S. Jean Chrisostome, et si nous ne pouvons empescher ce déréglement, efforçons-nous avec luy, de faire connoître à ces femmes quelle est la grandeur de leur faute quand elles viennent dans l’Eglise avec des habits indécens, et si je l’ose dire, comme à demi-nues. Venez-vous dans la maison de Dieu comme au bal, leur dit ce grand homme, venez-vous dans le sanctuaire pour y faire des conquestes et pour y satisfaire votre sensualité ? Y venez-vous pour attaquer Dieu ou les hommes. Ne venez-vous dans ce lieu Saint que pour y étaler vôtre corps ? Faut-il y dresser votre lit ? Et ne songez vous pas que vous y serez portées dans un cercueil pour y servir de pâture aux vers. Et certes cette pompe, cette molosse, cette nudité affectée, ont-elles du rapport à l’état de suppliantes et de criminelles ; conviennent-elles à des personnes qui doivent demander miséricorde, et sont-ce là de bonnes dispositions pour pleurer ses péchéz et pour en obtenir le pardon ?

IX. Revenez donc de votre aveuglement ô femmes mondaines ! Esclaves du siécle, idolatres de la vanité, souvenez-vous que Satan est le prince du monde, et que vous devenez ses sujetes à mesure que vous vous conformez aux maximes que le monde vous propose, et que vous suivez les abus qu’il a introduits ! Hé quoy la seule magnificence de vos habits et la seule superfluité de vos ornemens ont fait gémir tous les Saints qui en ont été les témoins, que diroient-ils maintenant s’ils voyoient que toute cette pompe n’aboutit pas seulement à flater votre vanité et votre orgueil, mais encore à favoriser l’impureté, et a inspirer à ceux qui vous regardent des désirs illicites et des pensées sensuelles. Faut-il faire tant de dépenses pour couvrir son corps, et cependant le laisser à demi-nu ? N’est-ce pas l’offrir en quelque sorte aux hommes du siècle que de l’exposer ainsi à leurs yeux et à leur concupiscence ?

X. En effet ne doivent elles pas appréhender qu’on leur reproche d’aimer trop le monde et de souhaiter avec trop d’ardeur d’en être aimées ; que ne font-elles point pour luy plaire ? Elles consument les biens de la fortune et perdent les biens de la grâce ; et quand par leur pompe et par leur nudité elles sollicitent les libertins à les regarder, ne peut-on pas dire, qu’elles deviennent semblables à cette femme dont parle Ezéchiel, qui tachoit par ses soins et par ses richesses d’acquérir l’amitié de ceux qui la regardoient, et s’il m’est permis de me servir de ces termes pour exprimer la pensée de ce Prophéte, qui achetoit sa prostitution au lieu que les autres la vendent.

XI. Songez, songez, que dans votre Baptême vous avez renoncé aux pompes et aux vanitéz du monde, et faites réflexion que par vos ornemens inutiles et vos nuditéz honteuses vous pratiquez ce que le monde enseigne de plus dangereux et de plus impie. Hélas ne le croiez point, c’est un trompeur qui ne tâche qu’à vous séduire, et qui ne peut jamais vous rendre heureuses ny contentes quelque promesse qu’il vous fasse. Vous ne devez point faire alliance avec luy puisqu’il est votre ennemy et le rival de votre Dieu, et si vous êtes assez foibles et assez malheureuses pour con sentir à ce qu’il demande de vous , contre vous mêmes, si vous ne pouvez vous résoudre à quitter entierement votre luxe, et à couvrir votre nudité ; faites du moins quelque difference entre la maison du Seigneur qui est consacrée par la célébration de nos mistères, et celles qui sont prophanées par le libertinage du siècle ; entre les lieux destinéz à la prière et à la pénitence, et les lieux propres au divertissement et à la joye. Pourquoy voulez-vous étendre l’Empire du Prince du monde au-delà des bornes qu’il s’est luy-même prescrites ? Il ne prétend avoir de jurisdiction que sur les lieux prophanes, et par votre immodestie vous le faites régner même dans les lieux saints. Aprenez que votre nudité devient une espèce de sacrilége dans les Églises si elle n’est ailleurs qu’un simple péché, et n’oubliez pas qu’elle attire sur vous un double châtiment, puisqu’elle y méprise et outrage ouvertement le Seigneur en même temps qu’elle scandalise ou séduit les hommes.

XII. Qui ne scait que Dieu est jaloux du respect qu’on doit avoir pour ses Temples, et que le zéle de sa maison dont il est comme dévoré, dit le Prophéte, ne luy permet pas de laisser sans punition ceux qui la prophanent. De quelle sévérité n’usa-t’il point contre ceux qui faisoient un trafic légitime dans le Temple de Jérusalem, et qui vendoient des animaux pour être employez aux Sacrifices ; et quel châtiment ne doivent pas attendre ces femmes mondaines, lesquelles bien loin de contribuer au Sacrifice, et de favoriser le zéle de ceux qui viennent offrir leurs vœux à Dieu , comme faisoient les marchands que Jésus Christ chassa du Temple, deshonorent le plus auguste de tous les Sacrifices, et détournent ou corrompent l’intention de ceux qui y assistent et quelquefois de ceux-la même qui le célèbrent ; lesquelles étalent toute leur beauté dans les Eglises d’une manière si criminelle, qu’elles font une espèce de commerce d’impureté entre elles et ceux qui les regardent, lesquelles enfin plus coupables que les vendeurs du Temple qui ne vouloient que gagner de l’argent sans faire tort au culte du Seigneur, ne songent qu’à gagner des cœurs pour les ravir à Dieu.

XIII. Que je plains celles qui affectent de faire voir ce qu’elles ont de beau et de charmant dans les lieux saints, où elles ne devroient faire paroître que de la contrition et de l’humilité, mais aussi que je crains pour ceux qui ne fuyent pas leur rencontre, ou qui détournant leurs yeux de dessus l’Autel où repose le vray Dieu , les jettent sur ces idoles superbement et immodestement vestuês. Il y a toujours du péril à considérer attentivement une belle gorge, et il y a non seulement un grand danger, mais une espèce de crime de la regarder avec attention dans l’Eglise, et en même temps que l’on offre le saint Sacrifice de nos Autels. Car Jésus Christ étant alors réellement et véritablement présent, il me semble qu’on luy fait injure de luy préférer une femme ou du moins de partager nôtre attention et peut-être nos vœux entre luy et elle, et de demeurer comme en suspens à qui nous donnerons nos désirs et nos pensées.

XIV. Hélas encore un coup, si nous ne pouvons pas empescher ces nuditéz, ne négligeons pas au moins de montrer que nous les désaprouvons en évitant de les regarder. Si la gloire de Jésus Christ nous y oblige, notre devoir et notre interest nous y engage. La veue d’un beau sein n’est pas moins dangereuse pour nous que celle d’un basilic, et c’est alors que nous pouvons dire avec l’Ecriture, que le démon se sert des fenestres de nôtre corps pour faire entrer la mort avec le péché dans nôtre ame. S’il est vray, comme dit le Prophéte Jérémie que nos yeux ravissent quel quefois nôtre ame, c’est sans doute lorsqu’ils s’arrestent sur un charmant objet et qu’ils y attachent en quelque sorte notre esprit et notre cœur, en y portant avec leurs regards nos affections et nos désirs. Et je croy que le patriarche Job a voulu nous apprendre cette vérité, lors qu’il déclare qu’il avoit fait un pacte avec ses yeux afin de ne penser point à la beauté des femmes. Car ce ne sont pas les yeux qui pensent et qui désirent, mais c’est le cœur ou l’esprit : Pourquoy, dit-il donc, que pour éloigner de son esprit et de son cœur l’idée et l’amour illégitime des femmes, il a fait une convention avec ses yeux plutost qu’avec son esprit et avec son cœur, si ce n’est pour nous faire connoître qu’il est aisé de ne songer pas aux femmes quand on ne les regarde point, mais qu’il est presque impossible qu’elles ne remplissent notre esprit et notre cœur si nous ne faisons un pacte avec nos yeux de ne pas les regarder.

XV. Et il est d’autant plus nécessaire de détourner nos regards de dessus ces femmes dont la gorge et les épaules sont découvertes, que selon la pensée du même patriarche, il est difficile de concevoir quelle place Dieu peut trouver dans une ame que les yeux ont trahie, et dans laquelle ils ont fait entrer ces images impures qui occupent et qui troublent toutes ses puissances. Souvenons-nous de cette maxime du grand S. Grégoire qu’il y a de l’imprudence à regarder ce qu’il ne nous est pas permis de souhaiter, et si nous voulons conserver la tranquillité de notre esprit et l’innocence de notre cœur, ne regardons jamais volontairement ces nuditez en quelque lieu que nous soyons, mais surtout dans l’Eglise.

XVI. Si les Chrétiens doivent se faire connoïtre par leur modestie, suivant la doctrine de l’Apôtre, c’est principalement lors qu’ils sont dans la maison de Dieu où ils ne se rendent que parce qu’ils sont Chrétiens ; c’est là qu’ils doivent faire un pacte avec leurs yeux, non seulement de ne point regarder les femmes, mais de ne rien regarder, et de même que celuy qui court dans la lice ne détourne point sa veue d’un côté ni d’autre, mais a ses yeux toujours attachéz au but où il tend ; celuy qui prie dans l’Eglise (car on n’y doit venir que pour prier, comme on n’entre dans la lice que pour courir) celuy dis-je qui prie dans l’Eglise doit estre si fort attentif à ce qu’il fait, qu’il doit s’abstenir de regarder les objets qui l’environnent, de crainte que son cœur ne suive ses regards, et que son esprit ne s’éloigne insensiblement de celuy qu’il prie.

XVII. Nous nous trompons nous mêmes si nous croyons n’estre pas obligéz de régler nos regards par une circonspection sage et modeste, et nous trompons les autres si nous disons qu’on peut indifféremment et innocemment regarder toutes choses. David pécha pour avoir été trop libre en ses regards, et un seul regard suffit pour le faire tomber dans le peché. Ce prince étoit saint, Betsabée sur qui il jetta les yeux par hasard étoit innocente, mais elle étoit nue ; David la regarda en cet état, et il n’en fallut pas davantage pour faire perdre la sainteté à David et l’innocence à Betsabée. Qui est cet orgueilleux qui refusera de s’instruire par un si grand exemple, et qui après cet exemple n’évitera pas avec soin la veue et l’abord d’une femme laquelle fait voir à nu tout ce qu’elle a de plus beau et de plus charmant ; qui est celuy qui se croira en seureté dans le même péril où David s’est perdu ; et qui ne craindra pas de succomber par les mêmes armes dont il a été vaincu.

XVIII. Le grand S. Basile apprend à tous les Fidelles en instruisant un de ses disciples, avec quel soin ils doivent détourner leurs yeux de dessus une femme qui affecte de paroître belle par la nudité de ses bras, de sa gorge et de ses épaules. Donnez-vous de garde, dit-il, autant qu’il vous sera possible de considérer ces fausses et pernicieuses beautéz ; Jésus-Christ ne se plaist qu’à la beauté de l’ame et méprise celle du corps, et vous ne devez estimer que les choses qui plaisent à Jésus-Christ. Sçachez que cette beauté que l’on vous présente, si vous la regardez avec attention, salira votre ame et la rendra difforme ; ne croyez pas au raport que vous en font les yeux, mais croyez ce que vous en disent la raison et la foy, et appréhendez de vous perdre par où plusieurs personnes plus sages que vous se sont perdues.

XIX. Que les hommes donc tâchent de profiter de ces avis, et que les femmes scachent que ces instructions et ces conseils que l’on donne aux hommes sont pour elles de véritables reproches et de sévères repréhensions ; qu’elles scachent que si les hommes se mettent au hazard d’offenser Dieu en les regardant, elles l’offencent en effet en se présentant aux hommes d’une manière qui peut et qui doit vraysemblablement les tenter ou les scandaliser. En vérité lorsque l’Ecclésiastique nous avertit de ne point regarder une femme qui veut plaire à tout le monde, de peur que nous ne tombions dans ses pièges, ne peut-on pas dire qu’il accuse et qu’il blâme les femmes qui exposent aux yeux de tout le monde ce qu’elles ont de beau et de propre à se faire aimer, qu’il les blâme de blesser la pudeur et l’honnesteté qui leur sont naturelles, qu’il les accuse de dresser des piéges à notre innocence en perdant la leur. Car c’est avec raison que le Prophète Ezéchiel nous a appris que le sein découvert d’une femme étoit un lit et un lit où l’impureté reposoit et devenoit féconde en corrompant celle qui le découvre et celuy qui le regarde.

XX. Il n’y a point de fille ni de femme qui ne scache que la nudité d’Eve fût une suite et une marque de son crime ; elle se vit nue parce qu’elle avoit péché, et elle connut qu’elle avoit péché quand elle se vit nue. Pourquoy veulent-elles juger d’elles-mêmes autrement que de leur mère commune, et que n’infèrent-elles de leur nudité, ce qu’elles concluent de la sienne ; qu’elle est une marque de la dépravation de leur ame. Que ne concluent-elles qu’elles déplaisent à Dieu, puisqu’elles paroissent nues ; et qu’elles ne se soucient pas de déplaire à Dieu puisqu’elles se plaisent en leur nudité. En cela beaucoup plus coupables qu’Eve toute criminelle qu’elle étoit, qui eut honte de sa nudité et qui ne différa pas à la couvrir.

