De l’Homme/Section 8/Chapitre 12

SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 17-21).
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CHAPITRE XII.

De la religion et des cérémonies considérées comme remede à l’ennui.

Aux Indes, où la terre sans culture fournit abondamment aux besoins d’un peuple paresseux, qui pourroit l’arracher à l’ennui sinon la religion et ses devoirs multipliés ? Aussi la pureté de l’ame y est-elle attachée à tant de rites et de pratiques superstitieuses, qu’il n’est point d’Indien, quelque attentif qu’il soit sur lui-même, qui ne commette à chaque instant des fautes dont les dieux ne manquent point d’être irrités, jusqu’à ce que les prêtres, enrichis des offrandes du pécheur, soient appaisés et satisfaits.

La vie d’un Indien n’est, en conséquence, qu’une purification, une ablution, et une pénitence perpétuelle.

En Europe, nos femmes atteignent-elles un certain âge ? quittent-elles le rouge, les amants, les spectacles ? elles tombent dans un ennui insupportable. Que faire pour s’y soustraire ? Substituer de nouvelles occupations aux anciennes, se faire dévotes, se créer des devoirs pieux, aller tous les jours à la messe, à vêpres, au sermon, en visite chez un directeur, s’imposer des macérations. On aime mieux encore se macérer que s’ennuyer. Mais à quel âge cette métamorphose s’opere-t-elle ? Communément à quarante-cinq ou cinquante ans. C’est pour les femmes le temps de l’apparition du diable. Les préjugés alors le représentent vivement à leur imagination.

Il en est des préjugés comme des fleurs-de-lis : l’empreinte en est quelque temps invisible ; mais le directeur et le bourreau la font à leur gré reparoître. Or, si l’on cherche jusques dans une dévotion puérile le moyen d’échapper à l’ennui, il faut donc que cette maladie soit bien commune et bien cruelle. Quel remede y apporter ? Aucun qui soit efficace. On n’use en ce genre que de palliatifs. Les plus puissants sont les arts d’agrément ; et c’est en faveur des ennuyés que sans doute on les perfectionna.

On a dit du hasard qu’il est le pere commun de toutes les découvertes. Si les besoins physiques peuvent, après le hasard, être regardés comme les inventeurs des arts utiles, le besoin d’amusement doit, après ce même hasard, être pareillement regardé comme l’inventeur des arts d’agrément.

Leur objet est d’exciter en nous des sensations qui nous arrachent à l’ennui. Or, plus ces sensations sont à-la-fois fortes et distinctes, plus elles sont efficaces.

L’objet des arts est d’émouvoir ; et les diverses regles de la poétique ou de l’éloquence ne sont que les divers moyens d’opérer cet effet.

Émouvoir est le principe, et les préceptes de la rhétorique en sont le développement ou les conséquences. C’est parceque les rhéteurs n’ont pas également senti toute l’étendue de cette idée que je me permets d’en indiquer la fécondité.

Mon sujet m’autorise à cet examen. C’est par la connoissance des remedes employés contre l’ennui qu’on peut de plus en plus s’éclairer sur sa nature.