De l’Aimant et du Magnétisme terrestre/03

DU
MAGNÉTISME TERRESTRE

III.
LA TERRE CONSIDÉRÉE COMME UN VASTE AIMANT.



Spiritus intus alit.
Il y a au dedans un esprit subtil.
VIRGILE.


Je dois convenir que c’est pour cause d’ignorance que j’ai tant tardé à terminer cette étude, commencée il y a quelques mois[1], sur le magnétisme de notre globe, qui est en réalité un gros aimant agissant sur l’aiguille de la boussole et sur tous les corps, soit naturellement, soit artificiellement magnétiques. Le désir, ou, pour mieux dire, l’ambition de mettre sous les yeux des lecteurs de la Revue tout ce que l’on a découvert de plus récent sur ce vaste sujet, surtout depuis que les courans électriques se sont trouvés être des aimans véritables, m’aurait mené trop loin. La discussion des résultats modernes nécessitait un travail immense. Notre savant confrère M. Duperrey, qui a éclairé tant de questions relatives au magnétisme terrestre, soit dans son cabinet à Paris, soit en faisant le tour du monde avec l’expédition scientifique sous ses ordres, a pensé que le public pourrait se contenter de ce que je sais moi-même aujourd’hui, et il m’a conseillé de réserver mes études subséquentes pour le moment où la science serait tout à fait fixée. À ce compte, la curiosité de ceux qui s’intéressent à ces grands problèmes pourra ne pas être satisfaite de longtemps. Lorsque le savant Huet, évêque d’Avranches (qui, suivant l’allitération de Voltaire, pour la Bible toujours penche), fut installé dans son évêché, on répondait souvent aux paysans qui demandaient à lui parler, que monseigneur ne pouvait les recevoir parce qu’il était occupé à étudier. — Le roi aurait bien dû nous donner un évêque qui eût fait ses études, répondaient ces bonnes gens. — Je dirai de même que le recueil où j’écris aurait bien dû trouver, si possible, un physicien prêt à juger en dernier ressort les nombreux travaux publiés sans cesse sur le magnétisme terrestre. Plusieurs de ces résultats annoncés avec pompe sont, suivant M. Duperrey, très susceptibles de discussion, en sorte que, pour avoir le dernier mot sur chaque chose, il faudrait plusieurs expéditions spéciales et un grand nombre d’observatoires disséminés systématiquement sur le globe. En attendant cet ensemble de recherches combiné pour le monde entier, l’Angleterre et la Russie, l’une parce qu’elle a de nombreuses colonies au nord et au sud, l’autre parce qu’elle est elle-même en superficie presque un monde, ont eu le mérite et l’honneur de contribuer plus qu’aucune autre nation au progrès de la science du magnétisme terrestre, pour laquelle la France, par ses expéditions réitérées, avait déjà beaucoup fait. Je pense que le monde scientifique doit avec justice faire remonter la gloire de ces belles découvertes à M. Alexandre de Humboldt, qui le premier sentit toute l’importance de la géographie physique, et inaugura le commencement de ce siècle par des voyages qui nous acquirent beaucoup de science positive, et de plus servirent de modèle pour s’avancer hardiment dans la carrière ouverte par ce grand génie observateur de la nature.

Si j’insiste sur la difficulté d’arriver à des conclusions définitives sur les nombreux travaux relatifs au magnétisme du globe, qu’on veuille bien ne point m’accuser de fausse modestie. Je sais qu’il y a quelque inconvénient à faire le modeste, car souvent alors on est cru sur parole. À ce propos, voici un mot du célèbre abbé Maury, qui fut cardinal sous l’empire. Un ancien courtisan rallié, le rencontrant aux Tuileries, lui dit assez malignement : — Eh ! monsieur l’abbé, comment vous trouvez-vous ici ? — Ici, comme ailleurs, monsieur le comte, quand je me juge, je me trouve peu de chose (geste d’humilité). — Puis, continuant avec un ton très différent : — Mais j’avoue que quand je me compare, j’ai un peu meilleure opinion de moi !

C’est au perfectionnement de la boussole que sont dues les premières observations sérieuses sur l’aimantation du globe. Quand nos relations indirectes avec la Chine eurent donné aux nations actives de la partie occidentale de l’ancien monde la boussole avec l’imprimerie et la poudre de guerre, on ne se contenta plus du grossier mécanisme primitif des immuables habitans du Céleste-Empire. La boussole (bussola, petit cabinet vitré, petite caisse vitrée, en prenant le contenant pour le contenu) fut installée à bord des navires, et, quand les nuages cachèrent le ciel, devint un guide fidèle pour les marins de toutes les nations. Puis de longues traversées, telles que celle de Christophe Colomb en Amérique et les voyages des Portugais aux grandes Indes, montrèrent que ses indications étaient différentes suivant les divers points du globe. Plus tard encore, on sut que, pour un même lieu, la direction de l’aiguille changeait de siècle en siècle. Ainsi un barreau aimanté, suspendu librement, se dirigeait, au siècle de Louis XIV, droit au nord par une de ses pointes, et droit au sud par l’autre. C’était en 1666, l’année de la fondation de l’Académie des Sciences. Depuis, l’aiguille aimantée s’était, jusqu’en 1816, graduellement déplacée de vingt-deux degrés et demi vers l’ouest. Enfin, depuis ce temps, elle a repris sa marche pour retourner vers le méridien et se rapprocher de la ligne nord et sud.