XXI. Peuvent-elles ignorer que c’est d’elles principalement que parle l’Apôtre quand il condamme les personnes qui découvrent une partie de leurs corps pour servir à l’impureté et à l’iniquité. Elles servent à l’impureté parce que de quelque prétexte qu’elles se couvrent et de quelque excuse qu’elles se flattent, le motif et le dessein qui leur fait aimer la nudité n’est jamais pur ; elles ne peuvent pas le faire pour plaire à Dieu, il faut donc nécessairement que ce soit pour plaire au monde, elles ne peuvent pas le faire par modestie ny par un principe de piété, il faut donc que ce soit par un défaut de pudeur ou par un esprit de vanité et souvent d’impureté. Elles servent encore à l’iniquité, selon la pensée de l’Apôtre, puis qu’elles excitent les mouvemens dérégléz de la concupiscence, et qu’elles deviennent les instrumens du démon pour faire succomber les hommes au péché.

XXII. Saint Jérôme reprochoit à Jovinien qu’il avoit dans son parti des Amazones, les quelles le sein découvert et le bras retroussé jusqu’au coude, excitoient les hommes au libertinage pour les rendre ses sectateurs. Ne pouvons-nous pas dire avec autant de justice que les femmes dont les bras, la gorge et les épaules paroissent à découvert, sont les véritables Amazones du démon qui combatent au tant pour luy que pour elles-mêmes, et qui ne vainquent presque jamais que pour luy ; qui employent la beauté de leur corps à pervertir les âmes et à les assujettir à Satan, et en un mot qui après s’être rangées du party du prince du monde, travaillent à suborner ceux qui suivent le parti de Jésus-Christ.

XXIII. Je souhaiterois que toutes les filles et toutes les femmes fussent bien persuadées de ce qu’a dit S. Chrysostome et qui a été justifié par plusieurs histoires autentiques ; qu’une image et une statue nue est le siége du diable ; elles conclurroient de là que par leurs nuditéz elles deviennent, non seulement le siége, mais le trône de Satan, que non seulement il repose sur leur gorge et sur leurs épaules exposées aux yeux des hommes, mais qu’il y règne, qu’il y domine, qu’il y triomphe ; elles connoîtroient que leur corps à demy nu n’attire pas moins sur elles les démons que les yeux des hommes ; et comme il y a d’ordinaire plusieurs hommes qui regardent leur sein, leurs épaules, et leur bras nuds , qu’il y a aussi plusieurs démons sur chacune de ces parties dont ils prennent possession, et dont, pour ainsi parler, ils font leur retraite et leur fort. Peut-être qu’étant convaincues qu’elles sont environnées, assiégées et couvertes de plusieurs de ces monstres à mesure qu’elles paroissent en public plus ou moins nues, peut-être, dis-je, que cette idée leur ferait avoir une juste crainte, et une sainte horreur de leur nudité. XXIV. S’il est vray ce que nous enseigne S. Jean dans son Apocalypse, que ces personnes-là sont heureuses qui prennent garde à la manière dont elles s’habillent, et qui ajustent leurs vétemens de telle sorte qu’elles ne paroissent jamais nues pour ne pas découvrir leur effronterie par leur nudité ; ne pouvons-nous pas dire par la raison des contraires que ces femmes sont malheureuses qui ne s’habillent, et ne s’ajustent que pour paroître à demy-nues, et qui par leur nudité affectée découvrent malgré elles leur peu de retenue et de modestie, et font voir les défauts cachéz de leur âme par la grâce et la beauté de leurs corps ? Car qui est celuy qui a jamais bien présumé de la vertu d’une femme par la nudité de sa gorge, et qui sont ces Chrétiens et ces Payens même que cette nudité n’ait fait douter de l’innocence de ses mœurs ou du moins de la sincérité de son intention ?

XXV. Personne n’ignore qu’avant l’avénement de Jésus-Christ les plus libertines des femmes Juifves, et même les femmes idolâtres se servoient de voiles pour se couvrir la teste, les bras et les épaules toutes les fois qu’elles sortoient en public, et l’on scait qu’un illustre Romain répudia sa femme, parce qu’il l’avoit trouvée sans voile hors de son palais. Quelle honte à des femmes Chrétiennes d’avoir moins de pudeur et de modestie que des femmes débauchées et idolâtres. Celles-là ne vouloient paroître en public que voilées, afin qu’on ne pust pas même douter de leur vertu, celles-cy veulent paroitre la gorge nue sans se soucier de risquer leur vertu, et de donner un juste sujet de croire qu’elles méprisent les maximes de leur religion. Les unes et les autres sçavent que c’est pour elles une marque de pureté que de couvrir leur sein. Les femmes idolâtres le cachent, les femmes Chrétiennes le découvrent ; que peut-on inférer de là si ce n’est qu’en cette rencontre, les femmes idolâtres paroissent Chrétiennes, et les femmes Chrétiennes idolâtres ? Que peut-on conclure si ce n’est ce que Tertullien en a conclu, qu’au jugement dernier les femmes payennes s’esleveront contre ces femmes Chrétiennes pour les accuser et les convaincre d’immodestie , pour demander leur condamnation, et peut-être pour l’obtenir ?

XXVI. Il est temps enfin que ces femmes mondaines sortent de leur erreur et quittent leur mauvaise coutume, si elles ne sont pas touchées de repentir voyant l’injure qu’elles font à leur Religion et le dommage qu’elles causent à leur prochain ; si elles n’ont aucun scrupule de déplaire à Dieu et de s’exposer à perdre leur innocence ; en un mot si elles négligent la beauté et la santé de leurs âmes, qu’elles songent du moins à conserver la santé et la beauté de leur corps dont elles sont idolâtres. Ne sont-elles pas à plaindre de se mettre à la gesne et à la torture pour s’habiller à la mode, et pour donner quelque agrément et quelque grâce à leur sein, parce qu’elles veulent le faire voir ? A combien d’infirmitéz et de maladies ne s’exposent elles point en serrant trop leur poitrine, et en la montrant presque toute nue. Quelque grande que soit la froidure de l’air elles la souffrent sans se plaindre, pourvû qu’elle n’altère pas la beauté de leur gorge, et sans craindre les fluxions et les rhumes qui sont les effets ordinaires de leur nudité, elles supportent constamment la rigueur de toutes les saisons, pour avoir le plaisir d’être vues, et l’espérance de pouvoir plaire.

XXVII. Hélas il n’est que trop vray que le monde et le démon ont leurs martyrs, et il n’est que trop évident que ces femmes sont les martyrs du démon et du monde. Ne pourroit-on pas leur dire avec le Grand Chancelier d’Angleterre, que Dieu leur feroit tort de leur refuser l’enfer, puisqu’elles prennent tant de peine pour le mériter. C’est avec justice, poursuit ce grand homme, qu’on donne une si funeste recompense à des peines si déraisonnables et si criminelles ; mais aussi c’est avec une injustice extrême que ces femmes se gesnent et se tour mentent pour se damner, et qu’elles ne veulent pas souffrir la moindre chose pour leur salut.

XXVIII. L’Histoire nous apprend qu’autre fois une grande Princesse profita si bien du conseil que luy donna un saint personnage d’abolir la mode des nuditéz de gorge, qu’elle fut la première qui commença à couvrir la sienne, et que joignant son autorité à son exemple elle obligea et persuada, tout ensemble, les Dames de sa Cour de n’y venir qu’avec des habits modestes, ou du moins qu’avec des ornemens qui ne blessoient pas la pudeur de leur sexe, quoy qu’ils fissent connoitre la grandeur de leur naissance. Pleust à Dieu que cet écrit eût le même effet que ce conseil, puis qu’ils ne tendent l’un et l’autre qu’à une même fin. Que si les raisons et les autoritéz, dont je me suis servi, ne sont pas assez puissantes pour persuader aux femmes du siècle de con damner l’abus des nuditéz, je souhaitte que l’exemple de cette Princesse et de tant d’illustres Dames qui relèvent leur dignité par leur modestie, leur inspirent un saint désir de les imiter. XXIX. Elles se trompent ces femmes du siècle si elles s’imaginent tirer une véritable gloire de la beauté de leur gorge et de leurs bras qu’elles découvrent avec tant d’affeterie. Les plus libertins qui les nomment belles, les soubçonnent de n’être pas innocentes ; leur raison désaprouve souvent ce qui plaist à leurs yeux, et en même temps qu’ils louent le sein qu’on leur fait voir, ils méprisent ou condamnent celles qui le leur montrent. Lea hommes sages et judicieux qui scavent que la réputation d’une fille et d’une femme dépend principalement de sa retenue et de sa pudeur, s’étonnent que cette femme ou cette fille mondaine s’expose inconsidérement à perdre leur estime en tâchant de l’acquerir, et sont beaucoup plus surpris de son imprudence que de sa beauté. Les personnes pieuses et dévotes conçoivent de l’indignation à la vue de ces nuditéz, et sont contraints de refuser leur approbation à une mode si opposée à la piété et à l’esprit du Christianisme, à une mode que la religion déteste, que la raison blâme, et dont le libertinage même se moque en même temps qu’il l’autorise.

XXX. Je demanderois donc volontiers à ces filles et à ces femmes qui sont si soigneuses de montrer leur sein et leurs épaules : à qui prétendez-vous plaire ? De qui voulez-vous acquérir l’estime ? Est-ce des hommes sages et dévots ? Ils ne souhaittent pas de voir cette gorge que vous leur présentez, ils en détournent même leurs yeux. Est-ce de ces jeunes mondains ? Vous scavez que leur approbation n’est guères considérable, et vous n’ighorez pas qu’ils méprisent ordinairement ce qu’on leur offre, et qu’ils estiment fort peu ce qui devient commun à tout le monde. Quelle est donc votre conduite de faire une chose qui déplaist à une partie de ceux qui vous regardent, et qui ne vous acquiert pas l’estime toute entière des autres ; au lieu que vous êtes assurées que les jeunes mondains et les hommes sages et dévots auroient également du respect et de l’estime pour vous si vous ne paroissiez devant eux que la gorge couverte et avec la modestie que la nature inspire à votre sexe, et que la Religion luy prescrit ?

XXXI. Mais je suppose qu’il se trouve quelque libertin qui à la vue de votre sein, de vos bras ou de vos épaules, vous donne toute son approbation et même tout son cœur. Pouvez-vous bien tirer vanité d’une chose qui devroit vous faire rougir, et n’est-ce pas pour vous un sujet de confusion plûtost que de joie de n’être louée que de ceux dont les louanges sont non seulement suspectes, mais méprisables ? Non ce n’est pas une gloire c’est une espece de déshonneur de n’être approuvée que des pécheurs, parce qu’ils n’approuvent que ce qu’ils aiment ou qu’ils font, et que leurs perverses habitudes les portent à ne rien aimer et à ne rien faire qui ne flate leur concupiscence, et qui ne soit conforme à leurs mauvauses inclinations.

XXXII. Votre nudité plaist aux libertins et aux pécheurs, il n’en faut pas davantage pour conclurre qu’elle excite au péché, et qu’elle porte la marque et le caractère du libertinage. Mais sans doute votre conscience vous l’a dit avant moy, et cette foible lumière qui nous reste de l’innocence originelle vous a fait connoître malgré vous, que s’il y a de la modestie à couvrir sa gorge et ses épaules, il y a de l’immodestie à les découvrir. Nos premiers parens ne demeurèrent nus qu’autant de temps qu’ils demeurèrent dans une espece d’ignorance et d’aveuglement ; et aussi-tost qu’ils eurent mangé du fruit qui leur fitconnoître le bien et le mal, la première marque qu’ils donnèrent de leur science et de leur intelligence fût d’avoir honte de leur nudité et de la couvrir. Servez-vous donc de votre raison, elle vous apprendra que vous devez éviter une nudité d’où il ne vous peut venir aucun bien, et qui peut vous causer beaucoup de maux. Ecoutez les instructions de votre conscience, et elle vous fera comprendre que vous ne pouvez sans une espèce de crime affecter de paroître à demi-nues, puisque la nature même vous inspire de la crainte, de l’aversion, et même de l’horreur pour la nudité.

XXXIII. Que si vous voulez consulter votre Religion, elle vous enseignera que tout ce qui se fait par un esprit de vanité ou de concupiscence, par un motif d’amour propre et de complaisance pour soy-même, ne peut-être agréable à Dieu, qui nous ordonne d’être chastes et d’être humbles, qui nous commande de nous mépriser et de nous haïr nous-mêmes. Elle vous enseignera qu’une fille et qu’une femme Chrétienne doit se faire connoître autant par sa pudeur et par sa modestie que par sa foy : et comme elle doit plus songer à plaire à Dieu qu’aux hommes, et ne se découvrir qu’à Dieu ; elle vous dira que si toute la gloire du monde est vaine et méprisable, celle que vous recherchez par la nudité de votre sein et de vos épaules, l’est plus que toutes les autres, non seulement, parce qu’elle n’est fondés que sur la beauté de vôtre corps, mais encore parce que vous la recherchez par une voie basse et indigne d’une âme noble et généreuse. Vous sollicitez et mandiez, pour ainsi dire, l’approbation des hommes, à qui vous faites voir ce que la nature, la raison et la piété vous conseillent, et vous obligent de cacher.

