De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/25

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 68-75).


CHAPITRE XXV.
Qu’il faut travailler avec ferveur à l’amendement de sa vie.

SOyez vigilant & plein de ferveur dans le service de Dieu.

Il faut que vous vous demandiez souvent à vous-même : pourquoi êtes-vous venu ici ? & par quel motif avez-vous quitté le monde ? tout vôtre dessein n’a-t-il pas été de vous consacrer à Dieu, & de vous sanctifier ?

Efforcez-vous donc de croître en toute vertu ; parce que vous recevrez dans peu de tems la recompense de vos travaux, & qu’il n’y aura plus pour vous, ni crainte, ni douleur.

Pour un peu de peine, que vous souffrez maintenant, vous aurez un doux repos, & une joye qui ne finira jamais.

Si vous êtes toûjours fidéle & diligent à servir Dieu, vous verrez que Dieu est fidéle & liberal, à recompenser ceux qui le servent.

Vous devez bien esperer de parvenir à la couronne de gloire : mais il ne faut pas que vous pensez la tenir déja ; de peur que par trop de confiance, vous ne deveniez ou nonchalant, ou présomptueux.

Un jour il y eut un homme qui accablé de tristesse, & flottant entre la crainte & l’esperance, alla prier Dieu dans une Eglise, ou prosterné devant l’Autel, il disoit en lui-même : ô si je sçavois que je dûsse perseverer dans la grace ! A quoi Dieu lui répondit interieurement : que feriez-vous, si vous le sçaviez ? faites maintenant ce que vous feriez alors, & vous serez infailliblement sauvez.

Il se trouva si consolé, & animé par cette réponse, qu’il s’abandonna tout à fait à la Providence Divine ; & au même instant son inquiétude cessa.

Il n’eut plus la curiosité de sçavoir ce qu’il deviendroit : mais il s’applique entierement à rechercher ce qui étoit de la volonté de Dieu sur lui ? ce qui pouvoit plaire davantage à nôtre-Seigneur & ce qui étoit d’une plus haute perfection ; pour s’exercer constamment à l’avenir en toutes sortes de bonnes œuvres.

Esperez en Dieu, dit le Prophéte ; pratiquez le bien ; demeurez paisible sur la terre, & vous serez nourris de ses fruits[1].

Plusieurs ont un grand obstacle à leur conversion, & à leur avancement spirituel ; c’est qu’ils craignent trop la peine qu’il y a de se vaincre eux-mêmes.

En effet ceux qui s’avancent le plus dans la voye de Dieu, sont ceux qui font de plus grands efforts pour surmonter ce qui leur fait le plus de peine.

Car il est certain que plus on a remporté de victoires sur son amour-propre, plus on augmente en grace & en vertu.

Mais tous n’ont pas également besoin de se vaincre ; & il y a dans les uns beaucoup plus à mortifier que dans les autres.

On peut dire néanmoins que ceux qui ont un vrai zele pour leur perfection, quoi qu’ils ayent d’ailleurs de violentes passions à combattre ; profitent bien plus que d’autres, qui avec un naturel doux & moderé, n’ont pas la même ferveur.

Deux choses aident particulierement un homme à se sanctifier, L’une est de s’éloigner le plus qu’il lui est possible, des choses où il se sent violemment attiré par le penchant de la nature corrompue : l’autre de faire tout ce qu’il peut pour acquerir les vertus, dont il a le plus de besoin.

Il est encore fort important de tâcher à éviter les défauts que l’on remarque, & que l’on blâme dans les autres.

Faites que toutes choses tournent au bien de vôtre ame ; & s’il se fait une bonne œuvre, ou qu’on la loue en vôtre presence, prenez au même moment le dessein de l’imiter.

Mais si au contraire, vous voyez faire quelque chose de mal, gardez-vous d’en faire autant. Que si par malheur vous avez commis la même faute, tâchez au plutôt de l’expier par la penitence.

Souvenez-vous, que comme vous observez les actions d’autrui, plusieurs de même observent les vôtres.

O qu’il y a de plaisirs à voir des Religieux fervens, devots, ponctuels, & constans observateurs de leur Regle !

Mais qu’il est désagreable d’en voir de tiédes & de déreglez, qui ne font rien moins que ce qui est de leur vocation !

Qu’il est dangereux de negliger les devoirs essentiels de notre état, pour nous appliquer à d’autres choses qui ne nous conviennent point & donc nous ne sommes point chargez !