Si Kepler, qui assimilait la terre à un grand animal vivant, suivant l’expression d’Ovide :

………… Est animal tellus et vivit.


avait connu la théorie électrique du magnétisme terrestre, il n’eût pas manqué de voir dans le fluide électrique le fluide nerveux et vital de notre planète, et de cette assimilation il eût peut-être tiré quelque conclusion inattendue et vraie, comme celle qu’il a déduite si admirablement de considérations encore plus étranges.

Voici le plan que j’adopte pour l’exposé des diverses particularités de l’aimantation du globe. Je poursuis la comparaison des effets produits par notre planète avec ceux que produit un aimant ordinaire, en tenant compte des circonstances de distance et de grandeur qui en font varier les effets divers, sinon dans leur essence, au moins dans leurs circonstances de détail. Nous examinerons donc, successivement dans le grand aimant terrestre son influence attractive sur le fer, l’aimantation qu’il détermine, la direction horizontale qu’il donne à l’aiguille aimantée, l’inclinaison plongeante vers le pôle qu’il la force à prendre dans l’état libre, la force ou l’intensité avec laquelle il dirige cette aiguille, la position des pôles magnétiques où cette aiguille est verticale, celle des diverses lignes magnétiques relatives à la direction horizontale, à l’inclinaison, à l’intensité ; ensuite les changemens que le cours des siècles apporte dans tous ces élémens de la physique de notre globe, tels que la marche du pôle magnétique et le transport des lignes d’aimantation tout d’une pièce vers l’ouest ; puis les influences calorifiques du soleil, et l’action de cet astre et de la lune, considérés eux-mêmes, ainsi que la terre, connue de véritables aimans, avec leurs propres pôles ; enfin la théorie électrique de tous ces phénomènes. Voilà de quoi faire dire au lecteur : Assez ! jam salis est. Après cet exposé, on peut lui conseiller sans honte d’attendre, pour de plus amples détails, les progrès futurs de la science.

Prenez un barreau aimanté et approchez-le d’un morceau de fil de fer, il l’attire. Voici pourquoi. Il commence par faire naître deux pôles dans ce fil de fer ; puis, comme il agit de plus près sur le pôle voisin que sur le bout opposé, il attire le bout qui est à sa proximité plus qu’il ne repousse le bout opposé : il appelle donc à lui ce morceau de fer allongé. Comme, sur la terre, les deux pôles sont fort éloignés de ceux que possède une aiguille aimantée, ils attirent autant un des pôles de l’aiguille ou du barreau aimanté qu’ils repoussent l’autre, et par suite l’aiguille ne se meut pas, mais elle tourne sur elle-même de manière que son pôle attiré soit le plus près possible du pôle terrestre voisin, et que le pôle repoussé en soit au contraire le plus loin possible. Il n’y a donc pas de tendance au déplacement, mais une simple force directrice dans la ligne d’un pôle à l’autre. Cependant, si, par la pensée, on crée un immense barreau ou aiguille aimantée, allant par exemple de la France jusqu’à l’Islande, son extrémité nord, plus voisine du pôle magnétique américain, étant plus attirée que l’extrémité française n’est repoussée, la masse entière tendrait à se mouvoir vers le nord. Des expériences de la plus grande délicatesse ont été faites par les physiciens pour constater ce résultat théorique. On a suspendu par des fils de soie non tordus une règle de bois horizontale qui portait des barreaux aimantés sur des pivots soutenus par la règle horizontale. Jamais les pivots et la règle qui les portait n’ont été entraînés le moins du monde dans un sens déterminé. Il ne reste donc plus qu’à voir si le globe aimante, comme il doit le faire, les morceaux de fer ou d’acier susceptibles de magnétisme. Or ici on n’a que le choix des faits, aussi nombreux que peu remarqués par les yeux distraits, j’oserais même dire aveugles, de la foule, qui passe inattentive à travers toutes les merveilles de la nature, quand elles ne font pas spectacle. « Pour qu’un acteur soit applaudi, disait Horace, il faut qu’il paraisse sur la scène affublé des plus riches et des plus brillans tissus étrangers. » Il est bien plus sage de reconnaître que la nature n’est jamais plus grande que dans les petits objets.

Maximus in minimis certè Deus !

Ainsi donc prenez entre deux doigts un petit fil de fer long et gros comme une très petite aiguille à coudre, et présentez-le à l’extrémité inférieure d’une de ces tiges de fer qui, sous le nom d’espagnolettes, servent à fermer nos fenêtres par deux crochets, formés d’un recourbement, qui mordent dans un arrêt en haut et en bas de la fenêtre. En présentant le fil de fer par une de ses extrémités à celle de l’espagnolette, vous le verrez adhérer à la grande tige de fer, laquelle a été aimantée par la seule influence du globe terrestre. On doit à Gilbert, qui publia en 1600 un livre curieux sur l’aimant, une expérience plus décisive encore. Prenez un barreau de fer doux et suspendez-le très délicatement par des fils sans torsion dans une position horizontale, le globe terrestre ou, si l’on veut, l’aimant terrestre l’aimantera peu à peu, et au bout de quelques minutes il se dirigera faiblement, mais sans indécision aucune, dans la ligne nord et sud, comme l’aiguille fortement aimantée de la boussole. Si vous le retournez bout pour bout, il change d’aimantation à l’instant, l’extrémité nord devient l’extrémité sud, et il se dirige comme auparavant.

