De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/04

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 127-130).


CHAPITRE IV.
Qu’il faut se conduire devant Dieu avec sincerité, & avec humilité.
Le Maistre.

MOn fils, marchez devant moi avec une grande humilité, cherchez-moi toûjours avec un cœur simple, & une intention droite. Celui qui marche sincerement devant moi, sera à couvert de tout accident fâcheux ; il ne lui arrivera rien de mal ; la verité le défendra contre l’imposture, & le sauvera de la calomnie.

Si la verité est pour vous, ne craignez rien, vous serez toûjours tranquille, toûjours libre, quoique le monde puisse dire de vous.

Le Disciple.

Seigneur, cela est très vrai. Faites que j’éprouve en moi ce que vous dites ; & puisque vous êtes la verité même, instruisez-moi, défendez-moi, & conduisez-moi à une heureuse fin.

Bannissez toute affection deréglée, tout amour impur de mon cœur ; & je marcherai en vôtre presence, avec une entiere liberté d’esprit.

Le Maistre.

Je veux vous apprendre, dit la verité éternelle, ce qui est bon & agréable à mes yeux.

Pensez avec confusion & avec regret à vos pechez ; prenez garde à ne pas vous enorgueillir de vos bonnes œuvres.

Vous êres vraiment pecheurs, plein de vices, & esclave de vos passions.

De vous-même vous tendez toûjours au néant ; & il ne faut rien pour vous abatre, pour vous vaincre, pour vous troubler, pour vous faire perdre courage.

Vous n’avez rien dont vous puissiez justement vous glorifier, & vous avez au contraire mille sujets de vous confondre ; parce que vôtre foiblesse est infiniment plus grande que vous ne sçauriez vous imaginer.

Comptez donc pour peu de chose tout ce que vous faites, & tout ce qui vient de vous.

Croyez qu’il n’y a rien de grand, de precieux, de sublime, d’admirable, rien qui mérite d’être estimé, d’être loüé, d’être recherché, que ce qui est éternel.

Attachez-vous à la verité éternelle, comme à l’obiet le plus digne de vôtre affection ; & humiliez-vous dans la vuë de votre extrême bassesse.

Ne craignez, ni ne condamnez ni ne detestez rien davantage que vos vices & vos pechez, qui doivent certainement vous causer plus de déplaisir, que ne pourroit faire la perte de tous les biens de ce monde.

Quelques-uns ont à mon égard une conduite peu sincére. Car par un esprit d’orgüeil ils veulent sçavoir ce qu’il y a de plus impenetrable dans la Divinité, & negligent cependant ce qui est de leur salut.

Leur vaine curiosité les expose à de dangereuses tentations, & fait que pour les punir, je permets qu’ils tombent en de lourdes fautes.

Craignez les justes jugemens de Dieu, redoutez la colere du Tout-puissant ; n’examinez point les desseins & les œuvres du Tres-Haut. Remettez-vous seulement devant les yeux vos pechez passez ; voyez en combien de choses vous avez failli, & combien de bonnes œuvres vous avez obmises.

Plusieurs pensent que la devotion est enfermée dans les Livres, d’autres l’attachent à des Images ; d’autres la font consister en des ceremonies exterieures.

Il y a assez de gens qui parlent de moi : mais il n’y en a guéres qui m’aiment de tout leur cœur.

Il s’en trouve pourtant quelques uns qui pleins de lumieres spirituelles, & de saintes affections, soupirent sans cesse aprés les biens éternels, souffrent avec peine qu’on leur parle des biens passagers, & se font violence pour satisfaire aux necessitez du corps.

Ceux-ci entendent & comprennent ce que l’Esprit de verité leur dit dans le cœur.

Car c’est lui qui leur enseigne à mépriser les choses de la terre, & à aimer celles du Ciel ; à fuir la gloire du monde, à n’en point desirer d’autre que celle du Paradis.