XXXIV. La Religion vous dira que vous êtes le Temple de Dieu, et que la pureté doit être la portière de ce temple, laquelle est obligée pour se bien acquitter de son devoir, non seulement de chasser de votre esprit toutes les pensées impures, mais aussi d’éloigner de votre corps tous les regards lascifs des impudiques, lesquels déshonorent votre chasteté quoy qu’ils ne la fouillent pas, et vous rendent coupables au moins d’une impureté étrangère. Elle vous dira enfin qu’il ne suffit pas à une femme Chrétienne d’être pure et chaste, qu’il faut qu’elle paroisse ce qu’elle est, que sa chasteté pour être parfaite. doit éclater également dans son esprit et dans son corps, dans ses pensées et dans ses paroles, et rejallir, pour ainsi parler, sur ses actions, sur ses regards, sur sa démarche, et même sur ses habits. Car si la façon dont elle s’habille dément la maniere dont elle vit, il est vray de dire qu’elle n’est chaste qu’en partie, et que négligeant d’acquérir et de pratiquer ce qui luy manque pou ravoir une véritable pureté, elle se met au hazard de perdre ce qu’elle a de pure et d’innocent, et de corrompre son âme en montrant indiscrètement son corps.

XXXV. Si vous faites une sérieuse réflexion sur ce que dit l’Ecriture sainte, que la crainte de Dieu est la fin de la modestie, c’est-à-dire, que la modestie extérieure fait naître la crainte de Dieu dans nôtre âme, ou l’y conserve et l’y augmente ; et si vous vous souvenez en même temps que la même Ecriture nous apprend que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse et la cause principale du salut, ne devez-vous pas avouer que cette femme craint véritablement Dieu et songe sérieusement à se sauver, qui couvre par pudeur et ses bras et sa gorge, qui s’habille de telle sorte qu’elle ne déroge ni à la naissance, ni à la dignité, ni à la qualité de Chrétienne, et qui fait connoître par sa modestie que sa vertu répond à sa naissance, à sa dignité, et à sa Religion ? Mais aussi ne devez-vous pas confesser qu’une gorge nue, que des bras et des épaules découvertes convainquent une femme de manquer de modestie, et l’accusent, par conséquent, de n’avoir pas la crainte de Dieu, ou de ne pas se soucier de la perdre, d’oublier son salut ou de le négliger ? Car si la modestie nous porte à craindre Dieu, l’immodestie nous en éloigne, si la modestie est une grande disposition à vivre Chrétiennement, l’immodestie y est un puissant obstacle, et il me semble que le docte Affricain avoit raison de donner le nom de filles de Dieu aux femmes qui n’alloient dans les places publiques et dans l’Eglise que le sein couvert et la face voilée, et de nommer filles des hommes celles qui affectoient de découvrir leur visage et leur sein.

XXXVI. Nous lisons dans la Genèse, que Dieu même fit des vêtemens de peau à Adam et à Eve, pour nous faire connoître que leur nudité luy déplaisoit. Nous apprenons de l’Histoire Ecclésiastique, que plusieurs Saints ayant de la répugnance à dépouiller une partie de leur corps pour passer de petites rivières, Dieu les a miraculeusement transportéz à l’autre bord pour montrer combien il approuvoit leur pudeur. Que peut-on inférer de là si ce n’est que les femmes, qui s’étudient à couvrir modestement leur sein, leurs bras et leurs épaules sont animées de l’Esprit de Dieu, et que celles qui affectent de les découvrir sont séduites par un esprit contraire, c’est-à-dire par l’esprit du démon ou du monde son disciple ; que Dieu condamne toute nudité de corps, et que le démon l’approuve, que Dieu bénit et récompense celles qui voilent leur gorge, et que le démon trompe celles à qui il persuade de la montrer, en un mot que Dieu a de l’aversion pour toute sorte de nuditéz du corps, et que le démon en fait son plaisir et sa joie.

XXXVII. Dieu haït la nudité parce qu’il est la pureté même ; le démon l’aime parce qu’il est impur. Dieu hait la nudité parce que c’est un signe de nôtre défaite, le démon l’aime parce que c’est une marque de son triomphe. Dieu hait la nudité parce qu’elle est la suite et la cause du péché, le démon l’aime, parce qu’elle est une preuve de notre misère et qu’elle dé couvre en même temps notre indigence et notre crime. Dieu hait la nudité parce qu’il nous chérit, et qu’elle l’oblige à détourner les yeux de dessus nous, le démon l’aime parce qu’il nous hait et qu’elle luy sert à nous perdre. Enfin Dieu hait la nudité du corps parce qu’elle est une figure de celle de l’âme, et qu’elle luy représente continuellement notre pauvreté intérieure, et le démon aime la nudité du corps, parce qu’elle le fait souvenir que par son addresse nous avons été dépouilléz de toutes les graces qui ornoient notre âme. De sorte que celles qui aiment la nudité avec le démon, présagent en quelque manière quelles seront privées des grâces qu’elles possèdent, et semblent y consentir ; elles se joignent au démon pour se perdre, et se haïssent pour se trop aimer. Elles applaudissent à la victoire que le démon remporta sur Eve, et renouvellent en quelque sorte son crime en se conformant à l’état où elle se trouva aussitost qu’elle fut criminelle.

XXXVIII. Ah puisque par la nudité de leur corps elles deviennent les images d’Eve coupable, que ne tâchent-elles de luy estre semblables par les mouvemens de leur cœur. Eve reconnut sa faute et la détesta en couvrant sa nudité ; que ne voilent-elles leurs bras, leurs épaules et leur sein pour montrer qu’elles avouent la faute qu’elles ont faite en les découvrant. Eve n’osa pas paroître devant Dieu que tout son corps ne fut couvert ; elles devroient du moins faire scrupule de se présenter à Dieu dans les Eglises avec les bras nus et la gorge nue. Enfin Eve ne pût souffrir sans honte que son mari même fût le spectateur de sa nudité, et elles cherchent des témoins de la leur, et des témoins qui ne peuvent les regarder sans danger ou sans crime, et dont elles tâchent de surprendre et de pervertir les inclinations en s’efforçant de leur plaire.

XXXIX. Si elles considéroient attentivement toutes ces choses, je m’assure qu’elles des aprouveroient elles-mêmes leur conduite qui a été condamnée par la première des pécheresses, et qui ajoute évidemment quelque chose à la malignité de la nature corrompue. Mais il faut tacher de les convaincre par leur propre jugement. N’est-il pas vray qu’elles blâmeroient une femme dont les paroles artificieuses porteroient à l’impureté, et qui s’énonceroit d’une maniere si libertine, quoy qu’adroite, qu’elle engageroit dans un amour prophane ceux qui l’entendroient parler ? Comment donc peuvent-elles s’exempter de blâme en montrant leurs bras, leur sein et leurs épaules, puis qu’elles ne peuvent ignorer que ces nuditéz sont beaucoup plus puissantes que les paroles, pour exciter les mouvemens de la concupiscence ? Car qui ne scait que les yeux sont les guides de l’amour, et que c’est par eux qu’il se glisse ordinairement dans nos âmes. Si le démon se sert quelquefois de l’ouye pour séduire la raison, il se sert presque toujours des yeux pour la désarmer et pour enchanter les cœurs. Qui ne sçait que les paroles s’évanouissent dans un instant, et quelque force qu’elles ayent pour nous inspirer des sentimens des honnestes, que la durée leur manque pour les pouvoir graver profondement dans nos esprits. Mais un beau sein nu, et des épaules nues parlent continuellement à notre cœur en frappant nos yeux, et leur langage tout muet qu’il est, est d’autant plus dangereux qu’il n’est entendu que de l’esprit, et que l’esprit se plaist à l’entendre. Qui scait enfin que les discours d’une femme s’ils choquent la pureté, nous choquent malgré nous, et nous donnent un dégoust secret et une espèce d’aversion et de mépris pour celle qui les prononce ; mais la beauté d’une gorgé que l’on présente à notre vue, n’a rien qui nous rebute, n’a rien qui ne nous attire. Nous commençons à la regarder sans répugnance, nous continuons à la regarder avec plaisir, nous la voyons ensuite avec émotion, et comme elle ne cesse point de nous parler à sa mode, de nous solliciter et de nous plaire, elle triomphe enfin de notre liberté après avoir trompé nos sens.

XL. De sorte que nous pouvons hardiment conclure que les filles et les femmes qui paroissent en public les bras, la gorge et les épaules nues sont plus blâmables que celles qui par des discours impurs et lascifs tachent de porter les hommes au libertinage, non seulement, parce qu’elles surprennent plus de personnes dressant indifféremment des pièges à tout le monde, ce que les femmes les plus débauchées n’oseroient faire par leurs discours : mais encore parce que pour se faire des adorateurs elles se servent d’une adresse d’autant plus dangereuse qu’elle est plus engageante et plus propre à donner de l’amour ; à laquelle les gens sages sont exposéz parle hazard, quelque pré caution qu’ils prennent pour l’éviter, dont les simples ne se defilent point, et à laquelle presque tous les jeunes gens se plaisent à succomber.

XLI. Après cela je ne m’étonne pas que Dieu dans ses Prophétes reprochant à son peuple la grandeur et la multitude de ses crimes luydise qu’il est devenu semblable à une femme qui se plaist à paroître nue et qui ne songe qu’à se faire aimer, qui s’habille avec pompe, et s’étudie à rendre son sein élevé pour luy donner plus de grace, qui enfin, ne reconnoit point d’autre temps que le temps des amans, c’est à dire qui ne croit pas pouvoir mieux employer son temps qu’à faire des conquestes. En effet c’est le temps de ses amans, parce que c’est alors que les hommes commencent à l’aimer, surpris et attiréz par la nudité de son corps ; et c’est aussi son temps parce qu’elle est satisfaite de l’espérance ou du plaisir qu’elle a d’estre aimée.

XLII. Jugeons de là si c’est un objet bien agréable à Dieu qu’une fille ou une femme qui ne couvre une partie de son corps que pour montrer et pour relever la beauté de l’autre, et qui exposant aux yeux des hommes ce qu’elle leur devroit cacher, donne lieu de croire qu’elle ne couvre que par contrainte ce qu’elle ne fait pas voir. Puisque Dieu la représente en cet état comme l’image et le modèle des grands pécheurs, ne doit-elle pas craindre que cet état ne soit un état de péché pour elle, et ne doit-elle pas connoître que c’est un état de péché pour les autres. Estat funeste qui contient toute la malignité, et qui exprime tout le malheur des pécheurs lesquels se perdent par un trop grand amour d’eux-mêmes, et contribuent à perdre les autres par leur malice ou par leur adresse ! Estat funeste dans lequel les femmes ne s’en gagent que par un défaut de pudeur ou de pureté ! Estat qui devroit les faire rougir de honte, et qui doit être puni d’une confusion extrême ! C’est pour cela sans doute qu’après que Dieu a comparé le pécheur à une femme bien ornée et nue, il ajoute qu’elle étoit pleine de confusion. Elle n’a pas eu honte de paroistre publiquement le corps à demi nu, elle sera couverte de honte au Jugement dernier, lorsque la laideur de sa conscience paroitra sans voile et à découvert, et que son ame se trouvera vuide et nue sans vertus et sans graces. XLIII. Voila quel sera l’effet de la nudité que vous affectez, ô femmes mondaines, voila ce qu’elle vous présage. Elle vous rend maintenant criminelles, elle vous rendra un jour malheureuses ; elle vous fait maintenant des amans, elle vous fera un jour des ennemis ; et ceux-là mêmes qui vous caressent et qui vous louent, vous reprocheront avec des injures et des blasphèmes que vous êtes la cause de leur damnation ; ils se rendront vos accusateurs et vos bourreaux, et pour comble de malheur, peut-être que ces bras, ces épaules, cette gorge dont vous et eux êtes idolatres, deviendront les instrumens de votre supplice, et feront l’objet éternel de votre rage et de votre désespoir.

XLIV. Je ne prétens pas néanmoins placer dans un même rang toutes les femmes qui ont accoutumé d’avoir la gorge nue, je scay qu’elles ne sont pas également coupables, et que la diversité des motifs qui les font agir, et des fins qu’elles se proposent , peuvent mettre une grande différence entre celles qui commettent une même faute. Mais s’il s’en trouve quel qu’une qui soit exempte de crime, il n’y en a pas une qui ne soit digne de blâme ; et quelque raison qu’elles apportent pour leur deffence, quelque excuse qu’elles employent pour leur justification, elles ne paroistront jamais entièrement innocentes. Comment pourroient-elles unir l’innocence avec la nudité, puisque la nudité a été la première marque de la perte de l’innocence ?

SECONDE PARTIE.