Il n’est pas besoin d’une boussole précieuse construite dans les ateliers de Brest pour des vaisseaux de haut bord, ou chez nos meilleurs constructeurs de Paris et de Londres, pour avoir une aiguille aimantée qui montre le sud et le nord magnétiques. Aimantez une simple aiguille à coudre, et après l’avoir frottée de suif ou de cire, mettez-la flotter sur la surface de l’eau contenue dans un verre a boire ordinaire. La couche imperceptible de matière grasse qui la recouvre l’empêchera de s’enfoncer, et vous la verrez prendre fidèlement la direction de l’aiguille de la boussole. Tout le monde a vu ces insectes à longues pattes qui courent à la surface de l’eau sans y pénétrer, à cause de la même particularité, savoir que, l’extrémité de leurs pieds étant pourvue d’une matière onctueuse qui les empêche de se mouiller, ils dépriment le liquide en concavité suffisante pour les porter, et ils y jouent impunément comme sur un sol imperméable. On sait que, Franklin leur ayant fait la malice de leur laver les pieds avec de l’esprit de vin, les pauvres insectes, avec leurs pieds dégraissés, enfonçaient immédiatement.

On peut aussi établir une petite boussole très élégante avec une aiguille à coudre, une épingle et une toute petite boule ou cylindre de liège ou de cire. Piquez l’épingle dans ce petit bâton de liège ou de cire, et mettez le tout flotter dans un verre d’eau, puis placez au-dessus l’aiguille à coudre préalablement aimantée et à laquelle le bâton de liège ou de cire lesté par l’épingle servira de support. Cette aiguille vous fera une excellente boussole, et vous pourrez. vous en servir aussi pour examiner les attractions et les répulsions des corps aimantés ou susceptibles d’aimantation.

Ce n’est pas tout encore : si vous n’avez pas d’aimant à votre disposition, prenez une pelle ordinaire de foyer et posez-la par terre en dirigeant le manche à peu près vers le nord ; posez votre aiguille à plat et la pointe en bas sur la partie large qui sert à recueillir les cendres, puis, tenant de l’autre main la pincette qui accompagne la pelle (ou le poker si vous êtes en Angleterre), frottez à plusieurs reprises l’aiguille à coudre tout de son long avec l’extrémité de la pincette ou du poker en allant de haut en bas, sans revenir en sens contraire. L’aiguille sortira de là très sensiblement aimantée, elle se suspendra à une clé de fer, et placée sur l’eau, elle prendra très bien la direction nord et sud.

Les physiciens se sont quelquefois donné le plaisir d’aimanter fortement des barreaux d’acier sans avoir eu primitivement à leur disposition des aimans naturels ou artificiels, et sans employer les courans électriques. Il suffit de tenir les barreaux verticalement et de les frapper avec un marteau ou un maillet de bois pour que le globe leur communique un faible commencement d’aimantation, lequel, renforcé ensuite par des frictions mutuelles de barreaux sur barreaux, arrive à ce qu’on appelle la saturation, c’est-à-dire à un tel degré de magnétisme qu’il est impossible d’y rien ajouter. Dans une de nos séances expérimentales avec Ampère, une aiguille à coudre, que j’aimantai extemporanément avec une pelle et une pincette, nous fit un très bon service.

On a encore réussi à remplacer les aimans ordinaires par le globe terrestre pour la production de courans électriques dans des fils métalliques enroulés en circuits de diverses formes, et pour la direction de ces fils, qui se comportaient exactement comme s’ils avaient été sous l’influence d’un aimant ayant ses pôles nord et sud comme ceux du globe terrestre. On peut citer M. Délezenne. correspondant de l’Académie des Sciences, comme ayant fait d’intéressantes expériences sur ce sujet.