Considerez quelle est vôtre profession, & ayez toûjours devant les yeux Jesus crucifié.

Toutes les fois que vous repassez dans votre esprit les travaux de ce divin Maître, vous devriez être bien honteux d’avoir jusques à present si mal suivi son exemple, quoi que vous fussiez dans le vrai chemin de la perfection.

Un Religieux qui s’occupe à méditer sur la vie & sur la passion de son Sauveur, trouve dans ce seul objet tout ce qui peut lui être utile ou necessaire & en vain chercheroit-il hors de Jesus, quelque chose de meilleur.

O si Jesus crucifié entroit bien avant dans notre cœur, qu’en peu de tems nous serions instruits de tout ce que nous devons sçavoir !

Un fervent Religieux reçoit avec joye, & execute fidelement tout ce qui lui est commandé.

Un Religieux lâche et accablé d’afflictions, qui se succedent les unes aux autres, & qui le pressent de telle maniere, qu’il ne sçait de quel côté se tourner. D’une part il est privé des consolations interieures ; de l’autre les exterieures lui manquent ; & il se voit hors d’état d’en aller chercher.

Tout Religieux qui ne garde pas la Regle, est expose à de dangereuses chûtes.

Celui qui veut vivre à sa liberté, qui aime le relâchement ne sera jamais en paix ; parce qu’il aura toûjours quelque sujet de déplaisir.

Comment vivent tant de Saints qui observent dans le Cloître une si étroite discipline ?

Ils ne sortent que rarement, ils se plaisent dans la solitude, ils sont pauvrement nourris, ils portent des habits rudes & grossiers, ils travaillent beaucoup, ils parlent peu, ils veillent long tems, ils se levent de grand matin, ils font de longues prieres, ils s’appliquent à la lecture, en un mot ils gardent en tout une exacte regularité.

Voyez comme les Chartreux, ceux de Cisteaux, & plusieurs autres tant hommes que filles, se levent toutes les nuits pour aller au Chœur.

Vous devriez donc avoir honte de vous acquiter si mal d’un exercice si Saint, & de faire voir tant de paresse dans un tems, où une infinité d’autres Religieux s’assemblent pour chanter les louanges divines.

O si l’ou n’avoit autre chose à faire que de loüer Dieu, & du cœur & de la bouche !

O si l’on n’avoit besoin ni de boire, ni de manger, ni de dormir & qu’on pût prier toûjours sans interrompre sa devotion ! qu’on seroit bien plus heureux qu’on n’est maintenant qu’il faut donner une grande partie du jour aux necessitez du corps !

Plût à Dieu qu’on fût exempt d’une si fâcheuse servitude, & qu’on me pensât qu’à nourrir l’esprit ; ce qui se fait rarement, & avec dégoût ?

Quand un homme est parvenu à un tel détachement, qu’il ne veut recevoir aucune consolation des creatures, il commence alors à goûter parfaitement les choses de Dieu, & quoi qu’il arrive, il est très-content.

S’il est pauvre, il ne s’en afflige point : s’il est riche, il n’en a pas plus de joye.

Il s’abandonne tout entier, & avec confiance, entre les mains de son Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui toutes choses vivent, qui conserve toutes choses, & à qui toutes choses obéissent.

Souvenez-vous toûjours de la mort, & que le tems perdu ne se recouvre jamais.

Vous n’acquerrez jamais de vertu, sans beaucoup d’application & de peine.

Si vous commencez une fois à vous relâcher, vous vous sentirez incontinent inquiet & melancolique.

Mais si vous perseverez dans la devotion, vous joüirez d’une douce paix. La grace de Dieu & l’amour de la vertu nous rendront legers les plus grands travaux.

Un homme fervent & courageux est prêt à tout.

Il est beaucoup plus aisé de soûtenir le travail du corps, que de combattre une violente passion.

Quiconque n’évite pas les moindres défauts, tombera peu à peu dans les plus grands vices.

Vous vous trouverez toujours plein de joye au soir, quand vous aurez utilement passé la journée.

Veillez sur vous, excitez-vous à la diligence & à la ferveur ; n’oubliez jamais ce qui est de vôtre devoir ; & quoi qu’il en soit des autres, gardez vous bien de vous negliger.

Vous n’avancerez dans la vertu qu’à proportion de la violence que vous vous ferez, Ainsi soit il.


Fin du premier Livre.
  1. Psal. 36. 3.