Des vaines excuses des femmes qui ont la gorge et les épaules nues.

I. S’il est certain que nos premiers parens ont transmis leur crime à toute leur posterité, et ont communiqué à leurs descendans un penchant naturel et une forte inclination au péché, il n’est pas moins indubitable qu’ils nous ont inspiré un violent désir de diminuer et d’excuser toutes nos fautes, et de paroitre innocens lors même que nous sommes le plus coupables. Nous naissons criminels d’Adam criminel, nous péchons comme il pécha, comme luy nous tâchons de nous justifier devant Dieu et devant les hommes ; et de même dit S. Gregoire, qu’il voulut couvrir sa nudité de feuilles d’arbre, nous nous efforçons vainement de cacher nos péchéz par des paroles étudiées, et par des discours frivoles.

II. Je ne m’étonne donc pas que les femmes qui se plaisent à avoir la gorge et les épaules découvertes s’étudient à justifier leur procédé ou du moins à l’excuser. Mais avant de leur faire voir que toutes leurs excuses sont injustes et inutiles. J’ay cru les devoir avertir qu’elles augmentent leur péché en s’obstinant à l’excuser, et qu’elles se rendent d’autant plus coupables qu’elles se disent entièrement innocentes. Il y a quatre degrez de malice dans tous les péchéz, dit l’abbé Rupert. Le premier est lorsque y consentons. Le 2, lorsque nous le faisons. Le 3 lorsque nous y persévérons. Le 4 et le plus dangereux lors que nous excusons et deffendons notre péché. C’est par là que nous faisons quelquefois un crime d’une simple faute, et un crime si désagreable à Dieu, que c’est, selon la pensée de ce grand Docteur, ce quatrième péché pour lequel Dieu dit qu’il vouloit abandonner les habitans de Damas à leur mauvaise conduite, après leur avoir pardonné les trois péchéz de pensée , d’action et d’habitude.

III. N’est-il pas vray que quand elles s’efforcent d’excuser et de justifier leur faute, elles travaillent à s’acquérir et à se donner la liberté de faillir ? n’est-il pas vray qu’elles témoignent se plaire au mal qu’elles deffendent, et qu’elles excitent les autres à imiter leur déréglement, en soutenant qu’elles ne font rien qu’on puisse désaprouver ? c’est ainsi que de leur désordre particulier elles en veulent faire un désordre public, et qu’après avoir ajouté l’obstination au péché, elles ajoutent le scandale à l’obstination, c’est ainsi qu’elles pervertissent les femmes après avoir perverti les hommes, et qu’elles se rendent incapables et indignes de sortir de leur erreur, en tâchant de la communiquer.

IV. Mais j’espère qu’elles la reconnoitront et la condamneront après la lecture de ce petit ouvrage, et que n’ignorant pas que la confession humble et sincère de nos fautes est tou jours suivie du pardon, parce qu’elle est une marque asseurée de notre repentir : elles confesseront ingenument qu’elles ont mal fait de montrer publiquement leur gorge et leurs épaules nues. J’espère aussi que par cet aveu elles obtiendront et la rémission de leurs fautes passées et la grace de les réparer par une conduite contraire. Et pour leur en faciliter le moyen je me suis résolu d’examiner avec elles les raisons qu’elles alléguent pour se deffendre, afin qu’elles avouent avec moy que le démon a mis jusqu’à présent sur leur esprit le voile qu’elles devoient mettre sur leur sein, et qu’il les a empêchées de découvrir la vérité, en leur persuadant de faire voir leur corps à demi-nû.

V. Entre les excuses qu’elles apportent pour leur deffense, il y en a qui sont communes aux filles et aux femmes, et il y en a qui sont parti culières aux unes ou aux autres. La première et la plus générale est la mode et la coutume. Il est permis, disent-elles, de faire ce que les autres font, ce n’est pas dans une seule Ville, c’est dans divers Royaumes que les filles et les femmes vont en public le sein et les épaules découvertes, et cet usage n’est pas un usage introduit depuis quelques années, mais depuis plusieurs siècles ; de sorte qu’on ne peut le condamner sans faire le procès à des nations et à des générations entières.

VI. Si cette raison étoit recevable il n’y a aucun désordre qui ne deût estre approuvé et autorisé, parceque tous les abus sont nécessairement introduits par un usage contraire à la raison et à la Loy, lequel par succession de temps passe insensiblement en coutume. Ainsi la coutume toute seule bien loin d’être une preuve de la justice de l’usage, est une présomption qu’il est injuste, et quand cet usage est évidemment opposé à ce que la raison nous conseille, et que la Loy nous prescrit, il ne peut pas servir d’excuse au mal que nous faisons en le suivant, et il prouve seulement qu’en le suivant nous continuons à mal faire.

VII. Jésus Christ, dit Tertulien, ne s’est pas nommé la coutume mais la vérité, et nous pouvons dire que le monde ne se nomme pas la vérité mais la coutume. Il ne peut établir ses maximes que sur la coutume, parce qu’elles ne sont appuyées que sur l’erreur ; et Jésus Christ a établi ses loix sans le secours de la coutume, et contre l’autorité de la coutume, parce qu’elles sont fondées sur la vérité. Sur la vérité contre laquelle aucune coutume ne peut prescrire, laquelle les hommes et les démons peu vent attaquer mais non pas détruire, et à la quelle ni la longueur du temps ni l’autorité des personnes, ni la différence des lieux ne peuvent faire aucun préjudice. Tellement que comme nous ne pouvons sans crime quitter une coutume que la raison et la vérité ont introduite et autorisée, nous devons nous opposer à une coutume que la vérité et la raison condamnent ; autrement c’est moins approuver la coutume que l’erreur, c’est nous accoutumer à mal faire au lieu de diminuer notre faute, c’est augmenter le nombre des coupables en imitant ceux qui ont avant nous observé cette mauvaise coutume. VIII. Ce fut sur ce fondement que le grand S. Chrisostome condamnant la manière dont on habilloit de son temps les nouvelles mariées, comme contraire à la modestie Chrétienne, répondit à ceux qui luy objectoient qu’on suivoit la coutume ; que le démon étant l’auteur de cette coutume, ils devoient gémir de la voir établie, et non pas la continuer en la pratiquant, que puisqu’il y avoit du mal à habiller de la sorte les fiancées, bien loin de continuer à le faire, ils devoient souhaiter que cela n’eût jamais été fait, et croire qu’une mauvaise mode n’étoit que trop observée quand elle l’étoit une seule fois.

IX. C’est donc inutilement que les filles et les femmes tâchent d’excuser leurs nuditéz par l’autorité de la coutume, et plus elles prétendent que cette coutume est ancienne plus elles contribuent sans y penser à augmenter leurs fautes ; elle est ancienne il est vray, et si ancienne qu’elle étoit avant le Christianisme. C’est une coutume que plusieurs idolatres ont de tout temps approuvée, et que les démons ont eux-mêmes apprise aux femmes selon la pensée de Tertulien et de quelques Pères de l’Eglise. Tellement que les femmes qui veulent faire servir à leur justification l’antiquité de cette coutume s’accusent imprudemment elles-mêmes d’être les disciples des démons et les singes des femmes payennes, de préferer les désordres du Paganisme aux règles de l’Évangile, et de vouloir continuer les abus que Jésus Christ a voulu abolir.

X. L’on peut même assurer que quand elles présument d’amoindrir leur péché en disant qu’il n’est qu’une suite et qu’un effet ordinaire d’une longue coutume, elles avouent contre leur intention, qu’elles s’exposent à une punition plus prompte et plus grande. Car qui ignore que plus une mauvaise coutume est ancienne, plus elle a irrité la colère de Dieu, et qui sçait si Dieu enfin lassé de voir depuis si longtemps des filles et des femmes chrétiennes qui font honte à leur religion par leurs nuditéz, et qui tâchent de renouveler une espèce d’idolâtrie en cherchant des adorateurs, et en se montrant dans les temples ornées et nues comme des idoles ? Qui scait, dis-je, si Dieu lassé de tous ces désordres ne changera point sa patience en fureur, et si après avoir pardonné jusqu’à pré sent à celles qui les ont commis, il n’immolera pas à sa justice celles qui les commettent maintenant ?

XI. C’est donc en vain encore une fois que les filles et les femmes qui font profession du christianisme allèguent comme une excuse à leurs nuditéz l’exemple et l’usage de plusieurs siècles. Si elles pensent que l’autorité de la coutume puisse les justifier, il faut qu’elles confessent malgré elles que l’autorité de la coutume peut les condamner, et sur ce fondement il est aisé de les confondre et de les convaincre d’erreur. Elles allèguent une coutume criminelle, on leur oppose une coutume sainte ; elles allèguent une coutume qui répugne aux maximes de notre foi, on leur oppose une coutume conforme aux préceptes de Jésus-Christ ; elles allèguent une coutume que les femmes mondaines et libertines ont pratiquée à l’exemple des idolâtres, on leur oppose une coutume que les véritables chrétiennes ont toujours suivie pour se distinguer des idolâtres. Puisqu’elles veulent se régler sur la coutume, il faut nécessairement qu’elles choisissent l’une des deux, et que par ce choix elles se rangent ou du parti des femmes payennes et des femmes effrontées qui ont approuvé l’usage des nuditéz de gorge et d’épaules, ou du parti des femmes chrétiennes et modestes qui ont toujours eu horreur de paroître à demi-nues. Hé quoy, n’auront-elles pas honte de faire connoitre à tout le monde qu’elle n’ont de la deflerence pour la coutume que quand elle est un engagement au crime, et qu’elles la désaprouvent lors qu’elle nous éloigne du vice et nous porte à la piété.

XII. Elles disent pour une seconde excuse qu’il n’est point expressement défendu dans l’Ecriture de découvrir sa gorge, et qu’elles ne croient pas mal faire en le faisant. Il faut avouer que la concupiscence est bien industrieuse toute ignorante et toute aveugle qu’elle est. Tantost elle nous empesche de connoître la vertu en obscurcissant les lumières de la raison et de la foy, tantost elle nous persuade que le vice nous est inconnu quoique nous en ayons une parfaite connoissance ; et se servant également de ses ténèbres pour nous cacher le bien que nous devons faire et le mal que nous avons fait, elle nous fait tomber dans le péché ou par une ignorance grossière ou par une ignorance volontaire. Quelle de ces deux ignorances imputerons-nous, ou plutost quelle n’imputerons nous pas à ces filles et à ces femmes qui disent qu’elles ne croyent point faillir en se montrant à demi nues ?

XIII. Ne sont-elles pas coupables d’une ignorance grossière et criminelle, si après tout ce que les prédicateurs publient continuellement dans les chaires, après tout ce que les docteurs enseignent dans leurs livres, après tout ce que les confesseurs disent dans les tribunaux, après ce qu’elles ont promis dans leur baptême, après ce que Jésus-Christ et les Apôtres leur ont ordonné, après ce que l’Église leur a prescrit, elles ne sçavent qu’il est de leur devoir d’être et de paroître chastes, et de justifier l’innocence de leurs mœurs par une modestie extérieure ? Ne sont-elles pas coupables d’une ignorance affectée, qui est sans doute la plus funeste des ignorances, si au préjudice de la promesse qu’elles ont fait à Dieu dans leur baptême, et scachant que Jésus-Christ, les Apôtres, l’Église les Prédicateurs, les Confesseurs, les Docteurs, et généralement toutes les personnes de piété condamnent ces nuditéz, elles s’imaginent pouvoir sans crime les approuver par leurs déportements et par leur conduite ?

XIV. Lorsque l’Écriture sainte leur apprend que la première femme toute criminelle qu’elle étoit eut honte de se voir nue, ne leur enseigne t-elle pas qu’elles ne peuvent être innocentes et se plaire à faire paroître leur nudité. Lorsque l’Ecriture nous propose une femme mondaine qui marche la gorge découverte, comme le modèle des pécheresses, ne leur reproche-t-elle pas le péché qu’elles commettent en montrant leur sein, lorsque l’Ecriture commande aux filles et aux femmes de se couvrir la teste et le visage d’un voile, ne leur ordonne-t-elle pas à plus forte raison de cacher leur gorge et leurs épaules ; enfin lorsque l’Ecriture les exhorte à être modestes et ornées de pudeur, plûtost que d’or et de pierres précieuses, ne leur marque t-elle pas qu’elles ne doivent guère moins éviter la nudité qui n’est guère moins un effet de l’impureté que de l’immodestie ; comment peuvent-elles donc sans s’abuser et se tromper elles-mêmes, excuser l’abus des nuditéz sous prétexte qu’il n’est pas expressément défendu par la sainnte Écriture.

XV. Mais aussi comment peuvent-elles dire sans se démentir elles-mêmes qu’elles ne croient pas mal faire en découvrant une partie de leur corps, puisque les attraits de la grace qu’elles sçavent, les maximes de leur religion qu’elles n’ignorent pas, et les mouvemens de la nature même dont elles sentent malgré elles les secrettes impressions, leur reprochent qu’elles font mal. Elles ont beau tâcher d’étouffer la voix de leur conscience, elle leur dira sans cesse que la modestie et la pudeur sont l’apanage naturel des femmes, qu’elles trahissent les intérests et la gloire de leur sexe quand elles se font voir le corps à demi nu, que toutes les femmes sont pour ce regard naturellement chrétiennes, et qu’il faut qu’elles fassent quelque violence à l’instinct et à l’inclination de cacher leur sein, que la nature leur inspire, pour suivre le déréglement de la mode qui les sollicite de le découvrir.

