De l’Équitation (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
De l’ÉquitationHachetteTome 1 (p. 340-341).



CHAPITRE IX.


Des chevaux vicieux.


Dans ce qui a été dit jusqu’ici, nous avons indiqué le moyen de déjouer la fraude dans l’acquisition d’un poulain et d’un cheval, et la manière de s’en servir sans le gâter, surtout si le cavalier veut le montrer comme ayant toutes les qualités requises pour un cheval de guerre. Le moment paraît être venu d’enseigner à tirer, au besoin, le meilleur parti possible d’un cheval trop vif ou trop paresseux.

Et d’abord il faut se faire cette idée, que la fougue, chez le cheval, est la même chose que la colère chez l’homme. L’homme ne se met pas en colère quand on ne l’offense ni en paroles ni en actions ; de même on n’irrite point un cheval fougueux en évitant de le chagriner. Il faut donc tout d’abord, en le montant, avoir soin de né pas lui causer de souffrance. Une fois à cheval, tenez-le en place plus longtemps que tout autre, et portez-le en avant par les moyens les plus doux[1].

Vous commencez par les allures les plus lentes, puis vous passez successivement au trot et au galop, sans que le cheval s’en aperçoive. Tout ordre transmis brusquement par le cavalier trouble un cheval ardent, comme tout ce qu’un homme voit, entend ou souffre contre son attente. Il faut savoir que tout ce qui est subit lui donne de l’inquiétude. Voulez-vous retenir un cheval ardent qui cherche à gagner, il ne faut pas, pour l’arrêter, tirer tout d’un coup, mais user moelleusement de la bride, le ralentissant avec douceur, et non de force[2]. Les exercices sur la ligne droite apaisent mieux les chevaux que les changements de direction répétés, et les allures modérées éteignent peu à peu l’ardeur du cheval, dont elles calment la fougue au lieu de l’animer. Croire que des courses vives et fréquentes, où l’on fait renoncer le cheval, servent à le calmer, c’est se tromper du tout au tout : car, mené ainsi, le cheval ardent essaye de son côté de gagner de violence ; et, dans sa fougue, comme l’homme colère, il peut se faire, ainsi qu’à son cavalier, des maux sans remède.

On prendra garde qu’un cheval ardent ne parte avec trop de vitesse, mais on évitera surtout qu’il ne lutte de vitesse avec un autre cheval : car presque tous les chevaux qui ont le plus d’émulation sont aussi les plus fougueux.

Les mors doux leur conviennent mieux que les durs ; et, si le cheval est embouché avec un dur, rendez-le doux par la légèreté de la main[3].

Il est bon de s’accoutumer soi-même à être calme, surtout sur un cheval ardent, et à n’avoir avec lui que les points de contact qui nous sont indispensables pour l’assiette[4]. Un précepte excellent à connaître, c’est qu’on calme un cheval par un sifflement et qu’on l’excite par un coup de langue. Toutefois, si, dès le commencement, on faisait suivre le coup de langue d’une caresse, et le sifflet d’une correction, le cheval apprendrait à partir au sifflement, et à s’arrêter au coup de langue[5]. De même, il ne faut pas, au cri de guerre ou au son de la trompette, paraître troublé à son cheval, et lui présenter rien qui le trouble ; mais, autant que possible, calmez-le, et même, si vous le pouvez, offrez-lui son déjeuner ou son souper.

Le meilleur conseil à suivre, c’est de ne jamais choisir un animal fougueux pour cheval de campagne. Quant au cheval froid, il me suffira de dire qu’on doit le traiter par une méthode opposée à celle qui convient au cheval ardent.



  1. M. de Lancosme-Brères loue cette recommandation comme sage et indispensable ; seulement il regrette que Xénophon n’ait pas indiqué explicitement quels sont les moyens à employer.
  2. Cette remarque est très-logique : ce n’est que par le raisonnement et les moyens doux qu’on parvient à calmer la trop grande ardeur du cheval. L. B.
  3. Recommandation bien sage, mais d’autant plus difficile à exécuter que Xénophon et ses successeurs n’ont pas indique ce qu’il fallait faire pour avoir la main légère. L. B.
  4. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas toujours avoir les jambes et les talons plaqués sur le corps de l’anima), pour ne pas l’exciter mal à propos. L. B.
  5. Cette remarque est très-judicieuse, et j’en ai fait souvent l’application pour les départs et les arrêts. On porte le corps en arrière, premier temps, en disant halte ou stop ; puis on approche la main du corps, second temps. Le cheval, pour éviter l’opposition faite par la main au second temps, qui lui est toujours plus ou moins sensible, s’arrête de suite. Veut-on faire partir un cheval, on peut dire go on ou partez, puis on approche les jambes, premier temps, et on avance la main de bas en haut vers la tête du cheval ; il est rare que le cheval ne parte pas avant que les jambes aient agi. L. B.