De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/34

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 209-211).


CHAPITRE XXXIV.
Que Dieu seul en toutes choses, & pardessus toutes choses, fait la joye & le bonheur de celui qui l’aime.
Le Disciple.

VOici mon Dieu et mon Tout. Que desirerai-je davantage, & que puis-je desirer de meilleur ?

O parole douce, mais douce à celui qui aime Dieu, & non pas le monde, ni les biens du monde !

Mon Dieu, & mon Tout : cette parole suffit à quiconque la comprend ; & quand on aime, on ne se lasse jamais de la repeter.

Car quand vous êtes present, mon Dieu, tout est agréable ; & quand vous vous retirez, tout est triste, tout est affligeant.

Vous nous apportez la tranquillité & la paix, & vous répandez la joye dans nos cœurs.

Vous faites que nous jugeons bien de tout le monde, & que nous tournons toutes choses à vôtre loüange. Sans vous, ce qui nous plaît davantage, ne nous plaira pas long-tems, & afin que quelque chose soit à nôtre goût, il faut que vôtre grace s’y mêle, & que le sel de vôtre sagesse en soit l’assaisonnement.

Que pourra trouver d’amer ici-bas, celui qui sçait goûter combien Dieu est doux ? & celui qui ne le sçait pas, que trouvera-t-il qui ne soit plein d’amertume ?

Vötre sagesse, Seigneur, condamne celle du monde, & celle de la chair, & fait voir qu’il n’y a dans l’une que vanité, & que corruption dans l’autre.

Il n’y a donc, de vrai Sages, que ceux qui résolu de vous suivre, méprisent le monde, & mortifient leur chair, puisqu’il n’y a que ceux-là qui passent de la vanité à la verité, & de la chair à l’esprit.

C’est eux qui goûtent les choses divines, & qui rapportent à la gloire du Créateur tout ce qu’ils remarquent de bon dans les créatures.

C’est eux qui connoissent combien il y a de difference entre le Créateur & les créatures, entre le tems & l’éternité, entre la lumiere increée, & les rayons émanez de cette lumiere.

O lumiere éternelle, qui surpassez & effacez tout autre lumiere, éclairez-moi du plus haut des Cieux ; purifiez mon ame ; répandez dans toutes ses puissances vôtre divine clarté ; faites-la vivre dans de continuels transports de joye, toûjours unie très-intimement à vous.

Quand viendra le jour de vôtre visite, ce jour si heureux, dans lequel vous satisferez mes desirs, & me serez Tout en toutes choses[1] ?

Tant que vous differerez à me faire cette grace, ma joye sera imparfaite.

Hélas ! le vieil-homme vit encore en moi, il n’est pas entierement crucifié, il n’est pas tout à fait mort.

Je le sens encore former des desseins contre l’esprit, allumer au dedans de moi le feu de la guerre, & jetter le trouble dans toute mon ame.

Mais vous, Seigneur, qui dominez sur la mer, & qui en calmez les flots, levez-vous & venez à mon secours[2].

Dissipez les peuples qui aiment la guerre[3] ; détruisez-les par vôtre puissance.

Renouvellez vos anciens miracles ; faites paroître la force de vôtre bras[4]. Car vous êtes toute mon esperance, & mon unique refuge, Ô mon Seigneur, & mon Dieu.

  1. 1 Corinth. 15. 28.
  2. Psal. 88. 10.
  3. Psal. 43. 26.
  4. Psal. 67. 31.