XVI. Le monde même auquel elles veulent se conformer contribue à les convaincre de mauvaise foy, et à faire voir qu’elles connaissent le mal qu’elles font. Car il est certain que la cajolerie, la complaisance et la galanterie (en quoy consiste l’air et l’esprit le plus innocent de ce qu’on appelle le monde et le siècle), il est certain, dis-je, que la cajolerie, la complaisance et la galanterie la plus innocente, soit des hommes, soit des femmes mondaines, se terminent ordinairement à donner des louanges à la beauté du sein lorsqu’il est découvert. Les uns et les autres sçavent par une funeste expérience que l’amour prophane se place sur une belle gorge comme sur une éminence d’où il nous attaque avec avantage, qu’il y demeure comme sur un trône où il domine avec plaisir, qu’il y repose comme sur un lit où il combat sans peine, et où il triomphe sans employer d’autres armes que la mollesse même.

XVII. Les hommes sçavent combien il est dangereux de regarder un beau sein, les femmes coquettes sçavent combien il leur est avantageux de le montrer, les hommes disent et redisent aux filles et aux femmes combien ils ont été émeus à la veue de leur gorge, et de leur taille ; les femmes et les filles connoissent les pernicieux effets que produisent dans l’esprit des hommes la beauté de leur taille et de leur gorge, et après cela elles osent dire qu’elles ne croient pas mal faire quand elles s’étudient à découvrir toute leur gorge, et à montrer en même temps et par une même adresse toute la beauté de leur taille. Ne devroient-elles pas plutost avouer qu’elles sont séduites par le monde qu’elles aiment, et reconnoître de bonne foy qu’après les avoir luy-même instruites du péril où elles s’exposent et où elles exposent les autres par leurs nuditéz, il leur cache ce péril lorsque l’occasion se présente de satisfaire leur vanité et de captiver quelque cœur. Que pour les rendre plus criminelles, il les oblige à feindre qu’elles ne connoissent pas les maux qu’elles causent, et à tacher de couvrir leurs fautes sous l’ombre d’une fausse et d’une prétendue ignorance.

XVIII. Elles me répondront sans doute qu’elles n’ont point de mauvaise intention quand elles découvrent leur gorge, que s’il en arrive des inconvéniens ils viennent de la foiblesse ou de l’incontinence des hommes. Et pour justifier que leur dessein n’est point de plaire au monde , ni de donner de l’amour à ceux qui les regardent, il suffit, disent-elles, de remarquer que celles qui ont résolu de ne point sortir de leur maison, et qui sçavent qu’elles ne verront personne, que celles qui se sont retirées dans les cloîtres où elles ne conversent ordinairement qu’avec des Religieuses, ne laissent pas de découvrir leurs bras et leur sein.

XIX. Il faut avouer que tout amour qui n’a pour objet que les créatures est aveugle, soit celuy dont nous aimons les autres, soit celuy dont nous nous aimons nous mêmes. Mais si pas un amour a véritablement un bandeau sur les yeux, c’est assurément l’amour-propre, il ne nous empesche pas seulement de blâmer nos défauts, il nous empesche mesme de les connoître. Il ne voit rien en nous que ce qui luy plaist, et il approuve toujours ce que nous disons ou ce que nous faisons, parce qu’il n’y découvre jamais aucune imperfection. C’est luy seul qui a suggeré cette troisième excuse aux filles et aux femmes, et qui après leur avoir faussement persuadé qu’elles peuvent sans scandale et sans peché paroître à deminues à la veue de tout le monde, leur fait accroire que c’est une bonne raison de dire qu’elles n’ont aucune mauvaise intention.

XX. Elles n’oseroient soutenir que leur intention fût bonne et que la fin qu’elles se proposent fût pieuse et sainte, puisque ce qu’elles font excite à l’impureté, et répugne à toutes les maximes de là pieté et de la sainteté Chrétienne. Elles ne peuvent pas dire que leur intention soit indifférente, puisque n’ayant au cun dessein ny de se pendre agréables à Dieu qui a témoigné avoir de l’aversion pour les nuditéz qu’elles affectent, ni d’observer les préceptes de l’Écriture qu’elles violent, ny de se conformer aux maximes de l’Église qu’elles méprisent, ni de suivre les sentimens des Saints qu’elles condamnent. Il faut nécessaire ment qu’elles songent ou à plaire aux autres, ou à se satisfaire elles-mêmes, à moins qu’elles confessent ingenument qu’elles sont en cela plus dépourvues de raison que les brutes, et que ce qu’elles font sans aucun motif, et sans sçavoir pourquoy.

XXI. Il est difficile de concevoir qu’elles ne veuillent plaire ny aux hommes ny aux femmes, et que montrant indifféremment leur gorge à tout le monde, elles ne se soucient de l’approbation de personne. Je veux néanmoins le croire pour leur faire plaisir, et supposer avec elles que ce n’est simplement que pour se satisfaire. Pensent-elles en être moins coupables, et s’il y a évidemment de la vanité et de la sensualité à vouloir se faire aimer ou estimer, par la nudité d’une partie de son corps, n’y a-t-il pas une vanité et une sensualité secrette à faire son plaisir de cette nudité. La pudeur, l’honnesteté, la chasteté y répugnent, ce plaisir ne peut donc pas être pur, honneste ny chaste, d’autant plus qu’il est impossible que celle qui se plaist à regarder son sein, ne se soucie point que les autres le regardent Elle s’accoutume sans qu’elle y pense à estre veue, et se dispose insensiblement à souhaiter que la complaisance qu’elle a pour sa beauté, soit confirmée par l’estime de tout le monde. De sorte que l’on peut hardiment conclure que de quelque pensée que se flattent les femmes qui aiment à avoir la gorge nue, leur intention ne peut jamais être bonne et est toujours beaucoup plus mauvaise qu’elles ne s’imaginent.

XXII. Et quand on leur accorderoit que leur intention peut être véritablement innocente, elles ne seraient pas pour cela exemptes de blâme, soit parce que quelque intention que nous ayons nous sommes toujours blamables lorsque nous faisons une chose que nous sçavons être condamnée par l’Écriture sainte, par la raison et par l’instinct même de la nature ; soit, parce que selon la doctrine, de l’Apôtre nous devons éviter non seulement tout ce qui est mauvais, mais tout ce qui aies apparences du mal. Et elles ne sçauroient nier que faisant la même chose que les femmes effrontées et libertines, leur conduite ne porte le caractère de l’effronterie et du libertinage, et qu’on ne puisse sans témérité les accuser ou les soupçonner d’être du nombre de celles dont elles suivent l’exemple.

XXIII. Mais elles ne s’exposent pas seulement à perdre leur réputation, elles se mettent au hasard de perdre leur innocence. Leur pudeur est comme frappée et blessée par chaque coup d’œil impudique, leur modestie est ébranlée par les vaines approbations qu’on leur donne. L’idée de leur sein n’entre pas moins dans leur imagination que dans celle des hommes qui le considèrent attentivement et qui le louent, et comme ils joignent d’ordinaire l’idée de tout le corps à celle du sein étant persuadéz qu’on montre la beauté de l’un pour faire juger de la beauté de l’autre, elles entrent facilement dans les sentimens qu’elles ont voulu inspirer, et ne remplissent leur esprit que de leur propre image, mais d’une image sensuelle qui imprime peu à peu dans leur âme les inclinations des libertins qui les regardent. La chasteté d’une femme, dit Tertulien, quand elle est véritable et parfaite ne craint rien tant qu’elle même, elle ne peut souffrir les yeux des autres femmes, elle tremble à la rencontre de ceux des hommes, et elle appréhende d’autant plus ses propres yeux qu’à mesure qu’elle s’habitue à se voir nue elle s’ôte la liberté de pouvoir blâmer avec justice ceux qui se plaisent à voir sa nudité, et de même que les libertins ne font que l’imiter en prenant plaisir à regarder sa gorge découverte, elle imite ensuite les libertins et la regarde comme eux avec sensualité.

XXIV. Je ne doute point que plusieurs d’entre-elles ne me disent qu’elles se connoissent assez pour ne rien craindre de semblable. Mais je leur répondray que celle confiance même qu’elles ont en leur vertu, est une grande disposition à n’être pas longtemps vertueuses. Celle qui n’appréhende pas de perdre son innocence ne se met guères en peine de la conserver ; moins elle y apporte de précaution plus elle court de danger, et plus elle néglige le danger où elle s’expose moins elle est en état d’en sortir avec succéz. Mais comment peuvent-elles croire sans présomption qu’elles ne consentiront à aucune pensée contre la pureté, lorsque par la nudité de leur sein elles travaillent à imprimer des sentimens impurs dans le cœur de plusieurs personnes. On participe toûjours un peu à la faute que l’on fait faire, et elles ne peuvent être parfaitement chastes, si elles favorisent l’impureté en même temps qu’elles se glorifient de l’avoir en horreur. Ne sçavent-elles point par leur propre expérience que la beauté corporelle n’est propre qu’à réveiller en nous la concupiscence, qu’elle en excite et augmente facilement toutes les ardeurs, et pour parler le langage des pères, qu’elle nous invite à la volupté et nous provoque à l’amour deshonneste ; et ignorent-elles que leur propre beauté peut leur devenir aussi funeste en leur inspirant de la vanité, qu’à ceux à qui elle inspire de l’amour, car, qui pourra croire qu’une femme montre son sein afin qu’on la méprise ?

XXV. Il est donc vray qu’elles risquent leur innocence lorsque par la nudité de leur gorge elles tendent des piéges à l’innocence des autres : et quoy qu’elles puissent dire, il est certain qu’elles s’exposent à pécher par un mouvement d’orgueil ou d’impureté. Peut-être s’en trouvera-t-il quelques-unes qui par un bon heur particulier se garantiront de l’un et de l’autre de ces péchéz, mais elles ne s’exempteront pas du reproche de s’être témérairement exposées à les commettre. Et quand par impossible leur intention seroit bonne, et leur nudité de soy-même irrépréhensible, quand elles demeureroient pures et humbles parmi les vains, applaudissemens et les impudiques regards des libertins, elles seroient toujours coupables des sales pensées qu’elles inspirent et des maux qu’elles causent.

XXVI. C’est la doctrine de Tertulien et du grand S. Cyprien, après lesquels je puis avec justice leur adresser ces paroles. Si vous marchez avec trop de faste, si vous vous ajustez avec trop d’artifice, si vous vous habillez de telle sorte que vous attiriez sur vous les yeux des jeunes gens, sçachez que leur ayant présenté le glaive qui les tue et le venin qui les empoisonne, vous n’êtes pas innocentes de leur perte quoique vous ne l’ayez pas désirée. Vous êtes criminelles bien que vous n’ayez pas vous mêmes commis aucun crime, et vous ne pouvez pas vous excuser sous prétexte que votre âme n’a été fouillée d’aucune pensée impure, puisque vos ajustemens deshonnestes vous accusent, et que votre nudité fatale à beaucoup de jeunes gens vous condamne. Vous êtes l’épée qui a donné la mort à cet homme lequel voyant votre gorge découverte a succombé à la tentation et au péché, vous êtes comme teintes et comme salies de son sang ; pourquoy vous flattez-vous donc d’être sans tâche et d’être innocentes. Vous sera-t-il permis après qu’on vous a averties des funestes effets que cause votre nudité, de vous rendre volontairement les homicides d’une âme chrétienne sans qu’on puisse vous imputer aucune faute, pendant que l’on traite de criminels ceux qui ne sont que les homicides du corps, et qui le sont seulement par imprudence et sans destein.

XXVII. Souvenez-vous que Dieu ordonna autrefois par la bouche de Moyse que si quelqu’un allumoit du feu qui par un accident inopiné et contre son intention brulât les gerbes et les fruits de son prochain, il seroit obligé d’en payer tout le dommage, et reconnoissez par là que vous êtes toujours responsables de tous les maux que les feux que vous excitez par votre nudité causent dans les cœurs de ceux qui vous regardent.

XXVIII. Saint Jérôme passe plus avant, et dans son commentaire sur Isaïe, il nous assure que si un fille ou une femme s’ajuste d’une manière assez mondaine pour attirer sur soy les yeux des hommes, et pour exciter des désirs illicites, elle commet un crime qui mérite quelquefois une sévère punition, quoy qu’elle ne fasse commettre aucun crime, parce qu’elle prépare et présente un venin qui peut donner la mort, et que c’est contre son attente ou du moins contre les apparences si personne n’en boit. XXIX. Hélas, si selon la doctrine de S. Clément Alexandrin, il y a plusieurs occasions où un Chrétien péche, à cause seulement qu’il ne vit pas d’une manière assez modeste et assez exemplaire pour retenir le libertinage des pécheurs, et pour leur inspirer de la honte de leurs crimes ou de la crainte des jugemens de Dieu, que peut-on croire de ces filles et de ces femmes qui par leurs nuditéz deviennent une occasion pressante de péché, qui bien loin de réprimer par leur modestie les sentimens impurs que la concupiscence peut produire à leur veue dans les cœurs des hommes, les renouvellent et les augmentent par leur immodestie, qui bien loin de s’opposer au libertinage, le favorisent en se montrant à demi-nues.

