De l’Homme/Section 9/Chapitre 29

SECTION IX
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 33-35).


CHAPITRE XXIX.

Des prétentions de l’église prouvées par le droit.

Les gouvernements d’Allemagne et de France ont soustrait leurs sujets aux bûchers de l’inquisition. Mais de quel droit, dira l’église, ces gouvernements mirent-ils des bornes à ma puissance ? fut-ce de mon aveu qu’ils en bannirent mes inquisiteurs ? ne les ai-je pas sans cesse rappelés dans ces empires[1] ? Le clergé d’Espagne et de Portugal ne regarde-t-il pas l’inquisition comme salutaire ? Les prélats de France et d’Allemagne ont-ils coté ce tribunal comme impie et funeste ? se sont-ils séparés de la communion de ces prêtres prétendus cruels parcequ’ils font brûler leurs semblables ? Est-il enfin un pays catholique où du moins par leur silence les évêques n’aient approuvé l’inquisition ? L’église se déclare-t-elle le vengeur de Dieu ? ce droit de le venger est celui de persécuter les hommes. Or la même infaillibilité qui lui donne ce droit l’autorise à l’exercer également sur les rois comme sur le dernier de leurs sujets (23).

Si la conduite du prince est la loi des peuples, si son exemple peut autoriser l’impiété, c’est sur-tout le sang des rois que l’intérêt du prêtre et de Dieu demande. L’église le versoit du temps de Henri III et de Henri IV ; et l’église est toujours la même. La doctrine de Bellarmin est la doctrine de Rome et des séminaires. « Les premiers chrétiens, dit ce docteur, eurent le droit de tuer Néron et tous les princes leurs persécuteurs. S’ils souffrirent sans se plaindre, ce fut l’audace et non le droit qui leur manqua ». Samuel n’en eut aucun que l’église catholique, cette épouse de Dieu (24), n’ait encore.

(23) L’inquisition n’est pas reçue en France. Cependant, dira l’église, on y emprisonne à ma sollicitation le janséniste, le calviniste, et le déiste ; on y reconnoît donc tacitement le droit que j’ai de persécuter. Or, ce droit que le prince me donne sur ses sujets, je n’attends que l’occasion pour le réclamer sur lui-même et sur les magistrats.

(24) L’église se dit épouse de Dieu, et je ne sais pourquoi. L’église est une assemblée de fideles. Ces fideles sont barbus ou non barbus, chaussés ou déchaussés, capuchonnés ou décapuchonnés : or, qu’une telle assemblée soit l’épouse de la Divinité, c’est une prétention trop folle et trop ridicule. Si le mot église eût été masculin, comment eût-on consommé ce mariage ?


  1. Dans les papiers saisis chez les jésuites, le procureur-général du parlement d’Aix trouva, sous le nom de consil de conscience, le projet d’une inquisition. Ce que les jésuites n’avoient pu faire en France sur la fin du regne de Louis XIV, ils espéroient apparemment pouvoir l’exécuter sous un regne encore plus favorable.