De l’Homme/Section 1/Chapitre 4

SECTION I
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 7 (p. 34-37).
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CHAPITRE IV.

De la différente impression des objets sur nous.


Que des objets différents produisent sur nous des sensations diverses, c’est un fait. Ce que l’expérience nous apprend encore, c’est que les mêmes objets excitent en nous des impressions différentes selon le moment où ils nous sont présentés ; et c’est peut-être à cette différence d’impression qu’il faut principalement rapporter et la diversité et la grande inégalité d’esprit apperçue entre des hommes qui, nourris dans les mêmes pays, élevés dans les mêmes habitudes et les mêmes mœurs, ont eu d’ailleurs à-peu-près les mêmes objets sous les yeux.

Il est pour l’ame des moments de calme et de repos où sa surface n’es pas même troublée par le souffle le plus léger des passions. Les objets qu’alors le hasard nous présente fixe quelquefois toute notre attention : on en examine plus à loisir les différentes faces, et l’empreinte qu’ils font sur notre mémoire en est d’autant plus nette et d’autant plus profonde.

Les hasards de cette espece sont très communs, sur-tout dans la premiere jeunesse. Un enfant fait une faute, et, pour le punir, on l’enferme dans sa chambre : il y est seul. Que faire ? il voit des pots de fleurs sur la fenêtre ; il les cueille ; il en considere les couleurs, il en observe les nuances ; son désœuvrement semble donner plus de finesse au sens de sa vue. Il en est alors de l’enfant comme de l’aveugle. Si communément il a le sens de l’ouïe et du tact plus fin que les autres hommes, c’est qu’il n’est pas distrait comme eux par l’action de la lumiere sur son œil ; c’est qu’il en est d’autant plus attentif, d’autant plus concentré en lui-même, et qu’enfin, pour suppléer au sens qui lui manque, il a, comme le remarque M. Diderot, le plus grand intérêt de perfectionner les sens qui lui restent.

L’impression que font sur nous les objets dépendant principalement du moment où ces objets nous frappent. Dans l’exemple ci-dessus, c’est l’attention que l’éleve est pour ainsi dire forcé de prêter aux seuls objets qu’il ait sous les yeux, qui, dans les couleurs et la forme des fleurs, lui fait découvrir des différences fines, qu’un regard distrait ou un coup-d’œil superficiel ne lui eût pas permis d’appercevoir. C’est une punition ou un hasard pareil qui souvent décide le goût d’un jeune homme, en fait un peintre de fleurs, lui donne d’abord quelque connoissance de leur beauté, enfin l’amour des tableaux de cette espece. Or à combien de hasards et d’accidents semblables l’éducation de l’enfance n’est-elle pas soumise ! et comment imaginer qu’elle puisse être la même pour deux individus ? Que d’autres causes d’ailleurs s’opposent à ce que les enfants, soit dans les colleges, soit dans la maison paternelle, reçoivent les mêmes instructions !