XXX. Comme il n’y a rien de plus divin que d’éloigner les hommes du vice, et de les porter à la vertu ; il n’y a rien de plus diabolique que de les tenter, et de les provoquer au péché ; c’est toutefois ce que font ces femmes qui se disent si innocentes. Et de même que le démon n’en est pas moins démon, c’est-à-dire, moins séducteur, moins désagreable à Dieu et moins digne de châtiment, lorsque ses tentations et ses efforts luy sont inutiles, et qu’il tâche vainement de nous séduire, ne pouvons-nous pas dire avec proportion que les femmes qui nous tentent par la nudité de leur gorge et de leurs épaules, ne sont gueres moins coupables lorsqu’elles n’excitent aucune affection deshonneste, que quand elles inspirent un amour prophane à ceux qui les voyent.

XXXI. Qu’elles ne rejettent point sur la foiblesse et sur l’incontinence des hommes, les péchéz dont elles sont la principale cause. Les hommes sont foibles, il est vray, mais c’est pour cela même, qu’elles ne doivent pas les tenter. Les hommes sont incontinens on ne le peut nier, mais elles sont en cela d’autant plus coupables, que n’ignorant pas qu’elle est l’incontinence des hommes, elles les excitent à l’impureté. Pensent-elles que le précepte d’aimer son prochain, et de s’intéresser à son salut n’ait été donné qu’aux hommes, prétendent-elles que cette loy fondamentale du christianisme ne soit pas une loy pour elles, et qu’il leur soit permis de la violer avec impunité. Elles sçavent, elles avouent, elles publient que les hommes se laissent facilement embrasser d’un amour impudique , et elles s’imaginent ne pas blesser la charité chrétienne, et l’honnesteté naturelle, lorsqu’elles se mettent volontairement en état d’exciter des feux illégitimes dans leurs cœurs. N’est-ce pas un aveuglement déplorable, et un aveuglement qui devient d’autant plus funeste à ces filles et à ces femmes, qu’il leur cache leur propre foiblesse et leur propre incontinence.

XXXII. Qu’elles sçachent que si les hommes sont foibles, elles le sont aussi, et qu’elles ne sont pas moins incontinentes qu’eux. Qu’elles considèrent qu’en même temps qu’elles tentent les hommes, elles s’exposent à être tentées par les hommes. Elles les tentent par la beauté de leur gorge, elles s’éxposent à être tentées par leur cajolerie et par leur complimens, elles leur inspirent une passion déshonneste, ils leur expriment l’ardeur de la passion qu’ils ressentent ; elles les ont charméz par les yeux, ils les enchantent par les oreilles ; ils leur rendent, pour ainsi dire, l’amour qu’elles leur avoient donné, et elles le reçoivent toujours avec plaisir ou sans répugnance, comme une chose qui vient originairement d’elles aussi bien que d’eux, et qui est un effet de leur mérite et de leur beauté.

XXXIII. Vantez-vous donc tant qu’il vous plaira d’être fortes et d’être chastes, ô femmes du siècle, qui découvrez si librement et si hardiment votre sein, glorifiez-vous d’être insensibles à la bonne mine, à la galanterie, à l’éloquence, à la probité, à la magnificence, en un mot à tout ce qu’il y a de charmant dans les hommes. Il suffit que vous soyez sensibles à vos propres charmes pour être en danger de périr, puisque c’est par eux qu’ils vous tentent ; et vous ne sçauriez désavouer que vous n’ayez, non-seulement de la sensibilité, mais de l’attachement pour vos charmes, puisque vous ne pouvez vous résoudre à les cacher, et que malgré les reproches que vous font la nature et la raison, la religion et la piété, vous voulez les faire paroitre par la nudité de vos bras, de votre gorge et de vos épaules. Si vous ne vous souciez pas du salut des autres, au moins songez à votre salut, si vous ne faites pas scrupule de tenter les hommes, appréhendez d’être tentées par les hommes, et couvrez ce corps à demi-nu par lequel vous les tentez, et qui leur sert de sujet et de prétexte pour vous tenter ?

XXXIV. Ouy sans doute il faut que ces femmes mondaines le confessent malgré elles, le péril où elles engagent les hommes leur est commun avec eux ; et lorsque paroissant à demi-nues elles font la fonction d’athlétes du démon, et qu’elles entrent, pour ainsi dire, dans la lice afin de combattre pour sa gloire, elles ne doivent pas moins songer à se défendre qu’à attaquer, et doivent d’autant plus craindre de succomber dans ce combat, qu’elles n’ attaquent les hommes qu’avec les armes de l’impureté, et qu’ils les réattaquent, pour ainsi parler avec celles de l’impureté et de la vanité tout ensemble.

XXXV. C’est aussi pour leur surété autant que pour la nôtre, c’est pour leur salut, autant que pour le salut des hommes, que les Pères de l’église et les grands hommes ont de siècle en siècle déclamé contre les bals, les comédies et les autres spectacles publics où les femmes montrent leur gorge et leurs épaules avec plus de liberté et plus d’affeterie. Quelque innocens que soient les spectacles en eux-mêmes, ils deviennent en quelque sorte criminels tant ils sont dangereux pour les femmes et pour les hommes. Pour les hommes parce qu’ils leur donnent une liberté entière, et même une grande facilité de considérer à loisir et avec attention la nudité des femmes. Pour les femmes parce qu’elles y ont une funeste commodité ; et souvent elles s’y trouvent dans une nécessité fâcheuse d’entendre les discours déshonnestes des jeunes gens, qui sous prétexte de donner des applaudissemens à leur bonne grâce ou à leur beauté ; dressent des pièges à leur vertu, blessent et affoiblissent leur pudeur.

XXXVI. C’est ce que les Payens même ont reconnu, s’il en faut croire un des plus libertins de leurs poètes, et Tertulien nous assure que les censeurs de Rome, qui par le devoir de leur charge étoient obligéz de remédier à la corruption des mœurs, et de l’empescher s’il leur étoit possible, faisoient souvent détruire les nouveaux théâtres qu’on avoit dresséz pour y assembler le peuple, prévoyant, dit-il, que le libre commerce que les hommes auroient avec les femmes dans ces sortes d’assemblées, deviendroit un commerce d’impureté, et qu’ils se corromproient les uns les autres n’y venant apparemment qu’à ce dessein avec tant d’afféterie et avec tant de pompe.

XXXVII. Delà vient, dit le même Tertulien, que le grand Pompée après avoir fait élever un très magnifique théâtre craignant que cela ne fit tort à sa réputation, et qu’on ne l’accusât d’avoir favorisé l’impudicité elle libertinage, nomma son théâtre la maison de Vénus, et le fit consacrer comme un temple pour couvrir sa faute sous le voile de la religion. Mais en cela même qu’il consacra son ouvrage à la Déesse de l’amour impudique, il reconnut, ce me semble, que son édifice seroit comme l’azile et la forteresse de l’impureté, et s’il m’est permis de parler de la sorte comme l’amphithéâtre et l’échafaut où l’innocence, l’honnesnesteté et la chasteté seroient immolées. Tant il est difficile que les hommes demeurent innocens parmy des femmes superbement vêtues et à demi-nues, et que les femmes conservent toute leur pureté dans la compagnie des jeunes gens qui s’étudient à leur plaire, et qui les entretiennent librement de la violence de leur passion. Les uns et les autres cherchent le plaisir dans ces assemblées, les uns et les autres estiment donc et aiment le plaisir, et comment peuvent-ils éviter les suites funestes de l’affection déréglée de la volupté, dans le temps même qu’ils ne songent qu’à la satisfaire.

XXXVIII. Je n’ay pas oublié qu’il y a des filles et des femmes qui pensent qu’il leur est permis de découvrir leur gorge du moins quand elles sont dans leur maison, où il n’y a personne que ceux de leur famille, et quand elles sont dans un cloître où elles ne conversent qu’avec des religieuses. Car dans ces deux rencontres disent-elles, ne pouvons pas avoir dessein de plaire aux hommes, et nous ne sçaurions ni causer du scandale ni inspirer de mauvaises pensées. Il est facile de leur répondre que quand il seroit yray qu’en ces deux occasions leur nudité ne pourroit nuire à personne, il suffit qu’elle puisse leur être funeste. Une femme véritablement chaste ne craint et n’évite pas seulement les yeux étrangers et domestiques, mais les siens propres, et celle qui s’accoutume à se voir à demi-nue s’habitue à n’avoir aucune honte de sa nudité, et se prépare par conséquent à la faire voir aux autres sans aucun scrupule. Il n’est pas nécessaire pour se rendre coupable qu’elle veuille plaire aux hommes en découvrant son sein, c’est assez qu’elle désire se plaire à elle-même, car puisque la complaisance qu’elle a pour sa beauté n’est pas d’une nature différente de celle qu’elle peut avoir pour la beauté des autres, elle n’est pas moins sensuelle et n’excite pas des mouvemens plus innocens.

XXXIX. De plus si ces filles et ces femmes n’exposent pas leur nudité à la vue des hommes, c’est seulement par accident, et j’ose dire que c’est apparemment contre leur intention. Car quelle apparence que le désir et l’habitude qu’elles ont de montrer leur gorge se perdent et s’évanouissent en pensant qu’un homme la doit voir, et au moment que cette habitude et ce désir doivent vraisemblablement se renouveler et s’augmenter. Quelle apparence qu’elles refusent l’occasion d’entendre louer leur sein dont elles sont charmées, et qu’elles ne découvrent que pour en conserver, augmenter, ou montrer la beauté. Quelle apparence enfin que celles qui ne peuvent se résoudre à avoir la gorge voilée quand elles sont seules, s’avisent de la cacher lorsque la volupté, l’amour-propre, et la vanité, les sollicitent le plus fortement à la découvrir.

XL. Mais de qui ont-elles appris, sinon de l’erreur et du mensonge, qu’elles ne peuvent nuire à personne dans leur famille quoy qu’elles ayent le sein et les épaules nues. Ne puis-je pas leur dire avec Terlulien, pu vous êtes mère, ou vous êtes fille, ou vous êtes sœur ; si vous êtes mère, voilez-vous à cause de vos enfans, ne soyez pas un sujet de tentation à vos fils, ne donnez pas un mauvais exemple à vos filles. Si vous êtes fille, voilez-vous à cause de votre père, si vous êtes sœur couvrez votre sein à cause de vos frères, et quelle que vous soyez, sœur, fille ou mère, voilez-vous à cause des domestiques. Il n’y a ni âge, ni qualité qui exempte un homme d’être tenté à la vue d’une belle gorge, et l’inclination que la nature nous inspire pour nos proches, est souvent une disposition à l’amour deshonneste que le démon nous suggère.

XLI. De qui peuvent-elles avoir appris, si non du père du mensonge et de l’erreur, qu’elles ne scandalisent personne par leurs nuditéz, sous prétexte qu’elles se sont rétirées dans des Monastères où elles n’ont presque aucune société qu’avec des vierges consacrées à Dieu. Pourroient-elles causer un plus grand scandale dans l’église, que de venir attaquer l’innocence jusques dans son sort. Les religieuses se sont renfermées dans le cloître pour mieux résister au démon et aux charmes de la volupté ; ces filles et ces femmes s’insinuent dans les cloîtres, et par la nudité de leur gorge deviennent les démons et les tentateurs des religieuses , les aides et les ministres de la sensualité. Les religieuses ont préféré une prison perpétuelle à la liberté criminelle que le monde inspire, et se sont rendues les captives de Jésus-Christ pour s’affranchir de la tirannie du péché ; ces filles et ces femmes entrent à demi-nues dans cette sainte cloiture pour y introduire le libertinage du siècle, et pour ébranler la vocation des religieuses, pour changer la captivité de ces heureuses Vestales, et pour les rendre les esclaves de la vanité du monde, au lieu qu’elles le sont de la loy de Jésus-Christ. Elles sollicitent ces épouses de notre Dieu à luy être infidelles, elles renouvellent dans leur esprit l’idée des plaisirs ausquels elles ont renoncé, et semblent leur faire un tacite reproche d’avoir quitté le monde pour Dieu, et une leçon secrette de quitter Dieu pour le monde. Pensent-elles ne pas scandaliser notre religion aussi bien que les religieuses, et peuvent-elles douter qu’elles ne servent de scandale aux religieuses qui ont une solide piété, et qu’elles ne soient cause du déréglement et peut-estre de la perte de celles qui n’ont qu’une dévotion foible et chancelante.

