De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/16

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 32-34).


CHAPITRE XVI.
Qu’il faut supporter les défauts d’autrui.

Ce qu’on ne peut corriger ou dans soy ou dans le prochain, il faut le souffrir doucement, en attendant qu’il plaise au Seigneur d’y apporter le remede necessaire.

Songez qu’il est peut-être expedient que les choses demeurent dans l’état où elles sont, pour vous donner lieu de pratiquer la patience, sans laquelle vous devez faire peu de cas de vos mérites.

Ne laissez pas neanmoins de prier Dieu qu’il vous soulage dans vos peines, & qu’il vous aide à bien porter cette croix.

Si après avoir averti quelqu’un une ou deux fois, vous n’y voyez nul amendement, ne le pressez point davantage ; mais remettez-vous de tout à nôtre Seigneur, qui sçait tourner le mal en bien. Demandez luy seulement que sa volonté s’accomplisse, & qu’il soit glorifié dans ses serviteurs.

Tachez de supporter patiemment les imperfections & les foiblesses de vos freres, quelles qu’elles soient ; puisque vous avez vous-même d’assez grands défauts, & qu’on n’a que trop à souffrir de vous.

Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez être ; comment ferez vous que les autres deviennent tels que vous les voulez ?

Nous sommes bien aises que tout le monde soit exempt de vices ; & nous ne travaillons pas à nous défaire des nôtres.

Nous souhaitons que l’on corrige les autres avec la derniere rigueur ; & nous rejettons nous-mêmes toute correction.

Nous sommes scandalisez d’en voir quelques-uns qui se permettent beaucoup de choses ; & on ne peut nous refuser rien que nous n’en ayions du chagrin.

Nous donnons des regles & des preceptes aux autres pour les retenir dans leur devoir ; & ennemis de toute contrainte, nous voulons vivre à nôtre liberté.

Cela montre qu’il est rare que nous avions pour nôtre prochain autant d’indulgence que nous en avons pour nous-mêmes.

Si tous les hommes étoient parfaits, s’ils n’avoient aucun défaut, quelle occasion nous donneroient-ils d’endurer quelque chose pour l’amour de notre Seigneur ?

Chacun a son foible, & Dieu le permet ainsi, afin que l’un porte le fardeau de l’autre[1]. De cette maniere nul n’est sans fardeau. Nul aussi n’est assez fort ny assez sage pour n’avoir besoin de personne ; mais il est de la charité de nous supporter, de nous consoler, de nous secourir, de nous instruire, de nous avertir mutuellement les uns les autres.

Rien ne fait mieux voir jusqu’où peut aller la vertu d’un homme, que l’adversité.

Les occasions ne rendent pas l’homme fragile ; mais elles montrent qu’elle est sa fragilité.

  1. Gal. 6. 2.