Sans multiplier ces exemples, disons tout de suite que le soleil et la lune étant probablement magnétiques comme notre globe, ils doivent agir par leurs pôles sur nos barreaux aimantés terrestres. Le dernier des Cassini est celui qui a d’abord observé les effets qui pouvaient provenir de cette cause. Il reste encore bien des choses à chercher là-dessus ou à conclure des expériences faites dans les observatoires magnétiques. Une circonstance digne de remarque, c’est que le soleil et la lune se présentent à nous par leur équateur et jamais par leurs pôles. Ils sont donc, par rapport à nos boussoles terrestres, dans le même cas que des aimans que l’on présenterait par le milieu et non point par leurs extrémités, ce qui est la position la plus désavantageuse pour produire un effet, puisqu’alors les deux pôles, étant à peu près à des distances égales, exercent des actions contraires qui se neutralisent réciproquement. La position de l’orbite de notre satellite n’est pas toujours la même par rapport à l’équateur terrestre ; tantôt elle est moins inclinée que l’écliptique sur cet équateur d’environ 5 degrés, tantôt elle est plus inclinée de la même quantité. Cette variation équivaut environ à vingt fois le diamètre de la lune. La présente année 1857 est une de celles où notre satellite s’écarte le plus de l’équateur. Aussi a-t-on remarqué que les pleines lunes de cet été étaient fort basses ; en revanche les pleines lunes de cet hiver seront fort élevées dans le ciel ; la lune, suivant l’ancien dire des astrologues (qui ont introduit ce mot dans la langue commune), est cette année hors de son orbite ordinaire ; elle est exorbitante. Grammaire à part, dans ses excursions extrêmes, elle nous découvrira ses pôles cette année un peu plus que de coutume, et devra agir davantage comme un aimant étranger sur nos délicates aiguilles. La même position se reproduira en 1876, après dix-neuf ans, ce qui est la période de révolution des nœuds de la lune qui ramène les lunaisons à peu près dans le même ordre. C’est le fameux nombre d’or, qui n’est plus en usage maintenant que dans le calendrier ecclésiastique, depuis que l’année de Jules César et du pape Grégoire XIII n’est plus réglée que sur le mouvement seul du soleil. Je crois que c’est à l’observatoire de Prague qu’ont été faites les observations les plus récentes et les plus précises sur l’action magnétique du soleil et de la lune.

Venons à la direction de l’aiguille aimantée par le globe. C’est la plus célèbre et la plus utile des propriétés de l’aimant. On peut même dire qu’elle est tout à fait magique. Lorsqu’on dit à ceux qui, avec une intelligence cultivée d’ailleurs et même avec de l’imagination, sont étrangers à la physique, qu’une petite lame d’acier tournant sur la pointe d’un pivot regarde le nord obstinément, que sous un toit, au fond d’une mine, malgré le brouillard, la pluie, le temps couvert et tous les météores qui nous cachent les astres, elle ne perd jamais de vue le point du ciel qu’elle nous indique fidèlement, on voit aux explications qui sont demandées que la croyance à cette merveille n’entre que difficilement dans les esprits. Chinois stupidement ingénieux, quelle part vous faire dans la reconnaissance du genre humain, relativement à la boussole ? Vous avez trouvé un diamant, mais vous ne l’avez pas taillé ; vous ne l’avez pas même dégrossi, vous n’en avez même pas lavé la terre qui le salissait, mais votre inertie même, qui a conservé le grossier petit chariot portant l’aimant, assure vos droits à la plus belle des inventions, comme votre invariable manière d’imprimer assure vos droits à la plus utile des créations du génie de l’homme. L’imprimerie, par rapport à l’écriture et à la pensée, a été ce que les voitures à vapeur sont aux modes anciens de transport des voyageurs.

Le marin au milieu des déserts de l’Océan, le voyageur au milieu des pays sans habitans et sans routes, l’ingénieur qui lève le plan d’une mine ou d’une forêt, le pieux musulman qui veut orienter vers La Mecque la natte sur laquelle il va se mettre à genoux, enfin le physicien penseur qui tâche de remonter vers la cause d’un si curieux phénomène, tous ont l’œil fixé sur l’aiguille animée d’un instinct mystérieux. Dieu est grand ! Allahou akbar ! dit l’impassible musulman. Le savant, plus ambitieux, dit : Pourquoi ?

Cette direction constante de l’aiguille n’est pas exactement vers le nord. Il suffit pour qu’on l’utilise qu’elle ne varie pas beaucoup pendant un assez long espace de temps, mais la notion que je veux ici rattacher immédiatement à cette direction à peu près constante de l’aiguille aimantée, c’est la variation de cette déclinaison qui a lieu chaque jour. Chaque jour, le matin, la pointe polaire de l’aiguille, qui est chez nous la pointe nord et dans l’autre hémisphère la pointe sud, semble fuir le soleil et marche vers l’occident jusque vers le milieu du jour. Elle revient ensuite pendant la soirée à sa position primitive et reste tranquille pendant la nuit. Plus rarement elle commence sa marche par un petit mouvement vers le soleil, puis elle le fuit comme à l’ordinaire, mais elle revient le soir un peu au-delà de sa position du matin, et elle fait alors un petit mouvement contraire pour reprendre exactement son point de départ. J’essaierai tout à l’heure, d’après la belle loi de M. Duperrey, de faire comprendre la cause de ce curieux phénomène.

Si, sur la terre, un observateur marche toujours vers le nord, en prenant le milieu entre les excursions extrêmes des étoiles qui environnent le pôle, il suit ce qu’on appelle un méridien terrestre, et tous les observateurs qui suivraient une route semblable iraient se réunir au pôle terrestre, après avoir tracé sur la terre une ligne quelconque qui serait mathématiquement un méridien géographique. M. Duperrey appelle fort justement méridien magnétique la ligne que tracerait sur le globe un observateur qui suivrait constamment la direction indiquée par la boussole. On trouve ainsi que tous les méridiens magnétiques, au lieu de se réunir, au pôle nord et au pôle sud de la terre, concourent, pour l’hémisphère septentrional, vers un point ou pôle situé au nord de l’Amérique, et, pour le sud, vers un pôle qui n’est pas tout à fait placé à l’opposé de celui-ci.