XLII. Quelle société y peut-il avoir, dit le grand apôtre, entre Jésus-Christ et Belial, et quel commerce y doit-il avoir entre les épouses de Jésus-Christ et celles de Belial, c’est-à-dire du monde qui refuse de porter le joug de Jésus-Christ. Si les femmes du siècle veulent vivre avec des religieuses, il faut qu’elles vivent à peu près comme les religieuses, il faut qu’elles imitent leur modestie bien loin de blesser leur pudeur, il faut qu’elles apprennent d’elles à vivre en chrestiennes bien loin de leur apprendre à vivre en mondaines. Il faut qu’elles s’imaginent que s’il n’y a aucun homme dans les cloîstres, les anges y tiennent la place des hommes, et que si elles ne tentent pas les anges par leur nudité, elles leur déplaisent, elles les offensent, elles les irritent.

XLIII. Après cela que peut-on alléguer pour la justification de ces filles et de ces femmes qui affectent d’avoir la gorge nue. Dira-t-on qu’il leur doit être permis de découvrir leur sein, puisque l’on approuve qu’elles ayent le visage découvert, et que c’est principalement par la beauté du visage qu’elles plaisent aux yeux, et qu’elles touchent le cœur. On pourroit leur repartir que ce n’est que par condescendance que l’Eglise souffre qu’elles marchent sans un voile sur la teste, et que ce relachement de la modestie des premières chrestiennes ne peut pas servir de raison pour se relâcher davantage, et pour se conformer entièrement aux vanitéz du siècle.

XLIV. Mais supposons qu’il ait toujours été loisible et bien-séant aux filles et aux femmes chrestiennes de paroître en public la face dévoilée. On n’en peut pas conclure ce me semble qu’elles puissent montrer publiquement leur gorge toute nue. Au contraire on doit inférer que l’Eglise leur ayant seulement permis de découvrir leur visage ; leur a tacitement deffendu de découvrir leur sein. Et certes il y a bien de la différence entre faire voir son sein et montrer son visage. La société naturelle et la communication civile que l’on a les uns avec les autres demandent qu’on se connoisse mutuellement, et comme on ne se connoit que par le visage, elles ont donné un juste fondement à introduire la coutume parmi les hommes et parmi les femmes d’aller le visage découvert quoy que les femmes doivent en user avec beaucoup plus de précaution que les hommes. Mais quelle nécessité y a-t-il qu’elles découvrent leur gorge et leurs épaules, quel motif peut les y obliger qui ne soit criminel, que peuvent-elles par là faire connoître si ce n’est ce qu’elles devroient cacher ?

XLV. D’ailleurs il n’y a rien qui répugne à la retenue et à la modestie du sexe de marcher la face dévoilée ; et si une fille ou une femme paroist modeste en se voilant la face, elle peut là paroître encore davantage en faisant voir une sainte pudeur sur son front. Elle montre seulement qu’elle est prude en couvrant son visage, et elle peut de plus nous apprendre à être sages lorsqu’elle nous donne la liberté de regarder ce même visage, où les charmes de la douceur naturelle sont comme sanctifiéz par une prudente gravité et par une retenue chrestienne. En effet, rien n’est plus capable d’inspirer du respect et de l’estime pour leur sexe que cette chaste pudeur qui éclatte sur un beau visage ; elle étouffe tous les sentimens sensuels que la beauté pourroit faire naître dans nos cœurs, et elle la fait servir d’instrument à la grace pour modérer nos ardeurs illégitimes, au lieu que le démon prétendoit en fortifier la concupiscence pour nous mieux enflammer. Les yeux d’une belle femme modestement baisséz sur la terre, condamnent la liberté indiscrete et la licence que prennent les jeunes gens de regarder de tous cotez, et l’on peut dire qu’ils répriment et étouffent malgré eux la laseiveté de leurs regards. Enfin il n’y a rien de plus propre à inspirer de la modestie aux hommes les plus mondains et les plus libertins qu’une fille sage et modeste, parce qu’ils sçavent que pour luy plaire il faut qu’ils se rendent semblables à elle, et rien ne peut mieux les con vaincre de sa sagesse que la modestie qui paroist sur son visage.

XLVI. On ne doit donc pas désapprouver que les filles et les femmes marchent le visage découvert, puisque c’est par là principalement qu’elles peuvent paroître ce qu’elles doivent être. Mais par cette même raison on doit blâmer celles qui montrent leur gorge, parceque cette nudité repugne à la pudeur naturelle aux filles, et empesche non seulement qu’une femme soit véritablement modeste, mais qu’elle la paroisse. On soupçonnera toujours que sa retenue est feinte lors qu’elle portera les marques de l’effronterie, et sa gravité affectée passera pour une hipocrisie cachée, pendant qu’elle tâchera de donner de l’amour aux hommes en feignant de négliger et de mépriser leur approbation. Car il y a cette troisième différence entre un visage dévoilé et une gorge nue, que le beau visage cause d’ordinaire de la surprise et ne donne pas moins de respect et d’admiration que de tendresse. Mais un beau sein n’inspire presque jamais que des sentimens sensuels et des pensées deshonnestes, soit parce qu’il n’y peut paroître ni modestie, ni retenue, ni pudeur comme sur le visage, soit parce qu’il ne présente à l’esprit qu’une idée corporelle et charnelle qui l’appesantit et l’attache d’abord à la sensualité, et que le visage étant le siége extérieur de l’âme et comme son tableau, occupe, recrée et satisfait suffisamment l’esprit, et par là le détourne souvent de former aucune pensée criminelle. Soit enfin parce que Dieu ayant égard à cette nécessité presque inévitable où se trouvent les filles et les femmes de paroître quelquefois le visage découvert, ou pour se faire connoître, ou pour approcher de la sainte Table, empêche que la beauté de leur visage ne soit aux hommes une occasion de pescher ni si ordinaire, ni si pressante que la beauté de leur gorge, qu’elles découvrent sans aucune nécessité, et presque toujours par un motif d’amour propre de sensualité ou de vanité. XLVII. Après avoir examiné les excuses communes aux filles et aux femmes qui ont accoutumé d’avoir la gorge nue, il est facile de répondre aux raisons que les unes et les autres apportent séparément. La principale ou plutôt l’unique qui soit propre et particulière aux filles, consiste à dire que Dieu et leur inclination les appelant au mariage, elles peuvent innocemment se servir de toute leur beauté pour donner de l’amour, et pour engager quel que jeune homme à les rechercher : d’autant plus qu’ils se conduisent ordinairement par les sens, et se prennent aisément par les yeux.

XLVIII. Cette raison serait peut-être recevable dans la bouche d’une fille Payenne qui ne reconnoît d’autres lois que celles de la nature corrompue et d’une religion prophane. Quoy qu’on peut luy objecter avec justice qu’elle flétrit l’éclat de la virginité dont elle se fait honneur, lorsque par la nudité de son sein et de ses épaules elle renonce à la modestie qui est comme la gardienne de cette virginité. Quoy qu’on peut lui répondre qu’elle se trahit. elle-même, et qu’elle fait tort à sa chasteté par sa beauté propre ; puisqu’une vierge cesse en quelque sorte de l’être lorsque par sa faute elle peut ne l’être pas, et que la nudité de sa gorge qu’elle montre indifféremment à tout le monde, donne sujet de croire que si elle est chaste de corps, peut-être elle ne l’est pas d’esprit. Quoy qu’on peut enfin luy reprocher que le trop grand désir qu’elle témoigne d’être femme, fait présumer qu’elle n’est pas entièrement vierge, et qu’elle s’est déjà donné plusieurs maris avant que personne se présente pour l’être.

XLIX. Mais une fille Chrétienne peut-elle, sans oublier ce qu’elle est, dire qu’elle cherche un mari par la nudité de son corps ? C’est apporter au mariage une disposition bien contraire à la pureté qu’il demande : puisqu’étant une parfaite image de l’union de Jésus Christ avec son Église, il doit non seulement se contracter sans impureté, mais se ménager et se traitter par des voyes entièrement pures et innocentes. Ce sont les Vierges principalement qui ornent l’Église, et c’est à l’Église principalement à les orner, c’est à elle et à ses Ministres plûtost qu’à la mode et aux gens du siècle à régler leurs habits et leurs ornemens, leur démarche et leur conduite, parce que c’est à Jésus Christ qu’elles doivent plaire plûtost qu’au monde. C’est à lui qu’elles doivent de mander un mari, c’est de luy qu’elles doivent le recevoir.

L. Il n’y en a pas une d’entre elles qui ne dise qu’il faut qu’un mariage se conclue dans le Ciel avant qu’il se fasse sur la terre. Cependant elles empeschent que le Ciel ne se mesle de leur mariage lorsqu’elles employent pour se marier un moyen aussi impur qu’est la nudité, et il semble que ce n’est pas des mains de Jésus Christ, mais de celles d’Asmodée qu’elles veulent prendre un époux. Elles ont recours aux seuls charmes de leur beauté au lieu de recourir à la prière, et de là vient sans doute qu’elles perdent l’estime et l’affection de leur mari à mesure que leur beauté diminue. Quel que fières et quelque orgueilleuses qu’elles paraissent, elles montrent de la bassesse et de la soumission lorsqu’elles se réduisent jusqu’à se dépouiller à demi-nues, afin de pouvoir plaire à un homme. Et c’est pour cela peut-être que Dieu, à qui cette nudité déplaist, permet qu’elles trouvent dans cet homme un maître qui les maltraite, et non pas un mari qui les aime.

LI. C’est de Dieu seul, dit Salomon, que les hommes peuvent recevoir pour femme une fille prudente et sage, et c’est luy seul aussi qui peut donner à une fille un homme riche, doux et fidelle pour mary. Et si vous me de mandez ce que doit faire une fille pour obtenir de Dieu ce mary et pour mener une vie heureuse dans le mariage, je vous répondray avec le même Salomon, qu’il faut qu’elle soit et paroisse modeste.

LII. A quoy pensez-vous donc, filles Chrétiennes, lorsque vous blessez la modestie par la nudité de vos gorges ? Ne scavez-vous pas, que quand Dieu fait les mariages, ce n’est que pour le bonheur de l’un et de l’autre des mariéz ? Et de même qu’il donna une femme au premier homme innocent pour avoir soin de luy et pour l’assister dans son travail, pour diminuer ses peines en les partageant, et pour augmenter ses plaisirs en y participant : qu’il donne d’ordinaire un époux à une fille sage et modeste pour luy servir de consolation et d’appuy, pour être son protecteur et son père. Pouvez-vous ignorer que les mariages sont presque toujours malheureux lorsque le monde en est l’auteur, lorsque la volupté ou la vanité en ont, pour ainsi dire, été les négociatrices, et que les hommes n’y ont été engagez que par quelque passion sensuelle qu’a excité en eux la nudité d’une partie de votre corps ?

LIII. Vous n’avez qu’à choisir, ou d’être vraysemblablemeni heureuses si vous songez à plaire à Dieu par votre retenue, afin de plaire saintement à un homme, et d’en faire le témoin et l’approbateur de votre modestie avant qu’il soit votre mary ; ou de vous exposer évidemment à être malheureuses, si, sans vous soucier d’acquérir l’estime de ceux que vous souhaitez pour époux, vous tâchez seulement de leur inspirer un fol amour qui sort d’ordinaire de l’esprit aussi facilement qu’il y est entré, et qui passe presque aussi-tost que la jouissance du plaisir qu’il se propose.

LIV. Il n’est pas difficile de juger quel party elles doivent suivre si elles sont raisonnables et si elles veulent être heureuses dans le mariage où elles aspirent. Et l’on peut même assurer que pour y parvenir elles devroient cacher leurs bras, voiler leur sein, et couvrir leurs épaules, bien loin de les montrer comme elles sont. Les hommes font bien de la différence entre une courtisane, ou une coquette et une épouse, ils aiment ces nuditéz en celles qu’ils regardent comme des courtisanes ou des coquettes, ils les désapprouvent en celles qu’ils désirent pour leurs épouses. Rien ne leur plaît davantage en une fille qu’une modeste gravité et qu’une beauté naturelle sans trop d’art et d’affeterie. Ce n’est que leur dérèglement et leur passion qui approuve quelquefois la nudité des filles, leur raison et leur prudence la condamne toujours. Ils connaissent que cela vient d’un même principe de vouloir regarder une belle gorge et d’affecter de la montrer, et comme ils ressentent par eux-mêmes qu’il est très-difficile de la regarder innocemment et avec plaisir, ils jugent que cette fille qui se plaist à la leur faire voir, n’est pas aussi innocente qu’elle le veut paroître. Et comme ils ne peuvent douter que ce ne soit une grande marque de pieté et de dévotion en un jeune homme lorsqu’il rougit à la veue d’une gorge découverte, et qu’il évite de la regarder : Ils sont convaincus qu’une fille est pieuse et dévote lorsqu’elle a honte de découvrir son sein, et qu’elle le cache également à ses yeux et à ceux des autres.

LV. O prudence de la chair, que tu es aveugle et que tu es trompeuse. Les filles du siècle prétendent assurer et avancer leurs mariages par la nudité de leur gorge, et c’est par là qu’elles les diffèrent ou qu’elles les empêchent. Elles ne se soucient pas de plaire à Dieu dans l’espérance de pouvoir plaire à un homme, et Dieu permet qu’elles paroissent moins aimables à cet homme par cela même, par quoy elles s’efforcent de lui plaire. Elles perdent son approbation et son estime en voulant sur prendre son affection, et elles le rebutent du mariage en voulant l’y engager.

