De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir/Un gentilhomme

De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir : 1888-1897Mercure de France. (p. 52-53).

UN GENTILHOMME


 « Le rieur alors, d’un ton sage,
Dit qu’il craignait qu’un sien ami,
Pour les grandes Indes parti
N’eût depuis un an fait naufrage. »
Jean De La Fontaine. L. viii. f. viii.


Un gentilhomme, qui fuit la Cour et ses brigues,
Donne un repas dans ces beaux lieux si reculés…
Un vieux jour d’après-midi vert tombe sur les
Plats dont le Bois et la Mer ont été prodigues.

Maints âgés Céladons qu’a congestionnés
Une Églé demi-nue et prenant son remède,
Sous la perruque lourde et quelque opiat mède
Des crus du Bourguignon se rougissent le nez.


Tout à coup, un rieur fait silence. Et son geste
Témoigne d’un inénarrable étonnement.
— Par Neptune ! fait-il… Le liquide Élément
A des hôtes… La preuve en est ici… Ha ! Peste !…

Et ses doigts gras et blancs, tout alourdis d’anneaux,
Portent à son ouïe empoudrée une énorme
Dorade. Puis il dit : Vers l’Inde aux gens difformes,
Un mien ami s’en fut, au gré des vastes eaux…

… Et ce poisson raconte à l’oreille étonnée
Que ce beau chevalier, qu’aima la Véranchol,
Aujourd’hui, devenu l’Empereur du Mogol,
Goûte, à l’ombre, une vie aimable et fortunée.


1897.