M. Brück, savant belge, auteur d’un ouvrage très original intitulé Électricité, ou Magnétisme du globe terrestre, fait marcher de siècle en siècle ce pôle magnétique vers l’ouest. M. Duperrey est d’une opinion tout à fait contraire. On me reproche de n’avoir pas parlé du livre de M. Brück et de ne pas lui avoir rendu justice ; mais suis-je donc l’arbitre nécessaire de tous les travaux de géographie physique, théorique et pratique ? Ici, sans balancer, je plaiderai la cause d’incapacité.

M. Duperrey a tracé sur de belles cartes, non moins exactes pour la géographie proprement dite que pour la physique magnétique du globe, tous les méridiens magnétiques. Il a tracé de même des lignes courbes perpendiculaires à ces méridiens comme le sont nos parallèles géographiques aux méridiens ordinaires, et il a été conduit à cette belle loi, que, sur chaque parallèle magnétique, la force du magnétisme était la même partout, comme sur les parallèles géographiques la pesanteur est partout la même. Voyons donc ce que c’est que la force magnétique, dont le nom scientifique est intensité.

Imaginez un barreau aimanté horizontal suspendu à un fil métallique. Si vous tordez le fil qui supporte l’aimant, celui-ci cédera un peu et déviera de sa position naturelle. Il est évident que plus la terre fera effort pour le maintenir dans sa position primitive, plus il faudra tordre le fil pour l’écarter. Ainsi, tandis que pour le faire dévier de 10 degrés par exemple dans une localité, il faut tordre le fil de suspension de 100 degrés, il faudra le tordre de 200 degrés dans un lieu où la force de la terre sera deux fois plus grande. On pourra donc mesurer la force de la terre comparativement dans ces deux endroits, et, par une déduction dont je supprime le détail, on conclura de la force horizontale la force magnétique totale du globe. Or la loi de Duperrey consiste précisément en ce que les lignes perpendiculaires aux méridiens magnétiques, ou, si l’on veut, les parallèles magnétiques, sont sur la terre les lignes d’égale force ou d’égale intensité.

Me voilà, je pense, en position d’expliquer au lecteur curieux la variation diurne de l’aiguille. Qu’il veuille bien admettre avec M. Duperrey que les lignes d’égale intensité sont dirigées en chaque lieu perpendiculairement à l’aiguille aimantée, et réciproquement que l’aiguille aimantée se tient constamment à angle droit sur les lignes d’égale force. Voilà le soleil qui se lève et qui répand sur l’horizon oriental ses rayons calorifiques. À l’instant même, le magnétisme terrestre faiblit dans la région échauffée. Pour trouver les mêmes intensités qu’auparavant, il faut remonter vers le pôle. La ligne d’égale force se reporte donc un peu au nord, et par suite l’aiguille, qui lui est toujours perpendiculaire, doit marcher à l’ouest. Le soir c’est l’occident qui est échauffé à son tour. Les lignes d’égale force qui du côté de l’orient étaient remontées vers le pôle redescendent à leur place primitive, et au contraire, dans la région occidentale, il faut remonter vers le nord pour trouver des intensités égales à celles qui existaient le matin. L’aiguille aimantée, pour rester perpendiculaire à ces lignes qui se relèvent vers le nord dans la région occidentale, est donc obligée de marcher vers l’est, c’est-à-dire de retourner vers sa position du matin. Dans notre Europe, c’est pendant le printemps et l’été que cette influence s’exerce le plus énergiquement, comme il était naturel de le prévoir, puisque ce sont les saisons chaudes pour notre hémisphère, saisons où l’action du soleil est la plus énergique. Les variations diurnes de l’aiguille sont alors d’environ un quart de degré, tandis que dans la saison froide elles atteignent à peine à la moitié de cette quantité. En général, nous devons à M. Duperrey beaucoup de notions précieuses sur l’influence calorifique du soleil agissant sur le magnétisme du globe. Les lignes magnétiques s’accordent sensiblement avec les lignes de chaleur égale dont j’ai parlé ailleurs. Une des importantes déductions théoriques qui naissent de là, c’est que les courans électriques du globe sont bien plus superficiels qu’on ne le supposait avant les observations de M. Duperrey.

Puisque dans nos contrées le mouvement diurne de chaque jour consiste en ce que la pointe polaire, la pointe nord de l’aiguille marche vers l’ouest le matin et retourne le soir en sens contraire, il doit arriver dans l’hémisphère austral que la pointe polaire, qui est là-bas la pointe sud, marche le matin vers l’ouest, et que par suite la pointe nord vienne le matin vers l’est, contrairement à ce qui a lieu dans les zones tempérées de l’hémisphère nord. Que se passe-t-il entre ces deux extrêmes ? L’aiguille reste-t-elle stationnaire tout le jour ? Non. Elle doit donc tantôt faire comme l’aiguille de l’hémisphère nord, tantôt suivre la marche de l’aiguille de l’hémisphère opposé. Ces régions intertropicales ont le soleil tantôt au nord, tantôt au sud, et deux fois par an il passe sur la tête de leurs habitans. Les cadrans y marquent des deux côtés, suivant la position actuelle du soleil. Est-ce au moment où cet astre passe du nord au sud, ou réciproquement, que se fait l’inversion dans ce sens de la marche journalière de l’aiguille ? M. d’Abbadie, toujours très zélé pour la science, avait bien voulu, à la demande de M. Arago, faire le voyage de Fernambouc, sur la côte orientale de l’Amérique du Sud, pour décider la question. Il fut mal récompensé de son travail, qui n’a été que très incomplètement publié et à peine examiné par ceux qui s’occupaient alors du magnétisme terrestre. Depuis lors, le général Sabine, qui est aujourd’hui la grande colonne de la science magnétique du globe, le général Sabine, dis-je, a établi que c’est au moment précis où le soleil traverse l’équateur que se fait l’inversion dans le sens du mouvement journalier de l’aiguille ; mais comment cela se fait-il ? Je l’ignore, nous l’ignorons, tous l’ignorent. Triste conjugaison ! Attendons.