LVI. Elles sçavent aussi bien que les hommes que la beauté du sein a cela de propre, qu’elle inspire presque toujours des sentimens deshonnestes , pourquoy veulent-elles donc exciter dans les autres ce qu’elles font profession de ne pas ressentis, ou pourquoy ne croyent-elles pas que les hommes les soupçonneront d’avoir les mêmes sentimens qu’elles leur veulent inspirer. Que si elles le croyent, quel est leur aveuglement de s’imaginer que de la nudité du sein il puisse naître un amour légitime ; et de se persuader qu’un homme aime une telle disposition dans une fille qu’on luy propose pour être sa femme.

LVII. D’ailleurs lorsqu’elles affectent si fort de montrer tout ce qu’elles ont de beau, et d’augmenter les agrémens de leur visage en faisant voir la forme régulières de leur sein, la blancheur et la délicatesse de leur cou ; ne témoignent-elles pas qu’elles mettent toute leur confiance en la seule beauté de leur corps, et qu’elles n’ont ni assez d’esprit ni assez de vertu pour se faire aimer ; ou qu’elles mésprisent la vertu et l’esprit en comparaison de leur beauté. Pensent-elles que ce soit un moyen fort judicicieux pour persuader à un homme que leur possession sera sa félicité et qu’elles seront aussi retenues et aussi prudentes, aussi sages et aussi pieuses qu’une femme le doit être pour rendre un mari heureux. LVIII. Il n’y a personne dans le christianisme qui ne sçache que les Vierges sont les épouses de Jésus Christ et quand on les considère en cette qualité, on peut dire qu’elles passent en quelque sorte en secondes nopces la première fois qu’elles se marient. Et comme on juge de la conduite que tiendra une femme dans son second mariage, par celle qu’elle a observée pendant le temps du premier, on infère ordinairement de quelle maniére une fille vivra avec son mari, par la manière dont elle en a usé durant sa virginité envers Jésus-Christ son premier époux. Si étant fille elle paroît sage, modeste, retenue, on présume qu’elle ne cessera pas de l’être étant devenue femme : si étant fille elle ne songe qu’à plaire par son affeterie et à acquérir une vaine réputation de beauté par la nudité de son corps ; on appréhende avec justice qu’elle ne changera pas d’inclination en changeant de condition, et l’on se persuade qu’ayant beaucoup moins de sujet d’aimer et de craindre un mari que Jésus-Christ, elle ne sera guères fidelle à un homme, puisqu’elle est infidelle à Dieu qui veut bien la reconnoître pour son épouse.

LIX. Tertulien a crû que les Vierges, non plus que le reste des Chrétiens, ne pouvoient tirer aucune gloire de leur corps qu’en mortifiant leur chaire par la pénitence, et la rendant semblable à celle de Jésus-Christ qui a été déchirée pour notre salut. Mais il me semble qu’elles ont cet avantage sur les autres Chrétiens que glorifiant Dieu par leur chair en la conservant pure et chaste pour l’amour de luy, elles peuvent par là faire servir leur corps à leur propre gloire. Car qu’y a-t-il de plus glorieux pour une Chrétienne que de contribuer à la gloire de Jésus-Christ. Mais pour jouir de cet avantage, et pour offrir à Dieu un corps qui luy plaise, un corps parfaitement pur et chaste, il ne faut pas qu’une fille l’expose à la veue et aux désirs de tous les hommes comme le corps d’une effrontée ; il faut qu’elle le couvre avec modestie et ne pouvant pas entièrement éviter le danger qu’il y a de voir les hommes et d’en être veue, qu’elle évite du moins le mal qu’il y a à les tenter par sa nudité.

LX. Elles le devroient sans doute et l’on peut dire que leur prorre intérest les oblige à le faire, puisque par leur peu de modestie, elles donnent moins d’amour que de dégout et de deffiance aux hommes judicieux et sages qu’elles souhaitent pour époux, et que n’inspirant de la passion qu’aux libertins et qu’aux sensuels, elles travaillent elles-mêmes à se rendre malheureuses en se procurant de tels maris. Elles le devroient, puisque la prudence le demande, la religion l’ordonne, l’honnesteté et la piété l’exigent. Elles le devroient puisque, selon la pensée de l’apôtre S. Paul, Dieu n’a donné une longue cheveleure aux filles et aux femmes, qu’afin qu’elle leur servît d’un voile naturel pour couvrir leur gorge et leurs épaules, et que la nature même leur imprime un grand désir de conserver pour ce sujet la longueur de leurs cheveux, afin qu’elles ayent toujours de quoy se voiler lorsqu’elles seront surprises par les regards de quelque curieux.

LXI. Ces raisons me paroissent assez fortes pour pouvoir persuader aux femmes aussi bien qu’aux filles de couvrir leurs nuditéz ; il y en a plusieurs toutefois qui ne veulent pas y aquiescer, et qui prétendent qu’elles peuvent sans scrupule découvrir leur gorge, sous prétexte que c’est pour plaire à leurs maris. Mais elles ne prennent pas garde qu’ayant recours à cette dernière excuse, elles avouent tacitement malgré elles que toutes les autres leur sont inutiles, et étant obligées pour justifier leur procédé d’alléguer l’obéissance ou la complaisance qu’elles doivent à ceux que Dieu leur a donné pour Supérieurs, elles confessent sansy penser, qu’elles sont une chose que leur raison ne peut défendre, quoy que leur passion l’excuse. Lors qu’Adam dit à Dieu que c’étoit pour plaire à sa femme qu’il avoit mangé du fruit défendu, il avoua son crime en s’excusant de la sorte. Et quand les femmes disent qu’elles découvrent leur sein pour satisfaire leurs maris, elles reconnoissent et confessent leur faute en voulant la rejetter sur un autre.

LXII. Je voudrois de plus leur faire remarquer qu’afin que cette excuse fût légitime, il faudrait en premier lieu qu’elles fussent assurées que c’est la volonté de leurs maris, ce qui n’est pas si aisé qu’elles se l’imaginent. Un mari n’est pas moins jaloux de la pureté de sa femme que de son propre honneur, et comme s’il est prudent il ne s’expose jamais à perdre son honneur, il n’ya pas d’apparence qu’il souhaitte que sa femme s’expose à perdre son innocence. Un mary s’intéresse toujours à la réputation de sa femme, et s’il est judicieux il voit bien qu’elle se fait tort quand elle s’habille à la mode des femmes entièrement mondaines et libertines. Un mari, dit Tertulien, n’ignore pas quels font les charmes de sa femme, il n’a pas besoin qu’elle les luy montre à toute heure, et peut-être même doit-il souhaiter qu’elle ne fasse pas voir à tout le monde par la nudité de son sein, ceux qui ne devroient être connus que de luy seul. LXIII. Il y a bien de la différence entre ce que le mari tolère et ce qu’il désire. Un mari qui a de l’honnesteté, de la douceur et de l’amour pour sa femme, souffre sans aucune inquiétude et sans se plaindre qu’elle découvre sa gorge : mais il ne s’ensuit pas qu’il le souhaitte et qu’il l’ordonne. Cependant si le mari ne témoigne point à sa femme qu’il veut qu’elle aille ainsi découverte, et s’il le souffre seulement, c’est à tort qu’elle allègue pour sa défense la volonté de son mari, puisqu’au lieu de se conformer par respect à ses désirs comme elle voudrait faire croire, c’est luy qui par bonté s’accommode à son humeur.

LXIV. En second lieu, si ce n’est que pour plaire à son mari, qu’elle découvre son sein, pourquoy le découvre-t-elle ailleurs que devant son mari. En troisième lieu, supposé même que son mari luy commandât d’aller en public la gorge découverte, elle devrait le faire par pure obéissance pour le faire innocemment, elle devroit le faire avec quelque répugnance secrète, connoissant le danger où elle s’expose et où elle expose ceux qui la regarderont. Que si au contraire elle le fait avec joie et avec plaisir, c’est une marque évidente qu’elle songe moins à obéir à la volonté de son mari, qu’à satisfaire la passion qu’elle a de paroître belle et de donner de l’amour. Quand son mari luy ordonne quelque chose qui répugne à son inclination , elle trouve bien les moyens de luy faire changer de sentiment, vray-semblablement elle n’obéiroit pas avec tant de promptitude et de facilité s’il luy ordonnoit de couvrir sa gorge.

LXV. Qu’elle n’allégue donc plus pour prétexte de sa nudité la complaisance qu’elle a pour son mari, et si elle le considère autant qu’elle doit, qu’elle affecte de paroître la gorge et la face voilée, puisque parce moyen, dit le grand Apôtre, elle montrera qu’elle est véritablement et volontairement soumise à l’autorité de son mari. Car du temps de S. Paul, quand une fille se marioit ou luy mettoit un voile sur la teste et sur les épaules , pour marquer qu’elle passoit sous la puissance de son époux, et qu’elle cachoit pour tout autre que luy son visage et son sein. De là vient que Dieu même dans le Prophete Jérémie , dit qu’une femme mariée ne doit jamais oublier le voile qui luy cache le sein non plus que les filles n’oublient pas de se parer.

LXVI. Si les femmes se souvenoient du conseil que leur donne S. Pierre, de travailler à la conversion de leurs maris par leur modestie extérieure, et par leur conversation pure et chaste, pour me servir de ses termes, elles ne souhaitteroient pas de fomenter les feux de leur concupiscence paroissant devant eux en habit et en posture de courtisanes. Si elles faisoient reflexion qu’elles flattent ou entretiennent le libertinage de leurs maris, qu’elles les accoûtument à se plaire et à rechercher à voir de semblables nuditéz en leur montrant leur gorge nue, elles cesseroient de le faire par leur propre interest, de peur de les disposer à leur devenir infidelles en voulant de plus en plus les engager. Enfin si elles considéroient que leur véritable gloire dépend plus de leur vertu que de leur beauté, elles affecteroient plus de paroître modestes en couvrant leur sein, que belles en le découvrant. Et peut-être même que la réputation de leur beauté seroit plus grande si elles la rendoient moins commune, si elles en voiloient une partie. Au moins leur beauté en seroit moins suspecte d’affeterie, et les louanges qu’on leur donneroient plus pures, parce qu’on ne trouveroit en elles rien d’immodeste, et qu’on y trouveroit tout beau.

LXVII. Si tout ce que j’ay dit ne suffisoit pas pour prouver que la nudité du sein est blâmable et nuisible, et pour répondre aux excuses qu’apportent les filles elles femmes, il ne me seroit pas difficile de les convaincre par de nouvelles raisons et par plusieurs autoritéz. Mais afin que ce traitté leur soit utile sans être ennuyeux, il faut finir en conjurant celles qui se piquent d’honnesteté et de vertu, de prendre garde que par leurs nuditéz elles se conforment si fort aux courtisanes, qu’il n’y a presque que Dieu seul qui puisse connoître la différence qui est entre les unes et les autres. Pourquoy imitent-elles dans la manière de s’ajuster celles dont elles condamnent les actions, ou plûtost pourquoy imitent-elles les actions et l’extérieur de celles dont elles blâment le dérèglement et la conduite. Elles leur sont semblables en ce qui paroit, et prétendent leur être fort dis semblables en ce qui ne paroît pas. Quel jugement peuvent en faire les hommes qui ne jugent que sur ce qu’ils voyent ?

LXVIII. Ne doivent-elles pas trembler sçachant que de temps en temps plusieurs Prélats ont ordonné qu’on refusât les Sacremens de la Pénitence et de la Communion à toutes les filles et à toutes les femmes indifféremment qui auroient les bras, la gorge et les épaules découvertes, et qu’ils leur ont deffendu sous peine d’excommunication de venir en cet état au pied des Autels, et même d’entrer dans les Eglises.

LXIX. Ne doivent-elles pas frémir de crainte considérant que la pluspart des courtisanes ne sont devenues impudiques dans leurs mœurs que parce qu’elles ont été immodestes dans leurs habits, qu’elles ont commencé à montrer leur corps avant que de le donner, et, s’il m’est permis de parler de la sorte, qu’elles ne l’expo sent en vente, que parce qu’elles l’ont trop librement exposé à la veue des libertins ?

LXX. Il est vray que la Religion Chrétienne permet aux filles et aux femmes de se parer et de s’orner suivant leur qualité et leur condition. Mais elle veut que ce soit sans affeterie et sans excez, pour la biensceance, et non pour le luxe. Elle leur a toujours deffendu de faire servir au libertinage et à l’immodestie, les ornemens dont elle a approuvé l’usage pour mieux faire paroître leur retenue et leur pudeur, et elle a toujours marqué de l’aversion et de l’horreur pour ces nuditéz de bras, de gorge et d’épaules, qui répugnent également à l’honnesteté naturelle et à la piété Chrétienne, aux lumières de la raison et de la grâce, aux Loix de l’Evangile et de la politique, aux sentimens de l’honneur, à l’instinct de la nature, et en un mot à la gloire et à l’utilité même des filles et des femmes.

FIN.