Passons à l’inclinaison. Si un ouvrier fait une aiguille bien pareille par les deux bouts et bien en équilibre avant qu’elle soit aimantée, on s’aperçoit tout de suite que la pointe nord, quand elle a été soumise à l’action des barreaux aimantateurs, penche sensiblement vers la terre, et que la position naturelle de l’aiguille serait plongeante avec la pointe nord en bas. On observe la même chose quand on promène une aiguille aimantée au-dessus d’un long barreau aimanté ; alors la pointe la plus voisine du pôle dont on s’approche s’abaisse vers ce pôle. On a construit des aiguilles portées par un axe horizontal qui les traverse et qui les laisse libres de prendre la direction qui leur convient. Cet appareil s’appelle aiguille d’inclinaison. On voit alors qu’en France l’aiguille est fortement inclinée, et qu’elle est même plus voisine de la verticale que de l’horizontale. De la ligne horizontale jusqu’à l’aiguille, il y a environ 68 degrés. Alors la pointe nord, qui est abaissée, n’est pas éloignée de la verticale d’une quantité égale à la moitié de la longueur de celle-ci. Si la moitié plongeante de l’aiguille avait, par exemple, un décimètre ou 100 millimètres, sa pointe inférieure ne serait éloignée de la verticale, passant par le centre de l’aiguille, que de 37 millimètres. Il y a sur le globe deux points où l’aiguille pointe précisément en bas vers la terre, ce sont les deux pôles magnétiques où tous les méridiens de M. Duperrey viennent aboutir. Il y a aussi une série de points où l’aiguille est horizontale et où ni l’une ni l’autre des extrémités ne s’incline sous l’horizon. C’est l’équateur magnétique ou ligne sans inclinaison. On a encore tracé sur les cartes géographiques les lignes d’égale inclinaison, puis les lignes suivant lesquelles l’aiguille pointe juste au nord, puis celles suivant lesquelles l’aiguille dévie du méridien géographique d’une quantité égale : ces dernières lignes s’appellent lignes d’égale déclinaison ; quant aux lignes d’égale intensité, elles sont perpendiculaires aux méridiens magnétiques, suivant la loi de Duperrey, et le tracé des méridiens magnétiques en donne la direction immédiatement. Il faut se hâter de dire que l’inclinaison et l’intensité ont, comme la direction horizontale de l’aiguille, leurs variations journalières, annuelles et séculaires enregistrées pour chaque localité. Avec le nom de M. de Humboldt, je devrais mentionner ceux de Gauss, de Weber et d’Erman : les cartes de ces deux derniers, tracées soit d’après les faits individuels, soit d’après la théorie par laquelle Gauss a tenté de lier les diverses données de l’observation, sont des travaux de premier ordre.

À Paris, depuis l’époque des premières observations précises, l’inclinaison de l’aiguille a toujours été en diminuant, et rien ne nous indique l’époque où finira ce mouvement vers la position horizontale ; l’intensité varie aussi un peu et va en s’affaiblissant légèrement. Ainsi que je l’ai dit plus haut, l’aiguille aimantée pointait au nord en 1666. Elle était à sa plus grande excursion à l’ouest pour sa pointe nord en 1816, c’est-à-dire cent cinquante ans après. Probablement, vers 1966, elle pointera de nouveau exactement au nord comme en 1666. Il paraît certain que son excursion à l’est se fait en moins de temps que son excursion vers l’ouest, ce qui reviendrait, pour égaliser les deux périodes, à prendre pour état moyen non pas le méridien terrestre, mais bien une ligne dirigée sensiblement à l’ouest. L’aimantation du globe serait alors un peu de biais par rapport à sa figure sphéroïdale. Rien d’extraordinaire dans cette manière de voir, car si l’aimantation de la terre provient, suivant toute probabilité, des courans électriques qui circulent dans son ensemble, rien ne garantit la symétrie absolue de perméabilité, d’épaisseur des couches, de chaleur, de mouvement, et de toutes les circonstances qui influent sur le cours de ces fleuves de fluide électrique.

Il y a trente ou quarante ans, quand on ne savait pas que l’électricité était la cause du magnétisme, on attribuait l’aimantation du globe à des particules ferrugineuses disséminées dans cette vaste masse ; mais alors les variations journalières de l’aiguille auraient été assez difficilement expliquables. Depuis peu, M. Faraday et M. Edmond Becquerel ont trouvé que l’oxygène de l’air (un gaz !) est magnétique. M. Faraday a même rattaché au magnétisme de cette portion de l’atmosphère les variations diurnes de l’aiguille ; mais là, comme en bien d’autres points du sujet que je traite ici, nous n’avons pas le dernier mot de la science.

Si l’on possédait une aiguille ou un barreau aimanté dont le magnétisme lut invariable, on pourrait, en voyant quelle force il faut pour le faire dévier de sa position d’équilibre, reconnaître de jour en jour, d’année en année et de siècle en siècle, comment varie la force magnétique du globe. Malheureusement les barreaux d’acier se désaimantent peu à peu, et pendant la durée d’un voyage même de moins d’un an, on est embarrassé pour juger de la déperdition graduelle de la force des barreaux et des aiguilles. Il a fallu chercher des combinaisons bien savantes pour avoir la mesure absolue de la force magnétique de notre globe. Je vais essayer de faire comprendre l’esprit de la méthode qui, dans le beau mémoire de Gauss, est parfaitement inintelligible au point de vue de l’interprétation physique. Admettons qu’à force d’art et de patience on ait construit deux très longs barreaux, ayant leurs pôles bien isolés, également forts dans chaque aimant, et enfin aimantés juste à tel degré que l’un de ces pôles, agissant sur un pôle pareil à lui, à une distance d’un mètre par exemple, exerce sur lui une attraction ou une répulsion égale à un milligramme (notez bien que, dans l’expérience, on suppléera par un petit calcul à une très grande difficulté de construction). Voilà donc mon pôle bien défini en force, et, soit dans le XIXe siècle ou dans le XXe on pourra toujours reproduire ce même pôle avec cette même intensité. Cela étant fait, la mécanique nous offre par des oscillations le moyen de déterminer la force qui fait osciller le barreau, comme la pesanteur se mesure par les oscillations d’un pendule ordinaire. On fera donc de siècle en siècle la détermination précise de cette force magnétique du globe agissant sur un pôle ayant toujours la même quantité de magnétisme, et on aura ainsi la force absolue du magnétisme terrestre. Tel est le fond de la méthode tout à fait mathématique de Gauss. C’est, en dernière analyse, l’action d’un aimant sur un aimant donnant la force des pôles de ceux-ci, puis ensuite l’action de la terre sur ces pôles ainsi déterminés. Comme je me suis beaucoup occupé de cet objet, et que même la traduction du mémoire latin de Gauss, insérée dans les Annales de chimie et de physique, a été faite par moi, j’aurais du naturellement chercher à revenir des notions abstraites de l’auteur allemand aux notions physiques que je viens de développer tout à l’heure ; mais la complication mathématique m’a fait différer cette espèce de traduction de la métaphysique du calcul en expressions purement physiques. Voici par exemple comment on indiquerait, pour une époque donnée, la force magnétique du globe terrestre : Sur un pôle tel qu’à un mètre de distance il exerce sur un pôle pareil à lui-même une action égale au poids d’un milligramme, le globe terrestre exerce une action égale à un certain nombre de fois l’action du pôle pris pour type s’exerçant à un mètre de distance. Je n’ai pas besoin de dire que ces difficiles déterminations mécaniques ne sont pas de l’ordre de celles qu’on peut mettre sous les yeux des lecteurs de la Revue, car elles dépassent même la portée ordinaire des études mathématiques.

Dans l’état actuel de la science, nous ne pouvons pas prévoir si les deux pôles magnétiques, c’est-à-dire les deux points où concourent les méridiens magnétiques, feront le tour entier des pôles de la terre, ou s’ils ne feront que se balancer à droite et à gauche d’une position moyenne. Quant à l’équateur magnétique et à l’ensemble des lignes d’aimantation, il semble qu’ils se transportent d’un mouvement continu vers l’ouest. Depuis les premières observations, ils sont passés d’Europe en Amérique. Au bout de plusieurs autres siècles, ils auront probablement fait le tour entier de la terre, et nous reviendront situés comme au XVIe et au XVIIe siècle. Pour concevoir ce singulier transport, j’ai déjà indiqué qu’il fallait admettre que la croûte terrestre déjà solidifiée qui forme nos continens marche plus vite vers l’orient que le noyau central incandescent, et qu’ainsi les lignes magnétiques qui dépendent à la fois de la partie superficielle et de la partie centrale doivent rester en arrière, c’est-à-dire vers l’ouest, par rapport aux continens, qui vont plus vite vers l’orient que le reste de la masse terrestre. D’autres phénomènes du reste conduisent à la même manière de voir. Voilà donc bien des choses curieuses que l’étude du magnétisme terrestre nous dévoilera un jour.

J’ai déjà dit que l’aurore boréale, qui est un phénomène électrique, agit sur l’aiguille aimantée, et rien n’est plus concevable ; mais il est d’autres circonstances où, sans aucune cause perturbatrice apparente, l’aiguille s’agite, prend des mouvemens irréguliers, avance de plusieurs minutes dans un sens, puis recule de l’autre côté de sa position primitive. On a appelé ces singulières perturbations orages magnétiques. Il eût été sans doute plus exact de dire orages électriques. Ils s’observent au même instant physique tout autour de la terre. À Toronto dans l’Amérique du Nord, à Londres, à Paris, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, l’aiguille ressent au même moment la même influence. On en avait tiré l’espoir de déterminer ainsi les longitudes de divers lieux, et M. de Humboldt avait même parlé de longitudes magnétiques ; mais la difficulté consiste à saisir un point précis dans la perturbation. Le commencement, le milieu, la fin du phénomène ne sont pas nettement tranchés. M. Arago, qui avait d’abord beaucoup patroné ces observations simultanées d’orages magnétiques, s’était définitivement prononcé contre les longitudes magnétiques. On conçoit assez facilement qu’une agitation intérieure du globe, un tremblement même insensible de la masse des continens qui flottent sur le noyau en fusion de la terre, peuvent troubler le courant continu d’électricité qui circule dans l’intérieur du globe, et comme c’est ce courant qui dirige les aiguilles, celles-ci suivront toutes les phases du courant auquel elles obéissent. La marche saccadée des effets produits alors est bien analogue à ce que nous voyons l’électricité faire dans plusieurs circonstances, et notamment dans les orages de foudre. La masse de faits recueillis et imprimés en Angleterre et en Russie est vraiment formidable, et je pense que ce sera plutôt en vérifiant sur ces faits des idées préconçues qu’en les coordonnant à priori, qu’on en tirera quelque chose d’utile aux progrès de la physique. Nos historiens modernes sont fort embarrassés de la masse des documens que renferment les feuilles quotidiennes et les mémoires particuliers : il en est de même pour les physiciens qui veulent constituer un ensemble de toutes les observations publiées depuis quelques années sur le magnétisme terrestre. On a d’abord songé à se procurer ces observations, il faut maintenant trouver un moyen de les utiliser. C’est là un beau sujet de prix pour les académies !

Il y a en Angleterre un district où les tremblemens de terre sont presque continuels. Il serait curieux de voir si l’aiguille aimantée en ressentirait l’influence. On sait qu’après une de ces crises de la nature, M. de Humboldt a trouvé en Amérique que la direction de la boussole avait été notablement changée, ce qui indiquait un changement dans la direction que suivaient les courans électriques. Or la dislocation des couches du sol doit probablement produire des effets du même genre.

Outre les pôles magnétiques, il y a d’autres points remarquables sur le globe : ce sont ceux où la force magnétique est plus grande ou plus petite que dans les régions environnantes. Ces points ont été appelés pôles ou foyers d’intensité. Le mot de foyers semble une dénomination assez bizarre, car c’est en Sibérie et au Canada, c’est-à-dire dans les deux localités les plus froides des deux continens, que sont situés deux de ces foyers d’intensité. Ils paraissent du reste agir énergiquement l’un et l’autre sur les aurores boréales, qui tantôt ont leur milieu dirigé vers le foyer de l’est, tantôt vers le foyer d’intensité de l’ouest. C’est à ce dernier que sont coordonnées nos aurores boréales de France et d’Europe. Les cartes de Gauss donnent aussi des points de plus faible intensité. L’île de Sainte-Hélène occupe un de ces points. En général, la force magnétique du globe va croissant des régions tropicales vers les pôles, et elle varie plus que du simple au double entre les localités où l’intensité est la plus forte et celles où elle est à son minimum. Si l’on pouvait admettre que c’est aux endroits où la croûte solide du globe est la plus épaisse que se trouvent situés les points de moindre intensité, ces points acquerraient par là une importance très grande. C’est dans les régions polaires qu’on trouve les plus grandes intensités, et c’est en hiver que l’intensité est la plus forte, car la chaleur est contraire à la conductibilité électrique, et l’on a observé que quand un câble télégraphique sous-marin atteint une grande profondeur dans une eau par suite plus froide, la transmission électrique gagne sensiblement par l’augmentation d’énergie du courant qui parcourt le fil porteur des dépêches.

On a cherché, en s’élevant sur les montagnes et en ballon et en descendant dans les mines profondes, à reconnaître quelles variations subit le magnétisme de la terre quand on se rapproche ou qu’on s’éloigne de son centre, mais on n’a rien obtenu de positif et de bien avéré sur ces questions, où cependant sont intervenus MM. Gay-Lussac, Biot, de Humboldt et Bravais.

La conclusion à laquelle nous ramènent ces diverses observations, c’est que notre globe est un vaste aimant sphérique qui doit son magnétisme à des courans électriques allant de l’est à l’ouest, et qui éprouvent des influences appréciables du soleil et de la lune, considérés eux-mêmes comme d’autres aimans. De plus, la chaleur du soleil tourmente de mille manières les élémens magnétiques de ce globe, lesquels subissent encore des changemens séculaires, dus sans doute aux modifications de la constitution intérieure de la terre, et qui pourront, dans un avenir lointain, nous fournir des lumières sur ce qui se passe dans ces invisibles et inaccessibles régions, et enfin, suivant le vers de Virgile,

Pandere res altà terra et caligine mersas.
« Révéler les secrets du monde souterrain ! »


BABINET, de l’Institut.

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er janvier et du 15 avril 1857.